L’autonomie de l’action à fins de subsides au regard de l’action en recherche de paternité

Publié le 22/02/2017

Encourt la cassation la décision des juges du fond qui retient que l’action en recherche de paternité ayant été engagée par l’enfant devenue majeure, la mère de celle-ci est désormais sans qualité pour réclamer une contribution à l’entretien et l’éducation, seul l’enfant devenu majeur pouvant exercer cette action.

Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, no 15-27246, F–PBI

1. Par un arrêt du 9 novembre 2016, la haute juridiction est venue préciser l’articulation entre deux actions concernant le droit de la famille et plus précisément l’action en recherche de paternité et l’action à fins de subsides. Les faits à l’origine du litige peuvent se résumer de la manière suivante1. Mme Aurore X a été déclarée sur les registres de l’état civil comme née le 5 août 1992 de Mme Agnès X. La jeune fille ainsi que sa mère ont assigné en date du 19 juillet 2012, M. Y devant un tribunal en établissement judiciaire de sa paternité vis-à-vis de Mme Aurore X. Après expertise biologique, le tribunal a dit que M. Y était le père de Mme Aurore X. En outre, le tribunal a mis à sa charge une contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille, à compter du 19 juillet 2012 jusqu’à la fin de ses études. Toutefois, le tribunal déclare Mme Agnès X irrecevable en sa demande de contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille et a rejeté sa demande de dommages-intérêts. Les juges d’appel confirment la position des premiers juges. La haute juridiction casse l’arrêt d’appel au visa des articles 331 et 371-2 du Code civil. La Cour de cassation procède à sa façon à l’articulation entre l’action à fins de subsides avec l’action en recherche de paternité (I) dont les spécificités entraînent une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (II).

I – Le lien entre l’action à fins de subsides et l’action en recherche de paternité

2. La Cour de cassation a donc très logiquement établi une distinction entre l’action en recherche de paternité durant la minorité de l’enfant (A) et l’action à fins de subsides de la mère (B).

A – Recherche de paternité durant la minorité de l’enfant

3. Dans cette optique, le droit de la filiation connaît une action en recherche de paternité qui est encore ouverte à l’enfant après sa majorité si elle n’a pas été exercée durant la minorité2. En l’espèce, les juges du fond considèrent qu’« aux termes des articles 327 et 328 du Code civil, l’action en recherche de paternité était réservée à l’enfant, le parent à l’égard duquel la filiation était établie ayant seule qualité pour l’exercer durant la minorité de l’enfant ; qu’en l’espèce, l’action ayant été engagée par l’enfant devenue majeure, la mère de celle-ci, Mme Agnès X, était désormais sans qualité pour réclamer une contribution alimentaire pour l’entretien et l’éducation de l’enfant qui ne pouvait être formulée que par Mlle Aurore X ; que la demande formée à ce titre par Mme Agnès X était en conséquence irrecevable (…) ». La haute juridiction casse la décision des juges du fond en ce qu’ils ont déclaré Mme Agnès X irrecevable en sa demande de contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

4. En l’espèce, les juges du fond avaient pourtant estimé que la mère, « Mme Agnès X aurait pu agir en établissement judiciaire de la paternité de M. Robert Y à l’égard de sa fille durant la minorité de celle-ci, ce qui lui aurait permis de lui demander de contribuer à l’entretien et à l’éducation de celle-ci ». Faut-il se féliciter de la décision des juges du fond ? La position de la cour d’appel peut paraître sévère. De fait, il faut bien convenir que les juges du fond ont amalgamé les deux actions3. Il apparaît donc, comme l’exprime le professeur Jean Hauser, que « le texte de l’article 342 du Code civil continue curieusement d’exiger, pour qu’une action à fins de subsides soit couronnée de succès, la preuve de relations intimes entre la mère et le défendeur à l’action pendant la période de la conception »4.

