La rétractation de la révocation testamentaire
La cour d’appel de Versailles a retenu à bon droit que la révocation du testament du 21 juillet 2003 par celui du 18 mars 2004 n’avait pu remettre en vigueur le testament révoqué, établi le 29 octobre 1991.
Cass. 1re civ., 17 mai 2017, no 16-17123, FPB
1. Il est difficile d’annoter un arrêt de la haute juridiction en matière testamentaire sans évoquer l’élément formel qui est considéré comme une des conditions essentielles de cette libéralité tant il est vrai que la loi exige ad validitatem certaines formes pour assurer l’efficacité des testaments ainsi que des donations1. On discerne mal, il est vrai le mouvement de désolennisation des libéralités2 en l’occurrence celui du testament olographe. Au cas d’espèce3, une testatrice Mme Szejna X a, par un premier testament du 24 octobre 1991, institué l’État d’Israël légataire universel. Par un second testament rédigé en date du 21 juillet 2003 révoquant toute disposition antérieure, elle a institué l’association Wizo Israël légataire universelle. Par un troisième testament du 18 mars 2004, elle a révoqué le testament du 21 juillet 2003. La testatrice Mme Szejna X est décédée le 5 juin 2005, sans héritier à réserve. L’association Wizo Israël a saisi la justice en assignant le neveu de la défunte, ainsi que M. et Mme Y, M. Z, la société Z archives généalogiques ainsi que les SCP de notaires Guilbaud-Lemaréchal-Morelet Lefebvre-Reutin en nullité du document du 18 mars 2004. L’État d’Israël est intervenu volontairement à l’instance pour demander, au cas où la valeur révocatoire serait reconnue à cet acte, que soit constatée sa qualité de légataire universel en vertu du testament du 24 octobre 1991. Les juges du fond refusent de reconnaître la qualité de légataire universel à l’État d’Israël4. La Cour de cassation estime que : « c’est par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d’appel a estimé que la révocation du testament du 21 juillet 2003 par celui du 18 mars 2004 n’avait pu remettre en vigueur le testament révoqué, établi le 29 octobre 1991 en faveur de l’État d’Israël, en l’absence de volonté clairement manifestée par la défunte ; que le moyen n’est pas fondé ». La question de la rétractation de la révocation est en principe admis par la jurisprudence de la haute juridiction (I) mais exige bien souvent une appréciation souveraine des juges du fond (II).
I – Le principe de la rétractation de la révocation
2. Pour la Cour de cassation la révocation du testament du 21 juillet 2003 par celui du 18 mars 2004 n’avait pu remettre en vigueur le testament révoqué (B), malgré l’admission de la règle traditionnelle selon laquelle un testament puisse revivre même si le testament qui l’a révoqué est lui-même révoqué (A).
A – Survivance du testament antérieur dans sa teneur initiale
3. La jurisprudence, très fournie et ancienne s’est surtout prononcée sur la question de la révocation du testament5. En effet, l’article 1035 du Code civil dispose que : « Les testaments ne pourront être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté ». Hormis l’instrumentum réalisé devant notaire, l’acte révocatoire n’est pas aisé à appréhender. Comme le remarque la doctrine : « Le testament étant durant la vie du testateur toujours révocable, la révocation est, elle-même, sujette à rétractation »6. Quid en cas de testaments successifs qui font l’objet de révocations7 ? Dans cette hypothèse, la loi prévoit que les testaments postérieurs, qui ne révoqueront pas d’une manière expresse les précédents, n’annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles ou qui seront contraires8. La jurisprudence décide que le testament antérieur revit comme s’il n’avait jamais été révoqué, du moins s’il subsiste toujours dans sa teneur matérielle9. Dans le même ordre d’idées, la haute juridiction a jugé qu’ : « Attendu que si la cour d’appel a exactement retenu que l’acte portant donation était valable et devait recevoir exécution, c’est en violation des textes susvisés qu’elle a considéré que cet acte, qui ne répondait pas aux exigences de forme de l’article 9-2 de la loi du 25 ventôse an XI modifiée, emportait également révocation « expresse » du testament antérieur, lequel demeure valable dans celles de ses dispositions qui ne sont pas incompatibles avec celle de la donation »10.
