Application immédiate de la loi ALUR du 24 mars 2014 : la majoration pour restitution tardive du dépôt de garantie
Dans un arrêt rendu le 17 novembre 2016, la Cour de cassation considère que « la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 s’applique à la demande de restitution formée après l’entrée en vigueur de cette dernière loi ». De ce fait, une juridiction de proximité qui a constaté que le bailleur était tenu de restituer le dépôt de garantie au plus tard le 17 décembre 2014, peut en déduire à bon droit qu’il était « redevable à compter de cette date du solde du dépôt de garantie majoré ».
Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, no 15-24552, PB
En l’espèce, des preneurs à bail d’une maison d’habitation depuis le 7 juin 2012 ont donné congé au bailleur le 3 juin 2014. Ils libèrent les lieux le 3 juin 2014 et assignent le propriétaire en restitution du dépôt de garantie sur le fondement de la loi du 24 mars 1989 telle que modifiée par la loi du 24 mars 2014. La juridiction saisie, une juridiction de proximité, constatant que le bailleur était tenu de restituer le dépôt au plus tard le 17 décembre 2014, en déduit qu’il était redevable à compter de cette date du solde du dépôt de garantie majoré.
Le bailleur se pourvoit en cassation car selon lui, aux termes de l’article 14 de la loi du 24 mars 2014, les contrats de location en cours à la date de son entrée en vigueur demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables. Le bailleur considère qu’en faisant néanmoins application de la loi du 6 juillet 1989, telle que modifiée par la loi du 24 mars 2014, au contrat de location conclu avec les preneurs le 7 juin 2012, la juridiction de proximité a violé l’article 14 de la loi du 24 mars 2014 et l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa version alors applicable à l’espèce.
La Cour de cassation devait donc déterminer si la majoration prévue à l’article 22 de la loi du 6 juillet dans sa version révisée de 2014 est applicable à des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle.
Cette question de pure application de la loi dans le temps est tranchée clairement par la Cour : « La loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 s’applique à la demande de restitution formée après l’entrée en vigueur de cette dernière loi ». Ainsi, la juridiction de proximité a appliqué la loi légitimement en considérant qu’il y avait lieu de majorer le montant du dépôt de garantie non restitué dans les délais.
La Cour fait donc une application stricte du principe selon lequel les effets légaux non définitivement réalisés des situations juridiques créées antérieurement sont régis par la loi nouvelle (I). Ainsi, toutes les restitutions retardées des dépôts de garantie seront majorées en application de la loi nouvelle (II), quand bien même les parties auraient contracté avant son entrée en vigueur.
I – L’application de la loi nouvelle aux effets légaux des situations juridiques nées antérieurement et non définitivement réalisées
La question de l’application de la loi dans le temps est parfois délicate. Souvent, la Cour de cassation est amenée à rappeler un certain nombre de principes, comme elle le fait dans la présente décision : les effets légaux d’une situation juridique née antérieurement sont régis par la loi nouvelle (A). La question se pose ici dans une matière contractuelle réglementée : le bail d’habitation (B).
A – Les effets légaux d’une situation juridique née antérieurement
Le principe posé par le Code civil est le suivant : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » (C. civ., art. 2). Ainsi, la loi ne produit des effets que pour l’avenir, sans modifier les situations et les effets juridiques antérieurs.
La règle de non-rétroactivité des lois est une règle d’ordre public. Elle peut donc être soulevée d’office par le juge1. Mais il est constant que le législateur peut, en matière civile et lorsque cette intervention est « justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général », adopter des dispositions rétroactives, sans que « le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme s’y opposent »2. Le seul domaine dans lequel le principe est d’interprétation très stricte est le droit pénal. Mais il faut également préciser qu’il existe des exemptions, notamment la rétroactivité in mitius.
En matière civile, le principe n’étant pas d’application absolue, des dispositions législatives peuvent être déclarées expressément rétroactives par le législateur. Elles vont donc s’appliquer à des situations nées antérieurement. Les lois de procédure sont par ailleurs, par principe, d’application immédiate et vont donc être appliquées aux instances en cours.
