Qualifications de l’indemnité de licenciement et du contrat d’assurance-vie lors de la dissolution du régime de la participation aux acquêts
La Cour de cassation en date du 15 novembre 2017 vient de juger que la créance d’indemnité de licenciement, née le jour de la notification de la rupture du contrat de travail, préexistait au mariage, de sorte qu’elle devait être incluse dans le patrimoine originaire de Mme X. Par ailleurs, le contrat d’épargne retraite devra intégrer le patrimoine final de M. Y.
Cass. 1re civ., 15 nov. 2017, no 16-25023, F-PB
1. Le régime de la participation aux acquêts, véritable « mal aimée » du droit des régimes matrimoniaux continue à défrayer les chroniques judiciaires et à susciter des difficultés d’interprétation liées à sa nature hybride prévue par l’article 1569 du Code civil. En effet, l’article 1569 du Code civil issu de la réforme précise : « Quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu’il a acquis pendant le mariage à titre onéreux. Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. À la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final. Le droit de participer aux acquêts est incessible tant que le régime matrimonial n’est pas dissous. Si la dissolution survient par la mort d’un époux, ses héritiers ont, sur les acquêts nets faits par l’autre, les mêmes droits que leur auteur ». En l’espèce1, un jugement a prononcé le divorce de Mme X et de M. Y, mariés sous le régime de la participation aux acquêts et ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux. Concernant l’indemnité de licenciement, il résulte du protocole d’accord conclu entre l’employeur et l’épouse que celle-ci a perçu une indemnité transactionnelle après son mariage. Les juges du fond ont estimé qu’il y a lieu de retenir la date d’encaissement pour la qualifier d’acquêt et d’écarter l’inscription de cette indemnité au patrimoine originaire de Mme X par application de l’article 1401 du Code civil. La Cour de cassation censure les juges du fond en estimant que la créance d’indemnité de licenciement, née le jour de la notification de la rupture du contrat de travail, préexistait au mariage, de sorte qu’elle devait être incluse dans le patrimoine originaire de Mme X (I). S’agissant des primes versées pendant la vie commune pour constituer les contrats Carel, le projet d’état liquidatif suggérant que les époux agissant comme s’ils étaient en séparation de biens pouvaient librement dépenser leurs gains et salaires. Les juges du fond ont relevé que ces contrats s’analysent en une assurance vie les a qualifiés de propres à M. Y. De plus, les juges du fait relèvent, à mots plus ou moins couverts, que les primes payées à titre pendant le temps de la vie commune n’ouvrant pas droit à récompense, par dérogation aux dispositions de l’article 1437 du même code, elles ne peuvent être réintégrées dans le patrimoine final. La Cour de cassation censure les juges du fond (II).
I – Sur la consistance du patrimoine originaire de l’épouse : l’indemnité de licenciement
2. Selon la haute juridiction judiciaire la créance d’indemnité de licenciement (A) née le jour de la notification de la rupture du contrat de travail, préexistait au mariage, de sorte qu’elle devait être incluse dans le patrimoine originaire de Mme X (B).
A – La nature de d’indemnité de licenciement
3. En devenant communautaire lors de sa dissolution2, le régime de la participation aux acquêts se heurte à des difficultés quasi-insurmontables, car comme le relève la doctrine : « il fait appel, pour le surplus, à une technique liquidative entièrement originale, sans véritable lien avec celle qui est utilisée pour la communauté »3. Plus précisément, un auteur remarque « que toute indemnité transactionnelle de licenciement entre en communauté dès lors qu’elle n’a pas pour seul objet de réparer un dommage affectant uniquement la personne de l’époux créancier »4. L’application de cette solution au régime de participation aux acquêts peut donner lieu à des difficultés d’appréciation. On pourrait sans difficulté multiplier les exemples attestant des réelles difficultés d’appréciation de cette notion d’indemnité de licenciement. En pareille hypothèse, on sait qu’il appartenait aux juges du fond de rechercher la qualification de l’indemnité de licenciement5. C’est ainsi qu’a jugé récemment la Cour de cassation en décidant que : « Attendu, ensuite, que l’indemnité allouée par la société Saint Gobain emballages, tendant à l’indemnisation d’un préjudice non seulement moral, mais de carrière, n’avait donc pas pour seul objet la réparation d’un dommage affectant uniquement la personne de l’épouse ; que la décision critiquée est légalement justifiée par ce seul motif. »6.