B – Modification de la teneur du testament
4. On sait qu’un testament révoqué ne cesse pas d’exister matériellement11 Cependant, au cas d’espèce, le second testament en date du 21 juillet 2003 révoque toute disposition antérieure et institue l’association Wizo Israël légataire universelle. Le demandeur au pourvoi estimé, d’une part, qu’en vertu de l’article 895 du Code civil, le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu’il peut révoquer ; que la révocation régulière d’un précédent testament instituant un légataire universel déterminé portant exclusivement sur l’identité dudit légataire n’emporte pas nécessairement, sauf disposition expresse, extinction de la volonté de tester ; qu’en étendant la portée de la révocation qu’elle a constaté au-delà de son objet, appliquant de la sorte le droit commun de la dévolution ab intestat, et en affirmant que cette révocation emportait également extinction de la volonté de tester au profit d’un autre légataire, la Cour a violé l’article 895 du Code civil ». La Cour de cassation confirme la révocation du premier testament en estimant selon sa jurisprudence que la révocation du premier testament ne peut revivre qu’autant que la testatrice a manifesté cette intention dans l’acte de révocation. Sauf dénaturation de clauses claires et précises, la Cour de cassation s’en remet au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui ont estimé que la révocation du testament du 21 juillet 2003 par celui du 18 mars 2004 n’avait pu remettre en vigueur le testament révoqué, établi le 29 octobre 1991.
II – L’interprétation judiciaire de l’acte révocatoire
5. La Cour de cassation s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond pour interpréter l’intention révocatoire de la testatrice qui s’inspirent de la primauté de la volonté interne et la règle d’efficacité (A) en ayant parfois recours à des éléments extrinsèques (B).
A – Le recours à la primauté de la volonté interne et la règle d’efficacité : Potius ut valeat quam ut pereat
6. Les juges du fond disposent d’un large pouvoir d’appréciation en la matière. C’est ainsi qu’ils peuvent décider que le testament instituant une personne légataire universelle et révoquant « toutes dispositions antérieures » ne frappe pas de révocation le legs universel contenu dans un testament antérieur au profit de la même personne, de sorte que si le legs contenu dans le second testament est nul comme entaché de substitution prohibée, le légataire conserve néanmoins le bénéfice de l’institution contenue dans le premier12.
7. On soulignera que la doctrine estime que la jurisprudence s’inspire des règles gouvernant l’interprétation des contrats pour rechercher l’intention du testateur13. Pour Marc Nicod14 : « Les règles gouvernant l’interprétation des testaments s’inspirent de celles qui ont cours pour les contrats. La jurisprudence transpose, en droit testamentaire, les directives fournies par les articles 115715 et suivants du Code civil (…). On y retrouve, par conséquent, les principes traditionnels d’interprétation des conventions, en particulier la primauté de la volonté interne et la règle d’efficacité (potius ut valeat quam ut pereat) »16. L’interprétation du testament nécessite plus que celle du contrat une méthode permettant au juge du fond de déterminer la volonté non équivoque du testateur17. Depuis de nombreuses années, la jurisprudence estime que : (…) ce mode de disposer ne laisse aucun doute sur l’intention de la testatrice, sur l’objet et l’étendue de sa disposition, qui dans tous les cas devrait être entendue potius ut valeat quam ut perea (..) »18. La doctrine qui s’est exprimée à ce jour considère qu’en interprétant un testament potius ut valeat quam ut perea si une clause testamentaire est susceptible de deux sens, l’une qui conduit à annuler l’autre qui permet de valider, c’est cette deuxième interprétation qu’il faudra adopter19. Dans l’arrêt commenté, la volonté de la testatrice était de revenir à la dévolution légale20.
B – Recours aux éléments extrinsèques pour interpréter la teneur du testament
8. On sait que la jurisprudence n’hésite pas à reconstituer le jour voire le mois du testament olographe au moyen d’éléments intrinsèques à l’acte et, à défaut, au moyen d’éléments extrinsèques à celui-ci, mais à la condition, dans ce cas, que ces éléments extrinsèques trouvent « leur racine et leur principe » dans le testament lui-même21. Les juges du fond ont-ils le pouvoir de recourir éléments extrinsèques pour interpréter la teneur du testament ? La Cour de cassation approuve le recours aux éléments extrinsèques pour interpréter la teneur du testament tout en précisant : « Mais attendu que la réglementation concernant la désignation, dans les actes privés ou publics, de l’ancienne ou de la nouvelle unité monétaire n’interdit pas d’interpréter les testaments, d’après l’intention de leur auteur telle qu’elle résulte soit de l’écrit testamentaire, soit même d’éléments extrinsèques à ce dernier ; attendu que la cour d’appel, qui n’a pas renversé le fardeau de la preuve, ni énoncé de motifs hypothétiques, et qui est demeuré dans les limites du litige, n’a fait qu’user de son pouvoir souverain d’appréciation, en décidant qu’il résultait des éléments de preuve produits, et notamment d’une expertise judiciaire, que la défunte pensait et résonnait en francs anciens et que son intention avait été de gratifier dame Y d’une somme de 80 000 anciens francs ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 7 octobre 1969, par la cour d’appel de Paris »22. Force est de reconnaître que le principe de la foi due aux actes authentiques23 innerve l’interprétation du testament olographe qui doit rester compatible avec les termes du legs24.
