Immobilier : le marché francilien résiste face à la crise
Les notaires du Grand Paris viennent de dévoiler les données, pour le deuxième trimestre 2020, du marché de l’immobilier en Île-de-France. Si le secteur a été logiquement impacté par le confinement, les chiffres témoignent d’une réelle appétence pour « la pierre ». Pour Thierry Delesalle, président de la commission des statistiques immobilières et notaire à Paris, « le besoin de déménager » permet d’expliquer en partie cette tendance.
Les Petites Affiches
Malgré une chute du volume des ventes en Île-de-France au cœur du confinement, vos chiffres révèlent une résistance du marché immobilier dans son ensemble, avec des prix toujours en hausse. Comment expliquez-vous cette robustesse de l’immobilier ?
Thierry Delesalle
De nombreux facteurs peuvent l’expliquer. Tout d’abord les taux d’intérêt restent extrêmement bas, et ce depuis de longs mois désormais. Le carburant de l’immobilier est peu coûteux et cela incite donc de nombreuses personnes à se lancer dans l’achat d’un bien.
Un autre élément tient au ressort psychologique de cette période si particulière que nous venons de traverser. Beaucoup de Franciliens ont ainsi pris conscience, du fait du confinement, de l’importance du logement, particulièrement à Paris. Pour nombre de locataires, le logement était auparavant annexe, sortir et profiter de la vie culturelle était une priorité plus que l’habitat.
Or le confinement a bouleversé cette perspective. Les salariés ont été obligés de vivre chez eux tous les jours, presque 24 heures sur 24. Ils se sont dès lors rendus compte de l’avantage d’avoir un logement confortable et personnel. Cela a créé, notamment à la sortie du confinement, un besoin de déménagement et par conséquent d’acheter et/ou de vendre. Dès le mois de mai dernier, le volume de vente de logements anciens dans la région est revenu presque à la normale comparée à mai 2019 (- 4 %). À titre de comparaison, les ventes avaient chuté respectivement de 35 et 71 % en mars et avril derniers par rapport à l’an passé. Le rebond, post-confinement, a été immédiat.
LPA
Si le nombre de transactions reste soutenu, les prix aussi : + 6,6 % en un an. Rien ne semble pouvoir stopper cette hausse ininterrompue depuis plusieurs années ? Certains prédisaient une baisse des prix de l’immobilier, vos données montrent le contraire…
T.D.
La réalité est qu’il n’y a pas de changements structurels, pour le moment, sur le marché immobilier. Si des tendances évoluent, les bases restent les mêmes. La panne qu’a connue le secteur, en mars et avril derniers, a impacté aussi le reste de l’économie. C’est un choc extérieur et qui n’est pas propre à « la pierre ». L’Île-de-France est toujours, malgré l’actualité sanitaire et économique, une zone tendue. La crise n’y change rien. Paris est toujours considéré comme un marché de « pénurie » et il n’y a toujours pas assez d’offres par rapport à la demande. Si vous aviez 10 acquéreurs pour un bien dans la région avant la crise, vous en avez toujours 7 ou 8 aujourd’hui. Cela n’impacte en rien les données du prix du marché qui sont toujours favorables aux vendeurs. Pour que les prix baissent il faudrait que l’on bascule dans un marché acquéreur, c’est-à-dire qu’il y ait plus d’offres que de demandes. Nous sommes encore très éloignés de cette perspective.
LPA
Vous confirmez en revanche le désir d’espace et de verdure. Le marché en grande couronne est-il devenu le marché moteur de l’immobilier en Île-de-France et le restera-t-il ?
T.D.
Oui et c’est en lien avec le ressort psychologique que j’évoquais. Les intéressés ont eu le temps de réfléchir à leurs besoins et aux freins qui s’opposent parfois à ces mêmes besoins. Les parents scrutent ainsi la question de la scolarité pour les enfants. Avoir des enfants à la crèche n’induit pas les mêmes changements qu’au lycée, période où il est plus difficile de déménager. Il y a également la problématique du travail. Puis-je garder mon travail depuis mon nouveau lieu de résidence ? On constate de ce fait que les déménagements qui se réalisent en banlieue sont désormais volontaires. Ce n’est plus « subi » comme cela pouvait être le cas auparavant. Le désir est présent. Et face aux changements induits, nous estimons que le processus de déménagement peut prendre plusieurs mois voire plusieurs années. Il s’agit donc d’une tendance qui s’inscrit à moyen terme, a minima.
LPA
Le marché de l’immobilier francilien est-il en train de se rééquilibrer entre Paris et la banlieue ?
T.D.
Il est encore trop tôt pour le dire mais ce serait souhaitable. On a pour habitude de répéter que nous avons besoin de 500 000 nouveaux logements par an en France et nous n’en construisons que 250 000 environ, 300 000 pour les meilleures années. Or, on constate aussi qu’il y a sur notre territoire un parc très important de logements vides. Cela ne concerne que très peu l’Île-de-France, mais il y a beaucoup de villes et villages où les maisons sont fermées toute l’année. Si les nouveaux désirs nés du confinement poussent des personnes à s’installer dans ces territoires ce sera une bonne chose.
Pour la région parisienne plus précisément, la demande de plus grands espaces pousse actuellement à la construction sur les terrains accessibles, c’est-à-dire en grande couronne. Nous sommes passés d’une moyenne annuelle de 40 000 logements par an à 80 000. Si cela se poursuit sur plusieurs années, il y aura alors logiquement un rééquilibrage sur le territoire.
Reste à savoir si cela aura un impact à la baisse sur les prix, notamment à Paris et en petite couronne. Je n’y crois pas personnellement. Les exemples dont nous disposons sur d’autres villes ne nous le montrent pas. Rennes, par exemple, était, il y a une vingtaine d’années, la troisième ville la plus chère de France après Paris et Nice. De grands programmes de constructions ont été ensuite lancés avec l’extension du métro, ce qui a eu pour conséquence de rééquilibrer l’offre et la demande. Les prix se sont alors stabilisés. Dans d’autres agglomérations en revanche la situation de l’offre s’est tendue, Rennes est passé ainsi au vingtième rang pour le coût de l’immobilier. Les prix sont restés les mêmes dans la ville bretonne, ce sont les biens dans les autres villes qui ont été réévalués.
LPA
Les incertitudes liées à la crise sanitaire sont nombreuses, pourtant vous semblez être optimiste pour le marché de l’immobilier. Pourquoi ?
T.D.
La volonté de déménager, de changer de lieu de vie, paraît suffisamment forte et ancrée aujourd’hui pour porter le marché, selon moi. Bien sûr des doutes demeurent sur les conditions d’octroi des crédits et l’économie en général, avec notamment des pertes de revenus qui seraient liées à une hausse des licenciements et du chômage. Économie et immobilier sont d’ailleurs plus liés qu’on ne le pense parfois. L’ensemble du secteur immobilier représente 20 % du PIB de notre pays. Donc si les tendances observées à la fin du confinement se confirment dans les prochains mois, le marché pourrait être un élément clé d’une reprise économique plus vaste.