Val-de-Marne (94)

Pierre Dauptain : « Le mariage pour tous a permis l’acceptation de l’homoparentalité » !

Publié le 13/06/2023

Le 23 avril 2013, après des mois de débats houleux, l’Assemblée nationale adoptait la loi sur le mariage pour tous, autorisant les couples de même sexe à se marier. Notaire dans le Val-de-Marne (94), Pierre Dauptain est un observateur attentif de l’évolution des familles, sujet qui lui a inspiré plusieurs livres parus aux éditions de L’Harmattan. Le dernier, Où sont passés les roses et les choux ?, traite de la PMA pour toutes. Au sein de son étude, il constate que le mariage pour tous ne semble plus susciter de passions particulières. Rencontre.

Actu-Juridique : Quel bilan dressez-vous, dix ans après la loi sur le mariage pour tous ?

Pierre Dauptain : C’est une loi qui a fait couler beaucoup d’encre. Que l’on ait été pour, contre, ou neutre comme c’était mon cas, cela a été un véritable changement, un moment fort de notre droit et de notre société. Dix ans après, je note pourtant une accalmie et une acceptation plus générale des couples de même sexe et de l’homoparentalité. Après avoir déclenché tant de passions, le mariage pour tous semble être entré dans les mœurs. On le ressent dans nos pratiques. Lorsque nous avons reçu le premier contrat de mariage ou les premières donations entre époux de même sexe, c’était une situation inédite, qui étonnait. Aujourd’hui, cela n’étonne plus personne. Il y a quelques années, des parents pouvaient avoir une réticence ou une inquiétude lorsqu’ils devaient dire à leur notaire qu’un de leurs enfants, pacsé ou marié, était homosexuel. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela fait partie du paysage familial. Bien entendu, il y a encore des cas où des parents n’acceptent pas sereinement cette situation, mais de moins en moins. Est-ce la loi qui a changé les mentalités ou l’inverse ? Je ne sais pas trop… Je pense quand même que le pacs puis le mariage pour tous ont permis d’arriver à cette acceptation.

AJ : Qu’est-ce qui déclenchait tant de passions, il y a dix ans ?

Pierre Dauptain : Ce n’était pas tant le mariage entre deux personnes de même sexe qui choquait : le pacs était passé par là, et que deux hommes ou femmes puissent se marier ne changeait pas grand-chose. En revanche, l’homoparentalité heurtait. C’était le cœur du débat. Les opposants au mariage pour tous mettaient en avant l’intérêt de l’enfant à avoir deux parents hétérosexuels. Personne ne pouvait dire si cette affirmation était justifiée ou non. On n’avait pas le recul, et on ne l’a d’ailleurs toujours pas. Seul le temps peut répondre à ce sujet. Il faudra voir comment grandissent ces enfants. Dans dix ans on pourra observer comment ils ont traversé l’enfance, l’adolescence, et la vie de jeune adulte. La société en tout cas semble accepter ces familles. Au fil du temps les choses s’apaisent et se normalisent.

AJ : Qu’est-ce que cette loi a changé pour vous ?

Pierre Dauptain : Le vrai tournant de la loi de 2013 a été la possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint de même sexe. C’était d’ailleurs la revendication principale, portée notamment par les couples de femmes. La PMA leur étant interdite en France, elles y avaient recours à l’étranger, et, une fois l’enfant né, elles ne pouvaient pas faire établir un lien de filiation avec la seconde mère puisque, pour adopter l’enfant de la personne avec laquelle on vit, il fallait être marié. Avec la loi de 2013, elles ont pu se marier et donc recourir à l’adoption. Dès que la loi a été votée, les notaires ont reçu beaucoup d’actes de consentement à adoption pour des couples de femmes. Mais cela restait du « bricolage » qui n’était satisfaisant ni pour les notaires, ni pour les juges, puisque cela permettait de contourner l’interdiction de la PMA pour les couples de femmes, même si la Cour de cassation avait validé le processus. Dans le cadre des débats autour de la PMA pour toutes, il a aussi été mis en avant que cette situation n’était pas juste pour les femmes qui n’avaient pas les moyens de se rendre à l’étranger pour pratiquer une PMA. La situation est aujourd’hui comparable pour les couples, hétérosexuels ou homosexuels, ayant eu recours à une GPA à l’étranger. Ils peuvent se tourner vers l’adoption pour établir un lien de filiation avec le parent d’intention. Et l’on peut se demander si on ne se dirige pas, inexorablement, vers une légalisation de la GPA. Car les couples d’hommes peuvent considérer comme une discrimination de ne pas avoir le même accès à l’homoparentalité que les couples de femmes. Pour ma part, je constate qu’à chaque fois que l’on accède à une nouvelle égalité, on crée de nouvelles inégalités…

AJ : Les unions de personnes de même sexe représentent aujourd’hui un petit pourcentage des mariages. Comment l’expliquer ?