5. Dans le même ordre d’idées, les défendeurs à l’action en recherche de paternité invoquaient bien souvent que l’enfant qui a exercé une action au cours de sa minorité, même initiée par sa mère, ne pouvait l’engager à sa majorité pour les mêmes causes et en se fondant sur les mêmes preuves5. La jurisprudence paraît aujourd’hui constante sur ce point. En effet, l’article 342-8 du Code civil dispose que : « La chose jugée sur l’action à fins de subsides n’élève aucune fin de non-recevoir contre une action ultérieure en recherche de paternité. L’allocation des subsides cessera d’avoir effet si la filiation paternelle de l’enfant vient à être établie par la suite à l’endroit d’un autre que le débiteur ».

B – Recevabilité de l’action à fins de subsides de la mère

6. Durant tout le Moyen Âge, le droit canonique avait organisé trois actions visant à atteindre le géniteur de l’enfant, dont la susceptionis partus consistant à faire prendre en charge l’enfant par son géniteur6. Par suite, l’action à fins de subsides fut intégrée dans le Code civil par la loi du 3 janvier 1972. Selon l’arrêt rapporté, la mère réclamait des subsides. En première instance, le tribunal avait rejeté cette demande en observant que : « Mme Agnès X, qui n’avait agi pendant la minorité de sa fille ni en recherche de paternité ni aux fins de subsides à l’encontre de M. Y, ne pouvait faire grief à ce dernier de n’avoir pas contribué à l’entretien et à l’éducation de l’enfant durant la minorité de celle-ci et pas davantage invoquer un préjudice moral en lien avec cette situation ». On sait que l’action à fins de subsides est ouverte bien plus largement, puisqu’elle est recevable durant toute la minorité de l’enfant7. Le tribunal rappelle aux parties « qu’elle aurait pu également introduire une action aux fins de subsides ; qu’à défaut d’avoir intenté l’une ou l’autre de ces actions à l’encontre de M. Robert Y, elle ne pouvait lui imputer à faute de ne pas avoir contribué à l’entretien et à l’éducation de sa fille durant sa minorité ni le tenir pour responsable d’un préjudice moral en lien avec cette situation qu’elle avait elle-même créée ». En appel, Mme Agnès X conteste la fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir. La Cour de cassation condamne les juges du fond d’avoir déclaré irrecevable la mère à agir en action à fins de subsides.

7. Il est vrai que la distinction procédurale entre les deux actions n’est pas aisée à déterminer8. Il serait même justifié d’exiger la plus grande rigueur dans l’appréciation souveraine des juges du fond9. On notera que l’article 342-8 du Code civil prévoit l’exercice d’une action en recherche de paternité contre le débiteur ou un tiers10. On ne peut que se féliciter de la position de le Cour de cassation qui estime qu’en l’espèce la recevabilité de l’action en contribution à l’entretien n’est pas subordonnée à celle de l’action en recherche de paternité et que les effets d’une paternité légalement établie remontent à la naissance de l’enfant. Dans l’arrêt annoté, Mme Agnès X était donc recevable à agir en contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille.

II – La nature constitutive de l’action à fins de subsides

8. La défense classique en l’espèce consistait à invoquer l’adage « aliments ne s’arréragent pas » qui au demeurant est écarté par la haute juridiction (A). Il est vrai que l’action à fins de subsides obéit à des règles spécifiques du fait de son caractère constitutif (B).

