Sol pollué, responsabilité du vendeur et proportionnalité de l’indemnisation
La décision rendue le 20 octobre 2022 par la cour d’appel de Lyon traite de l’obligation de délivrance conforme du vendeur concernant un terrain pollué. Elle démontre que les conséquences d’un manquement peuvent être particulièrement importantes en termes financiers. De plus, elle rappelle l’étendue de l’obligation d’information et de conseil qui repose sur le notaire en la matière. La vigilance dans la rédaction des clauses concernant d’éventuelles pollutions dans le contrat de vente est donc de mise.
CA Lyon, 20 oct. 2022, no 21/08664
Une décision de la cour d’appel de Lyon en date du 20 octobre 2022 a rappelé les considérables risques financiers (en l’occurrence plus de 900 000 €) que court le vendeur d’un bien immobilier s’il manque à son obligation de délivrance conforme, ainsi que l’étendue du devoir de conseil et d’information du notaire en matière de pollution des sols.
En 2010, un compromis de vente a été signé entre les requérants et le vendeur concernant une maison. La vente a été réitérée par acte authentique environ six mois plus tard, le montant de la transaction s’élevait à 440 000 €. En 2018, les requérants ont engagé des travaux d’extension et de rénovation qui ont dû être interrompus à la suite de la découverte d’une importante pollution des sols. Le rapport d’expertise indique que le terrain est « un site pollué à risque, par des métaux lourds, des dioxines, des furanes, des hydrocarbures, des trichloréthylènes, des tétrachloréthylènes, touchant les sols, les gaz de sol et les eaux souterraines ». Le maire de la commune a d’ailleurs, à la suite de cette découverte, interdit par arrêté l’utilisation de l’eau du réseau de distribution pour les usages alimentaires sur un périmètre incluant la propriété des requérants.
Les acheteurs ont assigné le vendeur et les études notariales ayant participé à l’élaboration de l’acte authentique devant le tribunal judiciaire de Lyon qui a rendu son arrêt le 20 octobre 20211. Des appels ont été interjetés devant la cour d’appel de Lyon par le vendeur et les acheteurs. Cette dernière, dans sa décision du 20 octobre 2022, confirme en grande partie le jugement de première instance.
La décision est fondée sur l’article 1604 du Code civil et rappelle la jurisprudence en matière d’obligation de délivrance conforme du vendeur, concernant une pollution des sols. En l’espèce, le vendeur est condamné à supporter l’ensemble des frais de dépollution estimés à 894 840 €. Des préjudices moraux, de jouissance et d’anxiété sont également indemnisés. La disproportion entre le prix de vente et le montant de la réhabilitation prévu démontre la dimension stratégique du fondement juridique sur lequel est fondé ce recours (I). En effet, le droit de l’environnement semble offrir parfois moins de garanties à l’acheteur d’un bien pollué que le droit issu du Code civil. Le juge déclare les notaires responsables in solidum des préjudices subis par les acheteurs dans la limite de 80 % en raison de leurs manquements à leur obligation d’information et de conseil. La sévérité apparente de cette décision rappelle l’étendue de ces obligations concernant un bien dont le sol est pollué et l’importance de la précision dans la rédaction des clauses, au-delà des informations transmises par le vendeur (II).
I – Un manquement du vendeur à l’obligation de délivrance conforme
L’intervention de l’obligation de délivrance conforme, prévue par les articles 1603 et 1604 du Code civil, dans le contentieux en matière de pollution des sols n’est pas une nouveauté2. Cette possibilité ne concerne cependant que les contrats de vente mentionnant l’état de dépollution d’un bien3. L’article 1604 du Code civil définit la délivrance d’une chose vendue comme le transport de celle-ci en la puissance et possession de l’acheteur. La décision rappelle qu’il appartient à l’acheteur qui invoque le défaut de délivrance de la chose vendue de démontrer l’absence de conformité de la chose aux spécifications contractuelles.
