Franges franciliennes, un pied en Île-de-France
Dreux, Évreux, Senlis ou encore Montargis, voilà des noms de villes, aux portes de la région parisienne, connues mais aux caractéristiques mal identifiées. Ces communes sont aussi des représentantes des « franges franciliennes ». Ce terme, employé surtout par les urbanistes, désigne les espaces situés en dehors de l’Île-de-France mais influencés par l’aire d’attraction de Paris. Potentiel de développement économique et enjeux environnementaux singuliers, les franges retiennent de plus en plus l’attention des pouvoirs publics et des structures institutionnelles. L’Institut Paris Région a publié récemment une note à leur sujet. Jean Bénet, urbaniste chargé d’études pour l’Institut, aborde les particularités de ces espaces qui cristallisent l’avenir de l’aménagement du territoire francilien.
Actu-juridique : Qu’entend-on par ce terme de « franges franciliennes » ?
Jean Bénet : Plusieurs définitions peuvent s’appliquer à cette notion. Dans le cadre de notre note, nous avons retenu la notion de territoires polarisés sur lesquels l’Île-de-France étend son influence, en dehors de son périmètre géographique. Nous nous basons notamment sur les ressources de l’Insee et plus précisément sur la zone d’étude que représente l’aire d’attraction de la ville de Paris. Selon l’Insee, 661 communes de cette aire d’attraction sont situées dans les cinq régions limitrophes de l’Île-de-France : Hauts-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Normandie. Pour autant, certains territoires franciliens proches des limites de la région présentent des caractéristiques et des enjeux proches. La notion de franges renvoie à un objet interrégional.
AJ : Quels sont justement les spécificités et les enjeux de ces territoires ?
J.B. : D’abord ce sont des territoires avec des très fortes dimensions environnementales et rurales, des espaces boisés et/ou agricoles très importants, ce qui implique un niveau d’urbanisation assez faible comparé à l’agglomération parisienne. Ce sont aussi des aires qui bénéficient d’une forte attractivité résidentielle pour les habitants et actifs de l’Île-de-France et avec une part importante de « navetteurs », c’est-à-dire des actifs, qui réalisent de nombreux déplacements entre leur lieu d’habitation, dans ces franges, et les cœurs économiques de la région. Ainsi globalement les franges présentent des dynamiques démographiques assez soutenues, souvent supérieures aux régions auxquelles elles appartiennent. Cela se traduit par un déséquilibre entre l’habitat et l’emploi.
Leur développement suit les grands axes de transports : autoroutes, nationales, certaines départementales, mais surtout les voies ferrées. A contrario, ces espaces sont caractérisés par un manque de transports en commun en interne, et ont donc des difficultés de rabattement vers les gares. Logiquement aussi, les usagers des transports de ces territoires réalisent des temps et des distances de trajet domicile-travail supérieurs à ceux des actifs franciliens.
Toutes ces particularités charrient des enjeux propres, réinterrogés à l’aune des objectifs nationaux de tendre vers le zéro artificialisation nette (ZAN) et le zéro émissions nettes (ZEN). Il y a notamment une forte pression foncière sur ces franges, avec une dynamique prononcée de consommations d’espaces naturels, agricoles et forestiers, accompagnée d’une hausse du coût du foncier. Autrement dit, la région Île-de-France génère – du fait de son attractivité – un étalement urbain au-delà de ses frontières. Un étalement qui pose d’autant plus de problèmes qu’il entraîne une artificialisation rapide des sols. Sur ces territoires les habitants choisissent très souvent de vivre dans des pavillons plutôt que dans des immeubles. Enfin, les populations des franges sont généralement plus motorisées que les Franciliens du fait du manque de transports, ce qui n’est pas sans conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre.
AJ : Ces problématiques sont-elles bien identifiées par les régions limitrophes de l’Île-de-France ?
J.B. : La loi de 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (L. n° 2015-991, 7 août 2015) a introduit l’obligation pour les régions (hors Île-de-France, Corse et outre-mer) d’élaborer un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet). Ces nouveaux documents renforcent ainsi l’échelon régional en ce qui concerne l’aménagement de leur territoire. Évidemment ils mentionnent les franges franciliennes, souvent comme des enjeux à part entière.
Elles sont à la fois perçues comme des opportunités, notamment pour le développement économique, du fait par exemple de la croissance démographique dont nous parlions et des retombées sur les ressources fiscales des territoires avec la possibilité de création de nouveaux services publics. En effet, les nouveaux actifs qui s’installent au sein des franges forment une population qui concourt à une plus grande attractivité des villages et des villes. Le Sraddet des Hauts-de-France, par exemple, indique qu’il faut « optimiser les retombées dynamiques franciliennes ». Néanmoins, les régions limitrophes mettent en garde de manière concomitante contre les externalités négatives corrélées à ce dynamisme démographique et économique : étalement urbain, engorgement des réseaux de transport, augmentation des nuisances, etc.