Pierre Dauptain : Il y avait un côté paradoxal à cette loi, votée alors que, en 2013 déjà, le mariage n’avait plus le même succès qu’avant : de moins en moins de couples hétérosexuels envisageaient de se marier. Après l’adoption de la loi, il y a eu beaucoup de mariages de circonstances de couples de femmes qui avaient conçu un enfant par PMA à l’étranger. Cela permettait, comme on l’a dit, à la seconde mère d’adopter l’enfant mis au monde par sa conjointe. Il se trouve que depuis août 2021, la loi permet aux couples de femmes, mariées ou non, d’avoir recours à la PMA en France et d’établir un double lien de filiation et que depuis février 2022, il n’est plus nécessaire d’être marié pour pouvoir adopter. Du fait de ces deux dernières lois, le mariage va sans doute paraître moins attractif pour les couples de femmes. Dix ans plus tard, le cœur de la revendication des couples homosexuels, se marier pour pouvoir adopter, devient sans fondement. Dans ce contexte, pourquoi les homosexuels auraient-ils plus envie que les hétérosexuels de se marier ? Les couples homosexuels n’ont pas plus de raisons de vouloir se marier que les couples hétérosexuels. Le mariage continue à être symbole de conformisme et les couples, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels, éprouvent de moins en moins le besoin de coller à ce modèle social traditionnel. Le pacs, qui est une démarche personnelle et beaucoup plus privée que le mariage, séduit de plus en plus.

AJ : Le mariage a-t-il aujourd’hui encore un intérêt particulier pour les couples de même sexe ?

Pierre Dauptain : Ni plus ni moins que pour les couples hétérosexuels ! Dans nos bureaux de notaire, nous avons les mêmes types de discussions avec les couples homosexuels et hétérosexuels. Nous, notaires, sommes à l’origine de beaucoup de mariages ! Beaucoup de couples, hétérosexuels ou de même sexe, viennent nous voir sans avoir l’idée de se marier et sortent de l’étude en déposant leur dossier à la mairie… Le mariage reste évidemment la meilleure des protections en cas de décès, surtout quand le couple a des enfants. Si les parents ne sont pas mariés, les enfants disposent d’une réserve héréditaire bien plus marquée. Être marié permet au conjoint survivant d’avoir l’usufruit du patrimoine : les enfants doivent attendre le décès du deuxième membre du couple pour profiter de leur héritage. Mais pour les couples sans enfants, un pacs assorti d’un testament suffit à protéger le survivant. Le pacs offre des avantages quotidiens pour la fiscalité sur le revenu. Comme le mariage, il permet une exonération des droits de successions. Ça reste aussi une union plus facile à défaire qu’un mariage. Par contre, côté retraite, il n’offre pas la perspective de la pension de réversion pour le survivant du couple. Mais si l’homoparentalité est possible, elle n’est pas, me semble-t-il, si courante. Beaucoup de couples de même sexe, notamment d’hommes, n’ont pas d’enfants. Cela explique peut-être que les couples de même sexes se pacsent davantage qu’ils ne se marient en 2022, (10 000 pacs de couples de même sexe ont été enregistrés, contre 7 000 mariages, NDLR). Pourtant, cette préférence pour le pacs concerne aussi les couples hétérosexuels Il est intéressant d’ailleurs de rappeler qu’en 1999, la loi sur le pacs avait également déclenché des passions. On imaginait que le pacs ne concernerait que des personnes homosexuelles et constituerait une sorte de « mariage gay ». Personne n’avait envisagé qu’il deviendrait un mode d’union adopté par les couples hétérosexuels. Aujourd’hui, la majorité des pacs sont conclus par des couples hétérosexuels, et ils sont souvent une sorte d’antichambre du mariage.

AJ : Vous parlez « d’effacement de la supériorité du mariage ». Comment l’observez-vous ?

Pierre Dauptain : Pour un couple hétérosexuel, même dans le cadre d’une PMA avec donneur, on distingue encore une différence pour l’établissement de la filiation paternelle : le père marié bénéficie de la présomption de paternité tandis que le célibataire, pacsé ou non, doit reconnaître l’enfant. La loi sur la PMA pour toutes n’a pas osé aller jusqu’à reproduire ce schéma : créer une présomption de maternité pour la femme mariée et demander une reconnaissance de l’enfant par sa seconde mère célibataire. Quel que soit leur statut matrimonial, les couples de femmes doivent, en plus de l’acte de consentement à PMA avec donneur, signer chez le notaire un acte de reconnaissance conjointe anticipée pour permettre d’établir une filiation avec la deuxième mère. Ce mode d’établissement de la filiation peut surprendre. Il fallait que le législateur soit imaginatif pour le trouver mais il ne fait aucun distinguo selon le statut matrimonial du couple. On peut donc y voir un effacement de la supériorité du mariage. On observe la même chose en matière d’adoption. L’exclusivité du mariage pour accéder à l’adoption était un des derniers privilèges du mariage et il a disparu en février 2022, avec le vote de la loi permettant aux couples non mariés d’adopter. Cette loi colle à la sociologie de l’époque : aujourd’hui, un enfant sur deux naît hors mariage. On peut s’amuser à observer que si cette loi avait été votée avant 2013, on n’aurait peut-être pas eu de revendication pour le mariage pour tous. La raison qui a conduit des couples de femmes à vouloir accéder au mariage a aujourd’hui disparu.

AJ : Dix ans plus tard, le mariage pour tous est donc complètement banal ?

Pierre Dauptain : Oui ! La seule différence, dans la pratique du notaire, c’est que les familles homoparentales sont plus jeunes. On a à traiter des dossiers de divorce entre personnes de même sexe et, comme pour les couples hétérosexuels, certains se passent bien et d’autres non. Et, peu à peu, on rencontrera des familles homosexuelles recomposées. Mais, pour le moment, les couples de même sexe ne viennent pas encore nous voir pour des questions de transmission de patrimoine à leurs enfants, qui se posent généralement autour de la soixantaine. Peu de familles homoparentales en sont à ce stade de leur vie aujourd’hui. Personnellement, je n’en ai pas rencontré. Dans 20 ou 30 ans, les notaires auront à assurer ce genre de consultation et apporteront les mêmes réponses aux couples de même sexe qu’aux couples hétérosexuels.

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