Recourir à Airbnb pour enrichir son bailleur : du nouveau dans la sanction des sous-locations illicites

Publié le 29/01/2020

L’arrêt du 12 septembre 2019 consacre une solution apparemment sans faille. Les sous-loyers perçus par un locataire au titre d’une sous-location illicite constituent des fruits civils qui appartiennent par voie d’accession au propriétaire du bien. Le locataire se voit ainsi contraint de restituer les sommes irrégulièrement perçues au bailleur, permettant à celui-ci de jouir d’un second loyer venant s’ajouter aux loyers versés au titre du contrat principal. Toute réflexion faite, il semble pourtant que, sous couvert d’une application rationnelle du droit des biens, se cache une décision plus originale consacrant une peine privée au profit du propriétaire du bien.

Cass. 3e civ., 12 sept. 2019, no 18-20727, PB

À n’en pas douter, la décision du 12 septembre 2019 (Cass. 3e civ., 12 sept. 2019, n° 18-20727), rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, ne manquera pas de susciter l’intérêt de tous, universitaires comme praticiens. La Cour de cassation règle d’une façon originale le sort des loyers perçus dans le cadre d’une sous-location illicite. Dans le contexte économique marqué par l’essor des plates-formes collaboratives, qui facilitent la conclusion de locations ou de sous-locations de courte durée entre particuliers (Airbnb en tête), la tentation est désormais grande pour un locataire de chercher à rentabiliser le bien qu’il détient en le mettant lui-même à disposition contre rémunération1. Pourtant, à suivre la jurisprudence rendue par la plus haute cour de l’ordre judiciaire, celui-ci serait bien malavisé de le faire.

Les faits à l’origine de la décision sont simples. Un propriétaire découvre au moment de délivrer congé à ses locataires que ceux-ci ont procédé à une sous-location sans son accord. Il décide alors de les assigner en validation du congé sans oublier de réclamer au passage les loyers perçus dans le cadre du contrat irrégulièrement conclu.

À la suite de l’arrêt d’appel condamnant les locataires à restituer les sous-loyers au propriétaire, ceux-ci forment un pourvoi en cassation. Reprenant la motivation des juges du fond, la Cour de cassation le rejette en retenant que « sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ; qu’ayant relevé que les locataires avaient sous-loué l’appartement pendant plusieurs années sans l’accord du bailleur, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur, que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées ». La décision de la Cour de cassation nous invite ainsi à délaisser le droit des contrats pour le droit des biens. Le régime des sous-loyers dépendrait logiquement de leur nature appréciée sous un angle réel (au sens de res, la chose).

À première vue, le raisonnement présente tous les signes de l’orthodoxie juridique. La Cour de cassation se fonde sur une majeure qui relie logiquement la qualification (de fruits civils) au régime (de l’accession). À bien y réfléchir cependant, il y a tout lieu de penser que sous l’apparence d’une application rigoureuse du droit des biens se cache une décision plus audacieuse. Les règles sont ici instrumentalisées pour réprimer la vénalité des preneurs. La solution est très favorable au propriétaire qui percevra en conséquence un double loyer : celui que lui doit son locataire plus le sous-loyer irrégulièrement perçu par ce dernier. Aussi, sous couvert d’une qualification classique, la décision consacre en réalité une peine privée au bénéfice du propriétaire. Étayons ce raisonnement en interrogeant la pertinence de la qualification retenue (I) puis celle du régime qui lui est associé (II).

I – La nature des sous-loyers : la qualification de fruit civil

Le premier temps du raisonnement consiste à qualifier les sous-loyers en fruits civils produits par le bien loué. Tant le principe de la qualification des sous-loyers en fruits civils (A) que le domaine exact de cette qualification suscitent des interrogations (B).