L’absence de pollution du bien peut constituer une caractéristique du contrat de vente, en fonction des clauses de ce dernier4. En l’occurrence, la promesse synallagmatique de vente du bien intégrait une clause intitulée « Protection de l’environnement ». Elle rappelait les dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement concernant l’obligation du vendeur d’informer l’acheteur lorsqu’une installation classée protection de l’environnement (ICPE) soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée sur le terrain. Le vendeur avait de plus déclaré qu’il n’avait pas personnellement exploité une installation soumise à autorisation sur les lieux objets du contrat de vente et qu’à sa connaissance l’activité exercée dans l’immeuble n’avait pas entraîné de manipulation ou le stockage de substances chimiques ou radioactives, que le bien n’était frappé d’aucune pollution susceptible de résulter notamment de l’exploitation actuelle ou passée ou de la proximité d’une installation soumise à autorisation. Il avait rajouté qu’il ne disposait pas d’informations lui permettant de supposer que les lieux avaient supporté, à un moment quelconque, une installation classée. Une précision était, de plus, intégrée : « S’il se révèle que les lieux dont il s’agit figurent sur la liste des installations classées, le vendeur fera son affaire, à ses frais, de les faire sortir de ce répertoire et de les remettre en état au sens de l’article L. 512-17 du Code de l’environnement. » Cette clause n’avait pas été reprise dans l’acte de vente, cela étant cependant sans conséquences, au regard de l’article 1589 du Code civil, qui dispose que la promesse vaut vente « lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix », sauf si les parties ont dérogé à ce principe dans le contrat.
En l’espèce, le vendeur est le petit-fils du créateur d’un atelier de dégraissage de soieries, utilisant des liquides halogénés et stockant de l’essence, exploité sur le terrain en question. Plus tard, cette activité a été transformée en une laverie de linge et de dégraissage à sec entraînant des rejets comprenant des hydrocarbures. Le vendeur avait participé activement à la gestion de l’activité, et ne pouvait donc, selon la cour, « ignorer l’existence du passé et de l’usage industriel de la propriété qu’il occupait depuis 8 années ».
Il est donc patent que le vendeur disposait, au moment de la vente, d’informations lui permettant à tout le moins de supposer que les lieux avaient supporté, à un moment quelconque, une installation susceptible d’avoir pollué le terrain, contrairement à ce qui était indiqué dans la promesse de vente. La clause visant à obliger le vendeur à dépolluer, « s’il se révèle que les lieux dont il s’agit figurent sur la liste des installations classées », constitue une reconnaissance, selon le juge, que « l’absence de pollution et la conformité aux informations données est entrée dans la définition de la chose vendue ». En l’occurrence, cette dernière n’est pas conforme à la description qui en est faite dans le contrat de vente et à ce que pouvaient légitimement attendre les acheteurs. Ces circonstances caractérisent le défaut de délivrance qu’ils invoquent sur le fondement de l’article 1604 du Code civil et engagent la responsabilité du vendeur.
Dans ce cas, l’acheteur a le choix : il peut demander la résolution de la vente ou la réparation du préjudice provoqué par le défaut de conformité. Le juge précise que, dans ce second cas, « peu importe que [le] coût soit disproportionné par rapport au prix de vente ou à la valeur du bien, les dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement n’étant pas exclusives de l’application du droit commun des contrats et de celles en particulier de l’article 1604 du Code civil, fondement choisi par les acquéreurs de l’espèce qui ont ainsi droit au bénéfice du financement intégral des mesures de dépollution ».
En effet, l’article L. 514-20 du Code de l’environnement prévoit une obligation d’information de l’acheteur sur l’exploitation passée d’une ICPE soumise à autorisation ou à enregistrement sur un terrain. Il doit également l’informer, pour autant qu’il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l’exploitation. S’il ne respecte pas cette obligation et qu’une pollution est découverte, rendant le terrain impropre à sa destination, l’acheteur peut demander la réhabilitation du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente5. Cette exigence de proportionnalité n’est pas présente concernant l’article 1604 du Code civil.
