Amiable : une rentrée chargée et enthousiasmante !
Dans le cadre de la politique de l’amiable menée tambour battant par la Chancellerie, plusieurs dispositifs initiés avant l’été prennent désormais leur essor. Fabrice Vert, premier vice-président au TJ de Paris, membre du Conseil national de la médiation, ambassadeur de l’amiable, membre du conseil national d’Unité Magistrats, nous livre en exclusivité les nouveautés de cette rentrée.
Le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, le 6 septembre dernier à l’émission Justice en France de France 2, évoquant la justice civile qui représente 60 % de l’activité judiciaire, a rappelé toute l’importance qu’il attache à sa politique de l’amiable, voulant remettre au centre de son procès le justiciable par deux nouveaux mécanismes : l’audience de règlement amiable et la césure, appelant, notamment les acteurs judiciaires, à un changement de paradigme en passant de la « culture de la castagne » à celle de la conciliation.
Deux nouveaux mécanismes de l’amiable
C’est le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 qui institue ces deux nouvelles mesures et qui sera applicable aux instances introduites à compter du premier novembre 2023.
Après des consultations et un arbitrage de la Chancellerie, c’est la version ambitieuse de l’audience de règlement amiable (ARA), inspirée de la conférence de règlement amiable québécoise qui a été retenue, modifiant l’avant-projet, notamment en autorisant le juge à décider d’office une ARA après avoir recueilli l’avis des parties. C’est en effet le rôle proactif du juge dans l’amiable (notamment grâce au mécanisme de l’injonction de rencontrer un médiateur) qui a permis à la voie amiable de connaître un certain essor dans les juridictions (comme au TJ de Paris dans le cadre d’une politique de juridiction associant les parties prenantes sous l’autorité du président Stéphane Noel) et il est heureux d’avoir prévu que cette ARA puisse être demandée par les parties mais aussi décidée d’office par le juge.
Une circulaire est actuellement en préparation à la Chancellerie et devrait préciser les modalités d’application de ces nouveaux mécanismes amiables dans les juridictions et répondre aux nombreuses questions que se posent déjà les professionnels. il est déjà acquis que l’audience de règlement amiable sera présidée, en chambre du conseil, par un juge qui ne jugera pas l’affaire, que le juge présidant une ARA pourra entendre séparément les parties, se transporter sur les lieux, sans l’assistance du greffier qui ne sera requise que lors de la rédaction d’un procès-verbal constatant l’accord des parties. Une ARA pourra être décidée en référé ou en procédure civile écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire et le principe de confidentialité est applicable (en cas de succès de cette ARA, il pourrait être envisagé de l’instituer en cause d’appel ou devant le JEX).
La réussite de ces nouveaux mécanismes nécessite qu’ils s‘accompagnent des moyens adéquats et d’une formation spécifique à destination des juges qui présideront une ARA. L’école nationale de la magistrature, dont la doyenne du pôle justice civile, est la professeure Natalie Fricéro, ambassadrice de l’amiable, organisera de telles formations qui sont déjà inscrites à son catalogue.
Les ambassadeurs de l’amiable
Pour promouvoir cette politique, après s’être déjà rendus à cour d’appel de Colmar, les 9 ambassadeurs de l’amiable (3 magistrats, 3 avocats, 3 universitaires) désignés le 12 mai 2023 par le garde des Sceaux intensifieront leurs visites dans les 36 cours d’appel afin d’échanger avec toutes les parties prenantes (magistrats, avocats, conciliateurs de justice, médiateurs…) sur le développement effectif d’une voie amiable dans les juridictions. Le calendrier arrêté (sauf modifications) pour le mois d’octobre est le suivant : le 2 Grenoble, le 6 Pau et Poitiers, le 9 Rennes, le 27 Agen. Le 17 octobre 2023, la cour d’appel de Paris initiera l’après-midi son cycle de conférences sur l’amiable, à l’initiative du premier président Jacques Boulard avec le matin la venue des ambassadeurs de l’amiable. Le ministre de la Justice devrait se rendre lui-même à certaines de ces journées d’échange. À retenir également la date du 14 décembre 2023, un colloque de la Cour de cassation (qui a déjà ordonné plusieurs médiations) réunira notamment des juges européens sur les pratiques juridictionnelles au service d’un espace de justice pacificateur.
La renaissance de l’article 750-1 du code de procédure civile
Après avoir été annulé par le Conseil d’État, l’article 750-1 du Code de procédure civile qui instaure un préalable amiable obligatoire à la saisine du juge, renaît de ses cendres et dans sa version issue du décret n° 2023-357 du 11 mai 2023, applicable aux instances introduites à compter du 1er octobre 2023 dispose qu’« à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage. »
Intense activité au conseil national de la médiation
Ce conseil, présidé par la conseillère à la Cour de cassation Frédérique Agostini, qui a tenu sa première réunion le 28 juin dernier, a créé 4 groupes de travail sur des sujets essentiels comme la déontologie des médiateurs, le suivi et l’évaluation des médiations, la formation des médiateurs, la réforme des textes. Sa prochaine réunion aura lieu le 9 novembre 2023 et sa commission permanente se réunira mensuellement.
