« L’avocat n’est pas dépossédé par la médiation »
Chaque année, la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation remet des « Espoirs de la médiation » lors de son symposium. Le dernier, ayant pour thème « Vie politique et vie sociale : la personne au cœur de l’entente et de l’entente sociale », s’est tenu le 15 octobre dernier sous forme d’un webinaire. À cette occasion, Franck Lenzi, ancien bâtonnier du barreau d’Avignon, s’est vu remettre l’Espoir de la médiation. Il est revenu sur son parcours d’avocat et sur la manière dont la médiation a fait irruption dans sa pratique.
Les Petites Affiches : Vous avez reçu un « Espoir de la médiation ». Qu’est-ce que cela représente ?
Franck Lenzi : Cet espoir met en valeur des professionnels qui participent au développement de la médiation, non pas en tant que médiateur mais en tant que prescripteurs. Notre cabinet a passé un accord de médiation avec la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation. Lorsqu’un dossier s’y prête, nous le dirigeons, moi et mon associé, vers la médiation. Cette association n’intervient pas que dans le cadre de contentieux judiciaires mais également pour désamorcer des tensions dans les entreprises, par exemple. Pour le volet judiciaire, elle a noué des partenariats avec différents cabinets, dont le nôtre. Recevoir l’Espoir de la médiation est l’aboutissement d’un cheminement personnel quant à la médiation. La première fois que j’en ai entendu parler, je n’y croyais pas du tout !
LPA : Depuis quand développez-vous la médiation ?
F.L. : Lorsque les modes alternatifs de règlements des différends ont émergé il y a une dizaine d’années, je n’y croyais pas. Je suis aujourd’hui convaincu que la justice traditionnelle va continuer d’exister, mais qu’à côté d’elle, va se développer la médiation. Je suis aujourd’hui convaincu qu’un cabinet d’avocat doit avoir à sa disposition les outils de contentieux, parce qu’il va demeurer, mais il doit avoir également les outils de la médiation, parce qu’elle va se développer.
LPA : Comment avez-vous changé d’avis ?
F.L. : Ce cheminement a pris des années. J’y ai vu un intérêt pour la première fois il a quatre ans, à presque 50 ans. Un adversaire m’avait proposé cette approche, dans un dossier du quotidien, comme on peut en rencontrer tous les jours. Mon client, un homme âgé et malade, avait vendu un mobile-home à un acheteur, qui après quelques épisodes pluvieux, se plaignait que de l’eau se soit engouffrée dans le mobile-home et ait provoqué de graves dégradations. Il demandait donc la résiliation du contrat d’acquisition du mobile-home. J’ai constaté que ce litige qui prenait beaucoup de temps et d’énergie à mon client, avait pu être dénoué en quelques heures grâce à la médiation. C’était un soulagement pour mon client. Et l’avocat que je suis n’avait pas été dépossédé du dossier, car mon contradicteur et moi-même avions rédigé l’accord issu de la médiation. Le médiateur avait pu dénouer le nœud gordien du problème, qui était un problème relationnel. Les deux avocats avaient ensuite matérialisé juridiquement l’accord intervenu. Mon rôle d’avocat était pleinement maintenu et reconnu. J’avais pu apporter, par la médiation, une vraie solution tant sur le plan psychologique que juridique. J’ai ensuite effectué une deuxième médiation qui n’a pas été couronnée de succès. Malgré tout, elle m’avait permis d’apprendre des choses. S’est enracinée en moi l’idée que la médiation devait coexister avec la justice traditionnelle. J’ai ensuite effectué des formations destinées aux parties cocontractantes, sur l’accompagnement d’un client en médiation. Cela a achevé de me convaincre.
LPA : Pourquoi aviez-vous des réticences concernant la médiation ?
F.L. : J’ai 53 ans. J’ai prêté serment en 1994. Ma tranche d’âge a été formée au judiciaire pur. Il m’a donc fallu un temps de sensibilisation plus grand que certains de mes jeunes confrères qui ont bénéficié à la faculté comme à l’école d’avocat, d’un enseignement sur ces modes alternatifs de règlement des conflits. Pour eux, il est parfaitement naturel que coexistent deux formes de justice. Ce n’est pas le cas des avocats qui ont été formés dans les années 80, à la faculté, et au début des années 90, dans les centres de formation d’avocat.
