Bail d’habitation et droit de la consommation

Publié le 17/04/2018

Plusieurs décisions ont été rendues ces derniers mois sur le recours au droit de la consommation dans des litiges relatifs à des contrats de bail immobilier sans qu’une ligne claire ne puisse être dégagée. Si certaines dispositions consuméristes ont été déclarées applicables, d’autres ont été exclues pour des motifs qui peinent à convaincre.

Cet article se propose de mettre la question à plat en procédant en deux temps : s’interroger sur l’applicabilité du droit de la consommation au bail d’habitation avant, le cas échéant, d’envisager l’application concrète des dispositions protectrices audit contrat.

Ces derniers mois ont été riches de décisions relatives à l’application du droit de la consommation au bail d’habitation. Dans certains cas, les juges ont accepté de faire bénéficier le locataire de dispositions consuméristes, ainsi de l’article L. 212-1 du Code de la consommation sur les clauses abusives1, dans d’autres ils s’y sont refusés. Ils ont ainsi exclu l’application de l’article L. 218-2 du Code de la consommation aux termes duquel l’action des professionnels contre les consommateurs se prescrit dans un délai de 2 ans2, et déclaré irrecevable, sur le fondement de l’article L. 623-1 du même code, une action de groupe menée par une association de consommateurs contre une clause de solidarité d’un bail d’habitation3. Un premier argument, invoqué par la Cour de cassation dans ses arrêts du 26 janvier 2017 et repris par la cour d’appel de Paris en novembre de la même année, est que le bail d’habitation obéirait à des règles spécifiques, exclusives de toute intervention du droit de la consommation. Un second argument, avancé par les seuls juges d’appel, résiderait dans le champ d’application restreint de certaines dispositions consuméristes, évinçant le contrat de bail. Or ces arguments se contredisent. Affirmer que le droit de la consommation ne peut ponctuellement s’appliquer au bail immobilier en raison du champ d’application limité de certaines de ses dispositions sous-entend que soit admise l’applicabilité de principe du droit de la consommation, applicabilité pourtant niée au nom d’une prétendue imperméabilité de la réglementation du bail au droit de la consommation. Aussi bien convient-il, afin d’apprécier la pertinence des solutions jurisprudentielles, de raisonner en deux temps : vérifier d’abord l’applicabilité de principe du droit de la consommation au contrat de bail immobilier pour ensuite, le cas échéant, envisager l’application concrète de certaines de ses dispositions au dit contrat.

I – L’applicabilité de principe du droit de la consommation au contrat de bail immobilier

Le contrat de bail immobilier est régi par des dispositions spécifiques contenues pour l’essentiel dans la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. Sa prise en charge par une réglementation spéciale l’exclut-il ipso facto de la protection offerte par le droit de la consommation ? La réponse devrait a priori être négative, dans la mesure où le domaine d’application du droit de la consommation est circonscrit en fonction de la qualité des contractants et non de l’objet du contrat4. En conséquence de quoi tout contrat, quelle que soit sa nature, conclu entre un consommateur ou un non-professionnel et un professionnel a vocation à relever des dispositions consuméristes, sauf bien sûr exclusion expresse du droit spécial ou du droit de la consommation lui-même5. La Cour de cassation l’a d’ailleurs récemment reconnu dans le domaine voisin de la vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement, précisant que le droit de la consommation, « dont la portée est générale », protège les intérêts du consommateur, y compris lorsque celui-ci est partie à un contrat spécial de la construction6. Ce principe de solution ne doit pas susciter d’opposition à partir du moment où les normes d’origines différentes se cumulent harmonieusement, ou à tout le moins, qu’elles ne s’opposent pas. Une réglementation n’a pas en effet vocation à vivre en autarcie, le droit spécial de la location immobilière pas plus qu’un autre. Mais la situation est toute autre lorsque l’application du droit de la consommation viendrait heurter une disposition du droit spécial, entraînant un conflit de normes sur lequel le juge doit prendre parti.

