Aspects pratiques de la conciliation devant le tribunal d’instance

Publié le 12/04/2019

La conciliation est l’antichambre du tribunal d’instance. La « justice du quotidien » accorde, en effet, une large place aux modes de résolution amiable des différends en général et à la conciliation en particulier. Il s’agit ici de s’interroger sur l’articulation de l’activité des conciliateurs de justice avec celle des tribunaux d’instance.

L’article 829 du Code de procédure civile énonce que la demande en justice est formée par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation. La conciliation comme préalable à la procédure devant le tribunal d’instance constitue même une exigence en cas de saisine de la juridiction par déclaration au greffe, c’est-à-dire pour les litiges inférieurs à 4 000 €. L’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est ainsi venue préciser qu’« à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf : 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; 3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ».

La justice des litiges « du quotidien » accorde donc une large place à la conciliation. Les invitations faites au juge, en ce sens, sont nombreuses. L’article 21 du Code de procédure civile dispose qu’il « entre dans la mission du juge de concilier les parties ». Aux termes de l’article 845, alinéa 1er, du Code de procédure civile, il est prévu que le « juge s’efforce de concilier les parties ». S’il ne s’agit là que d’une obligation de moyens, l’emploi du présent marque néanmoins le caractère impératif de cette mission dans l’office du juge. Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 a entendu favoriser le recours au conciliateur de justice, en prévoyant qu’« à tout moment de la procédure, le juge peut inviter les parties à rencontrer un conciliateur de justice aux lieu, jour et heure qu’il détermine »1. Les parties sont invitées oralement à l’audience ou avisées par écrit dans l’acte de convocation à l’audience ou par une lettre simple. Cette initiative peut être prise d’office par le juge, qui n’a pas plus à recueillir l’accord préalable des parties.

Cette faveur pour les modes de justice informelle en général, et pour la conciliation en particulier, rappelle que les modes de règlement alternatifs des différends (MARD) constituent d’efficaces techniques de rationalisation de la justice, de gestion des flux et des contentieux de masse. Le développement des MARD témoigne aussi, et peut-être surtout, du basculement de la figure du juge « jupitérien » vers celle du juge « herculéen »2. L’office du juge jupitérien qui s’inscrit dans un modèle de justice classique, s’articulant de façon hiérarchique et pyramidale laisse, en effet, peu à peu place à la figure d’Hercule, laquelle désigne, au contraire, l’image d’un juge qui, par son activité débordante (les fameux travaux d’Hercule…), est perçu comme un « ingénieur social ». Dans ce modèle, le juge a certes vocation à trancher les litiges, mais il sait aussi adapter son office aux circonstances de l’espèce et parvenir, sans jamais abandonner son imperium, à se mettre au niveau des parties. La conciliation peut apparaître alors comme un instrument privilégié du juge du XXIe siècle, en ce qu’elle permet aux parties de s’engager dans un processus d’écoute et de compréhension mutuelle et de les aider à dégager une solution commune. L’accord de conciliation peut, certaines fois mieux qu’une décision de justice, répondre à la distinction établie par Ricœur sur l’acte de juger, entre la finalité courte selon laquelle « juger signifie trancher, en vue de mettre un terme à l’incertitude »3 et « une finalité longue, plus dissimulée sans doute, à savoir la contribution du jugement à la paix publique »4.

Bien entendu, la conciliation ne doit pas, pour autant, se substituer à la justice formelle ; d’une part, car ce serait une erreur de penser que la justice conciliatoire est en capacité de pallier à elle seule le manque de moyens des juridictions (toutes les affaires ne sont d’ailleurs pas conciliables…) ; d’autre part, car l’activité des conciliateurs de justice et l’activité contentieuse du tribunal d’instance doivent être pensées de façon complémentaire (l’un et l’autre et non pas l’un à la place de l’autre), dans la mesure où la conciliation fait partie intégrante de la procédure d’instance…

Si, en effet, la conciliation peut s’inscrire dans un cadre extrajudiciaire (I), elle peut être aussi intégrée au procès, soit à l’initiative des parties (II), soit à l’initiative du juge (III).