En droit social, la Cour de cassation a aussi précisé que l’ordre public social impose l’application immédiate, aux contrats de travail en cours et conclus avant leur entrée en vigueur, des lois nouvelles ayant pour objet d’améliorer la condition ou la protection des salariés3.
En matière contractuelle, la Cour de cassation a établi un principe par une décision rendue en 18614. Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises, notamment par une décision de le Cour de cassation en date du 3 juillet 1979, selon laquelle les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions sous l’empire desquelles ils ont été passés5. La Cour de cassation a même précisé que ce principe reste valable si la loi est d’ordre public. Selon la Cour, il faut que le législateur déclare la loi expressément rétroactive pour que le principe soit contourné6.
Mais cette jurisprudence constante est nuancée par la Cour de cassation en ce qui concerne les effets légaux du contrat, c’est-à-dire ceux qui découlent de l’application de la loi. La Cour de cassation a ainsi précisé que « les effets légaux d’un contrat sont régis par la loi en vigueur au moment où ils se produisent »7. Cette jurisprudence est logique, le but étant d’appliquer des dispositions importantes aux contrats en cours. Exclure du champ d’application tous les contrats conclus avant l’entrée en vigueur d’une loi impérative qui protège une catégorie de contractants, reviendrait à créer des disparités effectives entre des cocontractants en fonction de la date d’engagement.
En l’espèce, le litige concerne un contrat. En principe donc, le contrat reste régi par la loi en vigueur au moment de la signature. Mais le contrat en question est un bail d’habitation, un contrat spécial. Les juges de la Cour de cassation, comme les juges du fond, tiennent compte de cet élément pour répondre au problème posé.
B – L’application de la loi nouvelle aux effets légaux juridiques résultant d’un contrat de bail
Le bail d’habitation est un contrat réglementé. Il s’agit d’un contrat prévoyant un usage particulier d’un bien immobilier : le logement de personnes. Le contrat de bail est défini par l’article 1709 du Code civil : « Le louage de choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer ». Cette définition générale s’applique bien au bail d’habitation, qui répond néanmoins à des règles particulières. Le but du législateur de 1989 et aussi de celui de 2014, est en effet de garantir un certain nombre de droits aux preneurs vis-à-vis des bailleurs-propriétaires.
En l’espèce, un contrat est signé en 2012, sous l’empire de la loi ancienne. Néanmoins, avant que les preneurs quittent définitivement les lieux suite au congé qu’ils ont donné au propriétaire, une nouvelle loi vient modifier l’ordonnancement juridique du droit immobilier et notamment les effets du contrat de bail locatif : la loi du 24 mars 2014 dite loi ALUR8.
La Cour de cassation considère que l’ensemble des nouvelles dispositions de la loi sont applicables aux effets légaux non encore réalisés. Il ne s’agit donc pas d’appliquer rétroactivement la loi aux contrats et aux effets passés, définitivement réalisés, mais d’appliquer immédiatement la loi nouvelle aux effets juridiques postérieurs à la loi.
En l’espèce, les juges du fond avaient donc valablement appliqué l’exception posée par la Cour de cassation en matière contractuelle.
La Cour de cassation, en validant la décision rendue par les premiers juges, indique la bonne manière d’appliquer l’article 14 de la loi du 24 mars 2014, sur la base duquel le pourvoi est formé. Cet article dispose en effet que « les contrats de location en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables ». L’auteur du pourvoi entendait prouver que les juges du fond n’avaient pas tenu compte de cette disposition. Mais l’argument n’est pas accepté par la Cour de cassation qui, dans la logique de sa jurisprudence, confirme que les articles qui règlementent les effets légaux des contrats conclus antérieurement sont applicables aux contrats en cours.
II – La majoration des restitutions des dépôts de garantie retardées
Régulièrement, la question des restitutions des dépôts de garantie est l’objet de litiges devant les juges du fond (A). Dans la décision commentée, la Cour de cassation confirme l’application de la nouvelle majoration des restitutions tardives (B).
