Inopérance de la clause de non-garantie des vices cachés lorsque le vendeur ne démontre pas qu’il a pu légitiment ignorer l’ampleur de la pollution du sol
En sa qualité de dernier exploitant du garage précédemment exploité par son père, le vendeur ne pouvait ignorer les vices affectant les locaux il s’ensuit que la cour d’appel, appréciant souverainement la portée du rapport d’expertise, en a exactement déduit que le vendeur ne pouvait pas se prévaloir de la clause de non-garantie des vices cachés.
Cass. 3e civ., 29 juin 2017, no 16-18087, FS–PBRI
1. Au regard de la large publication de l’arrêt rapporté qui figurera au rapport annuel de la Cour de cassation, les motifs de cette décision provoqueront inquiétude et critiques chez les représentants de la doctrine et de la pratique tant les questions qu’il soulève atteignent le droit de la vente. En l’espèce1, un contrat de vente a été reçu par Me A., notaire à B., en date du 14 novembre 2007. Les consorts X ont consenti une vente de bien immobilier au profit de la société civile immobilière Alsel (la SCI), avec l’entremise de la société Andrau immobilier, agent immobilier. Au terme de l’acte notarié, il est stipulé par l’acquéreur que le rez-de-chaussée de l’immeuble, où avait été exploité un garage automobile, serait affecté à usage d’habitation. Un rapport d’expertise judiciaire conclut à la présence dans le sous-sol d’hydrocarbures et de métaux lourds provenant de cuves enterrées. Des opérations de dépollution étant nécessaires, la SCI a assigné les consorts X, les notaires instrumentaires, la société civile professionnelle Z et la société civile professionnelle A., ainsi que la société Andrau immobilier, en garantie des vices cachés et indemnisation de son préjudice. Néanmoins, le vendeur invoque la clause de non-garantie qui est jugée inopérante. La haute juridiction confirme l’analyse des juges du fond en rejetant le pourvoi du vendeur, et estime : « (…) qu’en sa qualité de dernier exploitant du garage précédemment exploité par son père, M. X ne pouvait ignorer les vices affectant les locaux et que l’existence des cuves enterrées qui se sont avérées fuyardes n’avait été révélée à l’acquéreur que postérieurement à la vente, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée du rapport d’expertise, en a exactement déduit que le vendeur ne pouvait pas se prévaloir de la clause de non-garantie des vices cachés ». Jugeant la clause de non-garantie des vices cachés inopérante (I), l’acquéreur peut, dès lors, actionner in solidum le vendeur et l’agence immobilière et les faire condamner à verser la somme de 155 710 € (II).
I – Inopérance de la clause de non-garantie des vices cachés
2. La clause de non-garantie des vices cachés stipulée dans le contrat de vente est jugée inopérante (A) car le vendeur, dernier exploitant d’un garage automobile, ne pouvait ignorer les vices affectant les locaux (B).
A – L’interprétation stricte de la clause de non-garantie des vices cachés
3. La plus remarquée des obligations incombant au vendeur est sans conteste celle qui figure à l’article 1641 du Code civil qui dispose que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ». Par ailleurs, l’article 1643 du Code civil précise : « Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie ». C’est ainsi que la jurisprudence admet la validité de la clause de non-garantie des vices cachés dans la mesure où le vendeur fut de bonne foi2. Aussi, la pratique notariale est-elle viscéralement attachée à cette règle. Cette clause de non-garantie des vices cachés fait partie, au premier chef, des préoccupations tant doctrinales que de la pratique notariale. C’est ainsi que Cyril Noblot a proposé récemment une étude3 avec des formules de clause de non-garantie des vices cachés. À cet égard, il est souvent rappelé que « ce type de clause, qui s’apparente à une clause de style bien connue de la pratique notariale, est très souvent inséré dans les contrats de vente immobilière entre non professionnels et se présente le plus souvent sous cette forme : “(…) l’acquéreur prendra le bien vendu dans l’état où il se trouvera le jour de l’entrée en jouissance sans garantie du vendeur et sans pouvoir prétendre à aucune indemnité ni réduction du prix pour mauvais état du sol ou des bâtiments, vices ou défauts de toute nature apparents ou cachés (…)”4 ».