Ainsi, on perçoit un positionnement ambivalent par rapport aux franges et les implications liées à leurs évolutions. Il s’agit ainsi d’en « réguler les impacts » (Sraddet de Normandie) ou d’en « maîtriser les effets » (Sraddet du Centre-Val de Loire).
AJ : Les régions évoquent-elles des solutions pour freiner ces aspects négatifs ?
J.B. : Les dispositifs envisagés font l’objet d’un développement inégal selon les régions. Les Hauts-de-France, par exemple, proposent de définir une stratégie partagée et interrégionale afin, je cite, de « limiter l’effet résidentiel francilien et la dilution urbaine qui en résulte ». Mais sans préciser les moyens pour y parvenir. D’autres régions mentionnent des outils plus détaillés, à l’image de la Normandie qui évoque dans son rapport d’objectifs la mobilisation de l’établissement public foncier (EPF), et préconise des principes d’aménagement : favoriser le renouvellement urbain en centre-bourg, densifier autour des gares, préserver les vallées et la biodiversité, etc. Le schéma du Centre-Val de Loire préconise quant à lui la création d’un observatoire régional sur le foncier.
AJ : La région Île-de-France, avec l’appui technique de L’Institut, a aussi émis des avis sur les schémas des régions voisines. Que contiennent-ils ?
J.B. : Globalement, le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), pendant du Sraddet pour la région-capitale, partage la même vision que les cinq autres régions, et plus précisément sur le sujet majeur de la sobriété foncière. Au-delà du discours porté à travers les objectifs des Sraddet, ils restent des documents moins prescriptifs que le SDRIF, avec une moindre portée normative. La question réglementaire est ainsi surtout renvoyée à d’autres documents d’aménagement et notamment des plans locaux d’urbanisme (PLU).
Nous constatons la difficulté à penser les franges comme des territoires particuliers. Autrement dit, la vision portée est encore très régionalisée alors même que ces franges s’insèrent sur des territoires à cheval sur plusieurs régions.
Une autre piste pour traiter les enjeux des franges est de s’appuyer sur les acteurs locaux déjà existants et notamment les parcs naturels régionaux (PNR) dont certains sont situés sur plusieurs régions, mais aussi les conseils d’architecture et d’urbanisme (CAUE), établissements publics locaux ou les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). D’autres dispositifs sont à inventer. La création d’observatoires interrégionaux sur le foncier, qui regrouperaient l’ensemble de ces acteurs, par-delà les frontières régionales, pourrait être aussi une solution pérenne. Enfin, la perspective de révision prochaine du schéma directeur de l’Île-de-France (Sdrif) de 2013 représente l’opportunité d’associer les régions limitrophes à l’Île-de-France, pour engager une réflexion commune.
AJ : La mise en route progressive du réseau du Grand Paris Express peut-il influencer le fonctionnement des franges ?
J.B. : L’un des objectifs du Grand Paris Express est de rééquilibrer le développement de l’Île-de-France en termes de mobilité et d’opportunité d’aménagement à proximité des gares. Ces gains d’accessibilité auront également des conséquences sur la Grande couronne et donc sur les franges franciliennes. Une note rapide de L’Institut Paris Région rappelle quelques éléments sur le sujet : le Grand Paris Express, c’est 38 gares en interconnexion avec le RER ou le transilien, 18 situées en grande couronne, et jusqu’à 2,6 millions d’emplois franciliens rendus accessibles en une heure de transport en commun depuis les nouvelles gares. Le développement des transports en commun, en parallèle de l’essor du télétravail, pourrait pousser davantage d’actifs vers ces territoires et amplifier les problématiques que nous avons évoquées. Les collectivités vont donc devoir accélérer leur coopération à l’instar de celles déjà établies pour les transports (Ligne Nouvelle Paris-Normandie), pour le développement économique (Cosmetic Valley avec la Normandie et le Centre-Val de Loire, Contrat de plan Interrégional État-Régions Vallée de Seine avec la Région Normandie, etc.), ou l’aménagement durable (Parc Naturel Régional Oise Pays de France). On peut également signaler l’initiative des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux d’Île-de-France et du Centre Val de Loire, qui ont mené une étude commune sur les territoires de frange.
Référence : AJU002c6