La mise en garde de la caution enfin consacrée ?
La réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 consacre le devoir de mise en garde au sein du Code civil. Cette initiative doit être saluée. Pour autant, certaines critiques peuvent être formulées à l’encontre du texte retenu. La suppression de la distinction entre les cautions averties ou non nous semble critiquable dès lors que les cautions averties n’ont pas besoin d’être mises en garde. Cette suppression pourrait, en outre, se révéler inutile : le contentieux pourrait se reporter sur la question de l’existence d’une perte de chance de ne pas contracter. L’application de la règle au « créancier professionnel » est également critiquable en ce que ces termes peuvent être entendus comme dépassant les créanciers institutionnels habituellement soumis au devoir de mise en garde. Enfin, la suppression du devoir de mise en garde en présence d’une inadéquation du cautionnement aux facultés de paiement de la caution semble sacrifier les intérêts des cautions pour satisfaire l’objectif de clarification des règles du droit des sûretés.
Le devoir de mise en garde de la caution, tout comme le devoir de mise en garde du débiteur qui l’a précédé, sont des créations prétoriennes1. Jusqu’ici, seul le devoir de mise en garde du débiteur était consacré dans le cadre des crédits à la consommation et des crédits immobiliers2. L’ordonnance portant réforme du droit des sûretés publiée au Journal officiel le 19 septembre consacre le devoir de mise en garde profitant à la caution. Le texte propose que le futur article 2299 du Code civil dispose que : « Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. À défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci ».
Dans son principe, une telle consécration est louable3. On ne songe pas à supprimer ce devoir de mise en garde qui a pour vertu d’alerter les cautions qui en ont besoin sur le risque particulier que représente leur engagement. En outre, l’inscription de cette règle au Code civil servira l’objectif de lisibilité de la réforme du droit des sûretés4.
Si elle a le mérite de consacrer une règle obscure par sa forme prétorienne, cette consécration n’est pas exempte de critiques. Peut être critiquée en premier lieu l’incohérence entre la suppression de la condition relative aux cautions non averties et le maintien de la sanction de la perte de chance (I). En second lieu, peuvent faire l’objet de critiques deux aspects distincts de la règle retenue, l’un constituant une évolution apparente et l’autre une évolution potentielle dont on peut se demander si elle a été voulue (II).
I – L’incohérence de la réforme quant à la subjectivité de la règle
L’article relatif au devoir de mise en garde rejette la distinction entre les cautions averties ou non. Cette évolution aurait pour avantage d’anéantir le contentieux lié à l’identification des cautions non averties. La suppression d’une condition qui laissait place à l’appréciation subjective des juges semble a priori bienvenue. Pourtant, l’ouverture de la règle à toutes les cautions personnes physiques peut être questionnée (A). Par ailleurs, l’évolution proposée ne ferait pas disparaître toute forme de subjectivité dans l’application de la règle. L’appréciation des juges est prégnante concernant la perte de chance de ne pas contracter. Le maintien de cette sanction met en évidence une incohérence dans les choix retenus par les auteurs de la réforme (B).
A – La suppression annoncée du contentieux liée à l’identification des cautions non averties
Actuellement, seules les cautions non averties sont créancières d’un devoir de mise en garde5. Cette distinction entre les cautions averties ou non pose difficulté dès lors qu’elle est difficile à appréhender. Cette difficulté résulte du fait que les juges du fond sont appelés à faire une appréciation in concreto de la qualité de la caution pour laquelle ils retiennent des critères variés6. Il est vrai que la jurisprudence est sur ce point incertaine7. Or l’incertitude et l’insécurité juridique qui en découle sont particulièrement gênantes en droit des sûretés. Les rédacteurs de l’ordonnance du 15 septembre 2021 ont donc fait le choix de ne pas retenir cette condition afin d’éradiquer le contentieux lié à l’identification des cautions non averties. Les rédacteurs de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés proposé par la chancellerie en décembre 2020 soulignaient « l’important contentieux existant en la matière »8. Il est néanmoins possible de se demander si la solution retenue est bonne.
Il semblait logique que seules les cautions non averties bénéficient du devoir de mise en garde. Cette condition de l’absence de compétence de la caution lui permettant de mesurer elle-même l’importance du risque souscrit était parfaitement adaptée à l’objet de l’obligation et à la finalité de la règle9. En considération de cette condition, seules les cautions ayant besoin d’être alertées sur les risques de leur engagement bénéficiaient de cette règle.
