La nouvelle « procédure accélérée au fond » en mode tout schuss !

Publié le 31/12/2019

Vous reprendrez bien un peu de procédure civile pour les fêtes ? Après le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 concrétisant une importante réforme de la procédure civile, a été publié au JO le 22 décembre un décret daté du 20 décembre 2019 emportant, sur le plan réglementaire, suppression de la procédure en la forme des référés et son remplacement par la procédure accélérée au fond (nouvel article 481-1 du code de procédure civile). Décryptage par Etienne Gastebled, associé du cabinet Lussan Société d’Avocats.

Au-delà du manque d’empathie de nos gouvernants pour les professionnels du droit, sommés d’intégrer une réforme structurante en quelques jours seulement, le décret du 20 décembre est particulièrement bienvenu en ce qu’il met en cohérence la forme des procédures au fond à bref délai avec le régime qui leur est applicable.

Le décret n°2019-1419 du 20 décembre 2019 relatif à la procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires, paru au Journal Officiel du 22 décembre 2019, consacre la disparition, sur le plan réglementaire, de la procédure baroque dite « en la forme des référés » pour lui substituer ce que le nouveau régime désigne désormais par « la procédure accélérée au fond ».

La procédure en la forme des référés, prévue par l’article 492-1 du code de procédure civile, constituait indiscutablement une anomalie de la procédure civile source de confusion et donc d’erreurs tant pour les praticiens du droit que les justiciables.  En effet, comment expliquer qu’une procédure dénommée « en la forme des référé » consistait non pas en un référé donnant lieu à une décision provisoire, mais en réalité, dans certaines matières désignées par la loi, en une véritable procédure au fond permettant d’obtenir rapidement une décision tranchant de manière définitive le principal ? La difficulté était renforcée par les spécificités introduites par la loi et le règlement dans certaines matières relevant de ce régime procédural. Enfin, le recours à cette procédure, en lieu et place selon le cas soit d’une véritable procédure de référé, soit au fond, paraissait parfois pour le moins discutable compte tenu de l’objet des actions en cause.

Une brutalité gouvernementale regrettable…

La doctrine appelait donc de ses vœux la suppression de ce régime procédural inadapté et son remplacement par de nouvelles règles cohérentes.

C’est chose faite en trois actes :

  • l’article 28 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a tout d’abord autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance « les mesures relevant du domaine de la loi nécessaire pour modifier les dispositions régissant les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires aux fins de les unifier et d’harmoniser le traitement des procédures au fond à bref délai » ;
  • l’ordonnance n°2019-738 du 17 juillet 2019 a ensuite mis un terme, sur le plan légal, à la procédure en la forme des référés ;
  • le décret n°2019-1419 procède enfin à l’abrogation de l’article 492-1 du code de procédure civile et la création, sous la section 1 du chapitre II du titre XIV du livre Ier du code de procédure civile, de deux sous-sections dont une sous-section 2 intitulée « Les jugements en procédure accélérée au fond » comprenant un nouvel article 481-1.

Le décret modifie également, dans chacune des matières concernées, les textes réglementaires faisant référence à la procédure en la forme des référés.

Le texte, paru au Journal Officiel du 22 décembre, soit deux jours seulement avant Noël, est applicable aux procédures introduites…à compter du 1er janvier 2020 ! L’Etat exige donc que les praticiens mettent à profit la trêve des fêtes de fin d’année pour prendre connaissance et assimiler l’ensemble des décrets d’application de l’importante réforme de la procédure civile parus au mois de décembre et immédiatement applicables dès le début de l’année 2020. Cette façon de procéder dénote une forme de brutalité et d’indifférence aux difficultés auxquelles sont confrontés les professionnels, au premier rang desquels avocats et magistrats, qui est particulièrement regrettable. Elle créera nécessairement des tensions qui nuiront à l’efficacité de la réforme et donc, in fine, au justiciable.

…mais une utile remise en ordre

Cela étant dit, abstraction faite du délai d’adaptation pour le moins réduit consenti par le Gouvernement, le décret du 20 décembre remet indiscutablement de l’ordre là où il en manquait cruellement.

En premier lieu, en poursuivant, au plan réglementaire, le travail de substitution des termes « en la forme des référés » ou « en matière de référé » par l’appellation de « procédure accélérée au fond ». Certains auteurs avaient suggéré l’expression « ordonnance au fond » qui aurait permis de mieux la distinguer de la procédure d’urgence au fond de l’article 788 du code de procédure civile permettant d’assigner à jour fixe en cas d’urgence. Comme le souligne cet auteur, le jour fixe constitue également une procédure accélérée au fond. L’essentiel était toutefois de faire disparaître la référence maladroite à la procédure de référé et de souligner qu’il s’agit bien d’une procédure au fond donnant lieu à une décision définitive. De ce point de vue, le résultat est incontestablement atteint.