A – Une qualification discutable en son principe

Au premier abord, l’affirmation du caractère discutable de la qualification de fruit civil appliquée à une créance de loyer pourrait surprendre. Les loyers ne constituent-ils pas, en effet, des fruits civils par excellence ? Tous les manuels en conviennent2, et pour cause, l’article 584, alinéa 1er, du Code civil range les « loyers des maisons » dans cette catégorie, au même titre que les intérêts de sommes d’argent par exemple3. Au sein de la catégorie des fruits (lesquels peuvent être définis comme « tout ce que fournit la chose régulièrement et sans que sa substance en soit altérée »4), on oppose généralement les fruits civils aux fruits naturels ou industriels. Ces derniers correspondent à des choses que le bien produit effectivement, soit spontanément (ce sont les fruits naturels, telle la pomme produite par un arbre sauvage), soit par l’intermédiaire d’une exploitation humaine (ce sont les fruits industriels, les denrées agricoles par exemple). Les fruits civils, quant à eux, ne sont pas véritablement produits par le bien, mais par un contrat dont le bien est l’objet. Ils représentent la contrepartie d’une mise à disposition de la chose (loyer, intérêt, dividende…)5.

Le rattachement des loyers à la catégorie des fruits civils semble ainsi entendu, mais la question paraît jusque-là mal posée, car c’est sur la pertinence de la catégorie elle-même qu’il convient de s’interroger6. La doctrine se montre en effet assez critique envers la notion de fruit civil. Certes, à première vue, ces derniers (loyers, intérêts de sommes d’argent…) répondent aux deux critères généralement posés pour la qualification de fruit. Ils présentent un caractère périodique (ainsi, les loyers d’un logement d’habitation sont le plus souvent versés mensuellement)7 et n’altèrent pas la substance de la chose frugifère (le loyer perçu ou l’intérêt versé n’entament en rien le capital mis à disposition). Malgré tout, on avance que ces fruits ne sont pas véritablement produits par le bien mais par un contrat à l’occasion d’un échange portant sur le bien8. D’ailleurs, ils ne font jamais corps avec la chose à laquelle on les rattache, contrairement aux fruits naturels ou industriels qui doivent être détachés du bien frugifère pour former juridiquement des fruits (la pomme doit être détachée du pommier, le blé doit être récolté, etc.). Le droit romain déniait ainsi aux loyers et autres substituts de la jouissance cette qualification9. La notion de fruit civil ne renverrait en définitive qu’à des fruits fictifs10. Il ne s’agirait que d’une qualification d’opportunité et non d’une qualification dotée d’une valeur de vérité. L’enjeu est essentiellement d’optimiser la valorisation du bien en permettant au propriétaire ou à un tiers (on pense naturellement à l’usufruitier11) de s’approprier les richesses créées par la chose12. Le droit de s’approprier les fruits (le ius fruendi) s’analyse en définitive comme un droit à l’enrichissement, ou plus précisément un droit à l’appropriation des richesses créées par un bien13.

Cela étant dit, on peut s’interroger sur la pertinence du recours à cette fiction pour qualifier les sous-loyers perçus par le preneur. Il est permis de douter, en effet, que les sommes versées au locataire principal dans le cadre de la sous-location constituent véritablement une richesse nouvelle. En réalité, la sous-location procède bien plus à un déplacement de la charge définitive de la dette qu’à une création de valeur. Alors que le bail initial fait porter sur la tête du locataire principal le poids de l’obligation monétaire que constituent les loyers, la sous-location permet de faire peser ce poids sur les épaules du sous-locataire. Dans la mesure où le sous-loyer n’excède pas le loyer initial, ce que le sous-locataire paiera au locataire sera reversé par la suite au propriétaire dans le cadre de l’exécution du contrat principal. Loin de créer de la valeur, la sous-location procède économiquement à une simple substitution de personnes. La sous-location se rapproche ainsi, dans ses conséquences matérielles (et non juridiques), d’une cession de bail. En contrepartie de la jouissance du bien, le sous-locataire supportera financièrement l’opération à la place du contractant initial. La décision de la Cour de cassation de qualifier les sous-loyers de fruits civils ne peut donc pas totalement se justifier par le souci de conférer au titulaire du ius fruendi un droit à l’appropriation des richesses créées par le bien.

Le raisonnement que nous venons de tenir se limite mécaniquement à la portion du sous-loyer qui n’excède pas le loyer initial. Pour la portion de sous-loyer excédentaire, lorsque celle-ci existe, il y a bel et bien création de valeur. Nous y reviendrons.

Discutable en son principe, la qualification suscite aussi des questionnements quant à son domaine.