Allant plus loin, il est possible de considérer que les cautions averties qui invoqueraient le défaut de mise en garde seraient de mauvaise foi. Elles utiliseraient la règle pour être déchargées d’une partie de leur engagement, alors même qu’elles avaient connaissance des risques liés à la conclusion du contrat de cautionnement. Ainsi, il semble difficile de se satisfaire de cette suppression de la condition relative à la qualité de caution non avertie qui ouvre un nouveau recours aux cautions de mauvaise foi.
Un doute existe donc quant au bien-fondé de cette évolution et nous conduit à envisager des solutions alternatives. Pour réduire l’incertitude liée à l’exclusion des cautions averties, il aurait été possible de définir les critères d’identification de ces cautions. On a d’ailleurs pu remarquer un début d’objectivisation des critères d’identification des cautions averties en jurisprudence en 201810. La Cour de cassation semblait à cette époque prendre en compte la durée des fonctions de direction exercées par la caution ainsi que le nombre de ces expériences. Cette précision des critères d’identification des cautions averties aurait été plus subtile que la suppression pure et simple de la distinction. Si cette alternative semble moins efficace pour réduire le contentieux lié au devoir de mise en garde, il convient de se méfier des apparences. L’évolution proposée par la réforme se révélerait insuffisante si le contentieux était seulement déplacé sur le terrain de la perte de chance de ne pas contracter.
B – La cristallisation prévisible du contentieux sur la perte de chance de ne pas contracter
La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 modifie la sanction du défaut de mise en garde. L’actuel engagement de la responsabilité du créancier devrait être transformé en une déchéance partielle du cautionnement. Cette évolution doit être accueillie favorablement. Elle permet d’éviter les conséquences bien connues de l’engagement de la responsabilité du créancier envers la caution11. À ce sujet, les rédacteurs de l’avant-projet présenté en décembre 2020 parlaient d’une « source de simplification sur le terrain procédural »12.
Cette évolution bienvenue est sans impact sur le défaut ici mis en évidence. La critique porte sur l’incohérence entre, d’une part, la suppression de la condition relative à la qualité des cautions et, d’autre part, le maintien de la compensation du préjudice subi par la caution. Précisons d’emblée qu’il semble qu’il n’y ait pas d’autres sanctions plus adaptées du défaut de mise en garde de la caution. La sanction par la compensation du préjudice subi par la caution résidant dans la perte de chance de ne pas contracter apparaît comme naturelle13. Cette sanction ne doit, dès lors, pas être critiquée en elle-même. Néanmoins, l’observation du maintien de cette sanction invite à remettre en question l’évolution des conditions d’application de la règle de mise en garde. Précisément, deux défauts apparaissent dès lors que l’on confronte l’évolution du champ d’application et l’absence d’évolution relative à la sanction de la perte de chance : d’une part, la recherche des compétences de la caution ne disparaîtra pas et d’autre part, les juges pourraient en pratique refuser d’appliquer la règle aux cautions averties.
Précisément, si l’on souhaite supprimer la part d’appréciation subjective des juges du fond, cette logique n’est pas poursuivie sur le terrain de la sanction. En effet, la part laissée à l’appréciation des juges est grande concernant la sanction de l’absence de mise en garde. Les juges doivent évaluer la perte de chance de ne pas contracter. En jurisprudence, les juges se montrent réalistes et procèdent à une appréciation in concreto de cette perte de chance14.
On observe effectivement que les juges du fond ont bien compris que « rien n’est moins sûr que le caractère persuasif d’une mise en garde »15, de sorte qu’ils se fondent sur plusieurs critères pour réduire voire anéantir la protection offerte par la mise en garde aux cautions. Tel est le cas en particulier à l’égard des cautions dirigeantes16. Ainsi, le refus de considérer les cautions dirigeantes comme cautions averties ne suffit pas à leur permettre de jouir pleinement de la protection offerte par la mise en garde dès lors que les juges évaluent au rabais leur perte de chance. Le même phénomène pourrait être observé au détriment des cautions averties lorsque la mise en garde sera ouverte à toutes les cautions averties ou non. La disparition de la distinction entre les cautions averties ou non ne permettrait pas de supprimer efficacement la recherche des compétences de la caution par les juges.