C’est pourquoi, nous semble-t-il, le problème de l’application du droit de la consommation au bail immobilier se pose différemment dans le cas des articles L. 212-1 et L. 623-1 du Code de la consommation d’un côté, et L. 218-2 du même code de l’autre. Dans les premiers cas, il n’y a que des normes complémentaires à appliquer, dans le second, le juge est amené à trancher un conflit de droits dont l’issue est incertaine.

A – La complémentarité des normes

Faute de dispositions dans le droit spécial réglementant la question litigieuse, le droit de la consommation doit pouvoir naturellement être invoqué par un locataire s’il y trouve un intérêt. Il en va ainsi de l’action de groupe prévue par la loi Hamon du 17 mars 2014, puisque la loi du 6 juillet 1989 ne prévoit rien quant au recours éventuel à une telle action – et ne pouvait de toute façon rien prévoir puisque ce type d’action n’existait pas en 1989 – et que de son côté la loi de 2014 n’exclut pas expressément de son domaine d’application le bail d’habitation7. Rien n’aurait dû donc interdire à une association de consommateurs agréée d’exercer une action de groupe en cas de manquements constatés dans des contrats de location privatifs. C’est pourquoi le renvoi exprès opéré par la cour d’appel de Paris dans l’arrêt du 9 novembre 2017 aux décisions rendues par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 26 janvier 2017, renvoi qui leur permet d’affirmer que « le bail d’habitation régi par la loi du 6 juillet 1989 obéit à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation », nous paraît erroné.

En revanche, on ne peut que saluer la position prise par la même chambre de la Cour de cassation dans sa décision du 12 janvier 2017 qui n’a pas hésité à recourir à l’article L. 212-2 du Code de la consommation pour apprécier le caractère éventuellement abusif d’une clause de solidarité imposée à des copreneurs8. La décision se justifie, selon M. Damas, par l’absence de disposition relative à la solidarité au sein de la loi du 6 juillet 19899. Il reste que la loi dispose dans son article 4 de sa propre liste de clauses réputées non écrites dont la prise en compte aurait pu rendre inopérante tout recours à l’article L. 212-2 du Code de la consommation. Mais il semblerait qu’au contraire, la Cour de cassation ait implicitement considéré que cette liste de clauses illicites a vocation à être complétée par la réglementation des clauses abusives10. Où l’on voit qu’il est particulièrement délicat, avant même d’essayer de donner des éléments de solution que l’on propose fondés sur l’existence ou l’absence d’une opposition entre deux droits, d’établir la réalité de cette opposition.

B – L’opposition des normes

L’opposition des normes peut se révéler de manière incontestable. Une illustration en est donnée avec l’article L. 218-2 du Code de la consommation enfermant l’action des professionnels contre les consommateurs dans un délai de 2 ans, confronté à l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989, issu de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, dite loi ALUR, qui soumet les actions des bailleurs en recouvrement des réparations locatives et des loyers impayés à une prescription triennale11. Comment régler ce conflit ?

Une solution de facilité pourrait être de raisonner en termes de plus petit dénominateur commun, amenant en l’espèce le juge à opter pour la prescription biennale. Cette solution souffre néanmoins de ne pouvoir être généralisée puisque le plus souvent les dispositions se heurtent sans qu’il soit possible de trouver une base commune. Aussi est-il préférable de raisonner de façon plus globale et d’essayer de trouver « une méthode d’articulation des droits »12 objective, applicable quel que soit le contenu des normes en litige.

La première méthode qui vient à l’esprit, la plus simple, est de faire primer la norme la plus récente, censée refléter la volonté actuelle du législateur. Cette méthode ne peut toutefois être retenue que pour des normes qui ont un objet identique, celles pour lesquelles se pose un problème de succession de lois dans le temps. Tel n’est pas le cas en présence de dispositions ayant chacune un domaine d’application propre : les contrats conclus entre professionnel et consommateur, d’un côté, le contrat de bail immobilier, de l’autre.