I – La conciliation extrajudiciaire

Le principe est que les parties à un différend peuvent, à leur initiative et dans les conditions prévues par le Code de procédure civile, tenter de le résoudre avec l’assistance d’un conciliateur de justice dans toutes les matières disponibles. Si traditionnellement, l’intervention du conciliateur est exclue s’agissant des litiges relevant du droit des personnes et de la famille, la conciliation doit pouvoir être initiée dans toutes les matières où les parties ont la libre disposition de leurs droits ; les conciliateurs de justice doivent se sentir libres d’intervenir chaque fois qu’une solution amiable peut être trouvée.

Dès lors que le processus de conciliation est mis en œuvre, le conciliateur comme les parties ne sont évidemment tenues à aucune obligation de résultat. En cas d’échec, les conciliateurs établissent un constat d’échec, en prenant soin de ne pas indiquer les motifs. L’exigence de confidentialité oblige, en effet, à taire le contenu des discussions… Il résulte de l’article 1531 du Code de procédure civile que la médiation et la conciliation conventionnelles sont soumises au principe de confidentialité dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 21-3 de la loi du 8 février 1995, lequel énonce que, sauf accord contraire des parties, la médiation (la conciliation) est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur (du conciliateur) et les déclarations recueillies au cours de la médiation (conciliation) ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance judiciaire ou arbitrale sans l’accord des parties. Ainsi, les déclarations extraites d’un échange de courriels entre une partie et le conciliateur de justice ne peuvent être utilisées par l’adversaire comme moyen de preuve devant le juge.

Un constat d’échec ne doit être établi que dans l’hypothèse où la conciliation a eu lieu ; autrement dit, en cas de carence ou de refus catégorique d’une des parties à l’idée même de conciliation, aucun constat d’échec ne doit être rédigé. Il peut, en revanche, être transmis à l’intéressé une attestation de vaine tentative de conciliation. Le constat d’échec ou l’attestation de vaine tentative de conciliation n’ont pas vocation à être communiqués au greffe du tribunal ; ils pourront néanmoins être utilisés, au besoin, par le demandeur en cas de saisine de la juridiction.

L’intérêt d’établir un constat d’échec est double : d’une part, il permet de faire bénéficier au demandeur de la suspension des délais de prescription durant la tentative de conciliation5, d’autre part, il constitue un moyen de preuve nécessaire pour établir l’existence de diligences accomplies en vue de parvenir à une résolution amiable du litige préalables à la saisine de la juridiction6.

En cas d’accord partiel ou total, il est recommandé au conciliateur de justice d’inviter, voire d’enjoindre, les parties à signer un constat d’accord, lequel constat doit être daté et signé, et contenir l’ensemble des éléments d’identification des intéressés (personnes physiques et/ou personnes morales) ainsi que les termes de l’accord. L’exigence de confidentialité implique, là aussi, que les motivations de l’accord soient tues. En revanche, les termes de l’accord doivent être suffisamment explicites pour que chaque partie comprenne la portée de ses engagements (quantum de la somme due, délais de paiement…).

L’homologation de l’accord est facultative. Sur ce point, la pratique diffère selon les conciliateurs et les magistrats. Il est important de souligner que, contrairement à ce qu’il est fréquent de lire dans certains modèles de constat d’accord, la valeur juridique de l’accord non homologué est celle d’un contrat ; autrement dit, l’accord « nu », non homologué n’est pas revêtu de la formule exécutoire, et ne peut donc faire l’objet d’une exécution forcée par l’intermédiaire d’un huissier de justice. L’homologation de l’accord est possible sur requête conjointe ou déposée à l’initiative d’une seule des parties avec accord exprès de l’autre partie. Sur le plan technique, rappelons que l’accord « ne se transforme pas, par l’effet de l’homologation, en acte judiciaire ; il y a superposition de deux actes de nature différente et non absorption du premier par le second »7.

Deux précisions doivent être apportées sur ce point. Il est, selon nous, important de réaffirmer le caractère facultatif de l’homologation afin de valoriser l’accord de conciliation en tant que tel, pour lui-même, et indépendamment de tout contreseing judiciaire. Certes, selon les situations, les conciliateurs doivent parfois manier la carotte et le bâton, et il peut être tentant d’utiliser la technique de l’homologation comme un moyen pour faciliter la conclusion d’un accord. Par ailleurs, l’homologation n’a pas vocation à pallier le défaut d’exécution de l’accord par l’une des parties ; autrement dit, l’homologation ne pourra pas être sollicitée a posteriori en cas d’inexécution. La partie lésée devra saisir le juge aux fins de jugement.