La seconde partie de la critique peut être formulée sous la forme d’une interrogation : ne refusera-t-on pas aux cautions personnes physiques qui étaient averties la possibilité d’obtenir la sanction du défaut de mise en garde ? Un tel refus apparaîtrait parfaitement justifié dès lors que la sanction de la mise en garde réside dans la réparation de la perte de chance de ne pas s’engager en tant que caution. En présence d’une caution avertie, on constatera que la caution n’aurait pas refusé de se porter caution si on l’avait mise en garde contre les risques qu’elle connaissait d’ores et déjà17. La caution avertie est entendue comme la caution qui disposait des compétences nécessaires pour mesurer le risque représenté par son engagement. Dès lors, si la caution compétente a choisi de s’engager malgré l’existence d’un risque dont elle avait conscience, il est possible d’affirmer qu’elle aurait fait le choix de s’engager même si le créancier l’avait mise en garde.
Ainsi, le choix de maintenir la sanction de la perte de chance d’une part, et d’ouvrir la protection aux cautions personnes physiques averties d’autre part, semble inefficace pour réduire le contentieux de la mise en garde. Ce contentieux risque d’être simplement déplacé au stade de l’appréciation de la perte de chance. Au-delà de ce choix, d’autres aspects de la règle de proportionnalité peuvent faire l’objet de critiques.
II – Les innovations critiquables de la réforme
Le texte consacrant le devoir de mise en garde ne consacre pas purement et simplement la règle prétorienne : il fait apparaître deux nouveautés. Il propose, d’une part, de soumettre au devoir de mise en garde tous les « créanciers professionnels » (A) et, d’autre part, de supprimer l’un des risques entraînant une obligation de mise en garde (B).
A – La notion de créancier professionnel : une erreur de rédaction ?
Le futur article 2299 du Code civil s’adresse au « créancier professionnel ». Cette expression semble en accord avec la règle jurisprudentielle préexistante dès lors que le devoir de mise en garde a toujours été réservé aux créanciers institutionnels18. Seulement, qui connaît le droit des sûretés sait que la notion de « créancier professionnel » y est entendue largement. Selon la Cour de cassation, en matière de cautionnement, toute personne « dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale » est un créancier professionnel 19. Ainsi, une distinction doit être opérée en matière de cautionnement entre les créanciers institutionnels et les créanciers professionnels20.
Les termes retenus par l’ordonnance imposent de choisir entre la définition large globalement retenue, qui implique une évolution du champ d’application de la règle, et une définition restreinte du créancier professionnel qui dénotera avec l’ensemble des autres règles applicables au cautionnement.
Dans ce choix imposé par la rédaction du texte, nous préférons la cohérence de l’objet de la règle avec son champ d’application plutôt que la cohérence des différents textes entre eux21. Il nous semble que le devoir de mise en garde ne peut pas être étendu à tous les professionnels qui se trouvent créanciers dans le cadre de leur activité. Ce devoir exigeant ne semble pas adapté à tous les milieux professionnels. L’information livrée à la caution dans le cadre de la mise en garde porte sur le risque spécifiquement encouru par la caution en raison de sa situation ou de celle du débiteur principal. Tous les créanciers professionnels ne sont pas en mesure de détecter ce risque et de le porter à la connaissance de la caution. La mise en garde est spécifique au milieu bancaire22. En outre, l’élargissement du champ d’application du devoir de mise en garde au regard des créanciers concernés aurait pour effet d’augmenter sensiblement le contentieux d’application de cette règle.
Il convient de noter par ailleurs que l’expression retenue de « créancier professionnel » ne faisait l’objet d’aucun commentaire de la part des rédacteurs de l’avant-projet. Cette lacune invite à se demander s’ils ont souhaité l’évolution du champ d’application qui découlerait du choix de ces termes. Le dernier aspect de l’évolution du devoir de mise en garde pouvant être critiqué a en revanche fait l’objet d’un choix conscient de la part des rédacteurs de l’avant-projet d’ordonnance publié en décembre 2020.
B – La suppression du risque lié aux facultés de paiement de la caution : une erreur d’analyse ?
