Un logement de fonction vacant, même non meublé, fait obstacle à la perception d’une indemnité compensatrice
Une indemnité compensatrice mensuelle de logement ne peut être attribuée que lorsque le patrimoine de la personne publique concernée ne permet pas d’assurer le logement des personnels devant bénéficier d’une concession de logement par nécessité absolue de service. Dès lors que la collectivité dispose d’un logement vacant susceptible d’être concédé, même s’il n’est pas meublé, l’indemnité ne peut être légalement versée. Si tel est cependant le cas, elle peut être répétée dans le délai de 2 ans, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne pourrait plus être retirée.
CAA Lyon, 27 oct. 2018, no 17LY00543, M. F
M. F. a exercé les fonctions de directeur du centre hospitalier de l’agglomération de Nevers (CHAN) de 2008 jusqu’en 2015. Il bénéficiait ès-qualité d’une concession de logement par nécessité absolue de service (NAS) puisqu’il devait être logé à proximité de son travail en vertu du décret n° 2012-752 du 9 mai 2012 portant réforme du régime des concessions de logement1. L’intéressé a également été nommé directeur par intérim du centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire du 23 novembre 2012 au 31 août 2014, lequel est distant d’environ 60 km. Il ne s’est pas logé sur place et a bénéficié pour la période du mois de janvier au mois d’août 2014 du versement d’une indemnité compensatrice versée par ledit centre hospitalier pour un montant brut de 1 142 € par mois, soit un total de 8 405 €. À compter du 1er septembre 2014, a été nommé par le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne un nouveau directeur qui a demandé à M. F., par une décision n° 2014-12-04-01 du 4 décembre 2014, de rembourser le montant total de ces indemnités perçues et a émis à cet effet un titre de perception. M. F. a contesté ces deux décisions sans succès devant le tribunal administratif de Dijon qui a rejeté ses demandes par le jugement du 12 janvier 2017 dont il relève appel.
La requête d’appel de M. F. est recevable car elle est suffisamment motivée au regard des exigences des articles R. 411-1 et R. 811-1 du Code de justice administrative, la jurisprudence Société Les techniques de communication2 ne trouvant pas ici à s’appliquer.
M. F. soutient que la décision contestée du 4 décembre 2014 émanerait d’une autorité incompétente, mais ce moyen pourra être écarté comme manquant en droit. Selon l’article L. 1432-2 du Code de la santé publique : « Le directeur général de l’agence régionale de santé (…) désigne la personne chargée d’assurer l’intérim des fonctions de directeur et de secrétaire général dans les établissements publics de santé, à l’exception des établissements mentionnés aux articles L. 6147-1 et L. 6141-5 ». Or, la décision querellée a été prise par une autorité compétente, à savoir M. Z. qui avait été nommé directeur par intérim du centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire par arrêté ARS/DOS/MO/14-0163 du 29 août 2014 modifié par l’arrêté ARSB/DOS/M0/14-0168 du 24 septembre 2014 du directeur général de l’ARS.
Il soutient également que la décision contestée serait insuffisamment motivée. Ce moyen manque en fait puisqu’elle indique les bases de calculs et n’avait pas à être davantage explicite. Il en va de même du titre exécutoire n° 11975 du 8 décembre 2015 qui mentionne que la somme réclamée correspond au « remboursement de l’indemnité compensatrice perçue entre janvier et août 2014 sur le fondement de la décision n° 2014-12-04-01 ». Selon l’article 24 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : « Toute créance liquidée faisant l’objet d’une déclaration ou d’un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation ». De jurisprudence constante, tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis3 et la motivation doit être suffisante pour que ces bases puissent être discutées4 : « tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l’état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur »5. Tel est le cas en l’espèce car les indications précitées permettent à M. F. de connaître les bases de liquidation de la créance et, au besoin, de les contester. Ce moyen sera écarté.
L’indemnité litigieuse versée à M. F., et à l’initiative de ce dernier, est fondée sur l’article 3 du décret n° 2010-30 du 8 janvier 2010 pris en application de l’article 77 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, selon lequel : « Les fonctionnaires bénéficiant de concessions de logement par nécessité absolue de service sont logés par priorité dans le patrimoine de l’établissement. À défaut, lorsque ce patrimoine ne permet pas d’assurer leur logement, ils bénéficient, au choix de l’établissement dont ils relèvent : − soit d’un logement locatif mis à leur disposition dans les conditions prévues à l’article 4, dont la localisation est compatible avec la mise en œuvre de gardes de direction ; − soit d’une indemnité compensatrice mensuelle, dont les montants sont fixés par arrêté des ministres chargés de la Santé, du Budget et de la Fonction publique (…) ». Dans la présente affaire, il est constant que le centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire disposait d’un logement vacant. M. F. soutient que, nommé pour un intérim, il ne pouvait pas en disposer dès lors qu’il n’était pas meublé et qu’il n’allait pas acheter des meubles pour la durée de sa mission. Cette circonstance n’est cependant pas convaincante. La concession de logement accordée par nécessité absolue de service comporte la gratuité de la prestation du logement nu et aucun texte n’impose à la personne publique de le meubler. Quant à l’absence alléguée de système de chauffage, elle n’est pas établie et il n’est davantage justifié qu’il n’aurait pu y être remédié. Aussi M. F. ne pouvait s’attribuer, légalement et sans erreur de droit, une indemnité compensatrice.