4. Il est donc à se demander si cette clause de non-garantie des vices cachés peut valablement être écartée par le juge. Dans la mesure où cette clause de non-garantie des vices cachés déroge au droit commun de la responsabilité civile, l’interprétation stricte s’impose5. Au cas d’espèce, c’est la présomption de connaissance du vice qui pose le plus de problèmes et relève d’ailleurs de l’appréciation souveraine des juges du fond. De plus, pour pouvoir invoquer la clause de non-garantie des vices cachés, le vendeur doit ignorer le vice6. Cependant, lorsque le vendeur est professionnel, une présomption de mauvaise foi pèse sur lui, tant et si bien que cette clause est inopérante. En l’espace, le vendeur est considéré comme un professionnel, car la haute juridiction estime que M. X ne pouvait ignorer les vices affectant les locaux.
B – La connaissance par le vendeur des vices affectant les locaux
5. En sorte que, dans l’affaire qui nous occupe, la preuve de la connaissance du vice caché n’impacte pas celle de l’existence de manœuvres dolosives de la part du vendeur7. C’est pourquoi la haute juridiction a cassé un arrêt d’appel qui avait jugé en sens inverse : « Attendu que pour admettre M. Y à se prévaloir de la clause de non-garantie, l’arrêt retient qu’il ne peut être raisonnablement soutenu qu’il serait un professionnel de l’immobilier même s’il a entrepris à plusieurs reprises la construction d’habitations et qu’il reste un vendeur de bonne foi ayant pu, sans dol, ignorer le vice affectant la chose vendue, les témoignages étant contradictoires et les acheteurs ne démontrant pas les manœuvres dolosives alors qu’ils ont la charge de la preuve ; Qu’en statuant ainsi par des motifs qui ne suffisent pas à exclure la connaissance des vices par le vendeur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; Par ces motifs ; Casse et annule »8.
6. Aux termes d’un arrêt du 1er juillet 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu’il pèse sur le vendeur professionnel une présomption irréfragable de connaissance du vice de la chose vendue. C’est ainsi que la haute juridiction a censuré les juges du fond en précisant : « Vu l’article 1645 du Code civil ; Attendu qu’il résulte de ce texte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue qui l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages en résultant ; Attendu que pour débouter M. X de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour trouble de jouissance, le jugement retient qu’il ne rapporte pas la preuve d’une faute et que le préjudice “ne saurait être étendu aux dommages qu’a pu subir l’acquéreur du fait de la vente de la chose viciée” ; Qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que la société Loca loisirs était un vendeur professionnel, le juge de proximité qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé le texte susvisé ; Par ces motifs ; Casse et annule »9. Dans le même ordre d’idées, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 19 décembre 2001, a jugé « que seule est de nature à priver d’efficacité la clause de non-garantie des vices cachés la connaissance par le vendeur de l’existence effective d’un tel vice et non la connaissance d’une simple éventualité ; qu’après avoir elle-même constaté que “rien ne prouve que la société Cibem ait su, au moment de la revente du bien à la société Profidis & Cie, que le sous-sol du terrain était l’objet d’une pollution”, la cour d’appel ne pouvait déclarer la clause inapplicable du seul fait que “la société Cibem connaissait le risque de pollution créé par l’activité exercée (autrefois) par la société Isoroy” sans violer les articles 1134 et 1643 du Code civil »10. Dans l’arrêt annoté, même si le vendeur n’est pas un professionnel, la haute juridiction considère la clause de non-garantie des vices cachés inopérante. Il en résulte que la Cour de cassation « assimile » le vendeur à un vendeur professionnel, car il connaissait le vice affectant le bien vendu11. Par ailleurs, dans un arrêt récent rendu par les juges Versaillais qui rappelle que l’exclusion de la clause de non-garantie des vices cachés exige la connaissance du vice caché par le vendeur du bien immobilier12.