B – Une qualification discutable en son domaine

À suivre la lettre de l’arrêt, seuls les sous-loyers perçus par le locataire principal sont concernés par la qualification de fruit civil. En l’espèce, le litige était survenu a posteriori, alors que le bail avait déjà vécu. Le propriétaire agissait contre son locataire pour l’obliger à restituer les sommes reçues en paiement.

Qu’en est-il des sous-loyers dus par le sous-débiteur mais non encore perçus par le locataire principal, autrement dit qu’en est-il de la créance qui n’a pas encore été payée ? Le propriétaire peut-il agir préventivement contre le sous-locataire ?

À première vue, une réponse affirmative semble s’imposer. La logique du droit des biens devrait conduire à faire bénéficier le propriétaire de la sous-location dès la naissance de la créance14.

Pour autant, cette solution ne manquera pas de surprendre, surtout si l’on se place du point de vue du droit des contrats. La raison tient au fait que le propriétaire du bien loué est un tiers au contrat de sous-location15. De surcroît, en vertu d’une jurisprudence constante, le bail conclu sans son autorisation lui est inopposable16. Par quel moyen deviendrait-il alors créancier d’un contrat auquel il n’est pas partie et en vertu duquel il n’est pas engagé ? Les ressorts classiques permettant d’impliquer un tiers à la conclusion du contrat (représentation, stipulation pour autrui…) paraissent ici de bien peu d’aide pour résoudre cette difficulté. Il est étrange que l’engagement du sous-locataire envers le locataire fasse naître une créance dans le patrimoine du propriétaire. L’on perçoit déjà que ce qui apparaissait comme une application classique du droit des biens contient les germes d’un mécanisme dérogatoire du droit commun.

Certes, on pourrait rappeler que le législateur octroie depuis longtemps au propriétaire une action directe en paiement à l’encontre du sous-locataire mais celle-ci vise en réalité à obtenir le paiement de ce que doit le locataire principal au bailleur17. Dans le cadre de cette action, le paiement réalisé par le sous-locataire éteint deux obligations : celle du sous-locataire envers le locataire et celle du locataire envers le propriétaire.

Quoi qu’il en soit, malgré ces obstacles théoriques, la recherche d’efficacité dans la sanction des sous-locations illicites devrait conduire à élargir la qualification de fruit civil à la créance de loyer et non seulement aux loyers perçus. Il s’ensuit que le propriétaire deviendra créancier en vertu d’un contrat qu’il n’a pas conclu et auquel il n’est pas tenu.

Dans le contexte de l’économie collaborative, la question se dédouble car ce type de relation fait intervenir un autre intervenant : la plate-forme. Le plus souvent, c’est la plate-forme qui perçoit l’argent versé par l’utilisateur à charge pour elle de reverser les sommes au prestataire (lui aussi utilisateur de la plate-forme). Celle-ci joue alors le rôle d’un mandataire de paiement. Dans ces conditions, le propriétaire peut-il également agir contre la plate-forme qui aurait perçu les sous-loyers illicites ? La jurisprudence naissante est en ce sens. Un jugement rendu par un tribunal d’instance a ainsi accueilli la demande d’un propriétaire intentée contre la plate-forme Airbnb en restitution des sous-loyers18.

Le forçage de la qualification de fruit a pour but d’appliquer le régime généralement attaché à celle-ci, faisant du propriétaire du bien frugifère le propriétaire des fruits créés par la chose. Or ce régime mérite lui aussi d’être examiné car son application n’allait pas de soi en l’espèce.

Recourir à Airbnb pour enrichir son bailleur : du nouveau dans la sanction des sous-locations illicites
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II – Le régime des sous-loyers : application des règles de l’accession

Par application de la règle selon laquelle l’accessoire suit le principal, la propriété des fruits revient au propriétaire du bien frugifère. Dans le contexte de la sous-location illicite, cette règle revient à faire du propriétaire du bien loué le propriétaire naturel des sous-loyers irrégulièrement perçus (A). Ce n’est qu’à titre exceptionnel que le locataire sera légitime à percevoir les fruits de la sous-location (B).

