Le juge du non-lieu et le juge de la nullité apprécient souverainement à leur niveau les indices graves ou concordants pouvant justifier une mise en examen

Publié le 13/12/2016

Une chambre de l’instruction a pu considérer, à bon droit, qu’il n’existait aucun indice grave ou concordant justifiant une mise en examen notamment des chefs d’abandon matériel ou moral de mineurs et d’homicide involontaire, rien ne permettant de penser, en l’état de l’information, que le père aurait pu se réveiller plus tôt s’il n’avait pas été alcoolisé, que rien ne permet d’affirmer qu’une personne, dans un état normal, endormie dans son premier sommeil dans une chambre dont la porte était fermée aurait réalisé plus tôt qu’un incendie s’était déclaré dans une chambre également fermée, située de l’autre côté du couloir, puis qu’à supposer son temps de réaction et d’intervention anormal, il peut avoir été provoqué par une intoxication oxycarbonée.

Cass. crim., 28 juin 2016, no 15-86946, PB

1. Le litige éteint par l’arrêt rapporté souligne, s’il en était besoin, des faits qui dénoncent des parents qui se rendent parfois auteurs, par leur comportement ou leur inaction, de faits délictueux et d’histoires plus que sordides. Il convient de rappeler que cinq enfants âgés de 2 à 9 ans sont décédés dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 mars 2013 dans l’incendie d’une maison rue Henriette-Cabot à Saint-Quentin (Aisne)1. À l’intérieur, c’est le père de famille, en instance de divorce, qui avait la garde des enfants le week-end conformément à l’ordonnance de non-conciliation. Le père dormait à l’étage de la maison avec les garçons et, semble-t-il réveillé par le feu, n’a pas trouvé d’autre échappatoire que de se défenestrer depuis le premier étage, après avoir tenté de sortir ses enfants. Trois garçons et deux filles, dont trois étaient effectivement de sa paternité, les deux autres étant issus d’une précédente union2. À leur arrivée, les policiers découvrent les corps des cinq enfants à l’étage et constatent que le père de famille présente une alcoolémie de 2,32 grammes par litre3. Par un réquisitoire introductif du 2 mai 2013, le procureur de la République ouvre une information judiciaire des chefs de prévention d’homicide involontaire et d’omission de porter secours. Un réquisitoire supplétif du 2 février 2015 a sollicité du juge d’instruction la mise en examen de M. Z, placé sous le statut de témoin assisté, des chefs d’homicide involontaire et d’abandon matériel ou moral de mineurs. Le juge d’instruction ayant rendu une ordonnance de refus de mise en examen, le procureur de la République a interjeté appel. La chambre de l’instruction, qui s’est déterminée, pour refuser de mettre en examen le père des victimes par des motifs exempts d’erreur de droit, d’insuffisance ou de contradiction, a justifié sa décision selon la Cour de cassation. Les parties civiles ainsi que le procureur général forment un pourvoi en cassation dont l’examen immédiat est ordonné par le président de la chambre criminelle4. Dans ce contexte, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle les conditions devant être réunies pour qu’une personne soit mise en examen et pour décider de « l’appréciation souveraine » des indices graves ou concordants par le magistrat instructeur (I). Les juges de la Cour suprême précisent les contours du contrôle opéré par la chambre de l’instruction en cas de recours contre une décision de mise en examen (II).

I – L’existence d’indices graves ou concordants

2. Dans son arrêt du 28 juin 2016, la haute juridiction judiciaire rappelle ainsi que la présence « d’indices graves ou concordants » est la seule condition de la mise en examen (A) tout en précisant que le juge d’instruction reste maître d’apprécier les circonstances justifiant la mise en examen (B).

A – La présence « d’indices graves ou concordants » est la seule condition de la mise en examen

3. L’article 80-1 du Code de procédure pénale dispose qu’« à peine de nullité, le juge d’instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi. Il ne peut procéder à cette mise en examen qu’après avoir préalablement entendu les observations de la personne ou l’avoir mise en mesure de les faire, en étant assistée par son avocat, soit dans les conditions prévues par l’article 116 relatif à l’interrogatoire de première comparution, soit en tant que témoin assisté conformément aux dispositions des articles 113-1 à 113-8. Le juge d’instruction ne peut procéder à la mise en examen de la personne que s’il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin assisté ».

