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La cession d’un projet entre promoteurs : une convention ambiguë

Publié le 19/03/2021

Les cessions de projets immobiliers entre promoteurs sont couramment pratiquées mais, loin d’être anodines, ces conventions sont exposées à des risques de requalification qu’il est nécessaire de bien identifier. Deux jurisprudences rendues par des cours d’appel en 2019 à ce sujet sont l’occasion de faire un point sur ces contrats.

CAA Bordeaux, 18 sept. 2019, no 16/07606

CAA Lyon, 10 déc. 2019, no 17/08895

« Le demain du mauvais payeur est vain ». Si le bon sens de cet adage populaire se vérifie dans les décisions rendues par les cours d’appel de Bordeaux et de Lyon des 18 septembre et 10 décembre 20191, celles-ci se distinguent davantage par la rareté du sujet traité. Effectivement, les décisions relatives aux cessions de projets immobiliers entre promoteurs sont peu nombreuses, deux décisions récentes méritaient un éclairage.

Rares en justice certes, mais usuelles en pratique. Assurément, de nombreuses raisons peuvent conduire un promoteur à se défaire d’un projet : de nouveaux arbitrages dans la politique de développement interne, des conditions de financement devenues moins favorables ou encore un retournement de conjoncture peuvent amener à réviser l’engagement dans un programme préalablement au commencement des travaux.

Dans cette optique, à l’abandon sera préférée l’aliénation. Toutefois, la cession de projet en tant que convention autonome n’a d’intérêt que si ledit projet est cédé avant un certain stade d’avancement.

En effet, pour les besoins de l’analyse juridique, une opération de construction peut être schématiquement divisée en trois grandes étapes2 : la faisabilité ou la constructibilité « technique »3 puis la constructibilité « légale » du terrain4 et, enfin, sa maîtrise foncière5.

Cette dernière est déterminante, et permet de dégager deux hypothèses. Dans la première, ne présentant pas de difficultés particulières liées à la cession de programme, le promoteur cédant est déjà propriétaire du foncier, auquel cas la cession portera alors sur la revente du terrain, le prix tenant compte de la faisabilité ainsi que de la constructibilité « légale ».

Dans la seconde, en revanche, le promoteur cédant n’a pas encore régularisé son acte authentique, de sorte que, dans ce cadre, son cessionnaire va, d’un côté, se porter acquéreur de la faisabilité et/ou de la constructibilité « légale » auprès de lui et, d’un autre côté, devoir mener l’acquisition du terrain pour son compte auprès du propriétaire.

C’est dans cette situation précise, où le cédant n’est pas propriétaire du foncier, qu’une convention de cession du projet va s’imposer entre les parties.

Or cette cession autonome du projet revient à verser des sommes au promoteur cédant, parallèlement à une opération de vente immobilière, ce qui l’expose à d’éventuelles requalifications que les cessionnaires ne manquent d’ailleurs pas de soulever pour contester le paiement du prix.

C’est ce qu’illustrent les arrêts rendus par les cours d’appel de Bordeaux et de Lyon sur des faits sensiblement identiques.

Dans la première affaire, un promoteur cède, au moyen d’un protocole sommaire, le permis de construire qu’il a obtenu sur un terrain, moyennant un apport d’affaires de 119 600 € toutes taxes comprises (TTC). Dans la seconde affaire, c’est par échanges de courriels que sont cédés le permis de construire, les études préalables, les contrats de réservations des acquéreurs des lots en VEFA et les accords de financement de ces derniers moyennant une rémunération de 50 000 € TTC.

Les promoteurs cessionnaires s’opposent au paiement de ces sommes mais pour des raisons différentes. Effectivement, si de telles cessions sont possibles, elles ne doivent pas contrevenir à l’ordre public de l’article 4 de la loi Hoguet6, d’une part, ainsi qu’à celui de l’article 52 de la loi Sapin7, d’autre part.

En clair, la cession résulte-t-elle d’un apport d’affaires ou d’une entremise (I) ? Par ailleurs, porte-t-elle sur un projet immobilier ou sur une promesse de vente (II) ?

Ce sont ces deux questions qui étaient respectivement posées aux magistrats bordelais et lyonnais.