A – L’appropriation punitive des sous-loyers par le propriétaire

Comme la qualification, le régime appliqué paraît en première analyse empli de bon sens. Les fruits produits par un bien appartiennent naturellement au propriétaire. Ainsi en est-il décidé par l’article 547 du Code civil qui dispose que les fruits civils « appartiennent au propriétaire par droit d’accession ». Il s’ensuit qu’en principe, les sous-loyers irrégulièrement perçus par le locataire principal, une fois qualifiés de fruit civil, doivent revenir logiquement au bailleur initial, propriétaire du bien.

D’emblée, toutefois, le fondement choisi par le Code civil pour fonder ce mécanisme d’appropriation suscite des interrogations. On a pu faire valoir que l’appropriation des fruits reposait sur une logique diamétralement opposée à celle de l’appropriation d’un bien par voie d’accession19. La première consiste à attribuer la propriété d’un bien nouvellement créé (le fruit) tandis que la seconde a pour objet d’attribuer la propriété d’un bien transformé, issu de la fusion de deux choses préexistantes. Stricto sensu, l’accession permet ainsi de désigner, en cas de fusion entre deux choses préexistantes appartenant à des propriétaires différents, celui qui aura le droit d’en conserver la propriété. Il ne faut toutefois pas exagérer les différences entre ces deux situations. Dans les deux cas, l’extension de la propriété est fondée sur un rapport d’accessoire à principal. S’agissant du mécanisme d’accession stricto sensu, le propriétaire de la chose principale devient propriétaire de la chose accessoire qui vient s’y agréger20. S’agissant de l’appropriation des fruits, le propriétaire de la chose principale devient propriétaire de la chose accessoire (le fruit) créée à partir de la première. Chaque fois, il y a extension de la propriété du principal vers l’accessoire21. Le fondement retenu par le Code civil ne nous paraît donc pas totalement impropre à justifier le droit au fruit du propriétaire22.

En revanche, là encore, c’est au moment d’appliquer ce fondement aux fruits civils que le bât blesse. Il est difficile en effet de concevoir que le droit de percevoir les loyers résulte d’un mécanisme d’accession23. Par définition, les fruits civils naissent à la suite d’un contrat par lequel le propriétaire met à disposition le bien frugifère. Or le contrat à lui seul permet d’expliquer que le bailleur devienne propriétaire des sommes versées au titre de la location. Le loyer n’est que la contrepartie de l’échange consistant à mettre à disposition le bien loué. Il est le prix de l’opération24. En ce sens, il est tout à fait comparable à un prix de vente ou à un prix rémunérant une prestation de service, dont l’appropriation par le vendeur ou le prestataire n’a jamais demandé de recourir à la théorie de l’accession. Il n’est donc pas nécessaire d’aller chercher plus loin une raison à l’appropriation des loyers versés en contrepartie de la prestation réalisée par le bailleur. La force obligatoire des conventions suffit.

Doit-on apprécier différemment la situation en présence d’un bail sur la chose d’autrui ? Il est permis d’en douter. D’une part, s’agissant de la sous-location, le recours à cette notion apparaît inutile dès lors que la portion du sous-loyer qui n’excède pas le loyer principal reviendra mécaniquement au propriétaire. D’autre part, s’agissant plus généralement du bail de la chose d’autrui, les auteurs s’en tiennent à une approche contractualiste faisant du contractant le propriétaire des loyers perçus sur la chose d’autrui25. Ils étaient suivis en cela par la jurisprudence qui se montrait particulièrement clémente en la matière. Contrairement à la vente de la chose d’autrui, annulable sauf régularisation26, le bail de la chose d’autrui n’était pas nul mais simplement inopposable au bailleur27. Ce dernier ne pouvait donc que revendiquer son bien, résilier le bail principal (dans l’hypothèse spécifique d’une sous-location) et demander des dommages et intérêts28.

Il reste que cette solution peut laisser un sentiment d’impunité à l’égard de celui qui donne à bail irrégulièrement un bien dont il n’est pas propriétaire. Le locataire peut avoir intérêt à sous-louer le bien si le bénéfice qu’il en retire est plus important que les dommages et intérêts qu’il sera amené à verser. On reconnaît ici la figure de la faute lucrative selon laquelle il est plus avantageux de commettre une faute que de ne pas la commettre car la sanction retenue par le droit n’est pas de nature à faire perdre au contrevenant le gain issu de la violation de la loi29. Dans ce cas de figure, le fautif réalise en toute hypothèse plus de bénéfices que de pertes, et cela même s’il vient à être sanctionné.