Pour Jean-Marc Février, « indirectement, l’absence d’information au titre de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement peut être assimilée à un défaut d’information tel que cette obligation découle de l’article 1602 du Code civil et à un manquement à l’obligation de délivrance prévue à l’article 1604 du Code civil »6. Pour Géraldine Frizzi et Cédric Coulon, « l’obligation d’information peut également être de nature contractuelle et en ce sens elle est analysée comme étant un accessoire de l’obligation de délivrance du vendeur »7.
Il est manifeste que la décision rendue est particulièrement sévère pour le vendeur du bien, le montant de l’indemnité qu’il devra verser étant sans commune mesure avec le prix de vente. Elle s’inscrit dans une jurisprudence de la même veine8, particulièrement lorsque le vendeur est professionnel, ou que son statut ne le rend pas étranger à la pollution du bien concerné. La jurisprudence analyse l’obligation de délivrance en une obligation, non seulement de transporter la chose en la puissance et la possession de l’acheteur comme le dispose l’article 1604 du Code civil, mais bien en une obligation de lui remettre une chose conforme à la description présente dans le contrat de vente à l’usage qu’il avait affirmé vouloir en faire9.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 29 février 2012, avait estimé que la cour d’appel de Colmar avait violé l’article 1603 du Code civil, dans la mesure où elle avait débouté l’acheteur de sa demande tendant à faire condamner le vendeur à payer le coût des travaux de dépollution d’un bien, « alors qu’elle avait relevé que l’acte de vente mentionnait que l’immeuble avait fait l’objet d’une dépollution, ce dont il résultait que le bien vendu était présenté comme dépollué et que les vendeurs étaient tenus de livrer un bien conforme à cette caractéristique »10. En l’occurrence, il s’agissait de la découverte d’une nouvelle poche de contamination résiduelle aux hydrocarbures nécessitant une opération de dépollution complémentaire à celles ayant déjà été engagées par le vendeur. L’arrêt retenait que « le vendeur avait fourni à l’acquéreur tous les éléments relatifs à l’état des travaux de dépollution et des mesures prises pour la réhabilitation du site d’où il ressortait qu’il avait été mis un terme aux sources de pollution et à l’extension de celle-ci, mais que subsistait une pollution résiduelle qui devait être éliminée progressivement et naturellement ». L’acheteur avait de plus « connaissance avant de signer l’acte de vente de l’état des travaux qui avaient été exécutés, ainsi que de leurs limites ». Cette argumentation n’a pas convaincu la Cour de cassation. Un autre arrêt de 2014 confirme cette jurisprudence. La Cour estime que la cour d’appel a pu légitimement considérer qu’il existait une différence substantielle entre la chose livrée et ce qui avait été contractuellement prévu car l’absence de pollution importante était entrée dans le champ contractuel et le vendeur connaissait la destination à usage d’équipements publics des parcelles. La découverte d’une pollution aux métaux lourds était donc à l’origine d’un manquement du vendeur à son obligation de délivrance11.
Il est donc à déduire de la jurisprudence que le vendeur manque à son obligation de délivrance si l’absence de pollution, ou l’état de dépollution d’un bien a constitué un élément essentiel du contrat de vente, démontré par les stipulations qui y sont inscrites12.
Les relations entre l’obligation de délivrance telle qu’interprétée par la jurisprudence et la notion de vices cachés ont pu paraître équivoques, ces deux actions ne pouvant être engagées concomitamment13. En l’occurrence, dans cette décision, la garantie des vices cachés n’a pas été évoquée. En effet, les avantages pour les requérants de se fonder sur l’article 1603 du Code civil plutôt que sur l’article 1625 du Code civil sont évidents : « Outre le fait qu’il dispose de cinq années pour agir et que le vendeur ne peut s’exonérer de cette obligation [l’acquéreur] n’a pas à établir le caractère caché du défaut invoqué ni à démontrer que ce défaut rend la chose impropre à l’usage auquel il la destine »14.
