Caractère proportionné de l’annulation du mariage entre alliés en ligne directe

Publié le 10/03/2017

Une cour d’appel a décidé à bon droit que la prescription de l’article 161 du Code civil opposée au demandeur ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale.

Cass. 1re civ., 8 oct. 2016, no 15-27201

1. La question des empêchements à mariage se trouve renouvelée avec l’arrêt rapporté1. Un homme a valablement épousé une femme qui était la mère d’une jeune fille née d’une précédente union âgée de 9 ans lors de la célébration de ce mariage. Âgée de 25 ans, cette dernière constate que les époux divorcent. Quelques années après, l’homme épouse la fille de son ex-épouse alors âgée de 27 ans. Par suite, ses enfants ont alors intenté une action en justice afin que soit annulée le mariage avec son ex-belle-fille, en vertu de l’article 161 du Code civil.

2. On peut remarquer que les juges du fond ont alors prononcé l’annulation du mariage. Mais si traditionnellement la motivation imposée était circonscrite au fondement juridique de l’article 161 du Code civil, en l’espèce les magistrats s’inspirent directement de l’application conventionnelle du principe de proportionnalité qui consiste à mettre en balance le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés avec l’ingérence de l’État dans l’exercice du droit au mariage. Procédant à un contrôle de la proportionnalité de l’ingérence, les juges du fond estiment que l’annulation du mariage ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’ex-belle-fille. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’ex-belle-fille2.

3. Dans cet arrêt du 8 décembre 2016, la Cour de cassation conclut en la violation de l’article 161 du Code civil (I) tout en reconnaissant la légitimité de l’ingérence ce qui conduit les juges à opérer un contrôle de proportionnalité (II).

I – Les restrictions au mariage entre alliés en ligne directe

4. À l’occasion du pourvoi, la première chambre civile revient sur l’empêchement à mariage entre alliés en ligne directe (B) dont la loi civile distingue l’alliance de la parenté consanguine (A).

A – Les empêchements à mariage liés à l’alliance

5. Un élément sociologique du mariage est l’exogamie3 qui se manifeste dans la prohibition de l’inceste4. Chez les anthropologues que l’on qualifie de « structuralistes », la théorie de l’alliance entraîne des interdits fondés essentiellement sur le fait que « l’inceste n’est qu’un tabou social »5. Le terme « alliance » appliqué en matière familiale est défini « comme étant le lien juridique existant, du fait du mariage, entre un époux et les parents de son conjoint. Il crée entre les alliés des droits, obligations et interdictions »6. Il en résulte que les personnes dont le divorce a été prononcé ou veuves ne peuvent s’unir ni avec un enfant de leur ex-époux, ni avec un parent de leur ex-époux7. En conséquence, il est interdit à un enfant de se marier avec l’ex-mari/femme d’un de ses parents, et à un parent de s’unir avec l’ex-mari/femme de son enfant (ex-gendre ou ex-bru)8. Il convient de souligner que le mariage entre cousins, même s’ils sont germains, n’est pas interdit, tout en remarquant qu’il est pour le moins curieux qu’ils soient liés par le sang9.

6. Il nous semble utile de rappeler aussi brièvement que possible le débat et les enjeux auxquels ils renvoient. Le débat doctrinal portant sur l’« inceste de deuxième type »10 est complexe puisqu’il est difficile pour la doctrine privatiste de s’accorder sur l’appréhension de cet dernier. On sait que cette question partage les observateurs. Françoise Héritier analyse l’inceste de deuxième type comme un principe de régulation de la circulation des fluides entre les corps au sein de la société : « Le critère fondamental de l’inceste, nous dit-elle, c’est la mise en contact d’humeurs identiques. Il met en jeu ce qu’il y a de plus fondamental dans les sociétés humaines : la façon dont elles construisent leurs catégories de l’identique et du différent. L’opposition entre identique et différent est à la base de la construction de la société, elle est première car fondée dans le langage de la parenté sur ce que le corps humain a de plus irréductible : la différence des sexes… D’où dérivent les problématiques du même et de l’autre, de l’un et du multiple, du continu et du discontinu… De même que sur un plan moins abstrait, des valeurs propres, présentées sous forme d’oppositions, chaud/froid, clair/obscur, sec/humide, lourd/léger… Ces valeurs connotent les éléments du monde, dont le masculin et le féminin… »11. Les empêchements liés à l’alliance sont prévus à l’article 161 du Code civil qui dispose que : « En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne ».

