Éléments à prendre en compte pour évaluer l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu au sens de la convention de La Haye du 25 octobre 1980

Publié le 10/10/2017

La Cour de cassation considère que doit être censurée la décision qui, pour retenir qu’un enfant ne peut être considéré comme intégré dans son nouveau milieu, relève que celui-ci, qui réside en France depuis deux ans avec sa mère et ses demi-frères et sœur, est scolarisé depuis plus d’un an, comprend sans difficulté le français et le parle couramment, mais que sa mère, qui ne s’exprime pas en français, est en demande d’asile en France, ne peut y travailler et réside chez un tiers, qui l’héberge avec ses trois enfants.

Cass. 1re civ., 13 juill. 2017, no 17-11927

En l’espèce, une enfant est née en Ukraine, de l’union d’un couple. Après la séparation des parents, un arrêt de la cour d’appel de Kiev du 21 septembre 2011 a fixé la résidence de l’enfant chez la mère. Elle a quitté ensuite l’Ukraine en octobre 2014 pour s’installer en France avec ses enfants, les autres étant issus de précédentes unions. Le 18 novembre 2014, le père a saisi les autorités ukrainiennes d’une demande de retour de sa fille et un jugement du 27 avril 2016 du tribunal de Solomianskyi à Kiev a fixé la résidence de l’enfant chez son père. Après localisation de la mère, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre a saisi le juge aux affaires familiales, le 24 mai 2016, sur le fondement de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, afin de voir ordonner le retour immédiat de l’enfant en Ukraine.

La cour d’appel de Versailles, le 24 novembre 2016, ordonne le retour immédiat en Ukraine de l’enfant.

La mère forme un pourvoi en cassation. Devant la cour, elle développe quatre moyens.

Elle estime tout d’abord, que lorsque le ministère public agit comme partie principale, il a l’obligation d’être présent à l’audience et l’arrêt attaqué doit constater cette présence. Selon elle « faute de comporter un tel constat, l’arrêt doit être censuré pour violation des articles 423 et 431 du Code de procédure civile, ainsi que des articles de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 ». Mais la Cour de cassation constate « qu’il résulte des pièces de la procédure que le ministère public, partie principale, était présent à l’audience » ; elle rejette donc le premier moyen.

Ensuite, le second moyen porte sur les conclusions qui n’auraient pas été communiquées selon les règles édictées par l’article 16 du Code de procédure civile. Mais la Cour rejette aussi ce moyen en indiquant qu’il résulte des pièces de la procédure que le ministère public a développé oralement ses conclusions écrites à l’audience et que de ce fait elles ont ainsi été portées à la connaissance de l’auteur du pourvoi qui de plus « a été mise en mesure de présenter ses observations ».

Le troisième argument porte sur l’interprétation de la règle internationale, puisque l’auteure du pourvoi estime qu’elle avait le droit de garde et qu’en aucun cas, dans ces circonstances, le déplacement illicite d’enfant est caractérisé, le père n’ayant pas, selon elle, le même droit. Mais la Cour de cassation rejette cet argument car la cour d’appel a relevé, d’une part, que le père détenait un droit de garde sur l’enfant par la décision de la cour d’appel de Kiev du 21 septembre 2011, et la mère ne pouvait décider, « unilatéralement et sans l’accord du père, de modifier la résidence de l’enfant ». Ensuite, la cour d’appel avait, d’autre part, pris en compte le fait qu’une décision ukrainienne du 23 avril 2013, confirmée par la cour d’appel de Kiev le 18 juin 2013, avait accordé à chacun des parents le droit de circuler seul avec l’enfant sans l’autorisation de l’autre, mais non de s’installer définitivement dans un pays tiers sans l’accord de l’autre parent.

Le dernier moyen est fondé sur l’article 12 de la convention de La Haye de 1980 ensemble l’article 3, § 1, de la convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant.

L’auteure du pourvoi estime que la cour d’appel ne pouvait valablement retenir que l’enfant ne peut être considérée comme intégrée dans son nouveau milieu, en relevant que l’enfant, « qui réside en France depuis 2 ans avec sa mère et ses demi-frères et sœur, est scolarisée depuis septembre 2015, comprend sans difficulté le français et le parle couramment », « mais que sa mère, qui ne s’exprime pas en français, est en demande d’asile en France, ne peut y travailler et réside chez un tiers, qui l’héberge avec ses trois enfants ». Selon le moyen, les arguments retenus ne sont pas pertinents et la décision ne garantit pas l’intérêt supérieur de l’enfant.