La caution n’est créancière d’une obligation de mise en garde que lorsque son cautionnement fait apparaître un risque particulier. À l’heure actuelle, en jurisprudence, deux types de risque entraînent cette conséquence : d’une part, la forte probabilité d’appel de la caution résultant du fait que le crédit est inadapté aux facultés de paiement du débiteur23 et, d’autre part, le risque particulier pesant sur le patrimoine de la caution résultant du fait que le cautionnement est inadapté à ses facultés de paiement. Il s’agit de vraies conditions alternatives de sorte que le risque peut être caractérisé par l’un seul de ces deux éléments. Depuis 2017, la Cour de cassation affirme clairement que le créancier peut être débiteur d’une obligation de mise en garde, alors même que le montant du cautionnement est proportionné aux biens et revenus de la caution24.
La réforme du droit des sûretés fait évoluer la règle sur ce point en imposant au créancier de mettre en garde la caution seulement « lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier ». Cette innovation était soutenue par une partie de la doctrine25.
Cette amputation poursuit un objectif précis : distinguer le devoir de mise en garde de la règle de proportionnalité du cautionnement. Selon les rédacteurs de l’avant-projet « compte tenu de l’exigence de proportionnalité de l’engagement de la caution au regard de ses capacités financières consacrée à l’article 2299 nouveau, il est proposé, dans un souci de clarté, de consacrer le devoir de mise en garde seulement sur le caractère excessif du prêt consenti au débiteur principal au regard de la situation financière de ce dernier »26.
De nombreux auteurs soulignent la confusion du devoir de mise en garde et la règle de proportionnalité27. Cette confusion a également été le fait de la jurisprudence qui a affirmé un temps que le créancier n’était tenu d’aucune obligation de mise en garde en l’absence de disproportion du cautionnement par rapport aux facultés financières de la caution28. Depuis, il est vrai que les juges s’accordent sur le fait que la mise en garde peut être due en l’absence de toute disproportion dans l’hypothèse où le risque est caractérisé par l’inadéquation du prêt consenti aux facultés de remboursement du débiteur. Mais au-delà de cette hypothèse, et si l’on ne tient compte que du risque résultant de la situation de la caution, les auteurs considèrent généralement qu’il faut caractériser une disproportion pour que le créancier soit tenu de mettre en garde la caution.
Il est vrai que le devoir de mise en garde et la proportionnalité recourent à la même technique de mise en comparaison de l’engagement de la caution avec ses facultés de paiement. Pourtant ces deux règles ont des finalités différentes. La première vise à éveiller la conscience de la caution pour lui permettre de choisir de s’engager ou non en toute connaissance de l’existence d’un risque. La seconde protège la caution contre l’insolvabilité : elle empêche le créancier d’agir contre la caution pour une somme qu’elle ne pourrait verser sans se trouver insolvable. L’objet de ces règles diffère également en ce que le devoir de mise en garde n’impose pas au créancier de renoncer au cautionnement qui serait inadapté aux facultés de paiement de la caution.
Pour de nombreux auteurs, ces différences invitent à distinguer plus clairement le devoir de mise en garde et la règle de proportionnalité. Mais est-il nécessaire de supprimer toute référence aux facultés de paiement de la caution dans la règle de mise en garde ? Cette amputation est radicale. Distinguer les deux règles n’impose pas de supprimer toute ressemblance entre elles. Il apparaît regrettable de nier la similitude de méthode dans la recherche du respect de l’obligation de mise en garde et de l’exigence de proportionnalité, alors qu’il serait possible de concilier autrement ces deux règles.
Pour concilier ces règles, il faut observer en premier lieu que la disproportion est plus rigoureuse que le devoir de mise en garde en ce qu’elle impose au créancier de ne pas accepter le cautionnement disproportionné. Cela semble signifier que là où il y a disproportion, il n’y a pas de place pour la mise en garde. En particulier, le devoir de mise en garde serait inutile en présence du couple caution personne physique et créancier professionnel dès lors que la disproportion constatée ferait tomber le cautionnement29. On pourrait alors penser que la mise en garde ne devrait porter sur le risque encouru au regard des capacités financières de la caution, qu’en dehors du champ d’application de la règle de proportionnalité. Cette conciliation des deux règles ne semble pas pertinente dès lors que la règle de proportionnalité, dédoublée en une règle jurisprudentielle et plusieurs règles légales, couvre un champ d’application presque total30.