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 30 septembre 2021 est de nouveau revenu sur cette distinction en matière de pollution des sols15. Si une clause relative à l’absence de pollution n’a pas été introduite dans l’acte de vente, l’inconstructibilité d’un terrain provoqué par une pollution des sols ne constitue pas un défaut de conformité lié à l’obligation de délivrance, mais bien un vice caché de la chose vendue16. Pour Philippe Delebecque, « le caractère inconstructible d’un terrain est de nature à en compromettre l’usage attendu et renvoie ainsi au thème du vice caché et non à celui de la non-conformité qui s’apprécie au regard des prévisions contractuelles »17. L’appréciation des juges du fond et de la Cour de cassation aurait été certainement différente si une clause de dépollution avait été insérée dans l’acte de vente. En effet, au regard de la jurisprudence précédemment exposée, il est tout à fait probable que l’analyse des clauses contractuelles au prisme de l’obligation de délivrance aurait orienté le juge dans une autre direction. Comme le note Philippe Delebecque, « il aurait été intéressant de connaître alors la position de la Cour de cassation, dans la mesure où le droit positif se montre plus favorable à la liberté contractuelle et aux clauses d’exonération qu’il n’a pu l’être par le passé »18.
Une distinction avait été identifiée entre cette obligation de délivrance et les vices cachés à la suite de plusieurs arrêts de la Cour de cassation datant de 1993 par Alain Bénabent :
• concernant l’obligation de délivrance : « Conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties, c’est-à-dire au contrat, c’est bien l’obligation de délivrance qui est en cause (…) » ;
• concernant les vices cachés19 : « La conformité de la chose à sa destination normale, c’est alors la garantie des vices qui est en cause, puisque les vices sont précisément des défauts de la chose qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine »20.
En l’espèce, la décision démontre une application classique de cette distinction, l’état de pollution du bien étant entré dans la vente via la clause de « protection de l’environnement ».
II – Un manquement des notaires à leurs devoirs de conseil et d’information
La pollution d’un bien immobilier objet d’une vente est une situation bien connue des notaires21. De manière générale, le notaire doit informer et conseiller son client. Cette obligation, issue de l’article 1240 du Code civil, est régulièrement rappelée par le juge, notamment en présence d’une ICPE sur le terrain concerné par une vente, ou d’une pollution. Un notaire ayant effectué, antérieurement à la rédaction de l’acte de vente, des recherches pour savoir si une installation classée a été exploitée sur le terrain objet de la vente, et énoncé les déclarations du vendeur ainsi que les conclusions du rapport sur l’étude des sols que lui avait remis le vendeur a rempli ses obligations d’information et de conseil22. À l’inverse, le notaire ignorant les textes applicables en matière d’ICPE et donc incapable de conseiller et d’informer les vendeurs et les acheteurs est évidemment fautif23, tout comme un notaire omettant de joindre à un acte de vente un jugement contenant des informations relatives à un sinistre permettant aux acquéreurs de se rendre compte de la réalité de ce dernier24. L’interprétation par le juge de l’obligation de délivrance de l’article 1603 du Code civil implique pour le notaire davantage de vigilance concernant la rédaction de l’acte, et particulièrement des clauses concernant l’état de pollution ou de dépollution du site concerné.
En l’espèce, les requérants estiment que les notaires ont manqué à cette obligation concernant l’état de pollution du terrain. La cour d’appel de Lyon a analysé la demande initiale des requérants fondée sur la garantie comme « une demande tendant à mettre en cause [la responsabilité des notaires] sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, les demandeurs mettant effectivement en cause, aux termes de leurs dernières écritures déposées devant le tribunal le 13 août 2021, les manquements des notaires à leur devoir d’information et de conseil » qui seraient à l’origine de l’existence du contrat et de leurs préjudices.