Dans ce contexte, il peut paraître légitime de chercher à éviter une violation efficace de la loi en privant le contrevenant des bénéfices qu’il retire de son comportement. C’est à ce résultat que conduit la décision commentée. Le gain réalisé par le locataire en violation de la loi sera reversé au propriétaire. Sous couvert d’attribuer la propriété d’un fruit nouvellement créé à son propriétaire naturel, la Cour de cassation sanctionne en réalité le locataire. Le droit au fruit n’est plus utilisé comme un droit à l’appropriation des richesses créées par une chose, mais comme un droit à la captation d’un bien mal acquis à l’occasion d’un contrat portant sur la chose d’autrui. La notion de fruit est ainsi instrumentalisée à des fins de sanction. Il est à noter que cette sanction n’est pas simplement compensatoire (elle ne vise pas à rétablir un statu quo ante), elle se veut punitive (elle place le locataire dans un état plus défavorable que son état d’origine, celui-ci étant tenu de verser son loyer et de restituer le sous-loyer sans avoir pu bénéficier en contrepartie de la jouissance du bien). C’est pourquoi nous y voyons une sorte de peine privée30.

La solution peut sembler opportune en ce qu’elle favorise l’autorité de la norme violée. La perspective d’un enrichissement (enrichissement-sanction ou enrichissement punitif qu’il ne faut pas trop vite assimiler à un enrichissement injustifié ou sans cause)31 incite le propriétaire à agir pour rétablir la légalité bafouée. Cette nouvelle sanction n’est peut-être pas de trop pour contrer le risque de sous-location illicite suscité par l’essor des plates-formes de type Airbnb, auquel le locataire avait recouru en l’espèce. Il n’empêche que cette jurisprudence fait figure de formidable cadeau offert au propriétaire qui bénéficiera d’un double loyer au titre de sa prestation de mise à disposition. On peut être tenté d’arguer en faveur du locataire que si les régimes spéciaux le favorisent tant, c’est parce que celui-ci se trouve dans une position de faiblesse. Cette position devrait mériter quelque indulgence. On sait aussi que le poids des dépenses locatives pèse de plus en plus lourd sur le budget des ménages. La sanction de la perte du sous-loyer qui devrait vraisemblablement pouvoir s’ajouter à la résiliation du contrat et peut-être parfois à la responsabilité civile risque d’apparaître disproportionnée eu égard à la violation commise. Il faut rappeler en outre que le locataire demeure débiteur du propriétaire et qu’il est tenu des dégradations commises par le sous-locataire32. Peut-être serait-il plus juste de distinguer selon que le locataire a entendu réaliser une plus-value locative en sous-louant le bien plus cher que le loyer d’origine ou selon que le locataire a simplement cherché à déplacer le poids du contrat sur un tiers.

B – L’appropriation exceptionnelle des sous-loyers par le preneur

Fort logiquement, la Cour de cassation réserve l’hypothèse dans laquelle le bailleur aurait autorisé le preneur à conclure une sous-location. Dans cette situation, le preneur est légitime à percevoir et à conserver le sous-loyer33. Le locataire ne mérite plus d’être sanctionné puisqu’il agit en vertu de l’autorisation donnée par le bailleur.