Une autre voie peut être suivie pour concilier les règles de proportionnalité et de mise en garde. Il conviendrait de considérer que la différence entre la règle de proportionnalité et la mise en garde s’étendrait à l’objet même qui les assimile : la comparaison de l’engagement de la caution et de son actif net. Sur ce point précis, une différence de degré pourrait être reconnue entre les deux règles. La disproportion n’est sanctionnée par la déchéance du cautionnement que lorsqu’elle présente un caractère manifeste. Le défaut de mise en garde pourrait lui être sanctionné dès lors qu’apparaît une disproportion simple ou même une simple inadéquation de l’engagement de la caution à ses capacités de paiement.
À ce sujet, peut être signalée la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui retient la disproportion du cautionnement souscrit pour un montant de 260 000 € alors que la caution avait déclaré disposer d’un patrimoine d’environ 290 000 € et que ses revenus étaient grevés par le remboursement de deux dettes31. La justification retenue par la cour d’appel est insuffisante selon la Cour de cassation. Elle affirme que les motifs retenus sont « impropres à établir la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit, laquelle suppose que la caution se trouve, lorsqu’elle le souscrit, dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus ». Dans une telle situation, les données chiffrées, qui ne permettent pas de caractériser une disproportion manifeste de l’engagement de la caution, ne sont-elles pas suffisamment alarmantes pour justifier a minima de s’assurer que la caution a été mise en garde ? Les juges sont tenus de caractériser une disproportion manifeste pour sanctionner le créancier sur le fondement de la règle de proportionnalité, mais la disproportion simple doit-elle rester sans incidence ? Il nous semble qu’il existe ici une place pour le devoir de mise en garde.
Cet exemple concret met en évidence l’intérêt du devoir de mise en garde en présence d’une inadéquation du cautionnement aux facultés de paiement de la caution. Ainsi, la radiation du devoir de mise en garde dans cette hypothèse ne nous semble pas suffisamment protectrice des intérêts de la caution.
En définitive, même si l’initiative de consécration du devoir prétorien de mise en garde doit être saluée, trois critiques ont été formulées à l’encontre du texte du futur article 2299 du Code civil. La première concerne la suppression de la distinction entre les cautions averties ou non qui nous semble à la fois critiquable en elle-même et au regard de son incohérence avec le maintien de la compensation de la perte de chance. La deuxième porte sur le choix des termes de « créancier professionnel » qui semblent soumettre à ce devoir toutes les personnes se trouvant créancières dans le cadre de leur activité professionnelle. Enfin, la dernière critique porte sur la suppression du devoir de mise en garde en présence d’une inadéquation du cautionnement aux facultés de paiement de la caution.
Notes de bas de pages
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1.
Sur le devoir de mise en garde du débiteur : Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 02-13155 ; Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-10770 ; Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-10115 ; Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-10921 : Bull. civ. I, nos 324 à 327 – Cass. com., 3 mai 2006, n° 02-11211 : Bull. civ. IV, n° 102 – Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-14114 : Bull. civ. IV, n° 145 – Sur le devoir de mise en garde de la caution : Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19315 : Bull. civ. IV, n° 103 – Cass. com., 13 févr. 2007, n° 04-19727 : Bull. civ. IV, n° 31.
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2.
V. C. consom., art. L. 312-14 et s. ; C. consom., art. L. 313-11 et s.
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3.
3 Elle n’avait pourtant pas été proposée par l’avant-projet Grimaldi. Cette lacune a été critiquée : M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 2020, Sirey, p. 103 et 104, n° 162 ; A. Gouëzel et L. Bougerol, « Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification », D. 2018, p. 678.
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4.
V. L. n° 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, art. 60, qui vise non seulement un objectif de simplification général, mais invite aussi précisément le gouvernement à « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique ».
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5.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés entrera en vigueur le 1er janvier 2022 (v. art. 37).
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6.
Pour une étude détaillée des critères d’identification de ces cautions : M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 2020, Sirey, p. 105 et s., n° 164. Ces auteurs mettent en évidence différents critères : « La compétence en matière de financement, qui résulte d’une formation spécifique et du parcours professionnel antérieur à la souscription du cautionnement : l’implication dans le financement de l’entreprise garantie ; la durée des fonctions exercées au sein de la société débitrice ».