A – Les restitutions des dépôts de garantie
Le dépôt de garantie9 est une somme demandée par le bailleur à son preneur, pour « garantir l’exécution de ses obligations locatives par le locataire »10. S’il n’est pas obligatoire pour le bailleur de demander une telle garantie, le montant de ce dépôt est limité depuis la loi du 8 février 2008 à un mois de loyer si elle est prévue au contrat. Cette somme n’est pas productive d’intérêts et en aucun cas le montant du dépôt ne peut être révisé. Ainsi, le bailleur ne peut exiger son augmentation lors du renouvellement, quand bien même le montant initial était inférieur au maximum légal autorisé. Par ailleurs, l’article 22 de la loi de 1989 modifiée, précise qu’un dépôt de garantie ne peut être prévu lorsque le loyer est payable d’avance pour une période supérieure à deux mois. La nouvelle réglementation permet d’éviter que le bailleur immobilise une somme trop importante au détriment du preneur, qui se trouve souvent dans une position de faiblesse.
Selon le même article, le dépôt de garantie est « restitué dans un délai maximal de deux mois à compter de remise en main propre, ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, des clés au bailleur ou à son mandataire déduction faite, le cas échéant, des sommes restant dues au bailleur et des sommes dont celui-ci pourrait être tenu, aux lieu et place du locataire, sous réserve qu’elles soient dûment justifiées ». Mais il doit être restitué « dans un délai maximal d’un mois à compter de la remise des clés par le locataire lorsque l’état des lieux de sortie est conforme à l’état des lieux d’entrée, déduction faite, le cas échéant, des sommes restant dues au bailleur et des sommes dont celui-ci pourrait être tenu, en lieu et place du locataire, sous réserve qu’elles soient dûment justifiées ».
Il y a donc une obligation de restituer rapidement la somme versée si l’état des lieux de sortie ne met pas en évidence des dégradations importantes.
Par ailleurs, le principe est que l’intégralité de la somme doit être restituée. Le bailleur peut néanmoins déduire différentes sommes11. En particulier, les sommes dues par le locataire, comme des loyers et les charges impayées, la taxe d’habitation… peuvent être retenues, mais, dans tous les cas, le bailleur est tenu de justifier les déductions. La Cour de cassation a même confirmé que la charge de la preuve de la réalité des sommes prétendument dues appartient au bailleur12.
De plus, les juges ont considéré que l’obligation de restitution incombe au bailleur et non à son mandataire. En effet, dans un arrêt rendu le 16 juin 1999, la troisième chambre de la Cour de cassation a précisé que le preneur était sans lien de droit avec le mandataire du bailleur. Ainsi, l’insolvabilité d’un mandataire n’avait aucune incidence sur la relation contractuelle entre le bailleur et le preneur et sur l’obligation faite au bailleur de restituer le dépôt de garantie. Le bailleur est donc seul tenu à l’obligation de restitution13.
En ce qui concerne la procédure, les textes ne semblent pas imposer une mise en demeure préalable pour agir en restitution. En cas de litige sur la restitution du dépôt de garantie, la juridiction de proximité est compétente lorsque la somme réclamée est inférieure à 4 000 €. Elle est aussi compétente pour connaître, dans la limite de 4 000 €, de toute demande reconventionnelle liée à la demande principale14.
En l’espèce, la demande a été faite auprès de la juridiction de proximité de Bourges, le 28 juillet 2015, qui a rendu sa décision en dernier ressort, la somme demandée étant inférieure à 4 000 €. Une partie de la somme à restituer a été versée, reste un reliquat, objet du litige.
B – L’application de la majoration pour restitution tardive
L’action fondée sur la nouvelle législation tend à montrer que la somme restante doit être majorée conformément à l’article 22 de la loi de 1989 telle que modifiée par la loi du 24 mars 2014. Selon cet article, dans sa version modifiée par la loi de 2014, « à défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d’une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard ».
Le droit antérieur prévoyait que le solde des sommes non restituées produisait des intérêts au taux légal au profit du locataire. Mais les juges du fond écartent l’ancienne législation et appliquent la nouvelle majoration. Il est évident que le régime actuel est plus contraignant pour le bailleur, puisque la majoration est très supérieure au taux applicable avant son entrée en vigueur. Comme on l’a fait remarquer, le taux d’intérêt est en effet proche de 0 % ces dernières années, un taux « absolument pas dissuasif »15. Il faut néanmoins préciser que l’application de la majoration est écartée lorsque l’origine du défaut de restitution dans les délais résulte de l’absence de transmission par le locataire de l’adresse de son nouveau domicile, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.
