Le salon international de l’agriculture, bousculé par le Covid-19, se déploie autrement
Après avoir échappé de justesse à une annulation totale en 2020, le rendez-vous annuel du monde agricole n’a pas animé la Porte de Versailles cette année. Mais certains concours de produits et de vins seront maintenus, hors de Paris.
Chaque année, depuis 1964, c’est le même cinéma aux alentours de la Porte de Versailles. À la toute fin du mois de février, les bétaillères slaloment entre les bus RATP et les VTC. Les meuglements viennent redonner vie aux bruits de la ville. Des dizaines de camions de fourrage déversent leur chargement sur le parvis du parc des expositions : il faut créer un nid douillet pour les 4 000 animaux qui viendront émerveiller les Franciliens et les jurys des concours généraux. Dans les couloirs encore vides de visiteurs, les 1 500 éleveurs, les viticulteurs, les fromagers, les ostréiculteurs, les maraîchers, les céréaliers, les syndicalistes, les mutualistes, les vendeurs de tracteurs et les participants de l’émission L’amour est dans le pré, venus de toute la France se retrouvent dans la capitale (1 050 à 1 100 exposants chaque année), se serrent la pince autour d’un petit café ou d’un ballon de vin rouge. C’est la grand-messe du salon de l’agriculture, autrefois appelé la semaine de l’agriculture. Chaque année, entre 600 000 et 700 000 visiteurs viennent à la rencontre du monde agricole pour voir les animaux, rencontrer les professionnels, ou remplir les placards de bons produits achetés à la source.
Une édition 2020 rabotée
En 2020, le salon a été le dernier événement à s’être tenu avant la fermeture des portes du secteur de l’événementiel. Il a été sauvé, mais raboté d’une journée. « Cela a pris tout le monde de court », se souvient Valérie Leroy, directrice du salon international de l’agriculture qui nous dévoile un peu de sa tambouille interne. « Au début de la préparation de chaque édition nous faisons une liste d’alertes contextuelles ou d’événements dans l’actualité sur lesquels nous devrons nous positionner, comme une campagne électorale, une épidémie de grippe aviaire ou des mécontentements dans la filière agricole. Pour 2020 on avait écrit une ligne “Covid ?” ».
Le début du salon n’est pas particulièrement marqué par l’inquiétude et la distanciation sociale. « Arrêter un jour plus tôt a eu des conséquences particulières pour les exposants et marchands venus des régions, qui avaient rentré de la marchandise pour le dernier week-end d’ordinaire fortement fréquenté ». Les éleveurs eux aussi ont été pris de court dans l’organisation du démontage : fermer un salon comme cela un jour plus tôt c’est une grosse organisation, une cellule de crise a même été ouverte pour faire sortir les animaux dans une précipitation organisée. Heureusement, les différentes sections du concours général agricole avaient pu se tenir : chaque année, environ 12 000 produits agricoles et alimentaires français, des miels aux vins, sont jugés et les finales se tiennent pendant la durée du salon. « Ce qui nous a brisé le cœur, c’est que le concours général des lycées agricoles n’a pas pu se tenir. C’est traditionnellement la cérémonie qui clôt le salon : 11 000 gamins concourent, on reçoit 800 étudiants et la finale le dimanche c’est une ambiance du tonnerre, un peu comme un de match de foot. Ces jeunes se sont trouvés amputés d’un joli moment », déplore la directrice.
La 58e édition repoussée à 2023
Le salon se préparant 6 mois à l’avance, la décision a rapidement été prise à l’automne dernier alors que la deuxième vague frappe les corps, les esprits et les portefeuilles, de tout bonnement repousser la grand-messe à 2023. « Dès l’été dernier, nous avons constaté que l’épidémie n’était pas prête de s’arrêter. Nous avons annoncé notre décision au grand public le 13 octobre dernier, et un peu avant en interne car lorsque l’hypothèse d’un confinement à l’automne s’est présentée, c’était au moment où en théorie les éleveurs et les exposants commencent à engager des frais pour préparer leur venue au salon », précise la directrice.