En l’occurrence, ces fautes commises par les offices notariaux ayant participé à l’élaboration de la vente de la propriété acquise en 2010 seraient caractérisées, selon les requérants, par une absence de consultation du fichier BASIAS, une absence d’investigations concernant le classement ICPE du site et l’absence de reproduction de la clause de « protection de l’environnement » dans l’acte authentique de vente. La cour rappelle que le notaire est « tenu d’une obligation de mise en garde lui imposant d’informer les parties sur les risques de l’opération, en anticipant notamment les difficultés à naître de la situation juridique susceptible de résulter de l’acte authentique qu’il instrumente ». Il doit se renseigner, donner toutes les informations en sa possession concernant le cas particulier qui lui est soumis. Le simple rappel des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement n’était donc pas suffisant, aucune information particulière sur le passé industriel du site n’ayant été donnée, et aucun conseil n’ayant été adressé aux acquéreurs sur les inconvénients potentiels du bien. La jurisprudence rappelle régulièrement que le notaire rédacteur de l’acte doit, avant de le dresser, éclairer les parties sur la portée, les conséquences et les effets des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique. Il doit informer le vendeur des conséquences d’une mauvaise information délivrée à l’acheteur, notamment concernant la présence passée d’une ICPE sur le terrain concerné par la vente.
La seule insertion d’une clause selon laquelle « le vendeur déclare qu’à sa connaissance aucune installation soumise à autorisation n’a été exploitée dans l’immeuble et qu’il n’existe aucune installation susceptible d’entraîner des atteintes à l’environnement » ne satisfaisait pas à l’obligation d’informer le vendeur sur les risques auxquels il s’expose s’il omet d’informer l’acquéreur des risques environnementaux25.
Concernant la décision de la cour d’appel de Lyon, c’est en partie le silence de l’acte authentique de vente, à savoir le fait de ne pas avoir repris la clause « environnementale » qui avait été intégrée dans la promesse de vente, qui démontre le manquement à l’obligation d’information et de conseil. En raison de la nature et des antécédents du bien, il paraissait essentiel de la reproduire : « Il est en particulier important que le contrat de vente reflète la connaissance des parties sur les caractéristiques du bien lors de la vente, et de ses risques potentiels par rapport à l’usage envisagé par l’acquéreur »26. En effet, un avertissement concernant la cessation de l’activité industrielle du site avec changement de destination aurait été nécessaire. Sanctionnant cette absence de diligence qui constitue selon elle un manquement à leur obligation d’information et de conseil engageant leur responsabilité, la cour d’appel de Lyon condamne in solidum le vendeur et les notaires à réparer ces préjudices, dans la limite de 80 % de leur montant concernant ces derniers.
La solution retenue par le juge peut paraître sévère pour le notaire. Elle s’inscrit cependant dans une jurisprudence constante, même si des nuances d’interprétations peuvent apparaître, en lien notamment avec le comportement du vendeur. Lorsque ce dernier transmet des informations erronées au notaire volontairement ou involontairement, l’interprétation du manquement éventuel à l’obligation d’information et de conseil du notaire peut être sensiblement différente. Par exemple, la cour d’appel de Rennes a pu rappeler que le notaire doit « assurer l’efficacité de l’acte auquel il a prêté son concours ». Il est tenu d’éclairer les parties et « d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il a été requis de donner la forme authentique ». En ne consultant pas la banque de données en ligne BASIAS, et donc en opérant une vérification, le notaire n’a cependant pas pu prendre connaissance d’une activité ICPE soumise à déclaration passée et n’a pas pu en avertir ses clients pour leur conseiller de prendre toutes les précautions nécessaires. Dès lors, il a manqué à son devoir de conseil et commis une faute27. Pourtant, la même juridiction avait adopté une position légèrement différente concernant un autre cas d’espèce. La requérante soutenait que le notaire avait « manqué à son obligation de conseil en ne consultant pas les banques de données accessibles et en n’attirant son attention sur les risques attachés à l’acquisition d’un ancien garage ». Elle lui aurait alors « fait perdre une chance de ne pas signer l’acte de vente, du moins au prix auquel il a été stipulé ». La Cour estime que l’obligation d’information et de conseil du notaire a pour limite « les compétences techniques qui sont les siennes et les informations portées à sa connaissance ». En l’occurrence, le risque ne provenait pas de l’activité liée à un atelier de mécanique mais à du stockage d’hydrocarbures. Le juge note que « cette activité, connue des vendeurs, n’a pas été révélée par ces derniers au notaire qui, n’ayant pas négocié la vente entre les parties, n’a pas visité les lieux ». De plus « en l’absence d’information sur l’activité connexe exercée et l’existence de cuves, aucune faute ne peut être reprochée au notaire quant à la vérification de la neutralisation de ces cuves ou quant à la mise en garde qu’il aurait omis d’adresser à l’acquéreur »28.