À suivre la lettre de l’arrêt, on pourrait se demander si l’autorisation du bailleur est nécessaire en toute hypothèse, même dans les cas où la loi autorise de manière supplétive la sous-location. Littéralement, la décision ne réserve pas l’exception de simple légalité. Il s’agit pourtant de la solution de principe posée par le droit commun. L’article 1717 du Code civil autorise par principe la sous-location dans le bail34. Il est vrai que les régimes spéciaux font peu de cas de ce principe et qu’ils y dérogent allègrement. « En vérité c’est le droit spécial qui est ici la règle »35. Ainsi, la loi du 6 juillet 1989 régissant les baux d’habitation pose dans son article 8 un principe d’interdiction de la sous-location36. Il s’agissait d’ailleurs en l’espèce d’un bail d’habitation de statut prohibitif. Il est dès lors probable que cette circonstance ait influencé la rédaction de la décision, ceci expliquant pourquoi les juges n’ont pas pensé à mentionner l’exception de légalité. Certains pourraient également faire valoir que dans la mesure où la sous-location est autorisée par la loi sans être interdite par le bailleur, celui-ci consent tacitement à ce que le preneur réalise une sous-location, de sorte qu’il lui octroie le droit de percevoir les loyers tirés du sous-contrat37. En tout état de cause, dans la mesure où la qualification de fruit est instrumentalisée à des fins de sanction, il devrait aller de soi que, lorsque la sous-location est autorisée par la loi, il n’y a pas lieu de sanctionner le locataire.

On écartera en revanche l’exception classiquement retenue selon laquelle le possesseur de bonne foi du bien frugifère n’est pas tenu de restituer les fruits perçus pendant que le bien était en sa possession38. L’article 550 du Code civil précise que le possesseur de bonne foi dont il est ici question est celui qui « possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices »39, ce qui exclut d’emblée le locataire qui ne possède pas à titre de propriétaire et encore moins en vertu d’un titre translatif dont il ignore les vices.