Une bienveillance et une prévenance à laquelle furent sensibles les représentants du monde agricole et de l’événementiel. « L’incertitude est trop grande pour les organisateurs ou les exposants qui peuvent voir des manifestations annulées du jour au lendemain ou le nombre maximum de visiteurs abaissé », dit Fabrice Laborde, vice-président de l’Union française des métiers de l’événement (UNIMEV) qui rappelle qu’un salon s’organise au moins six mois à l’avance. « C’est une rencontre manquée entre le monde agricole et les citadins », regrette Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. « Mais nous ne pouvions pas prendre de risques à la fois sanitaires et financiers. Nous commençons à examiner les conséquences économiques pour ceux qui se mobilisent depuis des mois pour ce rendez-vous, et nous préparons des événements à Paris et en province ». Pourtant, les agriculteurs de France et de Navarre n’attendaient sans doute que Paris pour debriefer ensemble sur une année compliquée. Si les maraîchers, ostréiculteurs et autres éleveurs ont beaucoup souffert de la fermeture des restaurants, les horticulteurs ont eux beaucoup perdu, alors que les confinements ont touché des périodes de pics de consommation (le printemps et la Toussaint). En plus des aides exceptionnelles pour compenser les pertes de chiffre d’affaires, l’État avait également mis en place une aide de 112 € par jour de frais de remplacement pour les agriculteurs qui n’avaient pas de mode de garde pendant le confinement.
Mais la décision de repousser le salon à l’année 2023 s’est aussi accompagnée d’une nouvelle proposition pour les concours des produits et des vins qui ne sont pas à remettre au lointain lendemain. « Nous avons tout de suite annoncé que nous allions maintenir les finales des concours des produits et des vins, qui se tiennent d’ordinaire dans un hall qui n’est pas ouvert au public et qui impliquent la présence de 6 000 jurés sur 5 jours. Pour respecter les jauges, on fera les finales en 4 fois dans 4 villes différentes (Tours, Angoulême, Châlon-en-Champagne et Montpellier) entre le 13 et le 24 mai prochains ».
Le verre à moitié plein
Pour compenser l’annulation du salon, plusieurs éleveurs d’Île-de-France avaient décidé d’ouvrir les portes de leurs fermes au public, pour montrer le quotidien d’un agriculteur aujourd’hui. Ce quotidien est-il différent avec le Covid ? Pas vraiment pour Jérôme Regnault, créateur du collectif d’agriculteurs « Ici la terre » et membre de l’association Versailles Plaine Responsable qui travaille à la préservation de la biodiversité de la plaine de Versailles. « Nous avons été épargnés dans notre manière de travailler parce qu’étant à l’extérieur et sur nos propres exploitations, on a toujours eu les dérogations pour pouvoir travailler. Et du coup, les gens sont venus directement à la ferme pour chercher des produits locaux ».
L’agriculteur des Yvelines estime qu’il y a eu « plus de ventes directes » depuis le premier confinement. « Jusque-là, on retrouvait dans le discours des consommateurs cette envie de manger local mais souvent le porte-monnaie, au moment de faire leurs courses, leur rappelait les difficultés économiques qu’on peut tous avoir. Ils aiment s’approprier l’agriculteur, connaître la personne et se rassurer sur la qualité des produits qu’il propose », a-t-il expliqué à nos confrères de La Croix.
Une virtualisation du salon impossible
Comme beaucoup de salons, de congrès ou d’événements grand public, la question s’est posée de la virtualisation à 100 % de l’édition 2021. Mais cette idée s’est très vite évaporée : « Pour nous, c’est un salon où l’on vient toucher le cul des vaches, boire des verres. Dans l’ADN du salon, il y a la rencontre, l’échange et quand on a vu toutes les initiatives digitales qui se sont multipliées on ne retrouvait rien qui pouvait répondre à cela », précise Valérie Leroy. « On a fait un atelier de deux heures en se posant la question des changements qu’il faudrait mettre en place mais c’était très flou. Nous avons aussi écouté avec attention ce que les directeurs de festivals musicaux ont répondu au gouvernement qui avait parlé de chaises en intervalles, de jauges de 1 000 personnes. Le directeur du Hellfest avait dit que ces protocoles ne correspondaient pas aux valeurs de son festival, nous nous reconnaissions beaucoup dans ces paroles ».
Afin de garder ce contact direct consommateur-producteur, le salon a proposé à ses partenaires, exposants, de profiter des différentes finales des concours des produits et des vins dans les quatre villes de province. Une plateforme internet va répertorier les événements que les uns et les autres vont faire en France (certaines régions vont organiser des visites de fermes, des marchés de producteurs…), une action digitale qui pourrait rester pérenne, et qui est directement née de la crise du Covid-19. L’outil numérique et la nouvelle fenêtre qu’il ouvre dans l’organisation d’événements n’a donc pas été complètement mise de côté. Le salon international de l’agriculture y pense pour viser la cible professionnelle étrangère qui pourrait mettre du temps à revenir sur le territoire français.