Sur ce dernier argument, la Cour de cassation devait donc déterminer si un enfant peut être considéré, au sens des textes internationaux, comme étant intégré s’il réside en France depuis 2 ans, s’il parle couramment le français et est scolarisé, mais que sa mère a des difficultés d’intégration à différents niveaux.

La réponse de la Cour de cassation est positive. Selon elle, les éléments sont suffisants pour caractériser l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu. L’intérêt de l’enfant est de le maintenir dans ce milieu et la situation quelque peu précaire de la mère ne fait pas obstacle à cela.

La Cour rappelle par cette décision le principe du retour de l’enfant en cas de déplacement ou de non-retour illicites (I), tout en consacrant l’exception en cas d’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu. Par cet arrêt, elle confirme que l’intérêt de l’enfant est le principe directeur supérieur (II) et elle rend inopérant l’argument lié à la précarité de la situation dans laquelle se trouve le parent avec qui réside l’enfant.

I – Le principe : le retour de l’enfant déplacé ou retenu illicitement

Les enlèvements internationaux d’enfants posent de réelles difficultés aux parents qui sont parfois privés, frauduleusement, de leurs droits sur leurs enfants. La coopération internationale dans ce domaine a été formalisée notamment dans la convention de La Haye du 25 octobre 1980. La Cour de cassation rappelle dans la décision commentée le principe : en cas de déplacement ou rétention illicite (A), l’enfant doit retourner dans le pays d’origine (B).

A – Le déplacement ou rétention illicite de l’enfant

La convention de La Haye du 25 octobre 1980 a pour objet, selon la Cour de cassation « d’assurer le retour immédiat dans l’État de leur résidence habituelle des enfants retenus illicitement dans tout autre État contractant »1. Cette convention internationale entend protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicites. À cette fin, le texte international établit des procédures qui permettent de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle, mais aussi d’assurer la protection du droit de visite.

Selon l’article 3 de la convention, le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite si plusieurs conditions sont réunies. La première condition est remplie « lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ». La seconde condition tient au fait que « ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus ». Le texte précisant que le droit de garde visé ici « peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État ».

De plus, selon l’article 4, la convention s’applique à « tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un État contractant immédiatement avant l’atteinte aux droits de garde ou de visite ». Le même article précisant que l’application de la convention cesse lorsque l’enfant parvient à l’âge de 16 ans.

La Cour de cassation a précisé dans une décision rendue le 4 mars 2015 qu’en ce qui concerne la résidence de l’enfant, elle doit être déterminée à la lumière de l’ensemble des circonstances de fait particulières dont la commune intention des parents de transférer cette résidence ainsi que les décisions prises en vue de l’intégration de l’enfant2.

Les juges suprêmes considèrent que les juges du fond apprécient souverainement, par une décision motivée, quelle est la résidence de l’enfant3.

Les situations de violation du droit de garde sont diverses, mais dans tous les cas l’existence du droit de garde doit être antérieure au déplacement, qui peut résulter d’une attribution de plein droit ou encore d’un accord entre les parents4.

Une autre condition doit être remplie pour que la convention s’applique, condition relative à l’illicéité du déplacement. Si le déplacement est licite, le juge ne peut appliquer le texte. Pour évaluer la situation, le juge de l’État doit vérifier que cette condition est bien remplie en se bornant à rechercher si le parent avait le droit de modifier seul le lieu de résidence de l’enfant pour le fixer dans un autre État5.

Ainsi, selon la Cour de cassation, constitue une violation du droit de garde au sens de la convention de La Haye, le fait pour une mère de ne pas respecter un accord conclu avec le père qui lui permettait de conserver la garde de l’enfant mais sans lui permettre de quitter l’État dans lequel résidait le père, sauf pour de courtes périodes de vacances6.

En cas d’autorité parentale conjointe, la Cour a eu l’occasion de préciser que le déplacement de l’enfant sans le consentement des deux parents est illicite7.

Aussi, la résidence de l’enfant ne peut être modifiée unilatéralement par un parent. Dans une affaire, la Cour de cassation a considéré que l’intérêt de l’enfant était de regagner l’État de sa résidence habituelle, dans l’attente de la décision au fond sur l’autorité parentale, et que c’est à juste titre qu’une cour d’appel avait pu ordonner le retour de l’enfant8.

