Plan d’épargne action (PEA) : cession de titres de holding et abus de droit

Publié le 27/04/2021

Dans un arrêt du 19 juin dernier, le Conseil d’État affirme que les contribuables n’ont pas à démontrer, pour échapper à l’abus de droit fiscal, que l’interposition d’une holding et l’architecture mise en place ne sont pas dépourvues de substance économique.

Le Conseil d’État a rendu un arrêt éclairant sur les conditions dans lesquelles l’administration peut remettre en cause l’utilisation du plan d’épargne en actions (PEA) sur le terrain de l’abus de droit (CE, 10e et 9e ch. réunies, 19 juin 2020, n° 418452). Il en ressort que le juge de l’impôt ne peut, pour écarter l’existence d’un abus de droit, exiger du contribuable qu’il justifie que l’architecture d’ensemble mise en place était la seule possible pour atteindre l’objectif économique poursuivi.

Une série de cessions de titres

Le 28 décembre 2004, MM. C., et D. et la société C, filiale du groupe W, ont créé une société financière (holding) ayant pour objet l’acquisition et la gestion de titres sociaux. Le même jour, M. C. a cédé à cette société des titres d’une société par actions simplifiées (SAS) opérationnelle, qu’il avait constituée le 7 janvier 2004 avec M. D., société qui exerce l’activité de centrale d’achats d’espaces publicitaires. Il a alors inscrit, pour leur valeur nominale, les titres qu’il détenait de la société financière dans son PEA. Puis, le 20 juin 2008, M. C. a cédé l’intégralité de sa participation dans la société holding à la société C, réalisant une plus-value de 3 791 871 €.

M. C. ayant inscrit les titres de la société financière sur son PEA., M. et Mme C. ont alors considéré que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession de ces titres était exonérée d’impôt en application de l’article 157, 5° bis du Code général des impôts (CGI). À la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a remis en cause l’exonération dont avaient ainsi entendu bénéficier les contribuables en recourant à la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF). M. et Mme C. ont donc été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2008, majorées des intérêts de retard et de pénalités de 80 % pour abus de droit, sur le fondement de l’article 1729 du Code général des impôts.

PEA : une double limite

Rappelons que le PEA, réservé aux contribuables dont le domicile fiscal est situé en France, permet de percevoir des revenus de capitaux mobiliers et de réaliser des plus-values mobilières en franchise d’impôt sur le revenu. En cas de retrait ou rachat après 5 ans, les plus-values réalisées sont exonérées d’impôt sur le revenu (CGI., art. 157, 5° bis). Toutefois, l’exonération des revenus – dividendes et plus-values – des titres non cotés est plafonnée chaque année à 10 % du montant de ces titres. Les revenus du PEA sont toujours soumis aux prélèvements sociaux au taux de 17,20 %.

En cas de retrait ou rachat avant 5 ans, et pour les rachats réalisés avant le 1er janvier 2019, comme ce fut le cas en l’espèce, le gain net réalisé depuis l’ouverture du plan est imposé au taux de 22,5 % si le retrait intervient avant 2 ans, à 19 % si le retrait intervient entre 2 et 5 ans. Lors des faits de l’affaire jugée, le plafond des versements en numéraire s’élevait à 132 000 € ; depuis la loi de finances pour 2014, il est de 150 000 €. (C. mon. fin., art. L 221-30 et, à l’époque des faits : CGI, art. 163 quinquies D, I).

Enfin, le titulaire du plan, son conjoint et leurs ascendants et descendants ne doivent pas, pendant la durée du plan, détenir ensemble, directement ou indirectement, plus de 25 % des droits dans les bénéfices de sociétés dont les titres figurent au plan ou avoir détenu cette participation à un moment quelconque au cours des 5 années précédant l’acquisition de ces titres dans le cadre du plan (C. mon. fin., L. 231-31, II, 3°, et, à l’époque des faits : CGI, art. 163 quinquies D, II, 3°). En présence de sociétés interposées, le seuil de 25 % s’apprécie en multipliant les taux de détention successifs dans chacune des participations. C’est le respect de cette condition qui est remis en cause par l’administration dans l’affaire jugée par le Conseil d’État.

Abus de droit par fraude à la loi ?

L’administration a donc redressé la série d’opérations sur le terrain de l’abus de droit par fraude à la loi. Dans sa rédaction applicable au litige, l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales dispose que : « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». L’abus de droit ne peut être constitué que si ces deux conditions sont remplies : l’application littérale des textes à l’encontre de l’intention du législateur et la poursuite d’un but exclusivement fiscal.