Plus séduisante est la méthode consistant à appliquer la norme la plus spécifique. Il s’agit ici de faire appel au célèbre adage specialia generalibus derogant selon lequel la norme spéciale doit l’emporter sur la norme générale. Néanmoins la capacité de cet adage à résoudre les conflits entre les droits spéciaux et le droit commun reste à démontrer. Le nouvel article 1105 du Code civil n’est pas parvenu à résoudre les difficultés puisqu’il faut, semble-t-il, se référer à la présentation de l’ordonnance faite au président de la République pour comprendre que l’exclusion de la règle générale n’est pas systématique, la règle générale n’étant évincée par la règle particulière que si elle lui est antinomique.

En tout état de cause, dans l’hypothèse présente, ce ne sont pas un droit commun et un droit spécial qui s’affrontent, mais deux droits particuliers, l’un s’appliquant à un contrat particulier, le bail d’habitation, l’autre à des destinataires particuliers, les consommateurs dans leurs relations avec les professionnels. Plus exactement il y aurait, d’un côté, le « droit d’un contrat spécial » – le droit du bail immobilier et, de l’autre, un « droit spécial des contrats » – le droit de la consommation, sans que l’on sache bien d’ailleurs si la règle de conflit légale, qui repose sur la distinction du particulier et du général, fait relever le droit de la consommation de la règle particulière13. Au demeurant, à supposer que tel soit le cas, l’application de l’adage supposerait de déterminer au préalable qui, du droit de la consommation ou du droit du bail immobilier, est le texte le plus spécial, censé prévaloir sur l’autre. La réponse n’est pas évidente. Certes, à l’occasion des décisions de la Cour de cassation du 26 janvier 2017, l’avocat général a considéré que la loi ALUR, parce que centrée sur les rapports locatifs, était plus spéciale que le droit de la consommation, mais on ne voit pas vraiment en quoi cette loi, somme toute applicable à tout contrat de bail d’habitation, quelle que soit la qualité du bailleur, serait plus spéciale que le droit de la consommation applicable aux seuls rapports qu’entretiennent consommateurs et professionnels14. Le critère du spécial paraît bien subjectif.

C’est pourquoi certains se tournent vers une autre méthode qui fait la part belle à la volonté du législateur lorsque ce dernier entend imposer une norme à l’exclusion de toute autre norme. Ne s’impose plus dans cette conception la norme spéciale, mais la norme exclusive15. La troisième chambre civile de la Cour de cassation fait sienne cette acception lorsqu’elle exclut l’application de l’article L. 218-2 du Code de la consommation dans ses arrêts du 26 janvier 2017 au prétexte que le bail d’habitation obéirait à des règles spécifiques « exclusives du droit de la consommation »… en se gardant bien de préciser toutefois ce qui lui permet d’étayer une telle affirmation.

Éliminons d’abord les fausses pistes. L’explication ne peut consister dans une disposition de la loi du 6 juillet 1989 ou de la loi ALUR excluant expressément tout recours au droit de la consommation, faute d’une telle disposition en l’espèce. L’explication ne peut non plus se trouver dans le silence de ces textes, voire de leurs travaux parlementaires, sur un éventuel renvoi au droit de la consommation. Il n’est à l’évidence pas nécessaire que le droit spécial renvoie expressément au droit de la consommation pour que ce dernier s’applique. Les décisions dans lesquelles les juges ont appliqué au bail immobilier l’article L. 212-1 du Code de la consommation suffisent à le prouver16. L’argument défendant la préservation de la cohérence du droit spécial, la volonté d’éviter son « morcellement » en faisant fi de la qualité que l’une ou l’autre partie au contrat pourrait vouloir revendiquer par ailleurs17, n’est pas plus recevable, la préservation d’un droit ne pouvant être une fin en soi.

En revanche, il est concevable que l’exclusion du droit de la consommation découle de l’esprit de la réglementation spéciale, si la disposition consumériste vient à heurter la finalité de la loi18. La réduction par la loi ALUR du délai de recouvrement des loyers impayés se voulant protectrice des intérêts du locataire, on comprend que la loi exclut implicitement toute autre réglementation qui irait à l’encontre de cet esprit protecteur19. Dans une telle hypothèse, il aurait été, non seulement admissible, mais encore souhaitable que la Cour de cassation s’oppose à l’intrusion de la règle consumériste. Mais on comprend moins que le droit de la consommation doive s’effacer à partir du moment où il assure mieux encore cette protection20. Aussi bien reste-t-on perplexe face aux décisions de la Cour de cassation du 26 janvier 2017 permettant l’action en paiement du bailleur dans un délai de 3 ans, alors que l’application du délai de 2 ans aurait entraîné la prescription de l’action.