I – La cession résulte-t-elle d’un apport d’affaires ou d’une entremise ?

Dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Bordeaux le 18 septembre 2019, le promoteur cessionnaire invoque l’entremise pour obtenir une réduction substantielle de la somme due au promoteur cédant.

Étant donné que ce dernier, au jour de la signature du protocole de « transfert de programme », n’était pas propriétaire des parcelles objet du projet, ni détenteur d’une promesse de vente, ni même titulaire du permis de construire8, son rôle ne pouvait être finalement que de mettre en relation un vendeur et un acquéreur. Ainsi selon ce raisonnement déductif soutenu par le cessionnaire, la rémunération prévue au protocole ne pouvait être autre chose qu’une commission d’agent immobilier réclamée illégalement, le cédant n’étant pas titulaire de la carte professionnelle nécessaire pour l’intermédiation.

Il convient de rappeler, en effet, que les dispositions de la loi Hoguet s’appliquent entre professionnels9 dès lors que le mandataire accomplit à titre habituel10 une mission d’entremise11.

Ceci étant, la cour d’appel de Bordeaux confirmant le jugement de première instance rejette l’argumentaire développé pour deux raisons.

Premièrement, l’activité d’entremise est matérialisée par des faits objectifs qui consistent en une participation directe dûment prouvée d’un intermédiaire à la réalisation d’actes déterminants pour la perfection de l’opération envisagée. Elle s’accompagne d’actes matériels suffisamment caractérisés et ne doit pas être bornée à la simple indication d’un bien à acquérir12.

Dès lors, en procédant par affirmations, sans apporter aucune preuve de l’entremise, le cessionnaire ne pouvait l’établir.

Deuxièmement, le « transfert de programme » portait bien sur un permis de construire que le promoteur cédant avait fait réaliser, instruire et obtenu, puis transféré au cessionnaire, permettant ainsi à ce dernier de mettre en œuvre le projet, lequel d’ailleurs avait été exécuté conformément à cette autorisation et sans difficulté.

Ainsi, le cédant avait bien vendu un programme immobilier matérialisé par le permis de construire obtenu.

Par conséquent, la somme prévue dans le protocole de « transfert de programme » se définissait comme une commission d’apporteur d’affaires et non d’intermédiation.

Ceci étant, le protocole prévoyait aussi la signature d’avant-contrats avec les différents propriétaires des terrains formant l’assiette du projet car le promoteur cédant n’était pas, dans cette affaire, bénéficiaire de promesses.

Aussi, qu’en est-il lorsque celui-ci a déjà régularisé un ou plusieurs avant-contrats de vente ?

Loyer, immobilier

II – La cession porte-t-elle sur un projet immobilier ou une promesse de vente ?

Devant la cour d’appel de Lyon, le 10 décembre 2019, c’est l’article 52 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite Sapin, qui est invoqué par les promoteurs cessionnaires afin de s’affranchir du paiement des sommes dues à leur confrère cédant. En effet, ce texte frappe d’une nullité d’ordre public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel de l’immobilier13.

Le texte vise non seulement la cession de promesse mais également les substitutions d’acquéreur14, du moins celles contenues dans les promesses synallagmatiques de vente15.

Partant, sont donc visées par le texte en question les cessions à titre onéreux ainsi que les substitutions dans le cadre d’une promesse synallagmatique de vente, le tout entre professionnels et à titre onéreux.

Toutefois, cet article doit-il recevoir application si, lors d’une cession de promesse ou d’une substitution d’acquéreur intervenant entre promoteurs et à titre gratuit, ces derniers procèdent parallèlement à la cession à titre onéreux du programme immobilier destiné à être réalisé sur les terrains objet de l’avant-contrat ?

Un premier élément de réponse réside dans une précédente décision, rendue par la cour d’appel de Versailles en 2011. Dans le cadre du protocole de transfert d’un permis de construire à titre onéreux entre professionnels, où le cessionnaire invoquait l’article précité pour s’exonérer du prix convenu, les magistrats ont constaté que la promesse d’achat, caduque depuis 2 ans au moment du protocole faute de levée d’option, n’a pu servir de support à une cession, à titre onéreux et par conséquent illicite de la promesse initiale16.