En définitive, si l’appréhension de la sous-location par le droit des biens apparaît quelque peu forcée, elle trouve sa légitimité en ce qu’elle dissuade immanquablement le locataire de recourir à cette opération lorsqu’elle est prohibée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    De La Vaissière F., obs. sous CA Paris, 5 juin 2018, n° 16/10684 : AJDJ 2018, p. 864 ; Gauthier P.-Y., obs. sous TGI Paris, 5e ch., 6 avr. 2016, n° 11-15-000294 : RTD civ. 2016, p. 651. Sur la notion de plate-forme et d’économie collaborative, v. Fortunato A., « La relation contractuelle collaborative », RTD com. 2019, p. 19 et s. ; Béhar-Touchais M. (dir.), Les conséquences juridiques de l’ubérisation de l’économie. Actes des journées du 12, 13 et 14 octobre 2016, t. 89, 2017, André Tunc, IRJS éditions, Bibliothèque de l’institut de recherche juridique de la Sorbonne ; Martial-Braz N., « De quoi l’« ubérisation » est-elle le nom ? », Dalloz IP/IT 2017, p. 133 et s.
  • 2.
    V. not. Larroumet C. et Mallet-Bricout B., Traité de droit civil. Les biens, droits réels principaux, t. 2, 6e éd., 2019, Economica, p. 124, n° 225 ; Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, 10e éd., 2018, Dalloz, Précis, p. 135, n° 124 ; Zenati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 1998, PUF, p. 189, n° 124.
  • 3.
    C. civ., art. 584, al. 1er : « Les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes ».
  • 4.
    Larroumet C. et Mallet-Bricout B., Traité de droit civil. Les biens, droits réels principaux, t. 2, 6e éd., 2019, Economica, p. 123, n° 225.
  • 5.
    Aubry C., Rau C. et Esmein P.-E., Droit civil français. Les biens, t. 2, 7e éd., 1961, Librairie Technique, p. 288 : « Les fruits civils sont les sommes ou prestations dues par un tiers, en vertu d’une obligation ayant pour cause la jouissance de la chose » ; Planiol M., Picard M. et Ripert G., Traité pratique de droit civil français. Les biens, t. 3, 2e éd., 1952, LGDJ : « Les fruits civils sont les revenus en argent qu’une personne tire d’une chose par suite d’un contrat (louage, prêt, etc.) ayant transféré à une autre personne la jouissance matérielle d’une chose » ; Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 445, n° 69.
  • 6.
    Dross W., Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, p. 19 et s., nos 15 et s. ; Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 178 et s., nos 271 et s.
  • 7.
    Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 179, n° 272, qui estime que « le fondement idéologique des fruits civils » (souligné par l’auteur) réside dans leur caractéristique.
  • 8.
    Dross W., Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, p. 19, n° 15 ; Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 179, n° 272.
  • 9.
    Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, Thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 40, n° 55.
  • 10.
    Dross W., Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, p. 20, n° 15-1 ; adde Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 40 et s., nos 55 et s., spéc. p. 179, n° 272, v. également p. 183, n° 279.
  • 11.
    Dross W., Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, p. 20, n° 15-1 : « On peut se demander à quoi sert de saisir l’obligation d’un débiteur sous le prisme du droit des biens. Assurément, il s’agit essentiellement de permettre à l’usufruitier d’un bien donné à bail d’accaparer définitivement les loyers : en les qualifiant de fruits, on les lui offre ».
  • 12.
    Zenati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 1998, PUF, p. 193, n° 126.
  • 13.
    Rappr. Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 180 et s., nos 275 et s.
  • 14.
    Zenati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 1998, PUF, p. 193, n° 126. D’une part, le propriétaire est mieux traité que le possesseur : « Le possesseur n’acquiert pas les fruits, comme le fait le propriétaire, par le seul fait de leur existence ; il doit les percevoir pour en devenir propriétaire ». D’autre part, les fruits civils sont traités différemment des autres fruits : « Aussi la loi présume-t-elle que le possesseur perçoit les fruits civils jour par jour et non pas à l’échéance de la dette ni à son paiement » (C. civ., art. 586). Ces deux raisons convergent en l’espèce pour une appropriation ab origine des créances par le propriétaire des fruits.
  • 15.
    Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 418, n° 644 : « Le propriétaire est un tiers au contrat générateur des fruits civils et nous verrons qu’à ce titre il ne peut les revendiquer ».
  • 16.
    Cass. 3e civ., 13 févr. 1985 : Bull. civ. III, n° 33, « le bail de la chose d’autrui, inopposable au propriétaire, produit effet entre le bailleur et le preneur tant que celui-ci a la jouissance paisible des lieux ». V. sur ce point, Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 417 et s., nos 641 et s.
  • 17.
    C. civ., art. 1753 : « Le sous-locataire n’est tenu envers le propriétaire que jusqu’à concurrence du prix de sa sous-location dont il peut être débiteur au moment de la saisie, et sans qu’il puisse opposer des paiements faits par anticipation. Les paiements faits par le sous-locataire, soit en vertu d’une stipulation portée en son bail, soit en conséquence de l’usage des lieux, ne sont pas réputés faits par anticipation ». V. sur ce point, not. Rép. civ. Dalloz, v° Bail, 2019, n° 108, note De Vincelles Aubert C. et Noblot C.
  • 18.
    TI Paris, 6 févr. 2018, n° 11-17-000190 : JT 2018, p. 10, obs. Delpech X. ; AJDJ 2018, p. 864, obs. De La Vaissière F. : « Il est enfin réclamé, en application des articles 546 et 547 du Code civil, une somme de 1 869,07 € perçue par la société Airbnb du fait de la mise à disposition illicite de son bien. La défenderesse n’a fait valoir aucune contestation, ni sur le principe, ni sur le montant réclamé. Elle sera, en application de ces textes, condamnée à restituer cette somme au demandeur ».
