119e Congrès des notaires de France

Conforter la location privée et développer l’accession à la propriété

2e commission « Favoriser l’accès au logement »
Publié le 27/09/2023

Bruno Levy

Actu-Juridique : La crise du logement fait la une des journaux depuis quelques semaines. Le CNR Logement a rendu ses premières conclusions qui semblent être plus des intentions que des solutions concrètes. Comment tout cela a-t-il inspiré vos travaux ?

Xavier Lièvre : Le premier travail des rapporteurs est de faire l’inventaire de ce qui existe dans notre système juridique et fiscal au sujet du thème retenu. Nous avons adopté un plan qui suit les étapes du parcours résidentiel : de la location à la propriété. Il fallait déjà savoir comment on accède au logement, pour voir ensuite comment on pouvait favoriser les divers modes d’accès. Ce travail est l’occasion de faire émerger des incohérences, des blocages, des manques réglementaires, ce qui amène naturellement les propositions.

Paul Bernard : La crise n’est pas apparue cette année : elle existe depuis longtemps. C’est tout le talent de l’ACNF (Association du congrès des notaires de France), du président et du rapporteur général d’avoir choisi ce thème alors que le logement ne faisait pas encore la une. Il y a eu en fait trois périodes : au début, en 2021, le logement n’était pas un sujet qui ressortait, puis la campagne présidentielle a installé le sujet d’une manière assez particulière : tous les acteurs du logement se sont étonné que le logement n’ait pas été mis au cœur de la campagne, comme si les candidats n’en faisaient pas un sujet d’importance. Trop technique, trop risqué politiquement sans doute. Mais après l’élection, la pression est montée, la nomination d’un nouveau ministre et la mise en place du CNR Logement (Conseil national de la refondation) ont incité les uns et les autres à faire des propositions.

Yann Judeau : Nous nous sommes donc retrouvés au cœur de l’actualité, mais nous avons constaté que nous étions, néanmoins, un peu décalés. Le débat qui s’est installé se focalise sur la production du logement, qui relève de la 1re commission, et sur les aides, qui ne relèvent qu’en partie de notre commission. Les nombreuses contributions des acteurs de l’habitat (bailleurs sociaux, organismes professionnels, etc.) font bien ressortir les problématiques du logement, mais se heurtent assez vite au caractère très technique de ces questions. Il en résulte de nombreuses déclarations d’intentions, certes louables, mais peu concrètes, et en tout cas assez éloignées du niveau de propositions qu’on attend d’un congrès des notaires.

AJ : Vous vous mettez une pression forte ! Quels sont les thèmes sur lesquels vous pourriez illustrer cet écart entre les contributions des acteurs du logement et ce qu’on attend d’un congrès ?

Xavier Lièvre : Le premier thème est celui d’un statut pour le bailleur privé. Le ministre du Logement a indiqué dès sa première déclaration qu’il en ferait une priorité, sans donner aucune piste. Les promoteurs et autres professionnels, inquiets de la fin du régime de défiscalisation organisé (après bien d’autres) par la loi Pinel, et dans un contexte de tensions diverses (hausse des coûts, surenchérissement foncier, raréfaction des financements bancaires, etc.) en demandent l’avènement, mais on comprend vite qu’il devrait, selon eux, consister en un énième régime de défiscalisation reposant essentiellement sur la technique fiscale de l’amortissement.

Le président de la République et le gouvernement ont pourtant prévenu : ces aides favorisent, en fait, l’émergence d’un marché artificiel et la France ne dispose plus des moyens budgétaires propres à les financer. Il nous semble, dès lors, qu’on ne peut envisager l’avenir en employant les mêmes méthodes. C’est pourquoi nous allons proposer un statut pérenne pour le bailleur privé, et tout le talent de Yann est d’en avoir dégagé les idées clés.

Yann Judeau : Effectivement, quand on connaît bien la fiscalité, que j’enseigne à l’université de Rennes, on sait que rien n’est simple et que lorsqu’on actionne un curseur, on prend le risque de déstabiliser tout un édifice. Sur un sujet aussi complexe, il nous a semblé qu’on attendait du congrès des notaires une proposition structurée et simplificatrice.

Nous avons donc choisi de formuler une proposition cohérente avec les règles existantes. Il ne s’agit pas de les réinventer, mais seulement de leur donner plus de sens. Notre proposition embrasse la fiscalité des revenus locatifs, en nu ou en meublé, celle des plus-values, les déficits, l’IFI, et le statut du bailleur professionnel.

Pour autant, il n’est pas question de contraindre quiconque à se soumettre à ce régime. Il faut laisser place à la liberté, comme le législateur le fait, par exemple, lorsqu’il permet à une SCI d’opter pour l’impôt sur les sociétés, ou de rester translucide. Le sujet est souvent mal appréhendé dans sa globalité par nos interlocuteurs. Mais le résultat auquel nous sommes parvenus intéresse beaucoup ceux auprès de qui nous l’avons testé.

Paul Bernard : Autre exemple relatif aux nombreux modes d’accession. Dire qu’il faut favoriser le bail réel solidaire, ce n’est pas répondre à la question de la crise du logement, car cela laisse penser qu’il existerait une formule magique et une seule. La partie centrale de notre rapport concerne tous les modes d’accession innovants, autour de ce que réalise le bail réel solidaire : une répartition de la valeur du logement entre plusieurs personnes. La valeur foncière reste entre les mains d’un organisme de foncier solidaire, et la valeur bâtie est acquise par l’accédant.

Nous avons donc orienté nos travaux autour de cette recherche de partage de la valeur du logement, un partage que nous avons qualifié d’horizontal dans les solutions de coacquisition en indivision ou en société, et de vertical dans les solutions reposant sur le démembrement du droit de propriété et l’ensemble des baux constitutifs de droits réels.

Xavier Lièvre : Comme vous le voyez, nos propositions vont inviter chacun à prendre de la hauteur, pour poser des bases solides à la fiscalité locative et aux modes d’accession aidés à la propriété. Nonobstant l’actualité du sujet, elles ne sont pas directement liées à la conjoncture et n’ont pas vocation à accompagner uniquement la sortie de crise. Il s’agit davantage de permettre à des mesures conjoncturelles, que nous laissons aux pouvoirs publics le soin de définir, de s’appuyer sur un système juridique et fiscal solide, ce qui les rendra d’autant plus efficaces.

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