Le mandat de protection future à l’épreuve du régime de la curatelle

Publié le 07/03/2017

Selon la haute juridiction judiciaire, la cour d’appel, qui a constaté a contrario que le mandat de protection future n’avait pas été mis à exécution lors de l’ouverture de la curatelle, en a déduit à bon droit que cette mesure n’avait pas eu pour effet d’y mettre fin. De plus, la cour d’appel, procédant aux recherches prétendument omises, a estimé que le mandat n’était pas contraire aux intérêts de M. André X.

Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, no 15-28669, FS–PBI

1. Avec la loi n° 2007-308, du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs, le mandat de protection future a acquis ses lettres de noblesse, mais cette institution entraînera certainement un contentieux qui conduira la Cour de cassation à définir avec plus de précisions les conditions d’articulation du mandat de protection future avec le régime légal de protection, tel que la curatelle1. Les faits ayant donné lieu au litige sont les suivants. Le juge des tutelles a, par jugement du 1er juillet 2014, décidé de placer M. André X sous curatelle, à la demande de MM. François, Patrice et Michel X (les consorts X), fils du curatélaire pour une durée de 60 mois et désigné un mandataire judiciaire à la protection des majeurs en qualité de curateur. Le 3 octobre suivant, M. Y a fait viser par le greffe du tribunal d’instance un mandat de protection future, établi par M. André X reçu par un notaire le 8 septembre 2009. Par ordonnance sur requête du 27 octobre 2014, celui-ci a demandé au juge des tutelles de substituer le mandat de protection future à la mesure de curatelle. Dans son arrêt du 20 octobre 2015, les juges du fond ont rejeté la demande de nullité du mandat de protection future formée par les descendants de la personne protégée2. La haute juridiction précise les conditions de révocation du mandat de protection future d’une part, en présence d’une mesure de curatelle (I) et d’autre part, au regard de la défense des intérêts du mandant (II).

I – La révocation du mandat de protection future en présence de la mesure de curatelle

2. La haute juridiction, par une interprétation littérale de l’article 483 du Code civil (A), revient sur le paradigme du caractère subsidiaire du régime légal de protection (B).

A – L’interprétation littérale de l’article 483 du Code civil

3. Comme le suggère l’arrêt rapporté, la haute juridiction judiciaire, s’en tient aux termes de l’article 483 du Code civil et se contente d’une interprétation littérale du texte. En effet l’article 483 du Code civil dispose : « Le mandat mis à exécution prend fin par : 1° Le rétablissement des facultés personnelles de l’intéressé constaté à la demande du mandant ou du mandataire, dans les formes prévues à l’article 481 ; 2° Le décès de la personne protégée ou son placement en curatelle ou en tutelle, sauf décision contraire du juge qui ouvre la mesure ; 3° Le décès du mandataire, son placement sous une mesure de protection ou sa déconfiture ; 4° Sa révocation prononcée par le juge des tutelles à la demande de tout intéressé, lorsqu’il s’avère que les conditions prévues par l’article 425 ne sont pas réunies, lorsque les règles du droit commun de la représentation ou celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux apparaissent suffisantes pour qu’il soit pourvu aux intérêts de la personne par son conjoint avec qui la communauté de vie n’a pas cessé ou lorsque l’exécution du mandat est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant. Le juge peut également suspendre les effets du mandat pour le temps d’une mesure de sauvegarde de justice ». Plus précisément, au cas d’espèce, la Cour de cassation considère dans un attendu particulièrement bien ciselé dans la formulation et dans les termes suivants : « Mais attendu, en premier lieu, qu’il résulte de la combinaison des articles 483, 2°, et 477, alinéa 2, du Code civil que seul le mandat de protection future mis à exécution prend fin par le placement en curatelle de la personne protégée, sauf décision contraire du juge qui ouvre la mesure (…) ».

4. Dans cette même veine, la haute juridiction avait pu estimer « qu’en application de l’article 483, 2°, du Code civil le mandat de protection future mis à exécution prend fin par le placement en curatelle de la personne protégée sauf décision contraire du juge qui ouvre la mesure ; que, par la décision attaquée, le tribunal a placé Mme X sous le régime de la curatelle renforcée sans qu’une décision contraire maintienne le mandat de protection future ; que le moyen est inopérant »3.

