Absence de déclaration de remploi de biens propres au cours du régime de la communauté réduite aux acquêts
La Cour de cassation, reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir reconnu que le mari pouvait faire la preuve par tous moyens que ses fonds propres avaient financé l’acquisition de l’immeuble litigieux, casse l’arrêt au visa de l’article 1433 du Code civil.
Cass. 1re civ., 25 mai 2016, no 15-18573
1. La déclaration de remploi est du tout premier intérêt en droit des régimes matrimoniaux car elle a pour objet notamment de neutraliser la présomption de communauté1. Dans notre affaire, des époux mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, à défaut de contrat de mariage préalable à leur union, se séparent au terme d’une procédure de divorce ayant posé de redoutables difficultés liquidatives. En l’occurrence, les juges du fond avaient à dénouer une sombre histoire de cession de parts sociales n’ayant pas fait l’objet de mesures de publicité. Sur la première branche du moyen, le mari conteste le projet liquidatif du régime matrimonial et demande à ce que ces parts sociales soient portées à l’actif de la communauté et à ce que la cession lui soit inopposable en l’absence d’information personnelle ou de publicité2. Il n’est, dès lors, pas étonnant que cette argumentation n’ait pas été jugée pertinente par la cour d’appel qui écarte les arguments du mari. Sur la deuxième branche du moyen, la cour d’appel rejette la demande de récompense du mari motif pris qu’il ne rapportait pas la preuve de la provenance de fonds propres lors de cet achat, le titre d’acquisition ne stipulant pas de clause de remploi. La cassation était inévitable dès lors que l’article 1433 du Code civil dispose que « la communauté doit récompense à l’époux propriétaire toutes les fois qu’elle a tiré profit de biens propres. Il en est ainsi, notamment, quand elle a encaissé des deniers propres ou provenant de la vente d’un propre, sans qu’il en ait été fait emploi ou remploi. Si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions ».
2. Aux termes de l’arrêt rapporté, il est possible de considérer que même en l’absence de déclaration de remploi (I), un époux peut rapporter la preuve par tous moyens que les fonds propres ont financé un bien commun en démontrant que la communauté a tiré profit des sommes investies (II).
I – Le défaut de déclaration de remploi de biens propres
3. Force est d’admettre avec les hauts magistrats de la Cour de cassation qu’en précisant que la preuve du caractère propre du bien établie indépendamment du formalisme du remploi (B), la Cour de cassation confirme que la déclaration de remploi est une règle de fond de la qualification propre des biens acquis (A).
A – La déclaration de remploi : une règle de fond de la qualification propre des biens acquis
4. Il est assez fréquent que les règles du remploi soient mal interprétées par certains juges du fond3. Pourtant, il est admis que le formalisme du remploi constitue une règle de fond depuis un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 20 septembre 20064. La haute juridiction rejette le pourvoi en estimant « que c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que l’appartement et le terrain litigieux, acquis pendant le mariage, constituaient des biens communs, dès lors que M. X, qui soutenait qu’il s’agissait de biens propres achetés au moyen de deniers propres, ne justifiait en première instance ni d’une double déclaration d’origine et d’intention dans les actes d’acquisition, ni d’un accord des époux sur un remploi, et qu’il n’apportait pas en appel des éléments susceptibles de remettre en cause l’application de la règle du remploi qui a le caractère d’une règle de fond ».
5. A contrario, si l’article 1434 du Code civil5 était une règle de preuve, un époux marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts pourrait établir, même à défaut de la double déclaration d’origine des deniers et d’intention, que tel bien a été acquis avec des deniers propres et qu’il entend en faire un bien propre, même si son conjoint ne donne pas son accord6.
B – La preuve du caractère propre du bien établie indépendamment du formalisme du remploi
6. Au cas d’espèce, les magistrats du Quai de l’Horloge précisent : « que le mari pouvait faire la preuve par tous moyens que ses fonds propres avaient financé l’acquisition de l’immeuble litigieux ». Depuis l’arrêt du 18 février 19867 la jurisprudence constante de la première chambre civile de la Cour de cassation considère que l’absence de clause de remploi ne fait pas obstacle à la récompense8. « Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt attaqué énonce qu’en l’absence de stipulation de remploi des fonds provenant de la vente du bien propre du mari, fonds encaissés par la communauté, il ne saurait être retenu que ceux-ci ont servi exclusivement à la construction de l’immeuble commun, et que, dans ces conditions, l’intéressé ne peut se prévaloir de l’article 1469, alinéa 3, du Code civil et que le chiffre à retenir pour la récompense ne peut être que celui correspondant au prix de vente du bien propre conformément aux dispositions de l’article 1436 du Code civil ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors que M. Y n’invoquait pas un droit de reprise en nature sur l’immeuble, mais réclamait à la communauté une récompense dont Mme X admettait le principe dans ses conclusions, sans discuter qu’en leur totalité les deniers personnels du mari avaient été utilisés pour la construction du bien commun, bien qui, au jour de la dissolution de la communauté, se retrouvait dans le patrimoine emprunteur, la cour d’appel a, par refus d’application, violé le texte susvisé ».