La question de la concurrence des droits est difficile et sans doute est-il vain de chercher une règle de solution applicable à tout conflit de lois. Peut-être faut-il accepter qu’à défaut de prescription légale, il revienne à la Cour de cassation de préciser, quasiment au cas par cas, la règle qui doit l’emporter sur l’autre. Certes la cour doit, lorsqu’elle le peut, c’est-à-dire à la condition de pouvoir identifier un droit général et un droit spécial, s’appuyer sur l’article 1105 du Code civil. Mais en présence de deux droits spéciaux, plus précisément d’un droit d’un contrat spécial et d’un droit spécial des contrats, pour reprendre la terminologie utilisée par M. Mekki21, la perméabilité du premier au second devrait être fonction de la finalité du droit spécial. Si l’emprunt d’une disposition du droit de la consommation ne heurte pas l’esprit de la réglementation spécifique, il devrait revenir au demandeur de décider s’il entend ou non se saisir de cette opportunité, c’est-à-dire lui laisser le choix des armes et, à défaut, laisser au juge le soin de décider s’il applique d’office les dispositions du Code de la consommation dans les litiges dont il est saisi22. Et pour ce qui concerne notre propos, il ne paraît pas injuste qu’un locataire contractant avec un bailleur professionnel bénéficie de règles en matière de prescription plus favorables que celui qui aurait loué son appartement à un simple particulier.

Néanmoins l’applicabilité de principe du droit de la consommation n’entraîne pas pour autant son application systématique. Certaines dispositions du Code de la consommation ont un champ d’application restreint qui peut exclure le bail d’habitation.

II – L’application du droit de la consommation au contrat de bail immobilier

L’insertion par la loi Hamon d’une définition du consommateur et du non-professionnel dans le Code de la consommation n’a pas pour autant unifié le domaine du droit de la consommation, qui se trouve modulé en fonction de perspectives de politique juridique. C’est ainsi que certaines dispositions du droit de la consommation possèdent un champ d’application réduit, soit qu’elles s’appliquent aux seuls consommateurs, à l’exclusion des non-professionnels, soit qu’elles ne prennent en considération que certains contrats, voire qu’elles cumulent ces deux limites23. Telle est l’hypothèse de l’article L. 218-2 du Code de la consommation réduisant à 2 années la durée de l’action des professionnels « pour les biens ou services qu’ils fournissent […] aux consommateurs ». Il en va de même pour l’article L. 623-1 du même code qui réserve l’action de groupe des associations de consommateurs à la réparation des préjudices individuels subis par les « consommateurs » en cas de manquements des professionnels commis « à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services »24. Partant, l’aptitude du bail d’habitation à relever de ces articles suppose tout à la fois d’identifier le locataire à un « consommateur » au sens du Code de la consommation, et d’analyser le bail en une fourniture de services ou de biens, la qualification de vente, présente dans l’article L. 623-1 du Code de la consommation, étant à l’évidence exclue.

Qualifier le locataire d’un bail d’habitation de consommateur est une opération aisée, le locataire étant le plus souvent une « personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole »25. Mais si le bail a été souscrit par une personne morale, une association par exemple, les articles L. 218-2 et L. 623-1 du Code de la consommation ne pourront jouer, faute pour eux de renvoyer également au « non-professionnel ». C’est pourquoi on ne peut qu’approuver la première chambre civile de la Cour de cassation qui, dans une décision en date du 17 janvier dernier, a refusé le bénéfice de la prescription biennale à une société civile immobilière26.

Pour sa part, la qualification du bail d’habitation en une fourniture de services ou de biens présente plus de difficultés.

