La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ELAN, à l’épreuve du Conseil Constitutionnel
À la suite de sa saisine par plus de soixante députés, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi ELAN et a reconnu sa non-conformité partielle en censurant d’office certaines dispositions (Cons. const., 15 nov. 2018, n° 2018-772 DC).
La loi ELAN adoptée après un processus législatif simplifié, la procédure accélérée ayant été ordonnée, le Conseil constitutionnel a été saisi pour connaître du texte par plus de 60 députés qui critiquaient au fond deux séries de mesures. Si ces dispositions ont été jugées conformes à la constitution (I), le Conseil constitutionnel a considéré que d’autres étaient inconstitutionnelles, pour des raisons purement de procédure (II).
I – Les dispositions critiquées reconnues constitutionnelles
Le Conseil constitutionnel a été saisi pour examiner la constitutionnalité de mesures relatives aux règles de construction dans les zones littorales (A) et aux normes d’accessibilité en faveur des personnes handicapées dans la construction des bâtiments d’habitation collectifs (B).
A – Les dispositions relatives aux règles de construction dans les zones littorales
Sur ce premier point, les députés auteurs de la saisine soutenaient que, faute d’avoir prévu les garanties nécessaires à la protection de l’environnement, les dispositions des articles 42, 43 et 45 de la loi qui, prises ensemble ou séparément, étendent les possibilités de construction dans les zones littorales, méconnaîtraient le droit à un environnement sain, le devoir de préservation et d’amélioration de l’environnement et le principe de précaution protégés respectivement par les articles 1er, 2 et 5 de la Charte de l’environnement. Ils prétendent aussi que l’article 45 serait entaché d’incompétence négative dans la mesure où les notions de « mise en valeur économique » et d’« ouverture au public » utilisées pour justifier la construction d’aménagements légers dans certaines zones ne seraient pas définies avec suffisamment de précision.
Au fond, le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions des articles de la loi modifiant les règles applicables en matière de construction dans les zones littorales attaquées conformes à la constitution.
En effet, au regard, notamment de l’article 1er de la Charte de l’environnement disposant que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », le Conseil constitutionnel a estimé que :
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si l’article 42 permet que des constructions et installations soient autorisées dans la zone littorale autrement qu’en continuité avec des agglomérations ou des villages existants, seules sont susceptibles d’être autorisées celles visant à améliorer l’offre de logement ou d’hébergement et l’implantation des services publics, à l’exclusion de toute autre. Il constate que le périmètre des zones où de telles constructions ou installations sont susceptibles d’être autorisées exclut la bande littorale de cent mètres ainsi que les espaces proches du rivage et les rives des plans d’eau. En outre, il est restreint aux secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le SCOT et délimités par le PLU. Il en déduit donc que les dispositions contestées excluent que les constructions ou installations ainsi autorisées puissent avoir pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ou de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti ;
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si l’article 43 modifie les dispositions du Code de l’urbanisme permettant l’autorisation, à titre dérogatoire, de certaines constructions ou installations en discontinuité avec l’urbanisation, cette autorisation ne porte que sur les constructions et installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières ou aux cultures marines et ne peut être accordée, dans les espaces proches du rivage, que pour les cultures marines. L’autorité administrative étatique compétente doit donc refuser de donner son accord si les constructions ou installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages ;
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si le 1° du paragraphe I de l’article 45 vise à permettre l’implantation d’aménagements légers dans les espaces remarquables ou caractéristiques et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques, le Conseil constitutionnel constate que cette implantation, qui est subordonnée à plusieurs conditions, ne concerne que des aménagements qui, outre le fait d’être limitativement énumérés et dont les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’État, sont soumis à une autorisation qui est délivrée, selon les cas, après une enquête publique ou une procédure de mise à disposition du public et, dans tous les cas, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ;
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enfin, si le II de l’article 45 complète le Code général des collectivités territoriales afin de permettre au plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, dans les communes soumises simultanément aux dispositions du Code de l’urbanisme relatives aux zones montagneuses et aux zones littorales, d’aménager des dérogations à ce double régime, les secteurs considérés demeurent soumis aux conditions d’urbanisation prévues pour les zones montagneuses afin de protéger l’environnement. En outre, cette dérogation n’est pas admise dans les espaces proches du rivage, qui restent soumis aux dispositions du Code de l’urbanisme relatives à la protection du littoral.
