119e Congrès des notaires de France

Conserver son logement, le transmettre et l’adapter aux besoins nouveaux

3e commission « Pérenniser son logement »
Publié le 27/09/2023

Vincent Morati, Agnès Maurin et Emmanuelle Courchelle

Bruno Levy

Actu-Juridique : Pourquoi disposer d’un logement ne constitue pas en fait une situation pérenne ?

Il est vrai que se noue ici un certain paradoxe.

Investir dans l’acquisition d’un logement, c’est investir dans la durée, la stabilité, le très long terme, compte tenu du poids financier à mobiliser. Réalité de toujours, mais accrue par l’explosion quasi ininterrompue des prix depuis bientôt trente ans. Quand on considère l’engagement d’un particulier pour accéder à cette propriété du logement, le sociologue dirait que l’on se trouve sans doute en face de l’une des dernières formes d’engagement massif et irrévocable, dans un monde où l’individu recherche plutôt la réversibilité.

Et si l’on grossit le focus d’observation, on constate que cet engagement est le plus souvent le fait d’un couple, tant pour des raisons économiques (financer à deux) que personnelles (le logement vu comme l’écrin du début d’une histoire commune).

Or la rude loi des statistiques nous apprend qu’aujourd’hui la durée d’existence de nombreux couples est en moyenne plus faible que celle des emprunts immobiliers (même si, par ailleurs, certains peuvent s’alarmer du fait que le plafonnement des durées de crédits à 25 ans, suivant les orientations prises en 2021 par le HCSF, s’avère trop contraignant pour cette catégorie d’actifs !).

Cela revient à dire que sur deux couples s’endettant pour acheter ou construire leur foyer, seul l’un des deux poursuivra sa vie commune jusqu’au complet remboursement des emprunts ; l’autre se séparera avant.

Voici donc l’une des premières raisons pour lesquelles la détention du logement ne sera pas pérenne : lorsque le couple qu’il sous-tend disparaît. En effet, lors d’un divorce, d’une rupture de pacs, d’une séparation de concubins, le sort du logement acquis sera soumis à rude épreuve. Vivre ensemble n’étant plus possible, l’un des deux membres sera en quête d’un nouveau logement, ce qu’il devra de nouveau budgéter. L’autre n’aura pas forcément les moyens d’assumer à la fois la prise en charge des échéances bancaires résiduelles, et le rachat des droits de son ex-conjoint. Bien souvent la vente du logement, et la répartition d’un solde net plus ou moins faible, sera l’unique solution pour repartir à zéro, mais en présence de prix de logements plus onéreux que lors de la phase précédente. Le solde sera donc parfois insuffisant, et l’accession à la propriété sera un rêve à oublier.

Deuxième hypothèse : celle de la faillite. Les difficultés professionnelles peuvent projeter des recours de multiples créanciers contre le patrimoine familial, en ce compris le logement. Certes, l’entrepreneur individuel, à la suite d’interventions législatives successives, est beaucoup plus protégé aujourd’hui, notamment depuis la loi n° 2022-172 du 14 février 2022. Mais plusieurs hypothèses existent où la séparation des patrimoines dont il jouit désormais, voire l’insaisissabilité du logement dont il profite automatiquement depuis 2015, pourront être remises en question.

Quant à celui qui a fait le choix de bien structurer son activité à travers une ou plusieurs sociétés, il se trouve finalement moins bien protégé aujourd’hui, du fait du caractère asymétrique des réformes ci-dessus évoquées. C’est un sujet sur lequel le 119congrès des notaires proposera d’intervenir, pour une égalité des chances de tous dans l’aventure entrepreneuriale et les impacts relatifs au logement.

Troisième situation où la pérennité du logement peut se voir sérieusement ébranlée : le décès bien sûr, comme nous l’aborderons plus amplement ci-dessous. Mais aussi, et avant lui, le contexte de la retraite, puis du grand âge. Situations où, contrairement aux idées reçues, le besoin de liquidités peut ne pas baisser, voire croître, pour des raisons de santé, d’adaptation à la dépendance… Et dans le domaine du logement, la courbe des dépenses ne pourra que s’enfler, dans un univers inflationniste tant pour les normes énergétiques que pour le coût des travaux qu’elles rendent obligatoires. Or ces besoins de liquidité chez les personnes âgées répondent à un fort taux de concentration de la propriété immobilière, bien plus prononcé que chez les jeunes générations.

Une conjonction est donc à trouver, afin de favoriser les solutions propices à la monétisation du logement tout en facilitant le maintien à domicile, si vertueux pour les finances publiques en plus de connaître l’attachement des Français. Ces solutions très anciennes (vente en viager, vente de nue-propriété…), ou alors quasiment mortes-nées (prêt viager hypothécaire) offrent des solutions incomparables, et méritent amplement d’être redécouvertes et poussées en avant.

AJ : La liberté de disposer de son logement est-elle toujours totale ?

Non, ici moins qu’ailleurs la pleine propriété ne correspond pas forcément à la pleine souveraineté, et c’est sans doute une illustration de cette typicité du logement, actif à nul autre pareil puisque susceptible d’être considéré autant comme un droit que comme un bien. Réflexion qui conduit parfois à limiter l’empire du propriétaire.

Le dispositif de cogestion impérative prévu à l’article 215, alinéa 3, du Code civil en est une fameuse expression ; même si, elle aussi, mérite sans doute une remise en cohérence, nous le verrons dans les travaux de ce congrès.

Le traitement du logement de la personne vulnérable en est une autre illustration, tant il est vrai que le droit de la vulnérabilité considère le logement et son contenu comme une somme de repères importants pour celui qui a perdu contact avec certaines réalités, physiques ou mentales.

Mais là encore, les travaux du 119congrès mettront l’accent sur certains besoins de clarification : est-il logique par exemple qu’une cession du logement puisse être, dans certains cas, réalisée sous habilitation familiale générale et sans intervention du Juge, là où d’aucuns contestent cette possibilité dans le contexte d’un mandat de protection future ? Celui-ci est pourtant avant tout un contrat, où le mandant aura décidé en toute conscience et devant notaire de conférer tel ou tel pouvoir, y compris sur le logement si tel est son principal actif, situation ô combien fréquente. Nous nous inscrivons donc, avec une partie de la doctrine, en décalage avec les arguments repris dans la récente réponse ministérielle Pradal (Rép. min. n° 5601 : JOAN, 9 mai 2023, p. 4211).

AJ : En quoi et dans quel(s) cas le logement du conjoint survivant soulève-t-il des difficultés particulières ?

Selon la forme du couple (marié ou non), le caractère anticipé ou non de la transmission, l’existence ou non de libéralités parallèles, etc., assurer le maintien du conjoint survivant dans le logement ne sera pas toujours chose aisée.

Par exemple, la nue-propriété du bien aura pu valablement être donnée sans son consentement et sans usufruit successif à son profit, selon l’analyse que fait la Cour de cassation des conditions d’application de l’article 215, alinéa 3, du Code civil.

Et surtout, hors mariage, le legs consenti même en usufruit seulement sera contraint par les limites de la quotité disponible, ainsi que l’a fort bien rappelé la même Cour.

Mais encore, les conditions d’accès au droit viager sur le logement sont loin d’être toutes parfaitement balisées, et les dimensions d’incertitudes, plus de vingt ans après son instauration, ne sont pas si rares.

L’équipe du 119e congrès reviendra sur ces points.

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