Ensuite, dans sa décision du 10 décembre 2019, la cour d’appel de Lyon, s’agissant d’une substitution d’acquéreur cette fois, considère que la cession de programme ne tombe pas sous les fourches caudines de l’article 52 de la loi du 29 janvier 1993.

D’une part – dans la lignée de la cour de Versailles –, parce qu’il n’y a pas eu de substitution entre les promoteurs cédant et cessionnaire dans la promesse synallagmatique de vente. Effectivement, deux compromis distincts et successifs avaient été signés avec les vendeurs, l’un avec le cédant puis, l’autre, avec le cessionnaire. Le second comportait en outre une condition suspensive supplémentaire, ainsi qu’un prix et un délai de réitération bien différents du premier.

La cession du projet immobilier ne pouvait donc s’analyser en une cession à titre onéreux de droits conférés par une promesse de vente puisque, précisément, le cédant n’avait pas cédé sa position dans la promesse de vente, le cessionnaire ayant contracté postérieurement, directement et à des conditions différentes avec les vendeurs.

D’autre part, la cour de Lyon va plus loin dans son analyse et considère que la cession du projet ne pouvait pas plus s’analyser en un montage destiné à dissimuler une opération frauduleuse. Le cédant avait vendu un projet « clé en mains » comportant l’ensemble des études préalables, le permis de construire, les contrats de réservation des acquéreurs des lots et les accords de financement de ces acquisitions, puis le cessionnaire avait bien réalisé le projet à l’identique de celui cédé.

La cour en déduit logiquement que ces éléments démontrent la réalité des frais techniques engagés et l’apport d’affaires en contrepartie desquels la rémunération a été convenue.

Au vu de ces décisions, la réponse à la question posée ci-dessus sera négative et la fraude écartée si, premièrement, la promesse initiale est caduque au moment de la cession de programme, ou bien quand une promesse distincte, selon des conditions différentes, a été régularisée entre le vendeur et le promoteur cessionnaire et si, deuxièmement, la réalité des frais techniques est démontrée au moyen des différentes analyses, études et contrats qui ont été réalisés par le promoteur cédant.

C’est au travers de ce dernier point que les deux décisions se rejoignent. Certes, elles apportent d’utiles précisions quant à l’environnement juridique de telles cessions et les risques de requalification qui pèsent sur celles-ci.

Surtout, ces affaires rappellent toutes deux l’importance du rôle probatoire du contrat entre les parties, de l’écrit contractuel qui permet d’établir l’existence des engagements contenus et d’établir la norme des parties. L’existence, la valeur et l’utilité des documents constituant la constructibilité « technique » et « légale » ne doivent pas pouvoir être remises en cause.

En définitive, l’enseignement premier de ces arrêts est que la sécurité juridique des cessions de projets immobiliers passe par la rédaction d’un instrumentum adapté en lieu et place de quelques échanges de courriels ou d’un protocole plus que sommaire.