5. L’ambiguïté de la formulation de l’article 483, 2° du Code civil ne va pas aller sans poser des difficultés d’interprétation puisque la doctrine, au lendemain de la loi du 5 mars 2007, soutenait que certaines dispositions étaient difficilement compréhensibles. Ainsi, Jacques Massip estime, dans son article consacré au mandant de protection future, que « L’article 483, 2° du Code civil précise encore que le placement en curatelle met fin au mandat de protection future, sauf décision du juge qui ouvre la mesure. Cette disposition n’est guère compréhensible : puisque le majeur en curatelle peut souscrire un mandat de protection future avec l’assistance du curateur (C. civ., art. 477, al. 2 ; supra n° 8), on ne comprend pas que l’ouverture d’une curatelle mette fin au mandat antérieurement souscrit »4.

B – Maintien du paradigme relatif au caractère subsidiaire du régime légal de protection

6. L’exposé des motifs de la loi du 5 mars 2007 précise à cet égard que : « Les juges seront ainsi invités à renforcer l’application du principe de subsidiarité des mesures d’incapacité. Ainsi, ils devront examiner si les règles du droit commun de la représentation (notamment par le jeu de procurations) ou si les règles des régimes matrimoniaux applicables entre conjoints ne suffisent pas à résoudre les difficultés rencontrées par la personne vulnérable avant de prononcer à l’égard de celle-ci un système plus lourd et restrictif de droits. À cet égard, il convient de relever que depuis le décret n° 2004-1158, du 29 octobre 2004, portant réforme de la procédure en matière familiale (art. 13), le juge des tutelles peut être saisi par un époux pour être autorisé, en application des articles 217 et 219 du Code civil, à représenter, de manière durable ou à l’occasion d’un acte particulier, son conjoint hors d’état de manifester sa volonté sans qu’une mesure de protection juridique ne soit pour autant ouverte. Les juges devront également vérifier qu’un mandat de protection future protégeant suffisamment la personne n’a pas été conclu5 (…) ». Il est acquis que l’article 428 conduit à affirmer la primauté du régime matrimonial et le caractère subsidiaire de l’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle6.

7. Il est pourtant permis de penser que l’arrêt rapporté est conforme à bien des égards au paradigme des mesures judiciaires de protection qui sont prescrites par les dispositions de l’article 428 du Code civil7 qui dispose que : « La mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future conclu par l’intéressé. La mesure est proportionnée et individualisée en fonction du degré d’altération des facultés personnelles de l’intéressé ». Pour parvenir à cette solution, la haute instance approuve, en l’espèce, la cour d’appel d’avoir constaté que le mandat de protection future n’avait pas été mis à exécution lors de l’ouverture de la curatelle, en a déduit à bon droit que cette mesure n’avait pas eu pour effet d’y mettre fin, tant et si bien que la mesure judiciaire semble bien avoir priorité de principe8.

II – La révocation du mandat de protection future et la défense des intérêts de la personne protégée

8. La Cour de cassation estime que l’exécution du mandat n’était pas contraire aux intérêts de la personne protégée (A) ce qui tend à prouver la spécificité du mandat de protection future (B).

A – L’appréciation de l’atteinte aux intérêts du mandant

9. Il est intéressant de noter que la jurisprudence en la matière retient deux critères quant à l’appréciation du contrat de mandat. Le critère objectif prend en considération la nécessité de l’acte effectué par le mandataire. Tout autre est l’appréciation de l’intérêt du mandant qui exige la prise ne compte d’éléments subjectifs. Comment apprécier l’intérêt du mandant ? Il n’est pas douteux que l’article 483 du Code civil permet au juge des tutelles de révoquer le mandat lorsque son exécution est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant9. Au cas d’espèce, la discussion portait sur l’opposition d’intérêts entre M. André X, majeur à protéger, et M. B, avocat chargé de contrôler la gestion de son patrimoine faite par le mandataire. L’exécution du mandat peut porter atteinte aux intérêts du mandant. Cette notion d’exécution du mandat renvoie au caractère intuitu personæ. En effet, le mandataire exécute personnellement le mandat, de sorte que le mandat de protection future est un acte conclu intuitu personæ10.