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7.
V. notamment A.-S. Barthez, « Cautionnement - Devoir de mise en garde », RDC 2017, n° 113z6, p. 71, pour qui « il serait tout à fait vain de chercher à trouver une cohérence entre des décisions rendues à l’occasion d’espèces aux circonstances toujours particulières ou de tenter de dégager des analyses qui pourraient être délivrées « clés en main » à des créanciers légitimement soucieux de connaître les devoirs qui pèsent sur eux ».
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8.
V. les commentaires des auteurs accompagnant le texte de l’article 2300 de l’avant-projet.
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9.
En ce sens : D. Houtcieff, « Présomption de proportionnalité du cautionnement et devoir de mise en garde du créancier : en attendant la réforme ! », Rev. sociétés 2021, p. 174 : « La légitimité d’une déchéance du créancier n’ayant pas mis en garde une caution parfaitement avertie est en effet discutable ».
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10.
V. M. Bourassin, « Mise en garde des cautions : florilège de solutions favorables aux banques », Gaz. Pal. 12 juin 2018, n° 324g0, p. 67.
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11.
V. P. Simler et P. Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., 2016, Précis Dalloz, p. 187 et s., n° 190 ; F. Boucard, « La réparation du préjudice causé à la caution – État des lieux et perspectives d’avenir », Droits bancaire et financier. Mélanges AEDBF-France VI, 2013, Revue banque, p. 151 ; A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, 1re éd., 2010, LGDJ, n° 667 ; P. Simler, obs. sous Cass. com., 3 nov. 2010, n° 09-16173, JCP E 2011, 226 ; D. Legeais, « Absence d’effet de la compensation invoquée par la caution sur la dette principale garantie », RTD com. 2012, p. 389 ; N. Martial-Braz, « Cautionnement – Compensation et cautionnement : les liaisons dangereuses ! », RD bancaire et fin. 2012, n° 5, dossier 42.
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12.
V. les commentaires des auteurs accompagnant le texte de l’article 2300 de l’avant-projet.
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13.
Le texte retenu pour le futur article 2299 dispose que le créancier ayant manqué au devoir de mise en garde « est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci » alors que le texte de l’article 2300 de l’avant-projet d’ordonnance disposait de manière plus explicite : « Le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur de la perte de chance de ne pas contracter celle-ci a été privée ». Sur le fond, ces deux sanctions sont identiques bien que la version finale de la réforme ne mette pas en évidence le recours à la perte de chance de ne pas contracter.
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14.
Prise en compte notamment des liens entre la caution et le débiteur : Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-27809.
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15.
M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 2020, Sirey, p. 108, n° 166.
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16.
Sur ce phénomène : M. Bourassin, « Mise en garde des cautions : florilège de solutions favorables aux banques », Gaz. Pal. 12 juin 2018, n° 324g0, p. 67.
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17.
En sens contraire, M. Bourassin observe que la Cour de cassation a admis que la connaissance par la caution du caractère disproportionné de son engagement ne l’empêche pas de se prévaloir du défaut de mise en garde. Cass. com., 30 nov. 2010, n° 10-30274, D. Cet arrêt ne nous semble pas parfaitement clair en ce sens (v. M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 2020, Sirey, p. 108, nos 100 et 166).
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18.
Sans qu’aucun arrêt ne rejette explicitement l’application du devoir de mise en garde à un créancier non institutionnel, tous les auteurs de doctrine s’accordent à dire que ce devoir est leur est réservé.
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19.
À l’origine, seule l’activité principale du créancier était prise en considération : Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08-15910 : Bull. civ. I, n° 173 ; Contrats, conc. consom. 2009, comm. 255, note G. Raymond ; JCP G 2009, 286, note D. Legeais ; Dr. sociétés 2009, prat. 9, obs. A. Cerles ; RTD civ. 2009, p. 758, note P. Crocq ; Dr. & patr. 2012, n° 893, obs. P. Puig. Les juges visent « celui dont la créance a un rapport direct avec son activité professionnelle principale ». Depuis cet arrêt, la formule des juges a évolué : l’activité professionnelle visée peut être principale ou non. Cette jurisprudence relative aux mentions prévues aux actuels articles L. 331-1 et L. 331-2 du Code de la consommation a été étendue aux autres règles du cautionnement inscrites dans le Code de la consommation.