En deuxième lieu, le décret parachève la reconfiguration du champ d’application de cette procédure au fond à bref délai initiée par l’ordonnance du 17 juillet 2019 précitée. Quand le recours à cette procédure particulière n’est pas justifié, la réforme la remplace par une procédure de droit commun au fond ou en référé selon le cas.

Lorsque la décision attendue peut être provisoire et nécessiter une certaine rapidité, alors la procédure relève désormais du référé : sont visés à titre d’exemple l’article L.621-13 alinéa 2 du code monétaire et financier qui offre au président du tribunal le pouvoir de prononcer la consignation d’une somme d’argent à la demande du président ou du secrétait général de l’Autorité des marchés financiers ou encore l’article L.411-76 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit une indemnité provisionnelle au profit du preneur qui a apporté des améliorations au fonds loué. Lorsqu’elle doit manifestement être définitive et qu’il n’y a pas d’urgence, le justiciable est renvoyé à une procédure au fond : c’est le cas notamment de l’action à fin d’accès aux enregistrements de vidéoprotection de l’article L.253-5 du code de la sécurité intérieure.

En troisième lieu et enfin, le décret précise et complète le régime applicable à cette procédure.

L’article 481-1 du code de procédure civile prévoit les dispositions suivantes :

  • La demande est présentée « par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet » (1°). Il n’y a pas de différence sur ce point avec les modalités d’introduction de la procédure en la forme des référés.
  • Il est précisé, ce qui n’était pas le cas à l’article 492-1 abrogé par le décret, que le juge « est saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe avant la date fixée pour l’audience, sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance du juge, ou, à défaut, à la requête d’une partie » (2°). La sanction de la caducité peut s’avérer fatale puisque la jurisprudence considère qu’une assignation caduque n’interrompt pas le délai de prescription.
  • Comme à l’article 492-1, il est prévu que le juge doit s’assurer, le jour de l’audience, « qu’il s’est écoulé un temps suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense ». Il est précisé que la procédure est orale, précision nécessaire dans la mesure où la procédure accélérée au fond n’est plus rattachée aux règles du référé (3°).
  • Le juge a dorénavant la faculté de renvoyer l’affaire devant la formation collégiale de la juridiction, ce qui peut se justifier notamment par la complexité du dossier présenté. Dans cette hypothèse, les règles de la procédure accélérée au fond demeurent applicables (4°).
  • Il est prévu qu’ « à titre exceptionnel, en cas d’urgence manifeste à raison notamment d’un délai imposé par la loi ou le règlement, le président du tribunal, statuant sur requête, peut autoriser à assigner à une heure qu’il indique, même les jours fériés ou chômés » (5°). Les conditions du recours à la procédure « ultra accélérée » paraissent donc singulièrement renforcées. L’article 485 auquel renvoyait l’article 492-1 fait référence dans cette hypothèse aux demandes qui requièrent « célérité ». Force est de relever que l’exigence de la démonstration, dans des hypothèses jugées exceptionnelles, « d’un cas d’urgence manifeste » et la référence à titre d’exemple à un « délai imposé par la loi ou le règlement » vont restreindre drastiquement la faculté de recourir à la procédure d’heure à heure dans le cadre des procédures concernées (5°).
  • La décision est « exécutoire de droit à titre provisoire dans les conditions prévues aux articles 514-1 à 514-6 ». Cela signifie que, comme avec l’article 492-1, la décision sera par principe exécutoire de droit à titre provisoire, sauf à ce que le juge en décide autrement (6°). S’agissant d’une procédure certes accélérée, mais néanmoins au fond donnant lieu à une décision définitive, il nous paraît plus sage en effet d’avoir conservé la faculté pour le juge d’écarter l’exécution provisoire lorsque cela lui paraît justifié.
  • Enfin, il est prévu, sans changement avec les règles précédentes, que « la décision du juge peut être frappée d’appel à moins qu’elle n’émane du premier président de la cour d’appel ou qu’elle n’ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l’objet de la demande », étant précisé que « le délai d’appel ou d’opposition est de quinze jours ».

Sur le sujet, la réforme fait donc œuvre utile de simplification et mise en cohérence de la forme avec le fond. On peut toutefois regretter que l’occasion de fusionner la procédure en la forme des référés avec la procédure d’urgence à jour fixe n’ait pas été saisie. Toutes deux sont fondamentalement des procédures « accélérées au fond » qui méritent sans doute un régime unifié sous réserve bien entendu de la condition d’urgence requise pour la procédure à jour fixe. Le texte, tel qu’il a été conçu, marque toutefois une évolution globalement positive qu’il convient de saluer.

 

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