7. On peut relever que le coût de la dépollution d’un terrain peut être dramatiquement élevé, tant et si bien que le juge peut considérer d’exclure la clause de non-garantie des vices cachés et contrôler si cette inopérance est proportionnée au fait que le vendeur démontre qu’il a pu légitimement ignorer l’ampleur d’une pollution au moment de la signature de l’acte de vente13.
II – La mise en œuvre de la garantie des vices cachés
8. Par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser la connaissance des vices cachés par l’acquéreur (A), le vendeur est condamné en vertu des principes de la responsabilité civile à la réparation de tout préjudice lié au vice (B).
A – L’ignorance légitime du vice caché par l’acquéreur
9. Autant que faire se peut, l’ignorance légitime est un standard juridique laissant une liberté d’appréciation aux juges du fond14. Mais le vocable présente une signification précise donnée par Jacques Ghestin : « L’ignorance d’une partie est légitime lorsqu’elle est dans l’impossibilité de s’informer ou lorsqu’elle fait raisonnablement confiance à son cocontractant, du fait notamment de la nature du contrat ou de la qualité des parties »15. Plus précisément, l’ignorance légitime du vice se retrouve en matière de garantie légale des vices cachés16. En l’espèce, il est rappelé que les vices doivent, pour être couverts par la garantie légale, avoir été ignorés de l’acheteur. Comme le relève, Frédérique Cohet-Cordey, dans ses observations sous un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 14 mars 2012 : « C’est ainsi que l’acquéreur qui constate que l’immeuble est infesté de termites bien que le vendeur ait déclaré dans l’acte de vente “avoir enlevé tous les éléments porteurs de dégradations et traité” n’est pas fondé à invoquer la garantie des vices cachés dès lors qu’il a été informé de la présence de termites lors de la passation de l’acte authentique et a acquis un bien dont l’état parasitaire positif ne lui laissait aucun doute sur l’infestation de la majorité des éléments en bois »17. Il faut bien voir que par la production des diagnostics techniques, le vendeur s’exonère de sa garantie pour vices cachés.
10. Il y a bien des degrés permettant aux juges du fond d’apprécier l’ignorance légitime de l’acquéreur. Il est rare pourtant que les juges du fond donnent une interprétation extensive de la notion « s’en convaincre lui-même ». En effet, l’article 1642 dispose que « le vendeur n’est pas tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre lui-même ». En l’espèce, il est constant que l’acquéreur connaissait l’activité antérieure exercée dans les lieux et que le vendeur connaissait la destination des lieux envisagée par l’acheteur. De plus, il s’avère que les photographies en noir et blanc de locaux sombres produites devant la cour par la SCI Alsel, qui affirme que ces photographies ont été prises antérieurement à la vente et que celles-ci lui ont été transmises par son architecte d’intérieur, comme en atteste le courrier les accompagnant. Il est invoqué devant les juges du fond que l’acquéreur était alors en mesure d’apprécier le risque de pollution affectant les lieux à raison de l’activité professionnelle qui y avait été exercée. Il ne faut pas oublier que la notion de risque en matière de pollution joue un rôle important comme en atteste le cas consistant à acquérir un terrain gravement pollué par voie d’expropriation, sans pouvoir renoncer à cette acquisition18.
B – Réparation de tout préjudice lié au vice caché
11. En dépit de sa rédaction quelque peu ambiguë et des nombreuses imperfections qu’il est possible de relever, l’article 1645 du Code civil qui dispose que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur », la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 26 septembre 2012, qui précise que « la recevabilité de l’action en réparation du préjudice éventuellement subi du fait d’un vice caché n’est pas subordonnée à l’exercice d’une action rédhibitoire ou estimatoire, de sorte que cette action peut être engagée de manière autonome »19. Les conditions de mise en œuvre de l’action en garantie des vices cachés suppose la démonstration : de l’existence d’un vice ; d’une certaine gravité ; d’un vice caché ; et antérieur à la vente20.