En l’espèce, ce qui est reproché à la mère, c’est d’avoir décidé unilatéralement et sans l’accord du père, de modifier la résidence de l’enfant. Elle a en effet quitté l’Ukraine en octobre 2014 pour s’installer en France avec l’enfant commun et ses trois autres enfants, issus de précédentes unions. Cela, bien qu’une décision ukrainienne « du 23 avril 2013, confirmée par la cour d’appel de Kiev le 18 juin 2013 », avait accordé « à chacun des parents le droit de circuler seul avec l’enfant sans l’autorisation de l’autre, mais non de s’installer définitivement dans un pays tiers sans l’accord de l’autre parent ». La Cour de cassation valide ainsi le raisonnement des juges du fond qui avaient considéré que les conditions étaient réunies, a priori, pour faire application de l’article 12 de la convention de La Haye. L’argument selon lequel il n’y aurait pas eu le « droit de garde » nécessaire à l’application de la convention n’est pas retenu par la haute juridiction.

Lorsque les conditions sont remplies, une demande peut être introduite pour que soit ordonné le retour de l’enfant.

B – Le retour de l’enfant

Tout d’abord, il existe en droit interne des dispositions qui permettent d’éviter ces situations d’enlèvement international d’enfant. En effet, l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire sans l’accord des deux parents est prévue à l’article 373-2-6, alinéa 3, du Code civil. Elle a pour but de protéger les droits et libertés d’autrui puisque la séparation des parents est, selon l’article 373-2 du Code civil « sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ». Aussi, chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent et tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent. Le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales peut, selon l’article 373-2-6 du Code civil, « prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents ». Parmi ces mesures, il peut, « ordonner l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire français sans l’autorisation des deux parents ». Cette interdiction de sortie du territoire est inscrite au fichier des personnes recherchées par le procureur de la République. C’est ce que confirme l’article 1180-3 du Code de procédure civile. Selon ce texte, c’est le greffe du juge aux affaires familiales qui avise aussitôt le procureur de la République et fait inscrire cette mesure au fichier des personnes recherchées ou fait procéder à la modification de l’inscription9.

Cette disposition vise à prévenir les déplacements illicites. Le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, appelé règlement Bruxelles II bis10, « a pour objectif d’éviter que les parents ne se trouvent dans des situations où ils ne peuvent plus jouir de leurs droits parentaux »11. La Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 8 mars 201712 que ce sont les juges du fond qui apprécient souverainement la situation familiale pour ordonner l’interdiction de sortie du territoire sans l’autorisation des deux parents prévue à l’article 373-2-6 du Code civil.

Le règlement en question se combine avec la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. En effet, différentes conventions internationales peuvent être mobilisées pour parvenir au retour de l’enfant. La Cour de cassation a récemment confirmé que la convention de La Haye, peut être associée à d’autres engagements internationaux. En effet, selon elle, « aux termes de l’article 34 de cette convention, celle-ci n’empêche pas qu’un autre instrument international liant l’État d’origine et l’État requis ne soit invoqué pour obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement »13.

Mais en l’espèce, c’est la convention de La Haye particulièrement, associée à la convention de New York sur les droits de l’enfant, qui trouve application puisque la décision est rendue à l’étranger et le juge français est le juge chargé d’ordonner le retour.

L’article 8 de la convention prévoit ainsi que, « la personne, l’institution ou l’organisme qui prétend qu’un enfant a été déplacé ou retenu en violation d’un droit de garde peut saisir soit l’autorité centrale de la résidence habituelle de l’enfant, soit celle de tout autre État contractant, pour que celles-ci prêtent leur assistance en vue d’assurer le retour de l’enfant ». La demande doit contenir un certain nombre d’éléments notamment « des informations portant sur l’identité du demandeur, de l’enfant et de la personne dont il est allégué qu’elle a emmené ou retenu l’enfant ». De plus, le requérant doit fournir « la date de naissance de l’enfant, s’il est possible de se la procurer (…), les motifs sur lesquels se base le demandeur pour réclamer le retour de l’enfant » mais aussi « toutes informations disponibles concernant la localisation de l’enfant et l’identité de la personne avec laquelle l’enfant est présumé se trouver ». La demande peut aussi être accompagnée ou complétée par une copie authentifiée de toute décision ou de tous accords utiles et d’une « attestation ou une déclaration avec affirmation émanant de l’autorité centrale, ou d’une autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle, ou d’une personne qualifiée, concernant le droit de l’État en la matière ».

