CEDH : doutes quant à l’impartialité du président de cour d’assises

Publié le 02/09/2021

Condamné pour l’assassinat de ses deux enfants à la prison à perpétuité, un ressortissant belge apprit par la mère des enfants, partie civile constituée au procès pénal, que le président de la cour d’assises avait pris l’initiative, au cours de la semaine ayant précédé l’ouverture du procès, de prendre rendez-vous par téléphone avec elle aux fins d’effectuer une visite informelle à son domicile et qu’il lui avait, à cette occasion, exprimé sa compassion. Dans son mémoire, le président de la cour d’assises exposa que les sessions d’assises qu’il préside incluent généralement une visite des lieux et qu’il avait effectué sa visite en vue de percevoir plus clairement la disposition des lieux. Il précisa que s’il admettait avoir fait preuve à l’égard de la mère de la courtoisie que commandait la tristesse des circonstances, et lui avoir « souhaité bon courage pour le procès », il déniait toute manifestation de compassion ou d’empathie à son égard.

La Cour de cassation rejeta la requête de prise à partie du requérant.

La Cour rappelle qu’il est fondamental que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables, à commencer, au pénal, aux prévenus. À cet effet, l’article 6 exige qu’un tribunal relevant de cette disposition soit impartial.

L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris. Son existence peut s’apprécier de diverses manières. Aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective, consistant à déterminer si le tribunal offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité.

S’agissant de la démarche subjective, la Cour a toujours considéré que l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à la preuve du contraire. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées.

Une analyse de la jurisprudence de la Cour permet de distinguer deux types de situations susceptibles de dénoter un défaut d’impartialité du juge. Le premier, d’ordre fonctionnel, regroupe les cas où la conduite personnelle du juge n’est absolument pas en cause mais où, par exemple, l’exercice par la même personne de différentes fonctions dans le cadre du processus judiciaire ou des liens hiérarchiques ou autres avec un autre acteur de la procédure suscitent des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité du tribunal, lequel ne répond donc pas aux normes de la Convention selon la démarche objective. Le second type de situations est d’ordre personnel et se rapporte à la conduite des juges dans une affaire donnée. D’un point de vue objectif, pareille conduite peut suffire à fonder des craintes légitimes et objectivement justifiées, mais peut également poser un problème dans le cadre de la démarche subjective, voire révéler des préjugés personnels de la part des juges.

En l’espèce, la Cour constate que la visite a eu lieu sans que le requérant et son conseil n’eussent été informés de cette initiative à la mère des enfants a eu lieu en dehors de la présence de quiconque.  En l’absence de témoin, la portée des propos échangés à l’occasion de la visite a fait l’objet d’appréciations diverses devant la Cour de cassation.

La Cour admet qu’en tant que telle la manifestation de simples sentiments de courtoisie ou de compassion à l’égard d’une partie civile ne peut s’assimiler à l’expression d’un parti pris à l’égard de l’accusé, et qu’elle peut au contraire s’analyser comme l’expression d’une justice à visage humain. La Cour considère qu’elle ne peut conclure, sur cette seule base, à un manque d’impartialité subjective. Néanmoins, elle relève que, dans la mesure où la visite a été sollicitée unilatéralement par le président et, surtout, a eu lieu en dehors de la présence de quiconque, le président a pris le risque que sa démarche puisse être critiquée. Aussi, s’il n’est pas démontré qu’il serait parti de l’idée préconçue que le requérant était coupable des faits dont il était appelé à répondre devant la cour d’assises, la conduite de ce magistrat, d’ailleurs qualifiée de « critiquable » par la Cour de cassation, pouvait faire naître une crainte objective de manque d’impartialité, ce qui est de nature à remettre en cause son impartialité objective. La Cour estime que l’argument du Gouvernement selon lequel une visite des lieux des faits pouvait se rattacher à l’exercice par le président du pouvoir discrétionnaire que lui accordent les articles 255 et 281 du CIC n’est pas de nature à remédier à ce constat.

Si la Cour a déjà jugé que le manque d’impartialité objective d’un seul des membres d’une formation collégiale n’est pas déterminante dans la mesure où le secret des délibérations ne permet pas de connaître l’influence réelle du magistrat concerné au cours de celles-ci, et constate qu’en l’espèce, conformément aux règles en vigueur au moment du procès, le jury a délibéré seul sur la culpabilité du requérant, elle estime que le rôle du président dans le cadre de la procédure dirigée contre le requérant ne saurait être sous-estimé. Le président a ainsi pris part, aux côtés des deux assesseurs et avec le jury, d’abord à la rédaction de l’arrêt de motivation du verdict des jurés, puis à la délibération sur la peine et à l’arrêt concernant celle-ci. Par ailleurs, il disposait d’une grande latitude dans la manière d’organiser les débats devant la cour d’assises en vue de favoriser la manifestation de la vérité.

La Cour considère que la conduite du président a à tout le moins pu faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective et ainsi remettre en cause l’impartialité de la cour d’assises elle-même pour connaître du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre le requérant.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation suffit à compenser le préjudice moral subi par le requérant.

Sources :
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