7. Dans l’affaire rapportée, la haute juridiction précise : « (…) qu’aux termes de l’article 161 du Code civil, en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne ». Si cette question de l’empêchement à mariage entre alliés en ligne collatérale est renouvelée par l’arrêt rapporté, l’on ne peut que se féliciter que cette décision soit prononcée au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

B – Les alliés en ligne directe

8. Les empêchements à mariage valent également entre les personnes n’ayant pas de lien de sang dont l’affaire annotée en renouvelle l’application. Précédemment un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme du 13 septembre 2005, avait condamné le Royaume-Uni dans une espèce qui rejoint les dispositions de l’article 161 du Code civil12. Les juges strasbourgeois considèrent : « que l’empêchement au mariage entre les deux requérants ne poursuivait aucun but utile d’ordre public – bien que poursuivant le but légitime de la protection de l’intégrité de la famille – puisqu’il n’empêchait pas de telles relations de se nouer, la Cour estime qu’il constituait une atteinte excessive au droit au mariage consacré par l’article 12 de la Convention EDH »13. Dans une autre affaire, la Cour de cassation, tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme du 13 septembre 2005, estime : « Qu’en statuant ainsi, alors que le prononcé de la nullité du mariage de Raymond Y avec Mme Denise X revêtait, à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans, la cour d’appel a violé le texte susvisé »14. Sa démarche est dictée par le principe de proportionnalité dont son alter ego le principe de protection efficace permet à la Cour européenne des droits de l’Homme d’apprécier l’ingérence dans un droit15. Il s’ensuit que la haute juridiction a jugé que la nullité du mariage entre un beau-père et sa belle-fille ne pouvait être prononcée en raison de l’ingérence injustifiée ainsi portée dans le droit au respect de la vie privée et familiale de l’épouse16.

9. Au cas d’espèce, le mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre X et Mme Z, fille de sa précédente épouse, est finalement annulé par les juges du fond dont le contrôle de proportionnalité est validé par la haute instance. Jugé de même que le mariage entre parâtre et belle-fille ou marâtre et beau-fils encourt l’annulation. Dans la même veine, la jurisprudence estime qu’un ex-mari ne pouvait épouser la fille naturelle de son ancienne femme17. Dans le même ordre d’idées, une belle-mère ne pourra pas épouser son gendre, un beau-père ne pourra pas épouser sa bru et un parâtre ou une marâtre ne pourront pas épouser leurs beaux-enfants18. On a pu écrire à juste titre que : « (…) Basé sur le lien d’alliance, l’empêchement à remariage est dicté par un interdit social voulu pour le bon ordre de la famille (…) »19. À cet égard, il importe de souligner que cette prohibition ne s’étend pas au concubinage : un homme peut épouser la fille de sa concubine20.

10. Au surplus, s’agissant des dispenses accordées par le président de la République à certains de ces empêchements à mariage, il convient de signaler qu’entre alliés, c’est-à-dire entre beau-père et belle-fille, gendre et belle-mère, si l’union qui créait l’alliance a été dissoute par la mort, il est loisible au président de la République, en vertu de l’article 164-1° du Code civil, de lever pour des causes graves, les prohibitions portées par l’article 161 aux mariages entre alliés en ligne directe.

II – Les conditions juridiques de l’annulation d’un mariage entre alliés en ligne directe

11. Au cas d’espèce, même si l’annulation de l’union compromet la liberté du mariage telle que garantit par l’article 12 de la Convention EDH, pour autant elle ne caractérise pas néanmoins une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale en ce que la nullité vise à sauvegarder l’intégrité de la famille (A). Le temps serait-il venu de procéder à un examen en profondeur de l’article 161 du Code civil (B) ?