Si le vendeur donne de fausses informations au notaire en charge de la vente, qu’il fait de fausses déclarations concernant l’état de pollution d’un sol ou l’ancienne exploitation d’une ICPE sur le terrain, il ne lui est pas possible d’imputer au notaire ses propres manquements liés au défaut d’information de l’acheteur. La Cour de cassation a eu l’occasion de l’affirmer dans un arrêt du 30 septembre 2021, où elle a rejeté l’action récursoire d’un vendeur contre son notaire29. En l’occurrence le vendeur professionnel, ancien exploitant d’une ICPE, avait fait une fausse déclaration sur ses obligations au regard de la législation sur les installations classées devant le notaire chargé de la vente de son bien immobilier. Pourtant, la Cour a aussi pu rappeler que « la faute intentionnelle d’une partie ne dispense pas le notaire des devoirs liés à sa fonction d’officier public »30, et notamment le devoir d’information. Il s’agit dès lors de rechercher si le notaire avait la capacité de trouver l’information par lui-même, malgré le comportement du vendeur. Une fausse déclaration du vendeur n’exclut pas nécessairement la responsabilité du notaire. En effet, « le notaire est tenu de procéder à toutes investigations nécessaires à la bonne exécution de son obligation légale d’information ». Par exemple, le notaire est fautif lorsqu’il suffisait de se reporter au titre de propriété de la société venderesse pour s’apercevoir que ses déclarations étaient fausses et que la propriété avait abrité une activité ICPE31.
Au regard de ce contentieux et surtout des montants en jeu expliqués par l’absence d’une exigence de proportionnalité, il est évident que « l’application par la jurisprudence de l’obligation de délivrance conforme génère un nouvel enjeu rédactionnel pour les actes de vente »32. La sécurisation des clauses concernant la pollution des sols, éclairées par ces jurisprudences relatives à l’obligation de délivrance, devra être l’objet de l’attention des vendeurs et des notaires. Le particulier souhaitant acquérir un terrain sur lequel une ICPE a été exploitée « aura ainsi tout intérêt à veiller à ce que son vendeur s’engage sur l’état environnemental du terrain »33.
Notes de bas de pages
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1.
TGI Lyon, 20 oct. 2021, n° 20/08378.
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2.
X. Lièvre et L. Esteve de Palmas, « Droit de l’environnement et pratique notariale », JCP N 2019, n° 26, 1220.
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3.
P. Pierre et a., « Responsabilité professionnelle : de la jurisprudence à la pratique notariale », JCP N 2022, nos 30-34, 1203.
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4.
J.-P. Bus, « La remédiation des sites pollués à l’épreuve des évolutions juridiques récentes (le bail, la vente) », AJDI 2019, p. 259.
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5.
Ou la résolution de la vente.
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6.
J.-M. Février, JCl. Environnement et Développement durable, fasc. 4025, « Obligation d’information au titre de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement ».
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7.