Notes de bas de pages
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1.
Beignier B., Cabrillac R., Lécuyer H. et Labasse J., « Élément formel non déterminant », Le Lamy Droit des Régimes Matrimoniaux, Successions et Libéralités, n°305-20.
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2.
Ibid. ; Montredon J.-F., La désolennisation des libéralités, 1989, LGDJ ; Nicod M., Le formalisme en droit des libéralités, 2000, La Mouette.
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3.
Louis D., « Portée de la révocation d’un testament révocatoire », Dalloz actualité, 6 juin 2017 ; « Portée de la révocation d’un testament révoquant lui-même un testament antérieur », Defrénois flash 12 juin 2017, n° 140j1, p. 1 ; De Loth E., « La révocation de la révocation d’un testament ne fait pas revivre le premier », La Quotidienne.
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4.
Louis D., « Portée de la révocation d’un testament révocatoire », art. préc.
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5.
JCl. Notarial Répertoire, V° Testaments, fasc. 110, Donations et testaments, Révocation des testaments, Révocation expresse et révocation tacite, n° 23, Le Guidec R.
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6.
Répertoire de droit civil, Dalloz, V Testament, 2017, n° 144, Nicod M.
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7.
« Portée de la révocation d’un testament révoquant lui-même un testament antérieur », Defrénois flash 12 juin 2017, n° 140j1, p. 1.
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8.
C. civ., art. 1036.
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9.
JCl. Notarial Répertoire, op. cit.
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10.
Cass. 1re civ., 22 juin 2004, n° 02-20398 : Bull. civ. I, n° 179 ; Defrénois 30 oct. 2004, n°38033, p. 1386, note Beignier B. ; AJ fam. 2004, p. 365, obs. Bicheron F. ; Dr. famille 2004, comm. 154, note Beignier B.
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11.
Journal de l’enregistrement et du notariat : recueil des décisions, arrêts, jugements en matière d’enregistrement, de timbre, de greffe, d’hypothèques, de notariat, de successions, de mutations par décès, de domaines, etc, vol. 11 à 12, 1er janv. 1844, Tarlier H.
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12.
JCl. Notarial Répertoire, op. cit., n°21.
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13.
Répertoire de droit civil, Dalloz, V Testament, 2017, n° 150, Nicod M.
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14.
Répertoire de droit civil, Dalloz, V Testament, janvier 2016 (actualisation : avr. 2017), Nicod M., Potius ut valeat quam ut pereat : faveur à la validité plutôt qu’à la nullité – dans l’interprétation.
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15.
C. civ., art 1191, en vigueur au 1er octobre 2016, lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun.
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16.
Répertoire de droit civil, Dalloz, op. cit.
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17.
Malaurie P., Aynes L. et Brenner C., Droit des successions et des libéralités, 7e éd., 2016, Lextenso, LGDJ, n° 536.
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18.
CA Orléans, 20 juin 1845 : Journal du Palais, Éd. Patris, n° 1845, p. 332.
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19.
Delnoy P. et Moreau P., Les libéralités et les successions, 2013, Coll. De la faculté de Liège, n° 98.
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20.
Louis D., « Portée de la révocation d’un testament révocatoire », art. préc.
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21.
« Testament olographe : le suicide ne vaut pas signature ! », Revue Juridique Personnes et Famille 1er mai 2004, n° 5.
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22.
Cass. 1re civ., 23 juin 1971, n° 70-10177 : Bull. civ. I, n° 213, Répertoire de droit civil, Dalloz, op. cit., n° 152 ; Delnoy P. et Moreau P., Les libéralités et les successions, op. cit.
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23.
D. 1859, p. 367.
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24.
Delnoy P. et Moreau P., Les libéralités et les successions, op. cit.