4. S’il n’est pas douteux que l’indemnité de licenciement réparant un préjudice économique7 s’apparente à une créance de communauté, cependant l’indemnité de licenciement doublée en cas d’inaptitude physique d’origine professionnelle peut poser des difficultés d’interprétation 8. En effet, l’article 1404, alinéa 1er, du Code civil dispose que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne ». Il va de soi que l’indemnité de licenciement présente le caractère de dommages-intérêts compensant le préjudice subi par le salarié du fait de la rupture de son contrat de travail imputable à l’employeur9 à un caractère commun mais cette indemnité peut également être qualifiée de nature propre en vertu en ce que l’indemnité répare une inaptitude physique d’origine professionnelle de l’époux. Au cas d’espèce, il s’agit d’une indemnité de licenciement perçue quelques jours après le mariage, pour une rupture de contrat de travail intervenue avant, d’un montant total de 54 890 €. La qualification, en l’espèce, était d’autant plus complexe que la question se double d’un élément temporel.
B – La créance d’indemnité de licenciement, née le jour de la notification de la rupture du contrat de travail antérieurement au mariage
5. C’est en partant du fameux arrêt du 31 mars 1992 que la Cour de cassation a décidé que pour déterminer l’entrée en communauté d’une indemnité, il convenait de tenir compte de la date d’exigibilité de la créance et non de son paiement effectif10. La haute juridiction estime que : « vu l’article 1401, ancien, du Code civil ; Attendu qu’ayant, avant le divorce, décidé de prendre une retraite anticipée, M. X a obtenu une indemnité exceptionnelle de départ en retraite ; Attendu que pour refuser de comprendre dans l’actif de la communauté cette indemnité, la cour d’appel énonce que celle-ci compense la renonciation de M. X à poursuivre ses activités jusqu’à l’âge normal de sa retraite et que cette indemnité, compensatrice de son droit personnel à poursuivre son activité, ne lui a été payée qu’après l’assignation : Attendu cependant que l’indemnité de départ en retraite n’avait pas pour objet de réparer un dommage affectant uniquement la personne de M. X ; que dès lors, en ne recherchant pas si la somme versée n’était pas exigible avant la dissolution de la communauté, de sorte qu’elle serait entrée en communauté par application du texte susvisé, la cour d’appel n’a pas donnée de base légale à sa décision ; Par ces motifs ; Rejette le pourvoi principal »11. Qui plus est la Cour de cassation a décidé qu’était déterminante la date de notification de la rupture du contrat12.
6. Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation réaffirme cette solution en précisant : « Qu’en statuant ainsi, alors que la créance d’indemnité de licenciement, née le jour de la notification de la rupture du contrat de travail, préexistait au mariage, de sorte qu’elle devait être incluse dans le patrimoine originaire de Mme X, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». Il convient de relever que la Cour de cassation est très stricte à ce propos car elle estime que : « (…) la créance naît durant la vie maritale sauf si la lettre de licenciement a été notifiée après la date de la prise d’effet entre les époux du jugement de divorce »13.
II – Sur la consistance du patrimoine final de l’époux : le contrat de retraite par capitalisation à adhésion facultative
7. Dans l’espèce jugée, la Cour de cassation censure les juges du fond car leur analyse doit être précisée quant à la nature du contrat d’assurance en cause (A) et quant à sa qualification (B).