Concrètement, dans la procédure de retour française, « la demande de retour est transmise par l’autorité centrale étrangère à son homologue française »14. Ensuite, l’autorité centrale française doit « localiser l’enfant déplacé au vu des éléments fournis par le requérant dans sa demande de retour »15. Ce sont les services du parquet compétents qui sont saisis.

Une fois l’enfant localisé, « le parquet fait procéder à l’audition du parent avec lequel il se trouve afin de l’informer de la procédure de retour en cours et pour tenter d’obtenir un retour amiable de l’enfant. Cette première étape de la procédure est nécessaire, mais rarement couronnée de succès »16.

Ensuite, c’est le parquet qui doit informer l’autorité centrale en cas de refus du parent de renvoyer l’enfant. L’autorité centrale contacte alors son homologue étrangère afin de recevoir des instructions sur l’introduction de la procédure judiciaire de retour. Une fois l’accord reçu, « l’autorité centrale française saisit le parquet afin que soit introduite l’action judiciaire de retour »17.

Le but de la convention étant d’éviter que les enlèvements internationaux d’enfants perdurent et d’assurer le retour immédiat dans l’État de leur résidence habituelle des enfants retenus illicitement dans tout autre État contractant18, la Cour de cassation a précisé que la juridiction saisie n’est pas juge de la régularité ou du bien-fondé de la décision prise dans l’État de la résidence habituelle des enfants ; elle doit donc ordonner leur retour pour faire respecter cette décision, qui « n’affecte pas le fond du droit de garde »19. Cette décision est conforme aux dispositions des articles 15 et suivants de la convention qui précisent qu’après avoir été informées du déplacement illicite d’un enfant ou de son non-retour, les autorités judiciaires ou administratives de l’État contractant où l’enfant a été déplacé ou retenu « ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu’à ce qu’il soit établi que les conditions de la présente convention pour un retour de l’enfant ne sont pas réunies, ou jusqu’à ce qu’une période raisonnable ne se soit écoulée sans qu’une demande en application de la convention n’ait été faite ». C’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation à plusieurs reprises20.

Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, l’État doit aussi assurer l’exécution d’une décision de retour, sans quoi il peut être condamné sur la base de la convention européenne des droits de l’Homme21. En effet, selon la Cour de Strasbourg, l’inexécution d’un arrêt confirmant l’ordonnance de retour à leur mère en Grande-Bretagne de deux enfants mineurs dont les parents divorcés avaient la garde partagée viole le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme, et cela, malgré l’opposition qu’avait montré les enfants de quitter leur père en France.

En l’espèce, les conditions sont en principe réunies pour que le retour de l’enfant soit ordonné dans le pays d’origine, c’est ce qu’avait décidé la cour d’appel. Mais, pour la Cour de cassation, les juges d’appel n’ont pas évalué d’une façon pertinente la situation de l’enfant permettant de caractériser l’une des exceptions prévues par la convention. En effet, il n’y a pas lieu d’ordonner le retour de l’enfant lorsque celui-ci est intégré dans son nouveau milieu.

II – Une exception au principe tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant : l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu

La Cour de cassation rappelle que l’intérêt de l’enfant est qu’il soit dans son nouveau milieu dès lors qu’il y est intégré (A). La situation précaire de la mère avec qui il réside importe peu (B).

A – L’intérêt de l’enfant et son intégration dans son nouveau milieu

Selon l’article 12 de la convention, lorsque l’enfant « a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat ».

De plus, l’autorité en question, « même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant ».

Ainsi, le principe reste le même, que l’enfant soit dans son « nouveau milieu » depuis moins d’un an ou non, la juridiction doit, par principe, ordonner le retour.

Néanmoins, le même article introduit une exception lorsqu’il est établi « que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu » depuis plus d’un an. Selon un auteur, la nuance est « subtile », « le premier alinéa commande au juge d’ordonner le retour, le second alinéa fait de même tout en lui ouvrant la possibilité de tenir compte de l’intégration depuis plus d’un an de l’enfant dans son nouveau milieu »22. En en tirant les conséquences, le même auteur précise qu’« il faut veiller à ce que la juridiction soit saisie avant l’échéance du délai d’un an par les services du parquet »23.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que le délai d’un an court du jour du déplacement ou du non-retour de l’enfant au jour où la juridiction de l’État requis est saisie, et non à partir du jour où le parent a eu connaissance du lieu où se trouvent ses enfants24.