A – La mise à l’écart de l’adage « aliments ne s’arréragent pas »

9. Il est tout de même permis de se demander si l’admission des délais spécifiques existant pour certaines actions en matière de prescription extinctive applicables depuis la réforme de 2008 laissent subsister l’adage « aliments ne s’arréragent pas » en matière d’actions à fins de subsides11. Survivant à l’épreuve du temps et de surcroît sans fondement textuel, l’adage « aliments ne s’arréragent pas » n’en finit pas de nous révéler ses secrets. En effet, cet adage signifie qu’en principe les arriérés ne se capitalisent pas. En d’autres termes, il s’agit d’une présomption réfragable qui fonde la non-capitalisation des aliments. En pratique, il s’agit de savoir comment le demandeur peut mettre fin à la présomption simple de renonciation aux aliments qui fonde l’adage « aliments ne s’arréragent pas » et partant l’interdiction de réclamer les arrérages échus et non payés12. C’est une question de fait appréciée par les juges du fond. L’exclusion de l’adage « aliments ne s’arréragent pas » permet de reconnaître une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis sa naissance13.

10. La mise à l’écart de l’adage « aliments ne s’arréragent pas » trouve classiquement son fondement lorsque la demande, en tant qu’elle concerne le passé, n’est pas une demande de pension mais tend au remboursement de la part incombant au défendeur, au titre de son devoir d’entretien, dans les dépenses faites par la mère pour l’enfant14. La jurisprudence se garde bien de tenter de déterminer avec précision le fondement exact de l’exclusion de l’adage « aliments ne s’arréragent pas ». En l’espèce, la Cour de cassation se contente de préciser que « les effets de la paternité légalement ou judiciairement établie remontent à la naissance de l’enfant, la règle “aliments ne s’arréragent pas” ne s’appliquant pas à la contribution d’un parent à l’entretien et à l’éducation de son enfant ». Le fondement de l’écart de l’adage « aliments ne s’arréragent pas » repose, selon le professeur Fernand Derrida, sur l’idée d’obligation d’entretien. L’auteur écrit notamment que « la mise à l’écart de l’adage “aliments ne s’arréragent pas” est à trouver dans le caractère obligatoire du devoir d’entretien »15. Cependant, la mise à l’écart de l’adage « aliments ne s’arréragent pas » ne fait pas obstacle au jeu de la prescription extinctive qui limite l’étendue de la récupération aux cinq années antérieures à l’assignation16.

B – Caractère constitutif de l’action à fins de subsides

11. Dans l’opinion traditionnelle, le jugement accueillant l’action en contestation de paternité jouit d’un effet déclaratif et, par suite, opère rétroactivement17. Dans ces conditions, il n’est pas douteux qu’en ce qui concerne la reconnaissance du lien de filiation, celle-ci est déclarative en ce qu’elle ne fait que révéler une situation préexistante18. L’idée demeure réciproquement que l’anéantissement de la paternité autorisera l’établissement ultérieur, voire subséquent, d’une nouvelle filiation paternelle pour l’enfant, conformément au principe chronologique prévu à l’article 320 du Code civil, issu de l’ordonnance du 4 juillet 2005, qui dispose que « tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait »19. Illustrant la dissociation de la notion de filiation et de ses effets, la décision de justice accordant des subsides sur le fondement de l’article 342 du Code civil20 est, à la différence d’un jugement statuant sur un lien de filiation, constitutive et non déclarative de droits21. Il en résulte que ne peut être mis à la charge du défendeur à l’action à fins de subsides le paiement de sommes réclamées pour une période antérieure à la date de l’assignation22.