Ce sont avant tout les insuffisances mêmes des documents témoins fixant la convention qui ont nourri les ambiguïtés et permis à ces litiges de prospérer.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Bordeaux, 4e ch. com., 18 sept. 2019, n° 16/07606 ; CA Lyon, 1re ch. civ., 10 déc. 2019, n° 17/08895.
  • 2.
    Il existe d’autres descriptions, bien plus précises et détaillées, d’une opération immobilière (v. not. A. Sevino et F. Petit, Montages d’opérations immobilières, 2018, EFE). Le triptyque ici proposé est simplement destiné à simplifier la compréhension pour son analyse juridique.
  • 3.
    La faisabilité ou « constructibilité technique » peut s’entendre des études préliminaires menées par le promoteur en vue de l’acquisition du terrain à bâtir. Elle se compose notamment d’études technique (consistant notamment en l’évaluation des règles de constructibilités, les contraintes environnementales, les contraintes de voisinage, etc.) les analyses économiques de l’opération (qui croisent de nombreux sujets dont la surface du programme, les études de marché, le coût du terrain, la nature et l’importance des fonds mobilisables, leur coût, la définition des couts techniques etc.) ; sur ces aspects, A. Sevino et F. Petit, Montages d’opérations immobilières, 2018, EFE, nos 209 et s., p. 130 et s.
  • 4.
    Opposer la constructibilité à la non-constructibilité est un non-sens car, en réalité, beaucoup de terrains sont finalement constructibles dans les limites techniques et juridiques que la nature ou les hommes leur ont assigné ; J.-J. Martel, « La constructibilité potentielle ou future impacte-t-elle la valeur d’un terrain ? », AJDI 2013, p. 596. Il est donc possible de distinguer entre la constructibilité « technique » qui correspond à la faisabilité et la constructibilité « légale » qui résulte de l’obtention de l’autorisation d’urbanisme nécessaire pour la réalisation du projet.
  • 5.
    La maîtrise foncière est synonyme de propriété, laquelle entendue dans ce contexte d’achat d’un bien immobilier par un promoteur correspond au titrement, lequel peut être défini comme « la matérialisation par l’autorité publique d’un droit sur un espace foncier au nom d’une personne ou d’une collectivité avec inscription dans un registre public », en somme : la signature de l’acte authentique de vente. Sur le titrement, D. Nourissat, « L’action du Notariat en matière de titrement », JCP N 2010, 1339, n° 44.
  • 6.
    L. n° 70-9, 2 janv. 1970, réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce.
  • 7.
    L. n° 93-122, 29 janv. 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
  • 8.
    Le permis de construire initialement obtenu par le promoteur cédant avait été transféré à une autre société composée du même gérant, le protocole prévoyait une cession du permis sans indication sur la qualité du pétitionnaire.
  • 9.
    En ce sens notamment, Cass. 1re civ., 5 avr. 2012, n° 11-15569. En raison du caractère d’ordre public de la loi Hoguet le droit à rémunération de l’intermédiaire immobilier, quel qu’il soit, est subordonné à la possession d’une carte professionnelle.
  • 10.
    Le caractère habituel résulte de l’activité réelle du mandataire, peu important notamment sa profession ou l’objet de la société, le montant de la rémunération ou son caractère principal. Une entremise occasionnelle parmi des activités de promotion échappe à la loi Hoguet : D. Tomasin, « La loi Hoguet n’est pas applicable à un acte d’entremise n’ayant pas un caractère habituel », AJDI 2002, p. 156. Un acte isolé n’est donc pas visé, l’habitude est établie dès qu’il y a répétition, sachant qu’il n’existe pas un critère de temps précis entre deux entremises, cette caractérisation relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (M. Thioye, « Entremise et gestion immobilière – Réglementation des activités », JCl. Constr.-Urb., fasc. 248-10, n° 32).
  • 11.
    En ce sens notamment, Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-03021 : Bull. civ. I, n° 210.
  • 12.
    Sur la définition de l’entremise, voir l’analyse pertinente de Grégoire Forest, « Diffusion d’annonces sur internet et exercice illégal de la profession d’agent immobilier », Dalloz Actualité, 10 mars 2009.
  • 13.
    Une société civile effectuant des opérations immobilières à titre accessoire est considérée telle un professionnel de l’immobilier : Cass. 3e civ., 28 mars 2012, n° 11-12872 : LEDIU mai 2012, n° 05, p. 7, note P.-L. Niel).
  • 14.
    Désormais l’article 1216 du Code civil consacre la cession de contrat. La clause de substitution doit-elle être abandonnée ? Pour Jacqueline Piedelièvre et Stéphane Piedelièvre, son maintien se justifie car elle permet d’écarter le formalisme fiscal de l’article 1589 du Code civil, que les solutions dégagées par la pratique et la jurisprudence sont éprouvées et, enfin, car son contenu peut en grande partie être librement décidé par les parties : J. Piedelièvre et S. Piedelièvre, Les promesses de vente et d’achat immobilières, 2018, Defrénois, nos 410 et s., p. 416.
  • 15.
    En effet, les clauses de substitution, distinctes de toute cession et de toute créances, peuvent être insérées dans des promesses unilatérales de vente sans risque d’être annulées sur le fondement de l’article 52 de la loi du 29 janvier 1993 : F. Breluque, « Le point sur les clauses de substitution dans les promesses unilatérales de vente », LPA 7 oct. 2002, p. 3.
  • 16.
    CA Versailles, 12e ch., 13 déc. 2011, n° 10/08415.
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