7. Une difficulté du même ordre est apparue plus récemment, s’agissant de la subrogation réelle, où la haute juridiction a confirmé sa jurisprudence classique en considérant que la preuve du caractère propre peut être établie en l’absence du formalisme du remploi9. Les faits étaient les suivants. Un couple, marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, souhaite vendre le bien propre du mari. Ce dernier réinvestit les deniers dans l’achat d’un autre bien sans procéder à la déclaration de remploi. À l’occasion de la liquidation du régime matrimonial au terme d’une procédure de divorce, le mari faisait valoir que la communauté lui devait récompense. Comme l’a fait observer une doctrine autorisée en la matière : « (…) Avec la décision rapportée, la réponse est claire : l’époux propriétaire dispose d’un droit à récompense à l’égard de la communauté (…) »10.
II – L’attraction du droit des récompenses
8. On ne peut que s’étonner que la Cour de cassation ne donne pas plus de précision sur le calcul des récompenses en cas d’absence de déclaration de remploi (A). Quant aux juges du fond, ils risquent d’avancer à tâtons sous le contrôle de la haute juridiction dans l’hypothèse d’acquisitions en « cascade » sans remploi (B).
A – La preuve du caractère propre des deniers investis dans un bien commun
9. On s’accorde à reconnaître que l’époux qui fait valoir que la communauté lui doit une récompense doit rapporter une double preuve11. Tout d’abord, l’époux doit établir son droit de propriété personnel sur les biens considérés, selon les règles posées par l’article 1402 du Code civil12 qui dispose que : « Tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. Si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit. À défaut d’inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tout écrit, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. Il pourra même admettre la preuve par témoignage ou présomption, s’il constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». En l’espèce, le mari soutient que des fonds propres ont servi à l’acquisition d’un appartement commun. Il n’est pas douteux que la charge de la preuve sera plus ou moins simple à rapporter selon la nature du bien envisagé13.
10. On a généralement l’impression que si la preuve du caractère propre du bien n’est aisée à rapporter, l’on sait combien il est délicat de rapporter la preuve que la communauté a tiré profit des deniers personnels d’un époux14. Pour apprécier que la communauté a tiré profit des deniers personnels, les juges du fond disposent naturellement d’un pouvoir souverain d’appréciation au regard de l’article 1433 du Code civil. Cette exigence probatoire est la plus difficile pour l’époux qui fait valoir un droit à récompense contre la communauté. On constate donc que la déclaration de remploi facilite grandement la preuve puisque l’origine des deniers et l’intention figurent dans la clause de remploi.
B – Acquisitions en « cascade » sans déclaration de remploi
11. Comme l’exprime avec concision le professeur Bernard Vareille : « Remploi et récompense sont deux piliers de l’immutabilité des régimes au service de l’équilibre économique du modèle communautaire »15. À ce titre, la notion de remploi innerve aujourd’hui non seulement l’acquisition de bien commun avec des fonds propres mais également les acquisitions en cascade avec une illustration typique des acquisitions en « cascade » sans déclaration de remploi. On sait que la pratique a élaboré une stratégie séquentielle de transmission des donations qui est plus ou moins rapprochée dans le temps : les donations en cascade16. Dans le même ordre d’idées et comme l’ont relevé plusieurs auteurs reconnus en la matière17, en régime de la communauté légale, les acquisitions en « cascade » sans remploi soulèvent des questions complexes en matière d’évaluation des récompenses.