A – Contrôle de proportionnalité d’un mariage entre alliés en ligne directe

12. De façon plus globale, pour être en conformité avec le droit européen, l’ingérence, reconnue légitime, doit être également proportionnée, c’est-à-dire qu’il doit exister un rapport d’adéquation entre les impératifs de l’intérêt général poursuivi avec le droit au respect de sa vie privée et familiale. En l’espèce, la haute juridiction précise : « Que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que constitue l’annulation d’un mariage entre alliés en ligne directe est prévue par les articles 161 et 184 du Code civil et poursuit un but légitime en ce qu’elle vise à sauvegarder l’intégrité de la famille et à préserver les enfants des conséquences résultant d’une modification de la structure familiale ; qu’il appartient toutefois au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en œuvre de ces dispositions ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ». Les juges doivent vérifier non seulement la légitimité de l’atteinte portée au droit mais également et surtout sa proportionnalité au but poursuivi. En l’espèce, pour donner satisfaction au pourvoi formé par l’ex-belle-fille, le contrôle d’une atteinte aux droits fondamentaux s’appuie classiquement sur l’effet vertical de la Convention européenne des droits de l’Homme21 dans les rapports entretenus entre les particuliers et l’État dont l’objet est de protéger la sphère juridique des individus contre l’immixtion de la puissance publique22. Les juges du fond sont amenés à prendre en considération plusieurs éléments lors de la mise en balance des intérêts23.

13. On saura gré à la haute juridiction d’avoir, en effet, rappelé dans un attendu de principe à la formulation concise, « qu’aucun enfant n’est issu de cette union prohibée ; que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que l’annulation du mariage ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme Z, au regard du but légitime poursuivi ». La doctrine dominante considère à juste raison qu’« il ne faudrait pas que l’intérêt de la mère au respect de sa vie privée, si légitime qu’il soit, l’emporte par principe sur celui de l’enfant car le mariage est, et demeure, une institution fondatrice de filiation »24. Comme l’indique la Cour européenne des droits de l’Homme, à supposer même qu’il y ait eu ingérence, celle-ci était prévue par la loi, poursuivait des buts légitimes (à savoir la sécurité juridique, la stabilité des relations familiales, la certitude quant à la filiation et la protection de la vie privée des tiers) et était conforme au principe de proportionnalité25.

B – Vers un assouplissement de l’empêchement à mariage entre alliés en ligne directe

14. La loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a modifié l’article 162 du Code civil en supprimant tout empêchement dirimant lié à l’alliance en ligne collatérale. Le conjoint, divorcé ou veuf, peut désormais épouser son beau-frère ou sa belle-sœur26. Notons que la doctrine dominante opine pour « ouvrir le débat sur le maintien en droit français de l’interdiction de mariage entre alliés en ligne directe »27. En coulisses s’était préparée une grande réforme en droit de la famille dont les signes avant-coureurs avaient provoqué des espoirs qui s’étaient manifestés à l’aube de l’adoption de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, mais ces derniers ont rapidement été déçus du peu de cas que le législateur faisait de leurs suggestions28. La tentation est alors grande de résoudre cette problématique de l’empêchement à mariage entre alliés en ligne directe en s’inspirant probablement de la phrase de Marie Lamarche : « L’équité, lorsqu’elle est habilement maniée, dépasse peut-être le sentimentalisme qui lui est reproché et devient (parfois) un “instrument d’innovation sociale” »29.

