Appréciation de la composition de la communauté activement et passivement : les juges du fond censurés par la Cour de cassation
Relativement à l’actif de la communauté, la haute juridiction judiciaire considère qu’il incombait à Mme Y, qui revendiquait le caractère propre d’un bien, d’en rapporter la preuve. Concernant le passif de la communauté, la Cour de cassation censure également les juges du fond qui se sont déterminés par des motifs impropres à établir que M. X avait souscrit, sans le consentement de son épouse, des prêts à la consommation dans son intérêt personnel.
Cass. 1re civ., 17 oct. 2018, no 17-26713, F–PB
1. Les faits de l’espèce1 étaient d’un grand classicisme. En effet, M. X et Mme Y s’étaient mariés, le (…), sans contrat. Lors de la liquidation du régime matrimonial, des difficultés se sont élevées d’une part, sur des emprunts souscrits par un époux en cours d’union et d’autre part, sur la qualification de biens meubles. Relativement aux emprunts, Mme Y demandait au premier juge de retirer du passif de la communauté le montant des crédits à la consommation réglés par le notaire liquidateur à hauteur de 78 548,41 € et de juger que seul M. X en supportera la charge, conformément aux dispositions légales de l’article 1415 du Code civil, à défaut de rapporter la preuve de l’imputabilité à la communauté. La cour d’appel estime que seul le crédit Finaref a engagé la communauté et limite à la somme de 7 630,87 € la dette de cette dernière, si bien que les remboursements effectués par le notaire au titre des crédits à la consommation Mediatis, Monabanq et Sofinco ne reposent sur aucune pièce permettant de déterminer les circonstances de leurs souscriptions, que le montant cumulé des différents emprunts contractés par un seul des époux est manifestement excessif au regard des revenus du ménage et que seul le prêt Finaref d’un montant de 6 000 € a été encaissé sur le compte commun. Sur ce point, la Cour de cassation censure les juges du fond en déclarant que : « Attendu que la communauté se compose passivement, à titre définitif ou sauf récompense, des dettes nées pendant la communauté et que celles résultant d’un emprunt contracté par un époux sans le consentement exprès de l’autre doivent figurer au passif définitif de la communauté dès lors qu’il n’est pas établi qu’il a souscrit cet engagement dans son intérêt personnel ». Relativement à la nature propre ou commune du bien querellé, les juges du fond estiment que pour fixer à la somme de 13 000 € la valeur du mobilier commun et rejeter la demande de M. X en partage tenant compte des emports déjà effectués par Mme Y, l’arrêt se borne à constater que cette dernière fait valoir que, si, lors de son départ du domicile conjugal, elle a emporté du mobilier donné par ses grands-parents, elle n’a déplacé aucun meuble commun, et retient que M. X ne rapporte pas la preuve contraire. L’arrêt d’appel est cassé par la haute juridiction judiciaire qui estime que : « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi ». La composition active (I) et passive (II) des masses de la communauté soulève bien des difficultés pratiques qui n’ont pas échappé au contrôle de la Cour de cassation.
I – Sur l’actif de communauté
2. Selon la haute juridiction judiciaire, la cour d’appel n’a tout simplement pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé en conséquence l’article 1402 du Code civil concernant la présomption de communauté (B) qui doit être distingué de la nature juridique propre ou commune d’un bien (A).
A – Qualification propre ou commune d’un bien d’époux soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts
3. Cette décision rendue par la Cour de cassation nous met notamment en présence de l’article 1401 du Code civil qui énonce que : « La communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ». Il y a lieu de constater que la qualification doit précéder le système probatoire et partant la présomption d’acquêts. Au cas d’espèce, M. X et Mme Y s’étant mariés sans contrat, se trouvent dès lors soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts réglementé par les articles 1400 et suivants du Code civil. Il faut ici appliquer les dispositions notamment celles relatives à la liquidation de la communauté dissoute par divorce. La Cour de cassation est régulièrement amenée à rappeler aux juges du fond leur rôle dans la détermination du caractère propre ou commun des éléments d’un bien se retrouvant lors de la liquidation du régime matrimonial. Au grand dam de la doctrine2, un arrêt remarqué rendu par la Cour de cassation a censuré les juges du fond en jugeant : « qu’il résulte de ces textes que les produits de l’industrie personnelle des époux et les fruits perçus et non consommés de leurs biens propres tombent en communauté ; Attendu que, pour décider que les stocks d’eau de vie et de pineau sont des biens propres de M. X, l’arrêt, confirmatif de ce chef, retient, par motifs adoptés, que l’exploitation viticole, bien propre du mari, constitue une entité économique comprenant les terres, les plantations, les bâtiments et matériels d’exploitation (pressoirs, fûts…) mais aussi le stock (produits finis et en cours de maturation) dont la valeur, portée à l’actif du bilan mais aussi au crédit du compte de résultat, concourt à la détermination du résultat net, qu’ainsi, le stock d’une exploitation agricole propre indispensable à son fonctionnement est un bien propre comme tous les éléments de cette universalité ; que, par motifs propres, l’arrêt énonce, d’une part, que les stocks en cause ne sont pas des économies sur les fruits et revenus de biens propres au sens de l’article 1401 du Code civil, ni des fruits perçus et non consommés au sens de l’article 1403 du même code, mais sont un élément de l’actif de l’exploitation viticole du mari, laquelle ne génère des revenus ou des fruits qu’au fur et à mesure de leur commercialisation qui, notamment pour les eaux de vie de cognac, nécessite une période préalable d’élevage ou de vieillissement en fûts, d’autre part, que le tribunal a relevé à bon droit que ne tombaient dans la communauté que les résultats nets de l’exploitation du mari ; Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles le stock d’eau de vie et de pineau était le produit de l’industrie personnelle du mari »3. À ce propos, comme l’a relevé un commentateur « Faute de pouvoir transposer le critère de l’ouverture au public appliqué en matière de fonds de commerce (Cass. 1re civ., 18 avr. 1989, n° 87-19348 : Bull. civ. I, n° 153), c’est probablement la date de déclaration du fonds agricole auprès de la chambre d’agriculture, prévue par l’article L. 311-3 du Code rural, qui doit être le critère de sa nature propre ou commune, puisque sa création est optionnelle en matière agricole »4.