12. Sans utiliser formellement l’expression d’acquisition en « cascade », la Cour de cassation en date du 5 novembre 2014 retient la notion d’acquisitions successions en précisant : « Que la part de M. X dans la vente de la rue… s’établit comme suit : 170 000 francs (contribution en fonds propres de M. X dans l’acquisition) x 500 000 francs (prix de revente) / 473 000 francs (prix total d’acquisition) = 179 704,01 francs ; Que la participation de M. X dans l’acquisition de la rue Claude Debussy s’est donc élevée à 179 704,01 francs ; Que la part de M. X dans la vente de la rue Claude Debussy s’établit comme suit : 179 704,01 francs x 4 200 000 francs (prix de revente) / 473 000 francs (prix total d’acquisition) = 1 595 680,48 francs = 243 259,92 € ; Qu’il y a lieu en conséquence, infirmant le jugement, de déclarer la communauté redevable envers M. X d’une récompense d’un montant de 243 259,89 €, telle que demandée par lui, au titre des acquisitions et reventes successives des biens immobiliers situés 10, rue… et … à Saint-Germain-en-Laye (…) »18. Cette simplicité n’a pas toujours été de mise : c’est ainsi que dans l’hypothèse de double financement provenant à la fois de la communauté et d’un patrimoine propre, la Cour de cassation impose de procéder à un calcul proportionnel19. Ainsi, la haute instance semble avoir trouvé, au moins sur le principe, la bonne articulation entre la déclaration de remploi et la technique des récompenses.
13. Qu’il nous soit permis ici de souhaiter que les juges du fond, qui doivent apprécier si la communauté a tiré profit des deniers personnels d’un époux, se saisissent de cette question par des attendus dénués de toute ambiguïté.
Notes de bas de pages
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1.
Simler P., Wiederkehr G., Storck M. et Tisserand-Martin A., « Régimes matrimoniaux », JCP N 2011, n° 1, p. 1001. Torricelli-Chrifi S., « Récompense : preuve en l’absence de déclaration de remploi », Dr. famille 2016, n° 10, comm. 209. « Un époux peut faire la preuve par tous moyens que ses fonds propres ont financé l’acquisition d’un bien commun,… », Dr. & patr. hebdo, n° 1060.
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2.
Torricelli-Chrifi S., « Récompense : preuve en l’absence de déclaration de remploi », art. préc.
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3.
« Le formalisme du remploi constitue une règle de fond et non une règle de preuve », AJ fam. 2009, p. 178.
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4.
Prévu à l’article 1434 du Code civil, le formalisme du remploi constitue une règle de fond de la qualification propre des biens acquis, Actualités juridiques, Defrénois, 712, Droit de la famille, 4 déc. 2006, www.defrenois.fr.
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5.
C. civ., art. 1434 : « L’emploi ou le remploi est censé fait à l’égard d’un époux toutes les fois que, lors d’une acquisition, il a déclaré qu’elle était faite de deniers propres ou provenus de l’aliénation d’un propre, et pour lui tenir lieu d’emploi ou de remploi. À défaut de cette déclaration dans l’acte, l’emploi ou le remploi n’a lieu que par l’accord des époux, et il ne produit ses effets que dans leurs rapports réciproques ».
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6.
« Les règles du remploi sont des règles de fond », RJPF 2006/12.
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7.
Cass. 1re civ., 18 févr. 1986, nos 84-15466 et 84-15607 : Bull. civ. I, n° 30 ; Torricelli-Chrifi S., « Récompense : preuve en l’absence de déclaration de remploi », art. préc.
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8.
« Un époux peut faire la preuve par tous moyens que ses fonds propres ont financé l’acquisition d’un bien commun… », art. préc.
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9.
Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 11-20212 : Dr. famille 2013, comm. 90, obs. Binet J.-R. et Beignier B. ; Torricelli-Chrifi S., « Récompense : preuve en l’absence de déclaration de remploi », art. préc. Mahinga J.-G., « Absence de déclaration de remploi et droit à récompenses », LPA 31 mai 2013, p. 10.
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10.
Dr. famille 2013, comm. 90, Binet J.-R. et Beignier B.
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11.
Bignon D., conseiller référendaire à la Cour de cassation, « Les difficultés relatives à la preuve des récompenses dues aux époux par la communauté », https://www.courdecassation.fr.
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12.
Ibid.
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13.
Ibid.
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14.
Mahinga G., « Absence de déclaration de remploi et droit à récompenses », art. préc.
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15.
Vareille B., « Régimes de communauté, degrés de la subrogation : la distinction entre remploi et récompense et ses conséquences, deux arrêts », RTD civ. 2013, p. 659.
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16.
Luzu F.et Le Gall N., « Transmettre sur plusieurs générations », RLDC 2012, n° 95.
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17.
Casey J., « Acquisition en cascade sans remploi : quelle récompense ? », Gaz Pal 13 août 2011, n° I6726, p. 10. Zalewski-Sicard V., « Récompense, acquisitions en cascade et interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation », RLDC 2015, n° 122.
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18.
Cass. 1re civ., 5 nov. 2014, n° 13-24571.
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19.
Champenois G., « Calcul du profit subsistant, subrogation, … : retour sur les modalités de calcul des récompenses », Defrénois 30 nov. 2013, n° 114g4, p. 1144.