Précisons d’emblée que la qualification de « fourniture de biens » défendue par certains27 ne sera pas retenue, alors même que le terme « fourniture » n’est pas nécessairement synonyme de transfert de propriété28, car elle présente l’inconvénient de faire relever le contrat de bail immobilier du seul article L. 218-2 du Code de la consommation – qui vise la fourniture de « biens ou services » – et pas de celui l’article L. 623-1 – qui se limite à la fourniture « de services ». Or la terminologie utilisée dans les deux dispositions est si proche – il est question rappelons-le de fourniture de biens et de services d’un côté, et de vente de biens et de fourniture de services de l’autre – que l’on pressent qu’il n’y a pas eu de volonté légale de leur affecter un champ d’application différent.

En outre il paraît plus naturel de rattacher le bail d’habitation à une fourniture de services, catégorie pouvant embrasser une grande diversité de contrats et l’ensemble des prestations de faire29. Pourtant certains s’y opposent, faisant valoir qu’il faut distinguer louage de choses et louage d’ouvrage, autrement dénommé contrat d’entreprise, contrats dans lesquels, moyennant un prix, l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps pour le premier, et s’engage à réaliser une prestation pour le second, ce dernier seul pouvant relever de la fourniture de services. À partir du moment où le bailleur se contente de mettre un bien immobilier à la disposition de son locataire, il ne s’obligerait donc pas, à titre d’obligation essentielle, à réaliser une prestation. Le contrat de bail immobilier ne relèverait donc pas de la fourniture de services qui suppose une mise à disposition de main-d’œuvre. Cette acception, qui semble avoir les faveurs de la Cour de cassation30, est, en tout état de cause, celle de la cour d’appel de Paris dans l’arrêt de novembre 2017.

Pour autant elle ne suscite pas notre adhésion. Il nous semble que si le législateur avait voulu limiter le champ d’application des dispositions précitées au contrat de vente et au contrat d’entreprise stricto sensu, sans doute l’aurait-il précisé. La prestation de services peut être comprise comme une famille de contrats spéciaux, ayant pour point commun la fourniture d’un service, dont le contrat d’entreprise ou le bail pourraient être des figures31. Un argument en ce sens peut être trouvé dans l’article 1165 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, qui permet à une partie de fixer unilatéralement le prix des contrats de « prestation de service »32, disposition que les auteurs ne réservent pas nécessairement au contrat d’entreprise33, au grand regret de certains d’ailleurs qui souhaiteraient restreindre la possibilité de fixer unilatéralement le prix aux hypothèses dans lesquelles la détermination du prix pose difficulté, c’est-à-dire en pratique aux seuls contrats d’entreprise. Une nouvelle rédaction de l’article 1165 a même été proposée34. La nécessité d’une intervention légale pour limiter le champ d’application de l’article 1165 du Code civil montre bien que la notion de prestation de service ne se ramène pas au seul contrat d’entreprise. Au demeurant, on comprendrait mal qu’une disposition concernant le seul contrat d’entreprise ait trouvé place dans la théorie générale du contrat, même si ce contrat est en grande partie réglementé par le droit commun. Et pour ceux que ces arguments ne suffiraient pas à convaincre, on citera l’avant-projet Catala de réforme du droit des contrats spéciaux qui entend supprimer l’appellation « contrat d’entreprise » au profit de celle de « contrat de prestation de service »35, appellation qui pourrait prendre place aux côtés de celle de « contrat de mandat, de prêt ou… de bail »36. La dénomination contrat de prestation de service pourrait donc, dans un futur plus ou moins proche, être l’appellation « moderne », nouvelle, du contrat d’entreprise37… ce qui sous-entend, aujourd’hui que les deux notions coexistent, qu’elles sont distinctes, plus précisément que le contrat de prestation de service ne se réduit pas de lege lata au contrat d’entreprise.

