Titres éligibles au régime des sociétés mères : le seuil de 5 % s’apprécie au moment de la cession des titres

Publié le 17/04/2018

Le Conseil d’État vient de rendre un arrêt sur les conditions entourant le bénéfice de l’application du taux d’imposition à 0 % des plus-values à long terme. Christel Legout, avocate au cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, livre son analyse de l’arrêt et ses enseignements.

Dans un arrêt du 26 janvier 2018, n° 408219 (8e et 3e chambres réunies), le Conseil d’État apporte d’utiles précisions sur l’appréciation de la condition de détention de 5 % du capital du régime des sociétés mères en jugeant qu’il résulte des termes mêmes du b) de l’article 145 du Code général des impôts (CGI) que la condition d’une détention d’au moins 5  % du capital de l’émettrice, s’apprécie « à la date du fait générateur de l’impôt, c’est-à-dire, s’agissant d’une plus-value de cession, à la date de la cession et non de manière continue pendant une période de deux ans ». L’analyse de Christel Legout, avocate au cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats.

Les Petites Affiches

Quel était l’enjeu fiscal de cette affaire  ?

Christel Legout  

La SAS E., une holding pure, avait cédé des titres d’une filiale le 5 janvier 2007, après trois opérations intercalaires d’échanges de titres. Elle s’estimait en droit de bénéficier du taux d’imposition de 0 % applicable aux plus-values à long terme de cession de titres de participation prévu par l’article 219 I a quinquies du CGI, applicable à compter du 1er janvier 2007. Considérant que les titres cédés ne répondaient pas à la définition des titres de participation au sens de l’article susvisé, l’administration fiscale avait remis en cause l’imposition au taux de 0 % et assujetti la société à une cotisation supplémentaire et aux pénalités afférentes pour un montant d’environ 1,2 million d’euros. Le tribunal administratif de Strasbourg avait rejeté la demande en décharge de l’imposition de la société E. et la cour administrative d’appel de Nancy avait confirmé ce jugement.

LPA

À quelles cessions de titres le taux de 0 % est-il réservé  ?

C. L.

Ce régime est réservé aux titres de participation, visés par l’article 219 I a quinquies du CGI. Il s’agit  :

– d’une part les titres de participation revêtant ce caractère sur le plan comptable,

– d’autre part les actions (…) ouvrant droit au régime des sociétés mères à condition (depuis les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2017) de détenir au moins 5  % des droits de vote de la société émettrice, si ces actions ou titres sont inscrits en comptabilité à une subdivision spéciale « TRPVLT » (titres relevant du régime des plus-values à long terme) d’un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable.

Sont toutefois exclus de ce régime d’imposition les titres des sociétés à prépondérance immobilière cotées ou non cotées, les titres des sociétés à prépondérance financière et les titres de sociétés établies dans un État ou territoire non coopératif (ETNC), au sens de l’article 238-0 A du CGI (sauf si la preuve est apportée que les opérations de la société établie hors de France dans laquelle est prise la participation correspondent à des opérations réelles qui n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans un tel État ou territoire). Dans la présente affaire, il s’agissait donc nécessairement de qualifier les titres cédés.

LPA

Alors, comment qualifier les titres cédés  ?

C. L.

Le Conseil d’État a examiné si les titres cédés de la filiale correspondaient à l’une ou l’autre de ces deux catégories. Pour ce faire, il convient de les confronter aux définitions des catégories de titres éligibles, à commencer par les titres de participation revêtant ce caractère au sens comptable. Le Conseil d’État en rappelle donc la définition : il s’agit des titres « dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle, une telle utilité pouvant notamment être caractérisée si les conditions d’achat des titres en cause révèlent l’intention de l’acquéreur d’exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d’exercer une telle influence ».

LPA

À cet égard, les titres cédés constituaient-ils des titres de participation  ?

C. L.

Non, le Conseil d’État n’a pas remis en cause l’analyse de la cour administrative d’appel qui écarte la qualification de titres de participation au motif que la société E. ne démontrait pas qu’elle exerçait une influence sur la société émettrice des titres et sur son intention d’en assurer le contrôle. Au vu du pacte d’actionnaires produit par la société requérante au soutien de sa position, les juges du fond avaient considéré que l’objectif des investisseurs était d’obtenir une rémunération minimale et d’assurer à terme la liquidité des capitaux afin de permettre la réalisation d’une plus-value, étant précisé que, dans ce pacte, les investisseurs s’interdisaient en outre toute immixtion dans la gestion de la société. Un tel objectif de rendement financier n’est pas de nature à traduire la volonté d’exercer une influence sur la société émettrice. Les juges ont donc écarté la qualification de titres de participation. Restait à voir si les titres relevaient du régime mère-fille.