Le Conseil constitutionnel en a donc déduit que ces différentes dispositions, qui ne méconnaissent ni la Charte de l’environnement ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la constitution.
B – Les dispositions relatives à l’accessibilité
Les députés requérants contestent ici la constitutionnalité de l’article 64 de la loi qui vise à assouplir l’accessibilité en faveur des personnes handicapées dans la construction des bâtiments d’habitation collectifs. En effet, selon eux, en réduisant à hauteur de 20 % la proportion des logements devant être accessibles aux personnes en situation de handicap dans les bâtiments nouveaux d’habitation collectifs, alors que la loi actuelle impose un taux de 100 %, le législateur en réduisant la part des logements construits accessibles a porté une atteinte au « principe d’accessibilité au logement des personnes à mobilité réduite », méconnaissant ainsi les exigences découlant des dixième et onzième alinéas du préambule de la constitution de 1946 ainsi que du principe d’égalité devant la loi.
Mais le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il est possible au législateur, pour satisfaire aux exigences constitutionnelles, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées.
Ainsi, dans le domaine de la loi (article 34 de la constitution), le législateur peut modifier des textes antérieurs ou les abroger en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions.
Il lui est également possible d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu’il estime excessives ou inutiles.
Si le Conseil constitutionnel rappelle que l’exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel, ici, il relève que les dispositions imposent que :
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au sein des bâtiments d’habitation collectifs nouveaux, 20 % des logements, et au moins un logement, soient accessibles ;
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d’autre part, tous les autres logements construits dans de tels bâtiments soient évolutifs, c’est-à-dire que la mise en accessibilité des pièces composant l’unité de vie soit réalisable ultérieurement par des travaux simples. Sont des travaux simples ceux qui demeurent sans incidence sur les éléments de structure et qui n’impliquent pas de modifications sur les alimentations en fluide, les entrées et flux d’air et le tableau électrique.
Le Conseil constitutionnel estime donc que le législateur, qui a entendu maintenir l’accessibilité des personnes handicapées aux logements des bâtiments d’habitation collectifs neufs tout en assurant l’adaptation de ces logements pour prendre en compte la diversité et l’évolution des besoins, tant des individus que des familles, a retenu des critères qui ne sont pas manifestement inappropriés au but poursuivi.
II – Les inconstitutionnalités retenues
Le Conseil constitutionnel a censuré, essentiellement pour des raisons de procédure, 20 articles de la loi qui lui a été déférée, 19 au motif pour non-respect de la procédure législatives (A) et le dernier au motif du non-respect de la séparation des pouvoirs (B).
A – Le non-respect de la procédure législative
Le Conseil constitutionnel, sans se prononcer sur le fond, au motif du non-respect de la procédure législative a censuré 19 articles. En effet, il leur est reproché d’avoir été introduits par amendement en première lecture sans présenter de lien, même indirect, avec le projet de loi initial déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Adoptés selon une procédure contraire à la constitution, ces articles, dont six sont issus du titre I (1), deux issus du titre II (2), huit issus du titre III (3) et trois issus du titre IV (4), lui sont donc contraires.