II – La conciliation judiciaire à l’initiative des parties

La procédure ordinaire devant le tribunal d’instance est prévue aux articles 827 et suivants du Code de procédure civile. Si la conciliation préalable à la procédure devant le tribunal d’instance demeure facultative, les articles 830 à 835 du Code de procédure civile permettent néanmoins au demandeur d’initier directement une tentative de conciliation. La conciliation peut être menée par le juge qui peut aussi déléguer à un conciliateur cette phase amiable préalable.

La procédure de la conciliation déléguée de l’article 830 et suivants du Code de procédure civile se décompose de la façon suivante. La demande aux fins de tentative préalable de conciliation est formée par déclaration remise ou adressée au greffe. Dans tous les cas, le demandeur doit indiquer les noms, prénoms, professions et adresses des parties, ainsi que l’objet de sa prétention8. Depuis l’entrée en vigueur du décret du 11 mars 2015, le requérant ne peut plus s’opposer à ce que le juge délègue la tentative de conciliation à un conciliateur de justice. Le greffe avise le défendeur par lettre recommandée de la faculté qui lui est ouverte de refuser la délégation. L’avis précise les nom, prénoms, profession et adresse du demandeur et l’objet de la demande. Le défendeur peut refuser la délégation de la tentative de conciliation. Le refus est exprimé par déclaration faite, remise ou adressée au greffe dans les 8 jours suivant la notification qui lui est faite de la décision du juge. En ce cas, le juge procède lui-même à la tentative de conciliation9. Si le défendeur accepte le principe de la conciliation déléguée, le demandeur et le conciliateur de justice sont avisés par tout moyen de la décision du juge. Une copie de la demande est adressée au conciliateur10. L’avis doit indiquer que chaque partie peut se présenter devant le conciliateur avec une personne ayant qualité pour l’assister devant le juge. Les dispositions des articles sont reproduites, la juridiction peut être saisie aux fins d’homologation de leur accord ou aux fins de jugement en cas d’échec de la conciliation.

Les parties sont ensuite convoquées par le conciliateur qui leur indique qu’elles peuvent être assistées par un proche ou un avocat, selon les mêmes modalités que devant le tribunal d’instance. La durée de la mission du conciliateur est, en principe, fixée à 3 mois, renouvelable une fois. En cas d’échec, il est rédigé un constat d’échec par le conciliateur indiquant les noms et coordonnées des parties ainsi que la date à laquelle l’échec a été constaté. Une nouvelle fois, les motifs de l’échec ne doivent pas être renseignés. Dans la mesure où, contrairement à la conciliation extrajudiciaire, le tribunal a été saisi, ce dernier rend une ordonnance constatant l’échec de la conciliation ainsi que son dessaisissement. Il doit être rappelé aux parties dans l’ordonnance de dessaisissement, qu’il leur appartient désormais de saisir le tribunal selon les formes habituelles et que, si la juridiction est saisie dans le mois qui suit le constat d’échec, il est possible de le faire par simple déclaration au greffe, y compris pour les litiges dont le montant en jeu est supérieur à 4 000 €11. Cette niche procédurale tend à encourager la conciliation.

Si les parties sont parvenues à un accord, celui-ci doit être obligatoirement matérialisé par la rédaction d’un constat d’accord. Là encore, l’homologation est facultative. Si les parties ou l’une d’elles entendent solliciter l’homologation de leur accord, il devra être déposé une requête aux fins d’homologation. La demande d’homologation du constat d’accord formée par les parties peut être aussi transmise au juge par le conciliateur. Une copie du constat y est jointe12. Si l’une des parties entend obtenir l’homologation de l’accord postérieurement à la conciliation, il lui appartiendra de déposer une requête en ce sens, dans le cadre d’une nouvelle procédure ; ce qui implique un enregistrement distinct de la première procédure. Les parties sont informées par le conciliateur que le requérant devra joindre le constat à sa demande. En l’absence de requête aux fins d’homologation : le conciliateur remet une copie du procès-verbal d’accord à chacune des parties et en adresse un exemplaire au greffe du tribunal qui classera le dossier.

Cette procédure est encore trop peu utilisée par les justiciables qui n’en voient guère l’utilité.