LPA

En l’espèce, les titres cédés constituaient-ils des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères pouvant bénéficier de l’imposition au taux 0 %  ?

C. L.

Non plus, mais l’intérêt de la décision porte sur l’appréciation de la condition de détention des titres. C’est là toute la portée de l’arrêt du Conseil d’État. En effet, la haute juridiction commence à affirmer que « le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères, tenant à la détention d’au moins 5 % du capital de l’émettrice, s’apprécie à la date du fait générateur de l’impôt et non de manière continue sur une période de deux ans ». S’agissant d’une plus-value, la solution qui privilégie le fait générateur de l’impôt consiste à retenir la date de la cession pour apprécier la condition de détention. Or la cour administrative d’appel avait écarté la qualification en se fondant sur la circonstance que lesdits titres avaient représenté moins de 5 % du capital de la société émettrice durant les deux années précédant leur cession, — entre décembre 2005 et mai 2006 elle était tombée à 3,87 % —, commettant, ce faisant une erreur de droit. En l’espèce, le seuil de 5 % de détention était bien atteint au moment de la cession. Mais n’oublions pas la condition supplémentaire posée par le CGI  : que les titres soient inscrits en comptabilité (à une subdivision « TRPVLT ») à la date de leur cession. Or cette condition n’était pas respectée. La cour administrative d’appel l’avait relevé et le Conseil d’État lui a donné raison sur ce point.

LPA

Que retenir de cet arrêt pour l’exonération des dividendes prévue par le régime mère-fille  ?

C. L.

La décision semble particulièrement intéressante car elle indique que les conditions — de détention de 5 % du capital (b de l’article 145 du CGI) et de conservation pendant deux ans (c de l’article 145 du CGI) — de ce régime doivent être appréciées de façon distincte. Ainsi, la solution de l’arrêt devrait ouvrir aux sociétés la possibilité de bénéficier du régime dès lors simplement qu’elles détiennent 5 % du capital à la date de mise en paiement des dividendes, même si la participation varie autour de ce seuil avant et/ou après la mise en paiement.

La question pourrait se poser de savoir si cette appréciation de façon distincte des conditions prévues au b) et au c) de l’article 145 du CGI, est encore possible sous l’empire du texte actuel. Le texte actuel de l’article 145 du CGI est rédigé différemment puisqu’il énonce que « les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans lorsque les titres représentent au moins 5 % du capital de la société émettrice ». Il est vraisemblable que cette nouvelle rédaction ne change pas le fond du droit et s’explique par la volonté d’introduire en parallèle un nouveau délai de 5 ans lorsque les titres représentent 2,5 % du capital et 5 % des droits de vote de la société émettrice, mais on ne peut pas totalement exclure une lecture consistant à lier l’exigence du délai de deux ans et celle d’une détention minimale.

LPA

Quelle est la portée de l’arrêt concernant le régime des plus-values à long terme  ?

C. L.

Les effets favorables de cette décision sont moins évidents. Prenons l’exemple d’une participation se montant à 4 % du capital de la société émettrice, acquise le 15 janvier 2014, que l’entreprise inscrit dans un compte autre que titres de participation (soit un compte TIAP ; Titres immobilisés de l’activité de portefeuille) ou autres titres immobilisés ou valeurs mobilières de placement. Admettons qu’au cours de l’exercice 2018, la participation soit augmentée à 5 %, et que la société décide d’isoler les titres dans une subdivision « TRPVLT » avant de les céder au début de l’année 2019. Dans ce cas, la société respecte bien le seuil de 5 % à la date de la cession, mais l’appréciation de la durée de détention des 4 % pourtant acquis en 2014 doit être faite à la date du transfert de ces titres dans une subdivision « TRPVLT » conformément aux 5e et 6e alinéas du a ter du I de l’article 219 du CGI. En vertu de ces dispositions, le transfert de compte (réalisé en 2018 dans notre exemple) est constaté fiscalement : la plus-value constatée de façon extra-comptable doit faire l’objet d’une déclaration (cette plus-value ne sera toutefois imposée qu’au titre de l’exercice au cours duquel les titres seront cédés). Dans notre exemple, aucun des titres cédés en 2019 ne pourra donc bénéficier du régime des plus-values à long terme.

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