Le texte prévoit également la possibilité pour le contribuable et l’administration de soumettre le litige à l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal. Et « si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du Comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ».

Pour l’administration fiscale, les opérations de cessions sont constitutives d’un abus de droit pour deux raisons. D’une part, elle avance que la holding a été interposée afin de permettre à M. C. de respecter en apparence la condition, prévue par l’article 163 quinquies D du CGI dans sa version en vigueur à l’époque des faits, relative à la détention directe ou indirecte des droits dans les bénéfices sociaux inférieure ou égale à 25 %.

D’autre part, elle soutient que la valeur des titres de la société financière a été volontairement minorée lors de leur inscription sur le PEA de M. C., ceci, pour assurer le respect formel du plafond de 132 000 € (CGI, art. 163 quinquies D, I).

La cour d’appel de Paris donne raison à l’administration fiscale (CAA Paris, 21 déc. 2017, n° 14PA01656), déduisant la finalité purement fiscale de la création de la société financière de son caractère de holding et de la circonstance que sa participation dans la société SAS avait été son seul actif pendant près de 4 ans. Le service a ainsi relevé qu’entre le 28 décembre 2004 et le 20 juin 2008, la société holding, n’avait, en contradiction avec son objet social, pas acquis d’autres titres sociaux que ceux de la SAS, qu’elle n’avait exercé aucune activité économique, et ne disposait d’ailleurs pas de local ni de moyen matériel et humain pour ce faire, et qu’elle n’avait pas rendu de prestations de service à la SAS.

En conclusion, le rehaussement en litige procède du respect artificiel de certaines de ces conditions grâce à l’interposition d’une société dépourvue de substance, dans le seul but pour M. C., par une application littérale des textes en vigueur, était de bénéficier d’une exonération d’impôt à laquelle il n’aurait pu prétendre s’il avait dû inscrire directement les titres de la société SAS à son PEA. Ce faisant, la cour a exigé que le contribuable démontre non seulement que les actes juridiques qu’il avait passé présentaient une rationalité économique suffisante, mais aussi que ces actes étaient nécessaires, en tant qu’ils constituaient le seul moyen d’atteindre les objectifs non fiscaux qu’il mettait en avant.

Illustration d'abus de droit, fraude fiscale
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La preuve de l’abus de droit

Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel au motif que l’administration n’apporte pas la preuve de l’abus de droit. Il commence par rappeler les règles applicables. En vertu de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, l’administration fiscale doit apporter cette preuve « par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l’intention du contribuable d’éluder ou d’atténuer ses charges fiscales normales. Dans l’hypothèse où l’administration s’acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s’il s’y croit fondé, d’apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l’opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer ses charges fiscales normales ».

La haute juridiction reproche aux juges d’appel de s’être fondés sur la circonstance que les éléments apportés par les contribuables ne démontraient pas la nécessité de l’interposition de la holding. « En exigeant ainsi que ces derniers justifient de ce que l’architecture d’ensemble mise en place était la seule possible pour atteindre l’objectif économique poursuivi, la cour a commis une erreur de droit ». Par ailleurs, « en se prononçant sur la réalité économique de la constitution de la société (…) holding sans prendre en compte l’ensemble des éléments de l’architecture mise en place par M. C. et M. D., la cour a commis une erreur de droit ».

Valorisation des titres

Un autre volet de l’affaire (CE, 10e et 9e ch. réunies, 19 juin 2020, n° 429393) porte sur un second point litigieux contesté devant le juge : l’évaluation des titres. L’administration reprochait aux contribuables d’avoir retenu une valeur de convenance, minorée, pour respecter le plafond légal de versement en numéraire, alors fixé à 132 000 €.

Le requérant soutenait que la valorisation des titres retenue par l’administration était excessive, car celle-ci n’avait pas pris en compte le risque résultant d’un contentieux judiciaire opposant l’ancien employeur du contribuable à la société, à la date d’inscription des titres.

Sans contester le principe de la mise en œuvre de l’abus de droit sur la question des prix de convenance, le Conseil d’État invalide l’arrêt de la cour d’appel.

Lorsque l’administration entend mettre en œuvre la procédure de répression de l’abus de droit au motif que le contribuable a inscrit sur son PEA des titres pour une valeur minorée afin de détourner la règle du plafonnement des versements, il lui appartient d’en apporter la preuve.

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