1 – Les dispositions inconstitutionnelles du titre Ier « Construire plus, mieux et moins cher »
Article 52 : relatif aux règlements locaux de publicité
Article 53 : relatif aux règlements locaux de publicité
Article 66 : relatif aux obligations d’assurance en matière de construction
Article 72 : relatif à la création de l’observatoire des diagnostics immobiliers
Article 73 : relatif aux compétences du centre scientifique et technique du bâtiment
Article 76 : relatif aux marchés privés de bâtiment portant sur des travaux et prestations de service réalisés en cotraitance
2 – Les dispositions inconstitutionnelles du titre II « Évolutions du secteur du logement social »
Article 91 : relatif à l’autorisation permanente d’accès de la police nationale et de la gendarmerie nationale aux parties communes des immeubles des organismes d’habitations à loyer modéré
Article 101 : relatif aux règles de participation des départements au capital de sociétés d’économie mixte locales
3 – Les dispositions inconstitutionnelles du titre III « Répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale »
Article 108 : relatif aux conditions dans lesquelles une société civile immobilière familiale peut donner congé à son locataire
Article 121 : relatif aux sanctions en matière d’occupation des espaces communs des immeubles et à la résolution du bail en cas de condamnation du locataire pour trafic de stupéfiants
Article 123 : relatif à la possibilité pour les huissiers de justice d’accéder aux boîtes aux lettres dans les immeubles d’habitation
Article 135 : relatif à l’obligation donnée au bailleur de notifier au syndic de l’immeuble les coordonnées de son locataire
Article 144 : relatif aux autorisations de donner l’accès de manière permanente aux parties communes des immeubles d’habitation des agents assermentés du service municipal ou départemental du logement
Article 147 : relatif à l’exemption donnée aux propriétaires pratiquant la location saisonnière de fournir certains diagnostics techniques
Article 152 : relatif à l’accès des services statistiques publics aux parties communes des immeubles d’habitation
Article 155 : relatif à la révision tous les cinq ans de la liste des charges récupérables par le bailleur auprès de son locataire
4 – Les dispositions inconstitutionnelles du titre IV « Améliorer le cadre de vie »
Article 161 : relatif au signalement par des « préenseignes » la vente de produits du terroir dans les restaurants
Article 184 : relatif à la prolongation de l’expérimentation en matière de tarification sociale de l’eau
Article 200 : relatif à l’interdiction de réclamation de frais au titre d’une demande d’autorisation préalable de mise en location d’un logement dans les territoires présentant une proportion importante d’habitat dégradé
B – Le non-respect de la séparation des pouvoirs
L’article 196 de la loi prévoyait qu’un décret en Conseil d’État, relatif à la salubrité des habitations traitée dans le titre II du règlement sanitaire départemental, devait être publié dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi.
Or, aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». Et, en vertu de l’article 21 de la constitution, c’est le Premier ministre qui exerce, sous réserve de l’article 13 de la constitution, le pouvoir réglementaire.
Le Conseil constitutionnel a donc censuré d’office l’article 196 de la loi ELAN comme étant contraire au principe de séparation des pouvoirs et à l’article 21 de la constitution, en prévoyant d’imposer au pouvoir réglementaire de prendre un décret dans un délai déterminé dans son domaine d’intervention.
Conclusion
Ce texte très attendu (NDLR : pour une présentation complète v. Battistini P., La loi ELAN, 2 tomes, 2018, Gualino, Droit en poche) n’est pas un aboutissement d’une réforme dans le domaine de l’immobilier mais le précurseur de précisions et modifications à venir. En effet, tout d’abord, comme c’est classiquement le cas pour un texte d’une telle envergure, l’application de nombreuses dispositions de la loi suppose la publication de nombreux décrets d’application. Ensuite, le texte ouvre lui-même la porte à de nouvelles réformes à venir en confiant au gouvernement le soin d’intervenir par voie d’ordonnance, notamment, dans le domaine de la copropriété, du bail numérique ou de la lutte contre l’habitat indigne. Enfin, si les dispositions phares (réforme du contentieux de l’urbanisme, du logement social, bail mobilité, lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil…) n’ont pas été remises en cause lors du contrôle de constitutionnalité, on peut se demander si les 19 dispositions censurées, non pour des motifs au fond, mais pour un motif de procédure, ne seront pas à nouveau à l’ordre du jour.