Patrick Jarry : « Sur le logement, on va vers une catastrophe annoncée » !
Des maires et des élus de la Métropole du Grand Paris appellent à agir contre la crise du logement. Entre l’envolée des prix de l’immobilier, le manque de logements sociaux et de nouvelles constructions, les couches moyennes de la population ne peuvent plus se loger dans la métropole, une crise sociale s’annonce estime Patrick Jarry, maire de Nanterre (92) et président de la commission logement de la Métropole du Grand Paris.
Actu-juridique : Vous avez appelé les maires et les élus de la Métropole à un rassemblement devant le ministère du Logement le 10 novembre dernier. Pourquoi cet appel ?
Patrick Jarry : Nous nous trouvons dans une situation d’urgence sur le logement dans la Métropole du Grand Paris. Le manque de logements sociaux est criant. Nous comptons 740 000 demandeurs de logements sociaux. Nous en avons attribué 60 000 en 2020 et 70 000 en 2019. À ce rythme, toute personne demandant un logement social dans l’espace métropolitain devra attendre dix ans. Nous faisons face à un autre problème : les prix de l’immobilier ont augmenté de 25 % en cinq ans. Nous alertons, nous crions que nous allons vers une catastrophe annoncée. Le logement abordable n’existe plus dans la Métropole. Je ne parle pas seulement du logement social, mais aussi du logement à prix raisonnable, de l’accession à la propriété. Ces sujets ne sont pas le cœur de la politique menée par l’État et les collectivités territoriales. Ils devraient pourtant concerner la collectivité nationale, les 131 villes de la Métropole du Grand Paris et, au-delà, les 450 communes de la région dense. La situation n’est en effet pas très différente dans des villes comme Saint Germain-en-Laye ou Chatou. Situées hors du territoire de la Métropole, elles ont le même type de géographie et de marché. La Métropole du Grand Paris et, de manière générale, les grandes métropoles font face à des difficultés qui leur sont propres et nécessitent des mesures spécifiques.
AJ : Qui est à l’origine de ce rassemblement devant le ministère ?
P.J. : Plus d’une centaine de maires, d’élus, d’associations de locataires se sont joints à cet appel. Nous appelons à se joindre à nous tous ceux qui ne veulent pas laisser la Métropole du Grand Paris dériver encore plus vers le mal-logement. Il faut que les 131 maires de la Métropole du Grand Paris prennent la question à bras le corps. Aujourd’hui, la seule solution des demandeurs de logements sociaux est de se tourner vers leur maire pour essayer de le convaincre de mettre leur dossier sur le haut de la pile, ce que personnellement je me refuse à faire ! En Île-de-France, aucun maire ne peut marcher dans les rues de sa ville sans être interpellé à ce sujet par les habitants. Bien sûr, plus la ville accueille de personnes des classes populaires, plus cette pression est forte. On ne peut pas assister à cela les bras croisés. Quand on dit qu’il y a 740 000 personnes en attente d’un logement social, il faut penser aux gens derrière les chiffres.
AJ : Qui sont ces demandeurs de logements sociaux ?
P.J. : Les infirmières, les instituteurs, les caissières, toutes ces personnes dont on a vu l’utilité pendant la crise sanitaire et qui ne trouvent plus à se loger. Ce sont, derrière le nombre de demandes, autant de drames qui se jouent. Des jeunes ne peuvent pas partir de chez leurs parents, sont entravés dans la construction de leur vie d’adulte. Des couples divorcent, ce qui augmente d’ailleurs le besoin de logements. Ils se retrouvent à devoir cohabiter, ou doivent se faire héberger par des tiers. Certains parents séparés ne peuvent plus accueillir leurs enfants chez eux. D’autres, encore plus précaires, passent par des foyers d’hébergement d’urgence pendant des années avant d’accéder à un logement. Cela a également des conséquences économiques. Des chefs d’entreprises de la Métropole disent avoir du mal à recruter car les salariés ne peuvent pas se loger. Il y a des milliers de postes d’infirmières non pourvus dans les hôpitaux d’Île-de-France. Tous ces établissements ont un déficit de personnel, lié au manque de logements accessibles.
AJ : Quelles sont les conséquences de ces prix de l’immobilier sur la construction ?
P.J. : La spéculation immobilière nous laisse démunis pour porter certains projets. Comment voulez-vous laisser 30 % de terrain libre pour les espaces verts à côté des nouvelles constructions, quand les prix du foncier s’envolent ? Face à ce coût, les promoteurs se positionnent de trois manières. La première : ils augmentent la densité et construisent en hauteur. La deuxième : ils vendent les logements plus chers. La troisième, ils baissent la qualité des logements. Ils ont souvent recours à ces trois stratégies en même temps. Le résultat est que les nouvelles générations se voient proposer des logements de moindre qualité que les précédentes. On sort des chambres à neuf mètres carrés, alors même que la crise sanitaire a sensibilisé tout le monde à l’importance d’être bien logé. On baisse les plafonds à 2,30 mètres, au lieu de 2,50 mètres, pour gagner un peu d’espace constructible. Il faut, ensemble, agir pour cadrer les prix. Le marché ne peut pas réguler seul les prix de l’immobilier dans la métropole. Le logement n’est pas une marchandise comme les autres. Les programmes de construction nécessaires pour fabriquer de l’offre s’étalent sur dix ans. C’est pour cela que nous sommes très inquiets. La chute des constructions de logements sociaux nous précipite vers une situation dramatique.
AJ : Depuis quand alertez-vous ?