Il paraît donc vraisemblable que le législateur, dans les articles L. 218-2 et L. 623-1 du Code de la consommation, ait entendu la fourniture de services de manière large, apte à accueillir en son sein les baux d’habitation. Et puisque ces derniers doivent pouvoir être soumis au droit de la consommation, lorsque l’application de ce dernier ne heurte pas la finalité protectrice de la réglementation spécifique du bail, on milite pour que les juges laissent à l’avenir l’opportunité au locataire d’agir comme n’importe quel consommateur.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 3e civ., 12 janv. 2017, n° 16-10324 : D. 2017, p. 430, note Tisseyre S. ; D. 2017, p. 1149, obs. Damas N. ; AJDI 2017, p. 358, obs. Rouquet Y. ; RTD civ. 2017, p. 129, obs. Barbier H.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 26 janv. 2017, nos 15-27580, 15-27688, 15-25791 et 16-10389 : D. 2017, p. 388, note Pezzela V. ; D. 2017, p. 1149, obs. Damas N. ; AJDI 2017, p. 443, obs. Damas N. ; JCP G 2017, 239, note Paisant G. ; Contrats conc. consom. 2017, comm. 88, obs. Bernheim-Desvaux S.
  • 3.
    CA Paris, 9 nov. 2017, n° 16/05321 : D. 2017, p. 2368.
  • 4.
    Bernheim-Desvaux S., Contrats conc. consom. 2018, comm. 18.
  • 5.
    Paisant G., note préc.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-13591.
  • 7.
    Bien au contraire, en réponse à un amendement voulant étendre l’action de groupe aux litiges liés à la location, M. Hamon avait fait valoir l’inutilité de l’amendement, la location d’un bien, qui est une prestation de service, entrant déjà dans le champ d’application de l’action de groupe (2e lecture, Rapp. AN, n° 1574).
  • 8.
    La jurisprudence avait antérieurement déjà eu l’occasion de faire jouer l’article L. 212-2 en matière de bail, dans des hypothèses toutefois où la loi du 6 juillet 1989 ne s’appliquait pas (par exemple CJUE, 30 mai 2013, n° C-488/11 : D. 2014, IIA2° ; RTD eur. p. 559 ; Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, n° 14-25523). En revanche la commission des clauses abusives a épinglé certaines clauses issues de contrats de bail d’habitation, non seulement lorsque le bail est soumis au droit commun, mais encore lorsqu’il est sous l’emprise d’une loi d’ordre public, telle que la loi du 6 juillet 1989 (Rec. n° 2000-01, 17 févr. 2000).
  • 9.
    Damas N., D. 2017, op. cit. L’arrêt a été rendu avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 n’encadre la solidarité des copreneurs en matière de bail d’habitation.
  • 10.
    V. Paisant G., op. cit.
  • 11.
    Aucun conflit n’existait donc avant l’intervention de la loi ALUR, ce qui laissait incontestablement place libre à la disposition consumériste (Damas N., D. 2017, op. cit.). D’ailleurs, dans une espèce récente dans laquelle ne s’appliquait pas la loi du 6 juillet 1989, la Cour de cassation a refusé d’appliquer la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation à l’action en paiement du solde d’une facture de travaux, au seul motif que le locataire était une société civile immobilière, donc une personne morale insusceptible de relever de la notion de consommateur, seule visée par l’article L. 218-2 (Cass. 1re civ., 17 janv. 2018, n° 16-27546). A contrario il est permis de penser que les juges auraient accepté de limiter le délai de prescription à 2 ans si la SCI était entrée dans le champ d’application de la disposition spéciale.
  • 12.
    Barbier H., « De la légitimité douteuse de l’adage specialia generalibus derogant pour articuler les droits spéciaux entre eux », RTD civ. 2017, p. 372.
  • 13.
    Mekki M., « Pour une ratification minimaliste de l’ordonnance du 10 février 2016 ; Propositions en droit des contrats : less is more », AJ Contrats 2017, p. 462, 1.3. V. également Chénedé F., Le nouveau droit des obligations et des contrats. Consolidations, innovations, perspectives, 2016, Dalloz, n° 70.01, p. 21, n° 21 et 32.