LPA : Comment décidez-vous d’opter ou non pour la médiation ?
F.L. : Mon associé et moi-même définissons si un dossier à des chances ou non d’aboutir dans un processus de médiation. Il faut savoir écouter le client et entendre, derrière les mots, le vrai problème qui se pose. Il est évident que quand quelqu’un franchit la porte d’un cabinet d’avocat, il a un problème juridique. Néanmoins, celui-ci peut être la cause ou la conséquence. Si la question juridique n’est que la conséquence de son problème, il faut en identifier la cause. Si celle-ci réside dans une relation humaine dégradée, on peut envisager la médiation. Si le problème est uniquement juridique, et qu’il n’y a aucune relation humaine dégradée, cela ne sert à rien d’envoyer un dossier à la médiation. Il ne faut pas être naïf et idéologue, dire que tout doit passer par la médiation. Pas plus qu’il ne faut dire que rien ne doit passer par la médiation. C’est du cas par cas.
LPA : Comment travaillez-vous avec les médiateurs ?
F.L. : Je ne fais pas moi-même de médiation. Lorsque je pense que celle-ci est une solution pour mon client, je l’oriente vers des médiateurs. La fonction du médiateur se borne à la restauration d’une relation humaine dégradée afin de permettre aux parties de reprendre un dialogue en vue de la matérialisation d’un accord. Lorsque ceux-ci ont trouvé un accord, les avocats des deux parties procèdent à la rédaction juridique. Le médiateur ne rédige jamais l’accord intervenu. Seul l’aspect psychologique du dossier est du domaine du médiateur. Envoyer un client chez un médiateur ne signifie donc en aucun cas se désintéresser de son dossier. L’avocat demeure le conseil de son client et celui-ci ne signe rien que son avocat ait validé et rédigé.
LPA : Quels sont les résultats de la médiation ?
F.L. : Quand une relation humaine est dégradée, et que l’on saisit la justice traditionnelle, on peut voir un même dossier revenir plusieurs fois devant le tribunal. Certains clients se retrouvent tous les ans devant le juge aux affaires familiales ou devant le tribunal de proximité pour des querelles de voisinage, pour des branches qui dépasse d’une haie mitoyenne. Cela ne satisfaisait pas les attentes du client. À force de passer au tribunal, le client connaît le droit, les décisions rendues ne sont pas une surprise pour lui. S’il y a retour devant le magistrat, c’est parce que la relation est dégradée, que les parties ne veulent plus se parler, que chacun est convaincu en son for intérieur d’avoir raison. La médiation permet de voir naître des solutions. Si on prend l’exemple des affaires familiales, on ne restaure pas une relation intime entre des parents. Mais on peut restaurer par rapport à l’enfant, une relation qui favorise une prise de décision en commun. On permet à l’enfant d’avoir une meilleure qualité de vie en cessant d’être l’otage du conflit de ses parents. On peut mettre fin à une relation néfaste. Ce n’est pas parce qu’on envoie un dossier en médiation qu’il y aura nécessairement une solution. On donne au moins une chance de permettre à la relation humaine de gagner en qualité.
LPA : Quels dossiers ne s’y prêtent pas ?
F.L. : Des dossiers ne se prêteront jamais à la médiation. Prenons l’exemple d’un dossier opposant votre client à une compagnie d’assurances qui refuse de prendre en charge un sinistre : il n’y a pas d’humain, que du droit. Les questions vont porter sur la nature du contrat. Permet-il d’indemniser, à quelle hauteur, est-ce que les éléments probants sont réunis ? Il n’y a là rien qui se prête à la médiation.
LPA : Pourquoi misez-vous sur le développement de la médiation ?
F.L. : C’est une approche qui va se développer car à l’heure actuelle, il y a une déshumanisation croissante de la procédure judiciaire. La nature a horreur du vide. La médiation permet de remettre de l’humain dans le règlement des différends.