P.J. : J’ai déjà porté ce cri de colère après la crise des Gilets jaunes. Lors d’un débat avec Emmanuel Macron auquel j’avais été convié, j’avais dit que la prochaine manifestation en Île-de-France concernerait le logement. On assiste en permanence à la création de bidonvilles que la police démantèle. Le gouvernement est arrivé au pouvoir sans politique de logement. Il avait simplement identifié que cela occasionnait des dépenses importantes et a voulu faire baisser ce budget, d’où la réforme des APL. Les bailleurs sociaux ont été privés de fonds propres, ce qui a entravé la construction de nouveaux logements sociaux. Arrivé en fin de mandat, le gouvernement s’affole, conscient que le logement sera un sujet dans la campagne électorale. J’ai participé au comité régional sur le logement. Les élus et la ministre étaient là. Tout le monde s’inquiète de l’insuffisance des constructions. François Rebsamen a été chargé d’une commission pour la relance durable de la construction de logements, qui vient de rendre son rapport. Celui-ci fait des propositions mais elles sont insuffisantes pour la Métropole.
AJ : Comment en est-on arrivés là ?
P.J. : Des villes sont carencées et n’atteignent pas le taux légal de 25 % de logements sociaux par commune. D’autres comptent entre 25 % et 35 % de logements sociaux et n’en font plus du tout, ce qui est également problématique. Nous proposons que tout programme de construction de plus de 12 logements intègre un taux de 30 % de logements sociaux. Ce sont des règles que nous appliquons à Nanterre, où tous les programmes de construction comptent plus de 40 % de logements sociaux. Certains nous avaient mis en garde, estimant qu’on aurait du mal à vendre ces logements. Eh bien, nous n’avons jamais autant vendu qu’aujourd’hui à Nanterre. Nous ne sommes pas les seuls à faire cela. Des villes comme Toulouse, Grenoble, Bordeaux, le font aussi. Ce dispositif a l’avantage de mélanger les populations et de peser sur les prix du foncier. Les promoteurs savent qu’ils ne pourront pas vendre aussi cher des immeubles avec des logements sociaux. Le logement en Île-de-France est, comme nulle part ailleurs, une question idéologique. Il y a en permanence débat sur ce sujet. Certains veulent interdire aux villes qui ont plus de 40 % de logements sociaux d’en construire davantage. On s’est mis dans la tête que le logement social était source de problèmes. Moi, je suis un enfant du logement social. Je sais son importance pour y avoir habité 40 années de ma vie.
AJ : Vous pointez le manque de coopération de la Métropole ?
P.J. : Dans cette métropole, certains rechignent à avancer ensemble. Neuilly ne veut pas ressembler à Nanterre, pas plus que l’inverse. Il faut pourtant que ces deux villes situées de part et d’autre de La Défense convergent pour répondre à des enjeux communs. Rendez-vous compte : on a décidé de construire 69 nouvelles gares pour mieux relier les villes de la Métropole entre elles et à Paris. Mais on n’a pas été capables de dire qu’il fallait 30 % de logements sociaux dans les constructions qui vont être érigées autour de ces dessertes.
AJ : Quelles sont vos propositions ?
P.J. : J’exprime à la fois une colère et l’idée qu’il y a des solutions. Nous avons fait une petite dizaine de propositions. Nous proposons, par exemple, de transformer des mètres carrés de bureaux en logements. Cela n’est pas toujours possible, mais on estime qu’environ 10 % des bureaux pourraient changer d’usage. Il y a sur notre territoire 55 millions de mètres carrés de bureaux, dont beaucoup sont vacants. Nous pourrions donc récupérer de cette manière 5,5 millions de mètres carrés pour en faire des logements. Et tout cela sans artificialiser des terres agricoles ! Seulement, cette idée bloque pour des raisons financières. La question est de savoir comment évaluer ces biens obsolètes ? Si on les valorise au prix d’aujourd’hui, c’est impossible. Là encore, le prix de l’immobilier pose problème.
AJ : Nanterre s’est doté d’une charte sur les nouvelles constructions. Pourquoi ?
P.J. : Nanterre s’est engagé depuis 10 ans pour faire face à la spéculation immobilière et la tentation de construire n’importe quoi. Les promoteurs signent volontairement une charte qui définit des prix à ne pas dépasser, variables selon les quartiers, et des standards de qualité : taille des pièces, présence de logements de différentes tailles au sein du bâtiment, balcon pour chaque logement. Il y a trois ans, on menaçait de me mettre au tribunal. Pour passer des chartes avec les promoteurs, nous étions accusés de renforcer les normes de construction. Tout le monde se plaint des normes. Je propose, au contraire, d’essayer de créer ensemble en tirant parti de ce que l’on sait, de ce que l’on voit. Cela n’existe dans aucune norme actuelle, mais construire ainsi, pour l’avenir, relève du bon sens. Toutes les collectivités de la métropole pourraient établir de telles chartes déterminant le prix des logements et des standards de construction. Celles-ci pourraient relever d’accord local entre les promoteurs et les villes. Pourquoi ne pas mettre cela en place sur les 131 communes de la Métropole dans les six mois qui viennent ? Les communes qui pratiquent cela depuis plusieurs années arrivent à maîtriser les coûts, la qualité et la diversité des logements.
AJ : La Métropole du Grand Paris risque de perdre en attractivité…
P.J. : On dit beaucoup que la crise sanitaire a pour conséquence que les familles quittent la Métropole du Grand Paris. C’est vrai, mais ce n’est pas nouveau. Cela fait dix ans qu’il y a plus de familles qui quittent la Métropole que celles qui s’y installent. Le mal logement est une grande cause de départ. Les jeunes acceptent de vivre dans des petits logements surtout s’ils sont bien desservis par les transports en commun. Quand ils ont des enfants et qu’il s’agit de vivre en famille, ils partent.
Référence : AJU002p4