15. Nulle surprise, dans ces conditions, que l’appréciation de la conventionnalité de l’article 161 du Code civil ait été laissée au pouvoir d’appréciation des juges du fond qui, au demeurant, restent soumis à un contrôle de conventionnalité de la décision attaquée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Appréciation du caractère annulable du mariage entre anciens alliés en ligne directe », Defrénois Flash 19 déc. 2016, n° 137d9, p. 13 ; Dhaini D., Mariage et libertés : Étude comparative en droit français et libanais, thèse Saint Quentin en Yvelines, 2016. « L’empêchement à mariage à l’épreuve des droits de l’homme », Lamy Actualité, déc. 2016.
  • 2.
    « Mariage incestueux annulé par application du principe de proportionnalité », Dépêches JCl. – Actualités, 12 déc. 2016.
  • 3.
    Baudin E., « La morale du mariage », in Cours de philosophie morale, 1936, J. de Gigord, p. 469.
  • 4.
    Wenner E., « L’officier de l’état civil, l’acte de naissance et la formation du mariage », Dr. famille 2003, chron. 31. Batteur A., « L’interdit de l’inceste, principe fondateur du droit de la famille », RTD civ. 2000, p. 759.
  • 5.
    Guevel D., « La famille incestueuse », Gaz. Pal. 16 oct. 2004, n° F4747, p. 2. Lévi-Strauss C., Les structures élémentaires de la parenté, 1948, PUF.
  • 6.
    Guinchard S. et Debard T., Lexique des termes juridiques 2016-2017, 2016, Dalloz, p. 62.
  • 7.
    https://www.service-public.fr/.
  • 8.
    https://www.service-public.fr/. Lamarche M. et Lemouland J.-J., « Mariage (20 conditions de formation) », Rép. civ. Dalloz, n° 363.
  • 9.
    Binet J.-R., « Maman a épousé papy avec la bénédiction de la Cour de cassation », Dr. famille 2014, n° 1, p. 11.
  • 10.
    Guevel D., « La famille incestueuse », Gaz. Pal. 16 oct. 2004, n° F4747, p. 2, art. préc.
  • 11.
    Brenot P., « La dimension anthropologique de l’inceste », http://www.aihus.fr/prod/system/main/main.asp?page=/prod/data/publications/sociologie/inceste.asp.
  • 12.
    Binet J.-R., « Maman a épousé papy avec la bénédiction de la Cour de cassation », art. préc.
  • 13.
    Safinia C., « La CEDH condamne la Grande-Bretagne pour un empêchement à mariage », http://www.legalnewsnotaires.com.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, n° 12-26006. Louvel B., « Réflexions à la Cour de cassation », Dalloz actualité, 25 juin 2015. Dekeuwer-Défossez F., « La prohibition des mariages incestueux à l’épreuve des droits de l’Homme », RLDC 2014, n° 112.
  • 15.
    Greer S., La marge d’appréciation : interprétation et pouvoir discrétionnaire dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’Homme, 2000, éd. Conseil de l’Europe, Dossiers sur les droits de l’homme n° 17, p. 21.
  • 16.
    Lamarche M. et Lemouland J.-J., « Mariage (20 conditions de formation) », art. préc.
  • 17.
    T. civ. Seine, 7 févr. 1850 : DP 1850, 3, p. 15. – CA Paris, 18 mars 1850 : DP 1851, 2, p. 30.
  • 18.
    « Les empêchements à remariage », Le Lamy Droit des Personnes et de la Famille, n° 331-22.
  • 19.
    « Les empêchements à remariage », art. préc.
  • 20.
    Mainguy D., « Cours de droit des personnes, de la famille », 16 janv. 2010, http://www.lexcellis-avocats.fr/article-cours-de-droit-des-personnes-de-la-famille-43041542.html.
  • 21.
    Abadie L., « Convention européenne des droits de l’Homme et contentieux contractuel », Dr. & patr., n° 194, 1er juill. 2010.
  • 22.
    Moutel B., L’« effet horizontal » de la Convention européenne des droits de l’Homme en droit privé français. Essai sur la diffusion de la CEDH dans les rapports entre personnes privées, thèse Limoges, 2006, p. 12, n° 6. L’auteur définit l’effet horizontal : « La notion d’effet horizontal, inspirée de la doctrine allemande de la drittwirkung, traduite selon les auteurs par “effet réflexe”, “effet relatif” où “effet vis-à-vis des tiers” vise l’effet produit par une norme au sein des relations entre personnes privées ».
  • 23.
    V. en ce sens Niel P.-L., « Effet de l’article 8 de la Conv. EDH à l’égard des dispositions de l’article 333, alinéa 2, du Code civil », LPA 17 nov. 2016, n° 121w6, p. 10.
  • 24.
    Binet J.-R., « Maman a épousé papy avec la bénédiction de la Cour de cassation », art. préc.
  • 25.
    CEDH, 8 sept. 2014, n° 58809/09, Konstantinidis c/ Grèce, § 36.
  • 26.
    Mainguy D., « Cours de droit des personnes, de la famille », préc.
  • 27.
    Marguénaud J.-P., « Vers la liberté du mariage entre alliés en ligne directe », RTD civ. 2005, p. 735.
  • 28.
    « Définition du mariage », Le Lamy Droit des personnes et de la Famille, n° 307-3.
  • 29.
    Lamarche M., « Empêchement à mariage entre alliés et nullité : sentimentalisme ou pragmatisme de la Cour de cassation ? », JCP G 2014, n° 4, p. 139.
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