B – La présomption de communauté
4. Aux termes de l’article 1402 du Code civil : « Tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. Si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit. À défaut d’inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. Il pourra même admettre la preuve par témoignage ou présomption, s’il constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Reste, il est vrai, que cet article 1402 institue une présomption favorable à la communauté5. S’appuyant principalement sur cette présomption simple, la doctrine explique que : « Tout paiement étant ainsi présumé avoir été fait avec des deniers communs, il n’est pas nécessaire de prouver que ce sont des deniers communs qui ont financé tel ou tel investissement »6. En l’espèce, le débat portait sur la nature (bien propre ou bien commun) de divers biens meubles emportés par Mme Y lors de son départ du domicile conjugal. Pour soutenir qu’ils constituent des biens propres, Mme Y allègue qu’elle a emporté du mobilier donné par ses grands-parents, elle n’a déplacé aucun meuble commun, et retient que M. X ne rapporte pas la preuve contraire. Au cas d’espèce, la Cour de cassation censure les juges du fond en précisant que la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l’article 1402 du Code civil. On a généralement l’impression que si la preuve du caractère propre du bien n’est aisée à rapporter, l’on sait combien il est délicat de rapporter la preuve que la communauté a tiré profit des deniers personnels d’un époux7. Pour apprécier que la communauté a tiré profit des deniers personnels, les juges du fait disposent naturellement d’un pouvoir souverain d’appréciation au regard de l’article 1433 du Code civil. Cette exigence probatoire est la plus difficile pour l’époux qui fait valoir un droit à récompense contre la communauté8.
II – Sur le passif de communauté
5. Le deuxième moyen de cassation évoqué dans l’arrêt rapporté permet de revenir sur la notion d’engagement contracté dans l’intérêt personnel d’un époux (A) dont la mise en œuvre concernait la destination de l’emprunt (B).
A – L’engagement contracté dans l’intérêt personnel d’un époux
6. Dans un tel système de communauté réduite aux acquêts, pouvoir et propriété sont en principe corrélés, si bien qu’un époux propriétaire d’un bien propre peut le vendre seul sans avoir à obtenir le consentement de son conjoint. Cependant dans le cadre de l’article 215, alinéa 3 du Code civil, propriété et pouvoir ne sont plus corrélés tant et si bien que le propriétaire du bien affecté au logement de la famille doit obtenir le consentement de son conjoint dans le cadre de la cogestion. Un autre aspect, et non des moindres, du droit de des régimes matrimoniaux tient à la distinction entre la contribution et l’obligation à la dette 9. La doctrine a donné un fondement très solide à la distinction entre l’obligation et la contribution à la dette. On a ainsi fait remarquer que : « (…) quant à la contribution à la dette : en principe, toute dette née en cours d’union est supportée définitivement par la communauté (C. civ., art. 1409). Si elle est acquittée au moyen de deniers communs, elle n’ouvre donc pas droit à récompense. Par exception, certaines dettes nées en cours de mariage doivent en définitive n’être assumées que par l’époux qui les a contractées. Elles relevaient du passif provisoire de la communauté, mais sont finalement à la charge personnelle de l’époux débiteur. Ainsi lorsqu’elles ont été contractées dans l’intérêt personnel (C. civ., art. 1416) (…) »10. Néanmoins, dans cette espèce, la censure était inévitable parce que le raisonnement des juges du fond traduisait la confusion entre la contribution au passif avec l’obligation au passif, si bien que les articles 220 et 1409 du Code civil ont été violés.