  • 14.
    Barbier H., « De la légitimité douteuse de l’adage specialia generalibus derogant pour articuler les droits spéciaux entre eux », op. cit. ; Moreau M. et Adda J., « Bail d’habitation et droit de la consommation », AJDI 2017, p. 498 ; Paisant G., « La Cour de cassation refuse au locataire d’un bail d’habitation le bénéfice de la courte prescription du Code de la consommation », JCP G, 2017, 239.
  • 15.
    Barbier H., op. cit.
  • 16.
    V. supra note 7.
  • 17.
    Billiau M., JCP G 2017, I, 1040, n° 8.
  • 18.
    Barbier H., op. cit.
  • 19.
    Barbier H., op. cit. ; Paisant G., « La Cour de cassation refuse au locataire d’un bail d’habitation le bénéfice de la courte prescription du Code de la consommation », op. cit.
  • 20.
    En ce sens, Paisant G., op. cit.
  • 21.
    V. supra note 12.
  • 22.
    C. consom., art. R. 632-1.
  • 23.
    Certaines dispositions s’appliquent tout au contraire à d’autres qu’au consommateur ou non professionnel stricto sensu, ainsi de celles relatives à l’usure (C. consom., art. L. 314-6 à 9), aux pratiques commerciales trompeuses (C. consom., art. L. 121-5), ou encore au cautionnement consenti par des personnes physiques engagées avec un créancier professionnel (C. consom., art. L. 333-1 et s).
  • 24.
    L’action de groupe est encore recevable lorsque les préjudices subis résultent de pratiques anticoncurrentielles (C. consom., art. L. 623-1, 2°).
  • 25.
    C. consom., art. liminaire.
  • 26.
    Cass. 1re civ., 17 janv. 2018, n° 16-27546.
  • 27.
    Damas N., « Bail d’habitation », D. 2009, p. 896 et, du même auteur, « Rejet de la prescription spécifique du droit de la consommation », AJDI 2017, p. 443.
  • 28.
    Pezzella V., préc.
  • 29.
    M. Hamon avait d’ailleurs lors des travaux parlementaires sur l’action de groupe expressément envisagé la location comme une fourniture de services (2e lecture, Rapp. AN, n° 1574, p. 40 ; v. supra note 5), argument dédaigné par la cour d’appel de Paris au motif que les travaux parlementaires ne peuvent, à eux seuls, être utilisés pour donner de la notion de fourniture de services des éléments et un contenu que la loi ne précise pas.
  • 30.
    La Cour n’a en tout cas pas repris à son compte, dans l’arrêt n° 15-27780, le raisonnement du tribunal d’instance de Montargis selon lequel « la location d’un logement est une fourniture de services, le bailleur mettant à la disposition du locataire un local en contrepartie d’un loyer » ce qui conduisait à l’application de l’article L. 137-2 (aujourd’hui L. 218-2) du Code de la consommation.
  • 31.
    Faure-Abbad M., « L’impact de la réforme des contrats spéciaux sur le contrat d’entreprise », RDI 2017, p. 570, n° 12. Le vocabulaire Capitant définit de même la fourniture de service comme étant un « terme générique englobant, à l’exclusion de la fourniture de produits (en pleine propriété), celle de tout avantage appréciable en argent, en vertu des contrats les plus divers (mandat, entreprise, contrat de travail, bail, assurance, prêt à usage, etc.) » (10e éd., 2014, PUF).
  • 32.
    Notion de « prestation de service » que l’on veut croire équivalente à celle de « fourniture de services », malgré la différence de terminologie ainsi que l’usage du singulier dans un cas et du pluriel dans l’autre…
  • 33.
    Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2016, LexisNexis, p. 277 ; Labarthe F., « La fixation unilatérale du prix dans les contrats cadre et prestations de service – Regards interrogatifs sur les articles 1164 et 1165 du Code civil », JCP G 2016, I, 642. Contra Faure-Abbad M., « L’impact de la réforme des contrats spéciaux sur le contrat d’entreprise », op. cit., n° 3.
  • 34.
    Huet J., RDC 2017, n° 114a7, p. 183.
  • 35.
    Titre X.
  • 36.
    Titre VIII.
  • 37.
    Faure-Abbad M., « L’impact de la réforme des contrats spéciaux sur le contrat d’entreprise », op. cit., nos 1 à 4.
X