L’affaire du naufrage du Joola devant la CEDH

Publié le 01/03/2022

La requérante est une association qui regroupe les personnes ayant perdu dans le naufrage du Joola un membre de leur famille, un proche et des victimes rescapées. Ce navire, acquis l’État sénégalais pour assurer une navigation entre la Casamance, région enclavée, et le reste du pays, fit naufrage dans les eaux internationales au large de la République de Gambie. Les autorités sénégalaises ouvrirent une enquête judiciaire dont la conclusion fut que le seul responsable du naufrage était le capitaine du navire, présumé mort et l’affaire fut classée sans suite en raison de l’extinction de l’action publique.

Sur plainte de plusieurs ayant-droits de victimes française, le juge d’instruction d’Évry décerna neuf mandats d’arrêts à diffusion internationale contre plusieurs dirigeants sénégalais de l’époque du naufrage. Deux de ces mandats furent annulés par la Cour de cassation, en application de l’immunité de juridiction de l’État étranger. Les personnes visées par ces mandats déposèrent une requête en annulation de la procédure pour incompétence du juge d’instruction français et demandèrent la mainlevée des mandats d’arrêts. La chambre de l’instruction, puis la Cour de cassation rejetèrent ces pourvois et le juge d’instruction prononça un non-lieu.

La cour d’appel confirma l’ordonnance et le pourvoi de l’association requérante fut rejeté.

En l’espèce, et comme l’a rappelé la chambre de l’instruction, la requérante a subi une limitation de son droit d’accès à un tribunal en ce que qu’elle n’a pas pu bénéficier d’un procès où il serait débattu de la responsabilité pénale des dirigeants sénégalais de l’époque du naufrage.

Sur le point de savoir, en premier lieu, si cette limitation du droit à un tribunal poursuivait un but légitime, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle un État ne peut être soumis à la juridiction d’un autre État. Elle considère que l’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États en garantissant le respect de la souveraineté des autres États.

Rappelant qu’il appartient au premier chef aux juridictions internes d’interpréter les règles de droit international général, la Cour constate qu’en accordant l’immunité concernée, les juridictions internes ne se sont pas écartées des normes internationales actuellement admise.

Elle observe à cet égard que la requérante n’a apporté aucun élément permettant de conclure que l’état du droit international se soit développé dans un sens qui rendrait ce constat irrecevable.

La Cour note également que les juridictions internes n’ont pas opté pour un refus d’informer en raison de l’immunité des personnes mises en cause, mais elles ont rendu un non-lieu après avoir conduit des investigations particulièrement minutieuses et exhaustives afin de faire la lumière sur les événements ayant conduit au naufrage. À l’issue de ces investigations, les autorités judiciaires ont retenu que les faits à la base de l’action de la requérante présentaient le « caractère matériel de l’infraction d’homicide involontaire » et qu’il y avait lieu de réparer les préjudices en résultant.

Enfin, si les juridictions internes ont constaté que les parties civiles étaient effectivement empêchées par l’immunité de juridiction de demander publiquement la réparation de leurs préjudices, elles ont cependant souligné qu’elles disposaient de voies de recours civiles à cette fin. Rappelant que l’action civile en réparation d’un dommage, distincte de l’action publique, appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage direct causé par l’infraction, elles ont retenu que les parties civiles n’ont pas été privées de tout accès à la justice puisqu’elles ont eu, ou ont été sur le point de l’être, la possibilité d’obtenir la réparation de leur préjudice en vertu du dispositif relatif à l’indemnisation des victimes de dommages résultant d’une infraction. En conséquence, l’association requérante et les autres parties civiles ne se sont pas trouvées dans une situation d’absence de tout recours.

Eu égard à tout ce qui précède, la Cour ne relève rien d’arbitraire ni de déraisonnable dans l’interprétation donnée par les juridictions internes aux principes de droits applicables ni dans la manière dont elles les ont appliqués au cas d’espèce. Partant, la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée.

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