M. F. soutient que la décision querellée ne pouvait légalement lui retirer un avantage financier illégalement accordé plus de 4 mois après son édiction. En principe, l’Administration ne peut procéder à la répétition de sommes indûment versées en application d’une décision créatrice de droits illégale si elle ne procède pas à son retrait et ne peut plus le faire si le délai de retrait applicable est expiré. Toutefois, selon l’article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, issu de l’article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, et non codifié : « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de 2 années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive ». Ainsi que l’a précisé le Conseil d’État dans l’avis Le Mignon et Communal du 28 mai 2014 : « (…) une somme indûment versée par une personne publique à l’un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de 2 ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Dans les deux hypothèses mentionnées au deuxième alinéa de l’article 37-1, la somme peut être répétée dans le délai de droit commun prévu à l’article 2224 du Code civil »6. Cette disposition met ainsi fin à la distinction opérée par la jurisprudence Soulier7, intervenue dans la lignée de la jurisprudence Ternon8, et il n’y a ainsi plus à distinguer l’erreur de liquidation de la décision accordant un avantage financier. Le moyen tiré du caractère définitif de la décision d’attribution qui n’a pas été retirée dans le délai de 4 mois est dans cas inopérant.
Ces dispositions sont applicables aux différents éléments de la rémunération d’un agent de l’Administration. La question de droit porte ainsi sur le point de savoir si une indemnité compensatrice constitue ou non un élément de rémunération. Il est possible à notre sens de raisonner par analogie avec les indemnités de résidence attribuées aux personnels de l’État en service à l’étranger qui ont vocation à « compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d’exercice de ces fonctions et aux conditions locales d’existence »9. Selon l’article 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ces derniers « ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (…) ». Par suite, à la lecture de cette disposition, il est possible de considérer qu’une indemnité compensatrice de logement constitue un élément de rémunération au sens de l’article 37-1 précité, bien qu’une indemnité de résidence ne soit pas, en l’état du droit actuel semble-t-il, de nature à ouvrir droit à indemnisation en cas d’éviction illégale, le Conseil d’État ayant jugé que le préjudice financier « doit représenter la différence entre, d’une part, la rémunération qu’aurait perçue l’intéressé en cette qualité, à l’exclusion des indemnités de résidence attribuées aux personnels de l’État en service à l’étranger et, d’autre part, les rémunérations qui lui ont été servies »10. Aussi ce moyen devra-t-il être écarté.
Il est enfin soutenu que la décision serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, mais, dès lors que l’indemnité compensatrice n’était pas due, le centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire était dans l’obligation d’en obtenir le remboursement, de même que toute administration est tenue de mettre fin à une situation illégale11.
Vous rejetterez les conclusions présentées par M. F., de même que les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative. Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.
Notes de bas de pages
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1.
Selon l’article R. 2124-65 du Code général de la propriété des personnes publiques : « Une concession de logement peut être accordée par nécessité absolue de service lorsque l’agent ne peut accomplir normalement son service, notamment pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de responsabilité, sans être logé sur son lieu de travail ou à proximité immédiate ».
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2.
CE, 27 juin 2005, n° 263754, Lebon T., p. 1068. V. égal. CE, 27 juin 2005, n° 259446, Mahdi, Lebon T., p. 257.
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3.
Par ex. CE, 11 janv. 2006, n° 272216, ONIFLHOR : Lebon T., p. 722 ; Dr. adm. 2006, comm. n° 119, note Glaser E. − CE, 21 août 1996, n° 143173, IFREMER : Lebon T., p. 341 ; Dr. fisc. 1996, n° 49, comm. 1471, concl. Goulard G. ; RJF 1996, n° 1250, BDCF 1996, n° 5, concl. Goulard G.
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4.
CE, 7 mai 2008, n° 281820, Société Emile Bridel ; Dr. rur. 2008, comm. n° 153 ; Dr. adm. 2008, comm. 145, n° 11 ; CE, 4 août 2006, n° 263299, Keryel ; AJDA 2006, p. 1974.
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5.
Par ex. CE, 28 nov. 2016, n° 393435, Communauté d’agglomération de Nîmes-Métropole.
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6.
CE, avis, 28 mai 2014, n° 376501, Le Mignon et Communal : Lebon T., p. 143 ; JCP A 2014,n° 2209, note Bourrel P.
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7.
CE, sect., 6 nov. 2002, n° 223041, Lebon T., p. 369.
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8.
CE, ass., 26 oct. 2001, n° 197018, Ternon : Lebon T., p. 497, concl. Séners F. ; RFDA 2002, p. 77, concl. Séners F., note Delvolvé P. ; AJDA 2001, p. 1037, chron. Guyomar M. et Collin F. V. CRPA, art. L. 243-3.
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9.
CE, 10 juin 2011, n° 326870, Erouart.
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10.
CE, 10 juin 2011, n° 342600, Pisa.
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11.
Par ex. CE, 29 juin 1979, n° 01474, Cadet : Lebon T., p. 290.