La promotion de la conciliation passerait-elle par son caractère obligatoire ?

III – La conciliation judiciaire, à l’initiative du juge

Le contentieux de proximité doit, à notre sens, être le véritable laboratoire d’une politique de promotion de la justice conciliatoire. S’agissant des litiges inférieurs à 4 000 €, rappelons qu’il est désormais exigé, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, que la saisine du tribunal est précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf notamment si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime. Il convient, dès lors, de réserver une place privilégiée aux conciliateurs de justice dans le traitement de ces affaires.

En amont, il appartient au demandeur de solliciter, préalablement à sa saisine de la juridiction, l’intervention d’un conciliateur. Pour ce faire, il peut être opportun d’imaginer la mise en place d’un système de double convocation.

Deux hypothèses doivent être envisagées :

Première hypothèse. Le demandeur apporte la preuve qu’il a, préalablement à sa saisine, pris attache avec un conciliateur de justice, par exemple, en produisant un procès-verbal de carence ou un constat d’échec : l’affaire pourra être audiencée et l’action sera déclarée recevable. Là aussi les exigences diffèrent selon les pratiques des juridictions. Une interprétation extensive des « diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige » permet de considérer que des échanges par courriel, SMS, voire un courrier de mise en demeure suffisent à dispenser le demandeur du recours à la conciliation. Afin de promouvoir une justice conciliatoire de proximité, il nous paraît nécessaire d’exiger du demandeur de produire la preuve d’une tentative de conciliation, comme condition de recevabilité de l’action.

Seconde hypothèse. Le demandeur n’a pas sollicité l’intervention d’un conciliateur préalablement au dépôt de sa requête. Après avoir enregistré la requête, il peut être alors opportun d’adresser à l’intéressé une lettre l’enjoignant à rencontrer un conciliateur tout en fixant une date d’audience lointaine, de sorte que le processus de conciliation puisse voir le jour. À défaut de tentative de conciliation ou de rencontre avec un conciliateur de justice, il peut être indiqué au demandeur qu’en l’état, son action sera déclarée irrecevable. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre ou que le défendeur refuse le principe même de la conciliation, le dossier pourra être appelé à la date à laquelle l’audience a été fixée en amont.

Bien entendu pour que ce système fonctionne, il faut que chaque acteur du procès civil, y compris les avocats, investisse pleinement cette étape préalable obligatoire. Rien n’est plus aisé que de donner l’impression d’avoir tenté de « concilier », sans même avoir donné un contenu ou de la consistance au processus de conciliation. Chacun doit donc jouer le jeu et bien appréhender les bienfaits d’un accord de conciliation.

Enfin, le développement de la conciliation conventionnelle obligatoire nécessite des moyens matériels et de formation suffisants accordés aux conciliateurs13, la réduction des disparités territoriales importantes, à défaut de quoi, toute politique de développement des MARD demeurera vaine14.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CPC, art. 845, al. 2.
  • 2.
    Selon la distinction établie par Ost F., « Jupiter, Hercule, Hermès, trois modèles de juge », in Bouretz P. (dir.), La force du droit. Panorama des débats contemporains, 1991, Esprit, p. 241.
  • 3.
    Ricœur P., « L’acte de juger », Esprit juill. 1992, p. 20.
  • 4.
    Ricœur P., « L’acte de juger », Esprit juill. 1992, p. 20.
  • 5.
    C. civ., art. 2238.
  • 6.
    C. civ., art. 2238
  • 7.
    Balensi I., « L’homologation judiciaire des actes juridiques », RTD civ. 1978, n° 33, p. 61.
  • 8.
    CPC, art. 830, al. 2.
  • 9.
    CPC, art. 831.
  • 10.
    CPC, art. 832.
  • 11.
    CPC, art. 836.
  • 12.
    CPC, art. 833.
  • 13.
    Le décret n° 2018-931 du 29 octobre 2018 est venu modifier le décret n° 78-381 du 20 mars 1978 relatif aux conciliateurs de justice pour rendre la formation initiale et continue des conciliateurs, assurée par l’École nationale de la magistrature obligatoire.
  • 14.
    Mollard-Courtau C., « La tentative de conciliation obligatoire préalable à la saisine du tribunal d’instance adoptée par le Parlement : enjeux et limites », LPA 28 nov. 2016, n° 121n5, p. 12.