Président de la République et défenseur des arbres : message d’une lettre historique

Publié le 25/02/2022

À la veille des prochaines élections, une lettre officielle d’un président de la République à son Premier ministre est à mettre en lumière. Un profond attachement pour les arbres et une conscience élevée de leur importance écologique et paysagère émanent de son auteur. Un document à jamais d’actualité. Qu’on en juge à sa lecture.

« Mon cher Premier ministre,

J’ai eu, par le plus grand des hasards, connaissance d’une circulaire du ministre de l’Équipement – Direction des routes et de la circulation routière – dont je vous fais parvenir photocopie.

Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c’est par l’un d’eux que j’en ai appris l’existence.

Elle appelle de ma part deux réflexions :

– la première, c’est qu’alors que le Conseil des ministres est parfois saisi de questions mineures telles que l’augmentation d’une indemnité versée à quelques fonctionnaires, des décisions importantes sont prises par les services centraux d’un ministère, en dehors de tout contrôle gouvernemental ;

– la seconde, c’est que, bien que j’aie plusieurs fois exprimé en Conseil des ministres, ma volonté de sauvegarder partout les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l’égard des souhaits du président de la République. Il en ressort, en effet, que l’abattage des arbres le long des routes deviendra systématique, sous prétexte de sécurité. Il est à noter, par contre, que l’on n’envisage qu’avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C’est que là, il y a des Administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n’ont, semble-t-il, d’autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas.

La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. D’ailleurs, une diminution durable des accidents de la circulation ne pourra résulter que de l’éducation des conducteurs, de l’instauration des règles simples et adaptées à la configuration de la route, alors que complication est recherchée comme à plaisir dans la signalisation sous toutes ses formes. Elle résultera également des règles moins lâches en matière d’alcoolémie, et je regrette, à cet égard, que le gouvernement se soit écarté de la position initialement retenue.

La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes – et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes – est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un milieu humain.

Je vous demande donc de faire rapporter la circulaire des Ponts et Chaussées, et de donner des instructions précises au ministre de l’Équipement pour que, sous divers prétextes (vieillissement des arbres, demandes de municipalités circonvenues et fermées à tout souci d’esthétique, problèmes financiers que posent l’entretien des arbres et l’abattage des branches mortes), on ne poursuive pas dans la pratique ce qui n’aurait été abandonné que dans le principe et pour me donner satisfaction d’apparence.

La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera, de plus en plus, chez tous, un besoin d’évasion, de nature et de beauté. L’autoroute sera utilisée pour les transports qui n’ont d’autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l’automobiliste de la fin du vingtième siècle, ce qu’était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l’on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France.

Que l’on se garde de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté.

Veuillez agréer, mon cher Premier ministre, l’assurance de mes sentiments les meilleurs ».

Georges Pompidou

Lettre du Président Français à son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, datée du 17 juillet 1970.

À glisser subrepticement, pour mémoire, dans le parapheur de tous leurs successeurs.

Le parti des arbres n’est pas un parti.

Benoît Hartenstein, notaire à Metzervisse

Co-correspondant Moselle pour l’association nationale ARBRES (Arbres Remarquables : Bilan-Recherche-Études et Sauvegarde).

Président de la République et défenseur des arbres : message d’une lettre historique

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