Dans la décision commentée, la Cour de cassation confirme donc la solution retenue par la juridiction de proximité. Selon elle, la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, « il en résulte que la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi s’applique à la demande de restitution formée après l’entrée en vigueur de cette dernière loi ». Ainsi, l’application de la loi nouvelle résulte de la prise en compte du moment auquel la demande a été formée. Si la demande intervient après l’entrée en vigueur de la loi, alors la loi nouvelle s’applique, a contrario, l’ancienne législation est applicable.
Certes la somme en question n’est pas très élevée, mais la Cour de cassation doit légitimement rappeler ces principes et garantir la bonne application de la loi nouvelle. En effet, dans le domaine des baux d’habitation, le but du législateur est d’améliorer la relation bailleur-preneur, mais aussi de garantir à la partie la plus faible le respect d’une certaine justice sociale. En faisant application de la loi aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi, la Cour permet d’éviter l’exclusion du champ d’application de nombreux contrats conclus antérieurement.
Il faut enfin préciser que le délai de prescription de l’action en restitution est de trois ans, en application de l’article 7-1 de la loi de 1989 modifiée par la loi du 24 mars 2014. En l’espèce, le preneur ayant quitté les lieux loués le 17 octobre 2014, le bailleur était tenu de restituer l’intégralité de la somme déposée avant le 17 décembre 2014. Le bailleur ne s’étant pas exécuté, le preneur intente ainsi une action en justice dans les délais.
En validant le raisonnement de la juridiction de proximité, la Cour de cassation indique que tous les effets légaux de la loi nouvelle seront applicables à tous les contrats en cours lors de son entrée en vigueur. Elle ne fait que confirmer une des dispositions de la loi Macron16. En effet, l’article 82 de ladite loi précise que si « jusqu’à leur renouvellement ou leur reconduction tacite, les contrats des locations mentionnées au deuxième alinéa de l’article 2 et au premier alinéa de l’article 25-3 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 en cours à la date de publication de la présente loi demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables », « toutefois : 1° L’article 22 ainsi que l’article 24, dans sa rédaction résultant du présent article, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée leur sont applicables ».
Cette décision va sans aucun doute inciter les bailleurs à restituer dans les délais les sommes conservées en dépôt, la sanction financière étant proportionnellement importante et, dans tous les cas, plus dissuasive que la précédente.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 3e civ., 21 janv. 1971, n° 70-10543.
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2.
Cass. com., 14 déc. 2004, n° 01-10780 : Bull. civ. IV, n° 227 ; p. 430.
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3.
Cass. soc., 12 juill. 2000, n° 98-43541 : Bull. civ. V, n° 278.
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4.
Cass. civ., 27 mai 1861 : S. 1861, 1, p. 507.
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5.
Cass. 3e civ., 3 juill. 1979, n° 77-15552 : Bull. civ. III, n° 149.
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6.
Cass. 3e civ., 17 févr. 1993, n° 91-10942.
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7.
Par ex., v. Cass. 3e civ., 18 févr. 2009, n° 08-13143 : Bull. civ. III, n° 40 – Cass. 3e civ., 8 févr. 1989, n° 87-18046 : Bull. civ. III, n° 33.
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8.
Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, v. par ex. sur cette loi : Damas N., « La loi ALUR et les baux d’habitation », AJDI 2014, p. 334.
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9.
Sur cette notion, v. Damas N., « La loi ALUR et les baux d’habitation », préc.
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10.
L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 22, al. 1er.
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11.
L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 22.
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12.
Cass. 3e civ., 1er févr. 2011, n° 10-11603.
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13.
Cass. 3e civ., 16 juin 1999, n° 97-16991.
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14.
Cass., avis, 10 oct. 2005, n° 05-00023 : Bull. civ., n° 7.
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15.
V. Blatter J.-P., JCl. Bail à Loyer, fasc. 66.
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16.
L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.