A – Retour sur la distinction fondamentale entre le contrat d’assurance-vie et le contrat d’épargne retraite
8. Il est traditionnellement enseigné qu’à la différence du contrat d’assurance-vie, le contrat d’épargne retraite par lequel une personne, le souscripteur ou l’adhérent, paie une somme ou prime à une société d’assurance qui la fera fructifier pendant une durée indéterminée (vie entière), à charge pour elle de la restituer au souscripteur en tout ou partie au gré de celui-ci à tout moment, ou à un tiers nommément désigné, en cas de décès du souscripteur (ou de toute autre personne dénommée l’assurée)14. Dans l’hypothèse de l’arrêt, pour les premiers juges les contrats Carel s’analysent en une assurance sur la vie. Puis, dans l’arrêt rapporté, il est indiqué que la garantie Carel est destinée à permettre aux élus locaux percevant une indemnité de fonction de se constituer une pension de retraite par rente répondant aux critères de la loi n° 92-108 du 3 février 1992 ; qu’il s’agit d’un contrat de retraite par capitalisation à adhésion facultative. La haute juridiction ne relève pas la nature exacte de ce contrat mais censure les juges du fond en précisant que « le patrimoine final des époux se compose activement de tous les biens qui appartiennent aux époux au jour où le régime matrimonial est dissous ; que pour juger que les contrats Carel souscrits par M. Y ne devront pas réintégrer le patrimoine final de ce dernier, la cour d’appel a retenu que le projet liquidatif suggérant que, les époux agissant comme s’ils étaient en séparation de biens pouvaient librement dépenser leurs gains et salaires, c’est à juste titre que le premier juge, relevant que ces contrats s’analysent en une assurance-vie, les a qualifiés de propres de M. Y ; qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1572, alinéa 1er, du Code civil ».
B – Qualification du contrat de retraite par capitalisation à adhésion facultative
9. En droit des régimes matrimoniaux, chacun se souvient du fameux arrêt Praslicka précité 15 qui a clairement précisé, en matière de divorce, que les contrats d’assurance sur la vie, non dénoués, souscrits par des époux communs en biens et financés à l’aide de deniers communs, font partie de l’actif commun partageable pour leur valeur de rachat16. Cette analyse se rapproche de celle de la théorie du titre et de la finance, car si le contrat d’assurance vie est propre, en revanche, la valeur de ce dernier est commune17. Le rapprochement semble équitable de ce point de vue. La simplicité de cette solution n’est malheureusement qu’apparente. Dans la pratique, elle va compliquer considérablement la liquidation des régimes communautaires. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les conséquences fiscales de l’arrêt Praslicka qui a donné à lieu à plusieurs réponses ministérielles dont la dernière doit être soulignée.
10. Il convient, en effet, de relever que la réponse ministérielle Ciot du 23 février 2016 a mis fin à la « doctrine » Bacquet18. En effet, M. Jean-David Ciot attire l’attention de M. le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique sur le droit des contrats d’assurance vie non dénoués. La réponse du ministère à la question écrite du député Jean-Paul Bacquet du 29 juin 2010 semble introduire une incohérence avec la substance même du contrat d’assurance vie, qui est un contrat aléatoire, l’exécution de la prestation étant liée à un événement incertain19. La réponse ministérielle indique : « (…) Aussi, afin de garantir la neutralité fiscale pour l’ensemble des héritiers lors du décès du premier époux, il est admis, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016, qu’au plan fiscal la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit avec des fonds communs et non dénoué à la date du décès de l’époux bénéficiaire de ce contrat, ne soit pas intégrée à l’actif de la communauté conjugale lors de sa liquidation, et ne constitue donc pas un élément de l’actif successoral pour le calcul des droits de mutation dus par les héritiers de l’époux prédécédé. Lors du dénouement du contrat à la suite du décès du second conjoint, les sommes versées aux bénéficiaires de l’assurance-vie resteront bien évidemment soumises aux prélèvements prévus, suivant les cas, aux articles 757, B, et 990, I, du Code général des impôts dans les conditions de droit commun. La position exprimée dans la réponse ministérielle n° 26231 dite « Bacquet » du 29 juin 2010 est donc rapportée pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016 »20.