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20.
En témoigne l’affirmation suivante : « La tendance législative dominante depuis plusieurs années consiste à faire peser des obligations sur les seuls créanciers professionnels. À cette fin, la loi vise, implicitement ou explicitement, les “établissements de crédit” ou, plus largement, les “créanciers professionnels” ». M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 2020, Sirey, n° 100, p. 71.
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21.
Ce choix exprimé à regret aurait pu être évité si la notion de créancier institutionnel avait été préférée à celle de créancier professionnel dans la rédaction finale de l’article 2299 du Code civil.
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22.
Rappelons que les créanciers institutionnels sont par ailleurs tenus de mettre en garde le débiteur lorsque le crédit consenti présente un risque particulier.
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23.
Cass. com., 24 mai 2018, n° 17-16280, D : la Cour de cassation valide l’arrêt de la cour d’appel qui a relevé l’existence d’un risque « né de l’octroi du prêt résultant de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de la société débitrice principale ».
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24.
Cette solution était déjà affirmée par la première chambre civile en 2015. V. Cass. 1re civ., 14 oct. 2015, n° 14-14531. Elle a été adoptée plus tard par la chambre commerciale : Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-16790 : en l’espèce, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que la banque était débitrice d’une obligation de mise en garde de la caution non avertie dès lors que « l’opération était vouée à l’échec dès son lancement », « peu important que [le cautionnement ait été] adapté [aux] capacités financières [de la caution] » ; C. Juillet, BJS janv. 2018, n° 117e5, p. 34 ; M. Mignot, LEDB janv. 2018, n° 111b3, p. 6 ; M. Roussille, Gaz. Pal. 27 févr. 2018, n° 314w1, p. 63. Cette solution a été confirmée par divers arrêts : Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-18701, D : la cour d’appel avait retenu des « motifs impropres à établir l’existence d’un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur, imposant à la banque de mettre en garde la caution, non avertie, contre un tel risque en dépit du caractère adapté de son engagement à ses capacités financières » ; Cass. com., 1er juill. 2020, nos 18-24435 et 18-24436 ; Cass. com., 21 oct. 2020, n° 18-25205.
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25.
Proposé en doctrine avant la publication de l’avant-projet de décembre 2020 : M. Bourassin, « Quelle réforme pour la formation du cautionnement ? », in Y. Blandin et V. Mazeaud (dir.), Quelle réforme pour le droit des sûretés, 2019, Dalloz, p. 99, n° 25 ; A. Gouëzel et L. Bougerol, « Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification », D. 2018, p. 678 ; F. Binois, « Pour une autre définition du devoir de mise garde en droit des sûretés », LPA 30 janv. 2020, n° 150k4, p. 10 ; F. Juredieu, « L’articulation de la proportionnalité en droit du cautionnement », RLDC 2017/5, p. 19.
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26.
V. les commentaires des auteurs accompagnant le texte de l’avant-projet publié en décembre 2020.
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27.
P. Simler et P. Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., 2016, Précis Dalloz, p. 184, n° 188 : « La subordination du devoir de mise en garde à l’existence d’un risque excessif rapproche cette hypothèse de celle de l’engagement disproportionné » ; M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 2020, Sirey, p. 107, n° 165 : « La prise en compte de ce […] facteur de risque brouille apertement les frontières entre l’exigence de proportionnalité et le devoir de mise en garde ».
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28.
Cass. com., 3 nov. 2015, n° 14-17727, D : M. Bourassin, Gaz. Pal. 8 mars 2016, n° 259n9, p. 73 ; v. C. Albiges, « Retour sur l’articulation entre devoir de mise en garde de la caution et exigence de proportionnalité », Gaz. Pal. 3 nov. 2020, n° 389x4, p. 29.
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29.
En application de la règle de l’article L. 332-1 du Code de la consommation.
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30.
Bien que les créanciers non professionnels ne soient pas soumis à la règle de proportionnalité du futur article 2300 du Code civil, contrairement à la proposition formulée à l’article 2299 de l’avant-projet de réforme publié en décembre 2020.
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31.
Cass. com., 28 févr. 2018, n° 16-24841 : Bull. civ. IV, n° 24.
Référence : AJU002d8