10. La notion d’exécution du mandat renvoi incontestablement au pouvoir du mandataire. En l’espèce, le juge des tutelles avait placé M. André X sous curatelle pour une durée de 60 mois et désigné un mandataire judiciaire à la protection des majeurs en qualité de curateur. La loi du 5 mars 2007 a profondément modifié la profession de gérant de tutelle en créant les mandataires judiciaires à la protection des majeurs11. Après avoir constaté la révocation du mandat de protection future, en application de l’article 483, 4° du Code civil, lorsque son exécution est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant, l’arrêt relève que le mandat n’était pas contraire aux intérêts de M. André X, de sorte que la demande de révocation devait être rejetée.

B – L’adaptation des règles de droit commun du mandat

11. Aux termes de la circulaire de la DACS n° CIV/01/09/C1, du 9 février 2009, relative à l’application des dispositions législatives et réglementaires issues de la réforme du droit de la protection juridique des mineurs et des majeurs, il est précisé que : « Si techniquement, le droit commun du mandat est adapté, ce nouvel outil fait l’objet de dispositions spécifiques, de fond et de forme, marquées particulièrement par la volonté du législateur de ne pas « judiciariser » ce nouveau dispositif de protection (C. civ., art. 477 à 494) »12. En effet, l’article 1988 du Code civil dispose que : « Le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration. S’il s’agit d’aliéner ou hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès ». On peut d’ailleurs observer que cet article 1988 du Code civil constitue une dérogation au mandat de protecteur future car ce dernier même conçu en termes très généraux inclut tous les actes patrimoniaux à titre onéreux que le tuteur a le pouvoir d’accomplir seul ou avec une autorisation conformément à l’article 490 du Code civil13.

12. Il faut bien reconnaître que le manque de clarté ou l’ambiguïté de certaines dispositions de la loi du 5 mars 2007 sera incontestablement source de difficultés pratiques en la matière. Pour autant, une telle adaptation des règles du droit commun du mandat devrait s’opérer avant tout sur le terrain dogmatique, la nécessité se faisant sentir surtout de faire évoluer le contrat de mandat qui a traversé les âges sans que l’on en trouve une expression claire dans la jurisprudence moderne de la Cour de cassation.

Notes de bas de pages

  • 1.
    JCl. Notarial Formulaire, V° Mandat de protection future, fasc. n° 10, note Potentier P.
  • 2.
    Mésa R., « Mandat de protection future contre curatelle », Dalloz actualité, 13 janv. 2017 ; « Mandat de protection future non mis à exécution lors du placement sous curatelle », JCP G 2017, act. 137.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 12 janv. 2011, n° 09-16519 : « Extinction du mandat en raison du décès de la personne protégée ou de son placement sous une mesure judiciaire », Le Lamy Droit des personnes et de la famille, n° 241-63.
  • 4.
    Massip J., « Le mandat de protection future », LPA 27 juin 2008, p. 11.
  • 5.
    V. Dossiers législatifs, exposé des motifs, L. n° 2007-308, 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs : www.legifrance.gouv.fr.
  • 6.
    Champenois G., « La protection du logement du majeur vulnérable par les régimes matrimoniaux », Dr. & patr. n° 199, janv. 2011.
  • 7.
    Mésa R., « Mandat de protection future contre curatelle », Dalloz actualité, 13 janv. 2017.
  • 8.
    Noguéro D., « Pollution du mandat de protection future pour le choix de l'organe protecteur », D. 2011, p. 1204.
  • 9.
    Massip J., « Le mandat de protection future », LPA 27 juin 2008, p. 11.
  • 10.
    JCl. Notarial Formulaire, V° Mandat de protection future, Fasc. 1122, note Roulois.
  • 11.
    Pécaut-Rivolier L. et Verheyde T., « Majeurs protégés : mesures de protection juridique et d'accompagnement », Rép. civ. n° 41, Dalloz.
  • 12.
    Circ. DACS n° CIV/01/09/C1, 9 févr. 2009, relative à l’application des dispositions législatives et réglementaires issues de la réforme du droit de la protection juridique des mineurs et des majeurs, NOR:JUSC0901677C.
  • 13.
    Cermolacce A. et Perruchot-Triboulet V., JCl. Contrats - Distribution, V° Capacité et pouvoirs dans les contrats, Fasc. 40 ; « Subsidiarité de la tutelle par rapport au contrat du mandat de droit commun », Le Lamy Droit des personnes et de la famille, n° 244-32.
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