B – La mise en œuvre de la notion d’intérêt personnel : la destination de l’emprunt
7. Au cas d’espèce, la cour d’appel a retenu, au titre du passif commun définitif, le seul crédit Finaref de 7 630,87 € et exclu les autres crédits à la consommation qu’elle a estimé être des crédits personnels à l’époux qui devait donc en conserver la charge, si bien que pour la Cour de cassation en statuant par ces motifs, dont il ne ressortait pas qu’il aurait été prouvé ou démontré que les autres crédits avaient effectivement été utilisés dans l’intérêt personnel de M. X, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1409 du Code civil.
8. Au vrai, la notion d’intérêt personnel d’un des époux pose des difficultés d’application. Il a été jugé ainsi que le cautionnement donné par un époux seul à un ami personnel ou l’emprunt bénéficiant à un seul époux relevait de la notion d’intérêt personnel d’un époux11. En l’espèce, les juges du fond jugèrent que le montant des fonds empruntés était excessif alors qu’il convenait de s’interroger sur la destination des fonds empruntés12. Dans une telle optique, il est souvent difficile de distinguer les notions de contribution et d’obligation à la dette comme le fait remarquer le centre de recherches, d’information et de documentation notariales (CRIDON) qui relève que : « Quant à la contribution, il s’agit d’un passif définitif de communauté (C. civ., art. 1409). De plus, ce texte visant “l’article 220”, sans distinguer les divers alinéas, il faut sans doute comprendre que la solution vaut également pour les dettes ménagères non solidaires »13. Il revient généralement au législateur le soin de préciser l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux. En se référant à la destination des deniers empruntés, le législateur a prévu expressément cette dernière à l’alinéa 3, de l’article 220 à la faveur de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 198514.
9. Sans doute convient-il, en conclusion, de remarquer que la décision commentée fait apparaître que la Cour de cassation prête la plus grande attention à la délicate application des notions d’obligation et de contribution à la dette en droit des régimes matrimoniaux.
Notes de bas de pages
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1.
Guiguet-Schielé Q., « Rappel des fondamentaux du régime légal : contribution à la dette et présomption de communauté », Dalloz actualité, 12 nov. 2018 ; Gall-Kiesmann F., « L’emprunt par un époux relève du passif commun définitif sauf intérêt personnel du souscripteur », https://www.efl.fr/actualites/particuliers/famille/details.html?ref=ui-3a2f5478-8ea5-413d-b450-3a315ae66167 ; Bernard S., « L’emprunt souscrit par un époux seul appartient au passif définitif de la communauté », 2018, Lexis Nexis, « Dette ou bien propre : tout est affaire de preuve ! », Documentation expresse 2018, p. 1.
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2.
Barabé-Bouchard V., « Divorce d’un exploitant marié sous le régime de la communauté », Defrénois 30 mars 2013, n° 112a4, p. 305.
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3.
Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 11-25264.
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4.
Barabé-Bouchard V., « Divorce d’un exploitant marié sous le régime de la communauté », Defrénois 30 mars 2013, n° 112a4, p. 305.
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5.
Beignier B. et a., « Problèmes spécifiques », Le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités., 2003, Lamy.
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6.
Lejeune F., Déclarations de remploi et d’origine des fonds, outils de transmission patrimoniale entre époux, Dr. et patri. 2008, p. 22, n° 169.
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7.
Mahinga J.-G., « Absence de déclaration de remploi et droit à récompenses », LPA 31 mai 2013, p. 10.
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8.
Marcie Morin M. et Paul-Ludovic Niel, « Absence de déclaration de remploi de biens propres au cours du régime de la communauté réduite aux acquêts », LPA 29 nov. 2016, n° 121p6, p. 11.
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9.
Aulagnier J. et a., « Dettes de communauté, dettes propres et récompenses », Le Lamy Patrimoine, 2017, n° 565-75 ; Aulagnier J. et a., « Engagement contracté dans l’intérêt personnel d’un des époux, » Le Lamy Patrimoine, 2017, n° 625-215.
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10.
Cridon Nord-Est, « Le contrat de mariage la communauté de biens réduite aux acquêts ».
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11.
Aulagnier J. et a., « Engagement contracté dans l’intérêt personnel d’un des époux, » Le Lamy Patrimoine, 2017, n° 625-215 ; Aulagnier J. et a., « Dettes de communauté, dettes propres et récompenses », Le Lamy Patrimoine, 2017, n° 565-75.
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12.
V. Guiguet-Schielé Q., « Rappel des fondamentaux du régime légal : contribution à la dette et présomption de communauté », Dalloz actualité, 12 nov. 2018.
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13.
Cridon Nord-Est, « Le contrat de mariage la communauté de biens réduite aux acquêts ».
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14.
Brenner C. et a., « Dette réputée née du chef des deux époux », Le Lamy Droit de l’exécution forcée, 2015, n° 307-30.