L’article 13 indique qu’il existe d’autres circonstances dans lesquelles l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant. Tout d’abord, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit que « la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour », ou encore « avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ». Ensuite, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit qu’il existe « un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable ».

Une autre exception au principe du retour est prévue par le texte. Il s’agit du cas où l’autorité constate que l’enfant « s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion ».

Dans certaines décisions, la Cour de cassation a apporté des précisions sur l’appréciation de la notion de danger. C’est ainsi que dans un arrêt du 12 juillet 1994, la première chambre civile de la Cour de cassation indiquait qu’une telle appréciation est souveraine des juges du fond et peut par exemple résulter d’un danger psychique pour l’enfant25. Un auteur faisait remarquer suite à cette décision qu’il y a « incontestablement un équilibre difficile à tenir entre deux préoccupations : celle de lutter contre les déplacements illégaux d’enfants, à laquelle la Cour de cassation semble jusqu’à présent s’être montrée particulièrement sensible, et celle de l’intérêt de l’enfant, que l’on ne doit pas non plus négliger »26.

Dans tous les cas visés à l’article 13, selon la convention, « les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale ».

Le 12 juillet 2017, la Cour de cassation confirmait le principe de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la question du danger dans lequel se trouverait l’enfant27.

Concernant le point de vue des enfants, la Cour européenne des droits de l’Homme a eu l’occasion de se positionner28. Dans le cadre de l’application des principes du droit international29, si l’avis des enfants doit être pris en compte, « leur opposition ne fait pas nécessairement obstacle à leur retour ». En effet, une violation des droits reconnus dans la convention européenne des droits de l’Homme peut être relevée dans certains cas, notamment le droit des parents au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8.

Toutes les exceptions prévues dans la convention visent à prendre en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant ». C’est d’ailleurs sur cette base, notamment, que se fonde la Cour de cassation pour censurer la décision des juges du fond. En effet, elle met en adéquation l’article 3 de la convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant avec l’article 12 de la convention de La Haye. Selon la convention de New York, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

En l’espèce, la question portait sur l’appréciation de l’intégration de l’enfant. En effet, selon les éléments de fait, l’enfant « réside en France depuis deux ans avec sa mère et ses demi-frères et sœur, est scolarisée depuis septembre 2015, comprend sans difficulté le français et le parle couramment ». Ces éléments auraient pu suffire à la cour d’appel pour valider l’exception du fait que l’enfant est intégré dans son nouveau milieu, mais tel n’a pas été le cas. La décision rendue par la cour d’appel est donc censurée sur ce point.

La Cour de cassation opère donc un contrôle de l’appréciation des juges du fond. Dans une décision du 12 décembre 2006, elle avait considéré que la question de l’intégration de l’enfant était une question d’appréciation souveraine des juges du fond. Selon elle, la cour d’appel avait estimé en l’espèce, « souverainement, après audition de l’enfant, que son intégration scolaire était excellente, ainsi que son adaptation à son nouveau milieu et que son intérêt supérieur commandait qu’elle ne retournât pas auprès de son père aux États-Unis »30. L’intégration scolaire est prise en compte d’une façon pertinente dans l’analyse des juges du fond, comme c’est le cas en l’espèce.

Dans une autre espèce, les juges du fond avaient fait selon la Cour de cassation « une analyse minutieuse des pièces produites ». Pour conclure à l’intégration de l’enfant, avaient été pris en compte « les nombreux témoignages émanant tant des enseignants et directeurs des écoles fréquentées par les enfants, que de parents d’élèves, d’amis, de membres de l’environnement » de la mère. Ces éléments « attestent unanimement que les deux mineurs maîtrisent parfaitement la langue française, qu’ils ont réalisé des rapides progrès dans les apprentissages scolaires et leur développement psychologique, qu’ils sont épanouis, dynamiques, autonomes et très investis dans les activités scolaires et parascolaires »31.

Ici, la Cour de cassation censure la décision des juges de la cour d’appel car, même si elle a évalué souverainement la situation, elle a tenu compte d’éléments inopérants en retenant « que sa mère, qui ne s’exprime pas en français, est en demande d’asile en France, ne peut y travailler et réside chez un tiers, qui l’héberge avec ses trois enfants ».