  • 19.
    V. sur cette question, Dross W., Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, p. 22 et s., nos 16 et s.
  • 20.
    En matière immobilière, le sol est toujours le principal et la superficie l’accessoire, et cela en vertu de l’adage superficies solo cedit que l’on peut traduire littéralement par « la superficie cède devant le sol ». Sur cet adage, Roland H. et Boyer L., Adages du droit français, 4e éd., 1999, Litec, p. 855 et s. : « L’adage proclame la force d’absorption illimitée du sol ». V. en droit positif, l’article 553 du Code civil : « Toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si le contraire n’est prouvé ; sans préjudice de la propriété qu’un tiers pourrait avoir acquise ou pourrait acquérir par prescription soit d’un souterrain sous le bâtiment d’autrui, soit de toute autre partie du bâtiment ».
  • 21.
    Zenati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 1998, PUF, p. 187, n° 122.
  • 22.
    Il convient ainsi de distinguer, à l’instar de nombreux auteurs de manuel, l’accession par production (appropriation des fruits) et l’accession par incorporation (appropriation des constructions faites sur un terrain par ex.). V. not. Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, 10e éd., 2018, Dalloz, Précis, p. 209 et s., nos 229 et s.
  • 23.
    Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 223 et s., nos 332 et s.
  • 24.
    Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 421, n° 650.
  • 25.
    Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L., p. 418 et s., nos 640 et s., spéc. p. 421, n° 650 : « C’est au titre de sa qualité de cocontractant, indépendamment de son lien avec la chose, que le créancier perçoit les fruits civils ».
  • 26.
    C. civ., art. 1599.
  • 27.
    Cass. 3e civ., 13 févr. 1985 : Bull. civ. III, n° 33, « le bail de la chose d’autrui, inopposable au propriétaire, produit effet entre le bailleur et le preneur tant que celui-ci a la jouissance paisible des lieux ».
  • 28.
    Dans le jugement du tribunal d’instance précité, le propriétaire a par exemple obtenu réparation du préjudice moral ainsi que du préjudice matériel correspondant aux frais d’huissier engagés pour prouver son bon droit.
  • 29.
    Fournier de Crouy N., La faute lucrative, 2018, Economica, préf. Behar-Touchais M.
  • 30.
    V. sur ce concept, Jault A., La notion de peine privée, t. 442, 2005, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, préf. Chabas F.
  • 31.
    V. not. Dalloz actualité, 17 sept. 2019, obs. Rouquet Y., les locataires avaient plaidé en appel l’enrichissement sans cause du bailleur pour obtenir gain de cause, sans succès.
  • 32.
    C. civ., art. 1735.
  • 33.
    On pourrait se demander si ce droit de percevoir les fruits ne revient pas à octroyer au preneur un droit réel de jouissance comparable à celui dont bénéficie l’usufruitier. La doctrine considère toutefois que le droit au fruit du preneur, lorsque celui-ci en bénéficie, n’est qu’un droit personnel et non réel. Par suite, il ne serait pas interdit au propriétaire de percevoir les loyers tirés d’une sous-location licite à charge pour lui de les reverser à son locataire ou à défaut d’engager sa responsabilité contractuelle à son égard. Symétriquement, le preneur ne fait réellement les fruits siens qu’à partir du moment où il les perçoit, soit du propriétaire, soit le plus souvent du sous-locataire (le paiement réalisé par le sous-locataire au locataire constituant aux yeux de la doctrine une sorte de traditio implicite, voire fictive, du propriétaire envers le locataire). V. sur cette question, Jaoul M., La notion de fruits. Étude de droit privé, t. 57, 2018, Defrénois, thèse, préf. Mathieu M.-L.
  • 34.
    C. civ., art. 1717 : « Le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite ».
  • 35.
    Gauthier P.-Y., obs. sous TGI Paris, 5e ch., 6 avr. 2016, n° 11-15-000294 : RTD civ. 2016, p. 651.
  • 36.
    L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 8 : « Le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni sous-louer le logement sauf avec l’accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer. Le prix du loyer au mètre carré de surface habitable des locaux sous-loués ne peut excéder celui payé par le locataire principal. Le locataire transmet au sous-locataire l’autorisation écrite du bailleur et la cope du bail en cours. En cas de cassation du contrat principal, le sous-locataire ne peut se prévaloir d’aucun droit à l’encontre du bailleur ni d’aucun titre d’occupation. Les autres dispositions de la présente loi ne sont pas applicables au contrat de sous-location ». V. également, l’article L. 145-31 du Code de commerce à propos du bail commercial.
  • 37.
    Nous partageons toutefois sur ce point les réserves du professeur Pérès C. exprimées notamment dans sa thèse, La règle supplétive, t. 421, 2004, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, préf. Viney G., p. 332, n° 358. La règle supplétive se définit comme la règle applicable à défaut de clause contraire. Or, on ne peut pas dire que cette règle présume le contenu de la volonté des parties tout en posant comme condition de la présomption l’absence de volonté des parties. Il y a là une contradiction logique qui consiste en ce que la condition de la présomption de l’existence d’une chose consiste à établir que cette chose n’existe pas.
  • 38.
    Larroumet C. et Mallet-Bricout B., Traité de droit civil. Les biens, droits réels principaux, t. 2, 6e éd., 2019, Economica, p. 127 et s., nos 232 et s.
  • 39.
    C. civ., art. 550.
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