12. L’action à fins de subsides est finalement ouverte au profit des deux créancières donnant lieu au versement d’arrérages importants que la prescription extinctive23 atténue afin d’éviter de compromettre la fortune du débiteur en lui permettant d’échapper au poids souvent paralysant et coûteux de la dette.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Da Silva V., « Distinction entre action en recherche de paternité et action en contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants », Dalloz actualité, 29 nov. 2016 ; Favier Y., « Recherche de paternité et aliments : le père avait deux créancières ! » JCP G 2016, 1272 ; C.L.G., « Une mère est recevable à réclamer la contribution à l’entretien de l’enfant, bien que la recherche de paternité soit engagée par sa fille », Dr. & patr. hebdo, n° 1078.
  • 2.
    Murat P., « L’effectivité du droit de l’enfant à connaître ses parents et à être élevé par eux en droit positif », LPA 7 oct 2010, p. 17.
  • 3.
    Murat P., « L’effet déclaratif de la recherche de paternité et le point de départ de l’obligation d’entretien », Dr. famille 2006, comm. 87.
  • 4.
    Hauser J., « Action à fins de subsides », RTD civ. 1995, p. 343.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 27 sept. 2005, n° 02-15586, PB : RLDC 2005/12, n° 22, note Granet-Lambrechts F. ; Œuvre collective sous la direction de Murat P., chap. 216, Action à fins de subsides, 2016, Dalloz Action, Droit de la famille, n° 216.90.
  • 6.
    Montillet–de Saint-Pern L., La notion de filiation en droit comparé droit français et droit anglais, thèse, 2013, Panthéon-Assas., n° 767, p. 440. L’auteur explique que « la causa dotis, qui imposait au séducteur d’épouser la mère de l’enfant, la causa provisionis, qui permettait à la mère d’obtenir une sorte de provision alimentaire couvrant les frais relatifs aux dernières semaines de la grossesse, les frais de gésine et ceux relatifs aux premières semaines de l’enfant, et, enfin, la susceptionis partus ».
  • 7.
    Granet F., « Conditions de recevabilité de l’action en recherche de paternité et de l’action aux fins de subsides », D. 1997, p. 159.
  • 8.
    Hauser J., « Finalités différentes de l’action à fins de subsides et de l’action en recherche de paternité » (Cass. 1re civ., 9 déc. 2009, n° 08-15224, D), RTD civ. 2010, p. 92.
  • 9.
    Ibid.
  • 10.
    Granet–Lambrechts F., Œuvre collective sous la direction de Pierre Murat, 2016, chap. 216 – Action à fins de subsides, n° 216.90, op. cit.
  • 11.
    Porcheron D., « La prescription en matière d’obligations alimentaires », RLDC 2010/12, n° 77.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 20 janv. 2004, n° 01-13723 : RJPF 2004, p. 3.
  • 13.
    Da Silva V., « Distinction entre action en recherche de paternité et action en contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants », préc.
  • 14.
    Joly A., « Action à fin de subsides », JCP G 1986, II 20665.
  • 15.
    Derrida F., L’obligation d’entretien – Obligation des parents d’élever leurs enfants, 1947, thèse Alger, p. 31.
  • 16.
    Da Silva V., Prescription quinquennale de l’action en paiement d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, 2016, Dalloz Action.
  • 17.
    Le Guidec R. et Gérard Chabot G., « Filiation (4o contestation) », Rép. civ. Dalloz, n° 172.
  • 18.
    Montillet–de Saint-Pern L., La notion de filiation en droit comparé droit français et droit anglais, thèse, 2013, Panthéon-Assas., n° 129, p. 131.
  • 19.
    Le Guidec R. et Chabot G., « Filiation (4o contestation) », Rép. civ. Dalloz, n° 172, préc.
  • 20.
    C. civ., art. 342 : « Tout enfant dont la filiation paternelle n’est pas légalement établie, peut réclamer des subsides à celui qui a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de la conception. L’action peut être exercée pendant toute la minorité de l’enfant ; celui-ci peut encore l’exercer dans les dix années qui suivent sa majorité si elle ne l’a pas été pendant sa minorité. L’action est recevable même si le père ou la mère était au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne, ou s’il existait entre eux un des empêchements à mariage réglés par les articles 161 à 164 du présent code ».
  • 21.
    Kornprobst M., Bosse-Platière H. et Mullot-Thiébaud A., « Obligation alimentaire », Rép. civ. Dalloz, n° 101.
  • 22.
    Ibid.
  • 23.
    Da Silva V., « Prescription quinquennale d’une créance exclue de la règle “aliments ne s’arréragent pas” », Dalloz actualité, 6 juin 2016.