G. Frizzi et C. Coulon, JCl. Responsabilité civile et Assurances, fasc. 480, « Vente », « Responsabilité du vendeur ».
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8.
J.-P. Bus, « La remédiation des sites pollués à l’épreuve des évolutions juridiques récentes (le bail, la vente) », AJDI 2019, p. 259.
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9.
X. Lièvre et L. Esteve de Palmas, « Droit de l’environnement et pratique notariale », JCP N 2019, n° 26, 1220.
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10.
Cass. 3e civ., 29 févr. 2012, n° 11-10318 – Cass. 3e civ., 16 janv. 2013, n° 11-27101.
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11.
Cass. 3e civ., 12 nov. 2014, n° 13-25079.
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12.
J.-P. Bus, « La remédiation des sites pollués à l’épreuve des évolutions juridiques récentes (le bail, la vente) », AJDI 2019, p. 259.
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13.
A. Grezillier et T. Mathieu, « Tourisme & territoire – Environnement - Acquisition d’un terrain pollué : quelles responsabilités, quels recours ? », JT 2016, n° 186, p. 36.
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14.
F. Cohet-Cordey, « Regain de vigueur de l’obligation de délivrance conforme », AJDI 2013, p. 453.
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15.
Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, nos 20-15354 et 20-16156.
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16.
S. Edlinger, « Vente d’un terrain pollué : précisions sur la distinction entre le manquement à l’obligation de délivrance conforme et la garantie des vices cachés », GPL 8 févr. 2022, n° GPL431v7.
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17.
P. Delebecque, « Vente d’un terrain pollué : quelle sanction ? Garantie des vices cachés ou responsabilité pour défaut de conformité ? », Énergie - Env. - Infrastr. 2021, n° 11, comm. 87.
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18.
P. Delebecque, « Vente d’un terrain pollué : quelle sanction ? Garantie des vices cachés ou responsabilité pour défaut de conformité ? », Énergie - Env. - Infrastr. 2021, n° 11, comm. 87.
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19.
Il est cependant à noter que lorsque l’obligation d’information issue de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement n’a pas été respectée, l’exonération contractuelle de la garantie des vices cachés ne peut s’appliquer : v. J.-M. Février, JCl. Environnement et Développement durable, fasc. 4025, « Obligation d’information au titre de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement ».
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20.
A. Bénabent, « Conformité et vices cachés dans la vente : l’éclaircie », D. 1994, p. 115.
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21.
O. Herrnberger, « Pollution et pratique notariale : à la recherche d’une méthodologie pour construire les contrats portant sur des biens pollués », AJ Contrat 2020, p. 127.
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22.
CA Orléans, ch. civ., 8 juin 2020, n° 18/02381.
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23.
CA Montpellier, 1re ch., sect. A 2, 31 déc. 2007, n° 06/03381.
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24.
Cass. 3e civ., 14 déc. 2017, n° 16-24170.
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25.
CA Douai, 3e ch., 15 avr. 2021, n° 19/04144.
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26.
X. Lièvre et L. Esteve de Palmas, « Le notaire face au risque environnemental », JCP N 2018, n° 35.
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27.
CA Rennes, 1re ch., 24 mars 2020, n° 18/06958.
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28.
CA Rennes, 1re ch., 13 nov. 2018, n° 17/00092.
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29.
Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, n° 20-18665, FS-D : Énergie - Env. - Infrastr. 2021, comm. 91, note A. Muller-Curzydlo.
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30.
Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, n° 15-22776.
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31.
CA Douai, 1re ch., 1re sect., 14 nov. 2011, n° 06/02651.
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32.
X. Lièvre et L. Esteve de Palmas, « Droit de l’environnement et pratique notariale », JCP N 2019, n° 26, 1220.
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33.
S. Edlinger, « Les limites de l’engagement contractuel du vendeur originaire de livrer un terrain dépollué en cas de ventes successives », GPL 31 juill. 2018, n° GPL329p9.
Référence : AJU007p1