B – L’impertinence de la prise en compte de la situation précaire du parent avec qui réside l’enfant

La Cour de cassation censure la décision rendue par la cour du second degré, car elle n’a pas « tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que l’enfant s’était intégrée dans son nouveau milieu ». La cour d’appel a donc violé les textes internationaux énoncés comme fondements du moyen au pourvoi. La situation du parent avec qui réside l’enfant est donc inopérante : ce qui est pertinent, c’est l’intégration de l’enfant.

La haute juridiction opère donc un contrôle de l’appréciation des juges du fond quant aux éléments à prendre en compte pour évaluer l’intérêt de l’enfant sur la question du retour de l’enfant. En l’occurrence, ce contrôle est opéré lorsque la question de l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu est en cause.

Ainsi, le parent peut être en difficultés sociales, être en demande d’asile ou encore ne pas maîtriser le français, tout cela constitue « des circonstances étrangères » à ne pas prendre en compte, comme le soutenait pertinemment l’auteure du pourvoi en l’espèce.

Cette position de la Cour de cassation laisse une marge de manœuvre importante aux parents qui décident de partir dans un pays étranger avec leur enfant, en contradiction avec une décision prise par une juridiction nationale. Le fait que le délai d’un an permette une remise en question du droit de retour de l’enfant n’est pas anodin. Un parent non titulaire exclusivement de la garde de l’enfant, pourrait tenter de l’emmener à l’étranger, clandestinement, tout en lui permettant de s’intégrer dans son nouveau milieu, afin de faire échec à la convention au nom de l’intérêt de l’enfant. Ce qui ressort de la présente décision est que même si le parent parti en pays étranger est lui-même dans une situation précaire, l’enfant pourra être considéré comme « intégré » par les juges. L’autre parent n’aura plus d’autre solution que de saisir une juridiction pour que soit tranchée sur le fond la question de la répartition des droits de garde. L’intérêt de l’enfant est, et continue d’être, la référence centrale en matière de droit de la famille, même si la notion est parfois difficile à évaluer.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n° 99-14029.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 4 mars 2015, n° 14-19015.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n° 99-14029.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 22 avr. 1997, n° 95-11999.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 7 déc. 2016, n° 16-21760.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 22 avr. 1997, n° 95-11999.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 14 déc. 2005, n° 05-12934.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 10 juill. 2007, n° 07-10190.
  • 9.
    V. Briand L., « Prévenir l’enlèvement international : les pratiques juridictionnelles après la loi du 9 juillet 2010 », AJ fam. 2011, p. 416.
  • 10.
    V. Rép. civ. Dalloz, v° Compétence, reconnaissance et exécution (Matières matrimoniale et de responsabilité parentale), 2013, nos 1 et s., note Gallant E. ; V. aussi Guide pratique pour l’application du règlement Bruxelles II bis, disponible sur le site http://ec.europa.eu/justice/civil/files/brussels_ii_practice_guide_fr.pdf.
  • 11.
    Hisquin J.-M., note ss Cass. 1re civ., 8 mars 2017, n° 15-26664.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 8 mars 2017, n° 15-26664.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 12 juill. 2017, n° 17-11840.
  • 14.
    Boiché A. note ss Cass. 1re civ., 12 déc. 2006, n° 06-13177 : AJ fam. 2007, p. 317.
  • 15.
    Ibid.
  • 16.
    Ibid.
  • 17.
    Ibid.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n° 99-14029.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 7 juin 1995, n° 94-15860.
  • 20.
    V. not. Cass. 1re civ., 17 déc. 2008, n° 07-15393.
  • 21.
    CEDH, 5e sect., 7 mars 2013, n° 10131/11, décision dans laquelle la France est condamnée.
  • 22.
    Boiché A. note ss Cass. 1re civ., 12 déc. 2006, n° 06-13177 : AJ fam. 2007, p. 317.
  • 23.
    Ibid.
  • 24.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 2008, n° 07-15402.
  • 25.
    V. Massip J., note ss Cass. 1re civ., 12 juill. 1994, n° 93-15495 : LPA 15 mars 1995, p. 27.
  • 26.
    Ibid.
  • 27.
    Cass. 1re civ., 12 juill. 2017, n° 17-11840.
  • 28.
    CEDH, 5e sect., 7 mars 2013, n° 10131/11.
  • 29.
    Convention de La Haye et règlement Bruxelles II bis.
  • 30.
    Cass. 1re civ., 12 déc. 2006, n° 06-13177.
  • 31.
    CA Paris, 8 août 2008, n° 07/44061.
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