12. Dorénavant, cette action en garantie des vices cachés devra être intentée dans un délai de 2 ans en vertu de l’article 1648 du Code civil qui dispose en son alinéa 1er : « L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice ». En l’espèce, l’action supposera, en outre, la démonstration du lien de causalité entre le défaut d’information du vendeur et le préjudice lié au vice caché subi par l’acquéreur.
13. Si le contrat de vente reste un acte courant, pour autant il devient un acte complexe contenant à la fois des clauses juridiques ainsi que des autorisations individuelles génératrices de droits acquis et des décisions comportant des dispositions réglementaires qui requiert des compétences notamment en matière environnementale.
Notes de bas de pages
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1.
Gailliard A., « Pollution des sols connue du vendeur : clause de non-garantie des vices cachés inefficace », Dalloz actualité, 8 juin 2017 ; Fleury P., « L’efficacité (très ?) limitée de la clause de non-garantie des vices cachés », Lamyline, 12 juill. 2017 ; « Vente d’un terrain pollué, défaut d’information de l’acquéreur et garantie des vices cachés », Defrénois flash 17 juill. 2017, n° 140z2, p. 1 ; Dode G., « Vices cachés : le dernier exploitant d’un garage automobile ne peut ignorer les vices affectant les locaux », http://www.green-law-avocat.fr.
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2.
Sourioux J.-L., Recherches sur le rôle de la formule notariale dans le droit positif, thèse Paris, 1965, n° 85. Niel P.-L., « Innovation juridique et pratique notariale », LPA 21 mai 2014, p. 10. Nuytten B., « Exonération de garantie des vices cachés en matière de vente d’immeubles », RDC 2005, p. 1247.
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3.
Noblot C., « La clause de non-garantie de contenance dans la vente immobilière », Resp. civ. et assur. 2016, form. 1.
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4.
PIgnarre G., Claret H., Forray V., Gout O. et Clerc-Renaud L., « Chronique de contrats spéciaux », LPA 23 mai 2011, p. 8.
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5.
Fages B., Heinich J., Buy F., Le Gallou C., Pancrazi M.-È., Garaud É., Lee K., Grossi I. ; Juhan J.-L., Ancel M.-É. et François S., « Interprétation stricte des clauses limitatives ou exonératoires de garantie des vices cachés », Le Lamy Droit du Contrat, n° 3031.
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6.
Gailliard A., « Pollution des sols connue du vendeur : clause de non-garantie des vices cachés inefficace », art. préc.
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7.
Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J., Liard J.-J. et Jeanne C., « Cas des vendeurs “de mauvaise foi” et des vendeurs professionnels », Le Lamy Droit Immobilier, n° 4048.
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8.
Cass. 3e civ., 23 mai 2012, n° 11-11796.
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9.
Cass. 1re civ., 1er juill. 2010, n° 09-16114.
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10.
Cass. 3e civ., 19 déc. 2001, n° 00-12022 : Kullmann J., « Conventions relatives à la garantie et à la responsabilité », Le Lamy Assurances, n° 2308.
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11.
En ce sens, Dode G., « Vices cachés : le dernier exploitant d’un garage automobile ne peut ignorer les vices affectant les locaux », art. préc.
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12.
CA Versailles, 9 juin 2016, n° 14/02746.
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13.
V., par ex., Lévy F., « Les aménageurs et les terrains pollués par des activités industrielles », BDEI 2010/30, p. 43.
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14.
Mekki M., « La réforme du droit des obligations : questions pratiques », http://etudiant.lextenso.fr, 14 avr. 2017.
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15.
« Observations générales (observations de Jacques Ghestin) », LPA 4 sept. 2015, p. 17.
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16.
Cohet-Cordey F., « L’ampleur des vices cachés : une jurisprudence favorable à l’acquéreur », AJDI 2012, p. 378.
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17.
Ibid.
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18.
Lévy F., « Les aménageurs et les terrains pollués par des activités industrielles », art. préc.
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19.
Latina M., « L’autonomie de l’article 1645 du Code civil est également consacrée par la première chambre civile », LEDC nov. 2012, n° 173, p. 7.
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20.
Kullmann J., « Conventions relatives à la garantie et à la responsabilité », art. préc.