Un mouvement jurisprudentiel favorable au développement de l’amiable
Dans un arrêt rendu le 20 avril 2023 publié au bulletin, la 3e chambre civile de la Cour de cassation (2023,22.15.529) a considéré dans une action en diminution de prix du loyer qu’une telle action était irrecevable en l’absence de demande préalable présentée par le locataire au bailleur.
Cette décision est remarquable en ce sens que l’article 3-1 de la loi du 6 juillet 1989 qui prévoit cette formalité ne sanctionne pas expressément son non-respect par une irrecevabilité.
La cour d’appel d’Aix en Provence dans son arrêt frappé d’un pourvoi (rejeté) avait relevé que l’intention du législateur, en prévoyant cette formalité, était de favoriser le développement du règlement amiable dans ce contentieux.
Le professeur Thibault GOUJON-BETHAN dans un très intéressant commentaire de cet arrêt dans la Gazette du Palais du 25 juillet 2023 évoque dans la même veine la jurisprudence du TJ de Paris dans le devoir de vigilance qui déclare irrecevable la demande en justice faute de respect de la mise en demeure prévue par la loi de 2017, le tribunal ayant retenu que cette mise en demeure préalable à la saisine du juge avait pour objectif « d’instituer une phase obligatoire de dialogue et d’échange amiable » qui « poursuit un objectif de sécurité juridique et de développement des alternatives amiables de résolution des litiges »
Cette jurisprudence de la Cour suprême est de nature à favoriser le développement de la voie amiable encore utilisée de manière marginale dans notre pays.
Tous ces éléments encourageants nous permettent d’espérer que la France va enfin, comme l’ont déjà fait avec succès de nombreux autres pays, dans l’intérêt des justiciables, offrir à ces derniers la possibilité de choisir une voie amiable efficace et effective pour les aider à résoudre humainement et rapidement leurs litiges.
Selon le directeur des affaires civiles et du Sceau, Rémi Decoult-Paolini « un des points forts de la nouvelle politique de l’amiable lancée par le garde des Sceaux, tient aussi à la reconnaissance comme un objectif prioritaire de politique civile pour les juridictions, avec une approche rénovée » (semaine juridique, supplément au n° 24, 19 juin 2023) .
Le juge, qui a vocation à trancher un litige en appliquant la règle de droit sur des positions juridiques dans un cadre processuel régi par les grands principes directeurs du procès qui apportent des garanties importantes aux justiciables dans la réalisation de leurs droits, a également pour mission de concilier les parties, qui est aussi un principe directeur du procès introduit par le nouveau Code de procédure civile de 1975 et qui pourrait enfin s’inscrire dans une réalité judiciaire dans le cadre d’une politique nationale déclinée dans les juridictions.
Une plateforme publique de médiation en ligne ?
Pour conclure en prospective, j’évoquerai la médiation en ligne qui se développera nécessairement pour certains litiges dont la résolution amiable ne nécessite pas une réunion en présentiel.
Une plateforme publique de médiation en ligne, pourrait être utilement mise place au sein du ministère de la Justice, sachant qu’une première expérience de médiation en ligne avait eu lieu avec succès en 2010 à la cour d’appel de Paris en partenariat avec le Forum des droits sur l’internet, organisme parapublic, qui avait développé à partir de 2004 un service gratuit de médiation en ligne. Compétent pour les litiges liés à la société numérique impliquant au moins un particulier, il était saisi notamment pour les différends en matière de commerce en ligne et de fourniture d’accès à internet.
Le 7 avril 2009, dans le but d’inscrire « la médiation dans la réalité judiciaire », la cour d’appel de Paris avait signé une convention expérimentale avec le Forum des droits sur l’internet. Ce projet, piloté notamment par le référent médiation de la cour d’appel de Paris et Marie-Françoise Le Tallec, alors secrétaire générale du Forum, s’est révélé concluant puisque 66 médiations ont été menées sur quelques mois dans le cadre de ce partenariat avec un taux d’accord de 92 %.
Malheureusement, cette expérimentation précurseur et remarquée par la commission des Nations unies pour le droit commercial (qui effectuait à l’époque des travaux sur le règlement en ligne des différends dans les opérations de commerce électronique) n’a pas survécu à la disparition du forum, devenu le Conseil du numérique.
Il n’est pas à douter que Marie Françoise Le Tallec, à qui je tiens à rendre hommage pour la qualité de la plateforme qu’elle avait élaborée, et qui est devenue magistrate serait la personne ressource idoine pour aider à la réussite d’un tel projet.
La rentrée de l’amiable est chargée et enthousiasmante.
Les feux de l’amiable doivent être mis au vert disait le ministre de la justice lors du lancement de sa politique de l’amiable. Il nous appartient à tous de transformer l’essai .
Référence : AJU389317