11. De plus, un net retrait de la jurisprudence Praslicka est apparue à propos du contrat d’assurance retraite rendu par la haute juridiction le 30 avril 201421. En l’espèce, il s’agissait des primes versées pendant la vie commune pour constituer les contrats d’assurance Carel. Lors de la liquidation du régime de la participation aux acquêts, le projet de liquidation suggérait que, les époux agissant comme s’ils étaient en séparation de biens, pouvaient librement dépenser leurs gains et salaires tant et si bien que les juges du fonds ont déduit que ces contrats s’analysent en une assurance vie et les a qualifiés de propres à M. Y. Or cette analyse des juges du fond n’est pas totalement convaincante, dans la mesure où les premiers juges indiquent que les époux étaient en séparation de biens et pouvaient librement dépenser leurs gains et salaires. En d’autres termes, les juges du fond se placent sur le terrain des pouvoirs des époux22, alors qu’il est question d’un problème de propriété et donc de la qualification juridique du contrat de retraite par capitalisation à adhésion facultative.
Notes de bas de pages
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1.
Brémond V., « Comparaison n’est pas raison », Dalloz actualité, 5 déc. 2017, ; Labasse J., « Précisions sur le sort des indemnités de licenciement et des contrats d’assurance retraite dans le régime de la participation aux acquêts », lamyline, 29 novembre 2017 ; Defrénois flash 4 déc. 2017, n° 142w2, p. 7.
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2.
Beignier B., Do Carmo Silva J.-M. et FouquetA., Liquidations de régimes matrimoniaux et de successions, 4e éd., 2013, Defrénois, p. 44.
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3.
Le Lamy Droit des Régimes Matrimoniaux, Successions et Libéralités, n° 160-15, « La liquidation de la participation aux acquêts : une insurmontable difficulté ? », Beignier B., Cabrillac R., Lécuyer H. et Labasse J.
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4.
Rousseau É., « Actif de communauté et indemnité de licenciement », Defrénois 15 mai 2012, n° 40485, p. 468.
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5.
Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-23373 : AJ fam. 2011, p. 438, note Hilt P., « À défaut de précisions, toute l’indemnité de licenciement tombe en communauté, même si elle vise à réparer tout à la fois un préjudice matériel et moral ».
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6.
Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-23373.
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7.
Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-23373 : AJ fam. 2011, p. 438, note Hilt P., « À défaut de précisions, toute l’indemnité de licenciement tombe en communauté, même si elle vise à réparer tout à la fois un préjudice matériel et moral ».
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8.
Duponchelle P., « Le sort des indemnités de rupture du contrat de travail », https://www.village-justice.com/, 22 févr. 2010.
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9.
Rousseau É., « Actif de communauté et indemnité de licenciement », Defrénois 15 mai 2012, n° 40485, p. 468.
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10.
Ibid.
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11.
Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-16343.
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12.
Rousseau É., art. préc.
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13.
Ibid.
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14.
Depondt A., « Quelques réflexions sur le démembrement de l’assurance-vie », JCP N 1995, p. 449.
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15.
Mayaux L., « Contrats de retraite : la jurisprudence Praslicka et l’article L. 132-16 du Code des assurances réunis dans un même oubli », RGDA mars 2017, n° 114h6, p. 209 : Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-16343 – Bull. civ. I, n° 95 ; RGAT 1993, p. 136, note Aubert J.-L. ; Defrénois 30 sept. 1992, n° 35348, p. 1121, obs. Champenois G. ; RTD civ. 1992, p. 632, obs. Lucet F. et Vareille G.
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16.
Hublot G. et Chavanat F., « Incidences des contrats d’assurance-vie lors de la dissolution de la communauté », JCP N 2011, p. 1010.
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17.
Ibid.
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18.
Formulaires ProActa Droit des Régimes Matrimoniaux, « Adoption de la communauté universelle avec clauses spécifiques en matière de récompenses »
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19.
Question publiée au JO, 21 avr. 2015, p. 2952.
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20.
Réponse publiée au JO, 23 févr. 2016, p. 1648.
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21.
Mayaux L., « Contrats de retraite : la jurisprudence Praslicka et l’article L. 132-16 du Code des assurances réunis dans un même oubli », RGDA mars 2017, n° 114h6, p. 209 : Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 12-21484.
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22.
Brémond V., « Comparaison n’est pas raison », Dalloz actualité, 5 déc. 2017.