4. La conclusion logique d’un tel article est que le juge d’instruction peut mettre en examen les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi5. En l’espèce, l’arrêt retient « qu’aucun élément du dossier ne permet d’affirmer qu’il aurait pu se réveiller plus tôt s’il n’avait pas été alcoolisé, que rien ne permet d’affirmer qu’une personne, dans un état normal, endormie dans son premier sommeil dans une chambre dont la porte était fermée aurait réalisé plus tôt qu’un incendie s’était déclaré dans une chambre également fermée, située de l’autre côté du couloir, puis qu’à supposer son temps de réaction et d’intervention anormal, il peut avoir été provoqué par une intoxication oxycarbonée ».

5. En l’espèce, le juge d’instruction ayant refusé la mise en examen initiale du témoin assisté, le procureur de la République requiert une mise en examen supplétive en vertu d’un réquisitoire supplétif du 2 février 2015. On ne voit pas bien comment les indices graves ou concordants rendant vraisemblable la faute du père auraient pu changer avec la mise en examen supplétive. C’est semble-t-il un véritable « bras de fer » qui s’est engagé entre le juge d’instruction et le parquet.

B – Le juge d’instruction reste maître d’apprécier les circonstances justifiant la mise en examen

6. Alors que le parquet reste maître de l’appréciation de l’opportunité des poursuites6, le juge d’instruction est, quant à lui, maître de l’instruction de son dossier lui permettant éventuellement d’apprécier le moment de la notification d’une mise en examen7. De toute évidence, il s’agit de l’un des soucis majeurs de la phase d’instruction de la procédure pénale. On considère que si le juge d’instruction est saisi in rem, il n’est pas en revanche saisi in personam, tant et si bien qu’il peut tout au long de son instruction préparatoire, mettre en examen toute personne à l’encontre de laquelle pèse des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’il ait pu commettre une infraction8. En revanche, lorsque le juge d’instruction est saisi in personam, par le réquisitoire introductif du parquet, l’article 113-1 du Code de procédure pénale dispose dans cette hypothèse que « toute personne nommément visée par un réquisitoire introductif ou par un réquisitoire supplétif et qui n’est pas mise en examen ne peut être entendue que comme témoin assisté ».

7. Dans notre espèce, le père ayant fait l’objet d’un réquisitoire à fin d’informer, délivré à son encontre, n’a pas été mis en examen mais « placé sous le statut de témoin assisté, des chefs d’homicide involontaire et d’abandon matériel ou moral de mineurs », car le juge d’instruction a rendu une ordonnance de refus de mise en examen. Nous estimons que c’est à bon droit que le juge d’instruction a rendu cette ordonnance de refus de mise en examen conformément au principe selon lequel le magistrat instructeur instruit à charge et à décharge. En l’occurrence les charges étaient insuffisantes pour mettre en examen le père des chefs d’homicide involontaire et de soustraction à ses obligations légales par ascendant. La chambre de l’instruction de la cour d’appel a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction disant n’y avoir lieu à mettre en examen le père.

II – La mise en œuvre rigoureuse dans l’appréciation des faits mettant en exergue les indices graves ou concordants

8. La haute cour, en réaffirmant que la loi confie aux seules juridictions d’instruction l’appréciation souveraine tant de l’absence des indices graves ou concordants pouvant justifier une mise en examen que le choix entre le statut de témoin assisté et celui de mis en examen ainsi que, le cas échéant, la détermination du moment de la mise en examen, précise ainsi les contours du contrôle opéré par la chambre de l’instruction (A). Pour autant, comme le révèle la jurisprudence récente de la Cour de cassation, il n’est pas toujours aisé d’apprécier des conditions de fond de la mise en examen au regard des indices graves ou concordants (B).

A – Les contours du contrôle opéré par la chambre de l’instruction

9. Il peut être précisé que l’article 80-1 précise que l’exigence d’indices graves ou concordants est prescrite à peine de nullité. Ce qui implique qu’une mise en examen injustifiée ou prématurée peut ainsi être annulée9 ainsi que les mises en examen tardives10. En pratique, le mis en examen qui conteste l’ordonnance du juge d’instruction lui ayant notifié cette mesure pourra donc saisir la chambre de l’instruction d’une requête en annulation11. Il est logique que s’il existe contre une personne de simples indices, qui ne sont ni graves ni concordants, le juge d’instruction peut l’entendre comme simple témoin ou comme témoin assisté. A contrario, s’il existe contre elle des indices graves et concordants, le magistrat instructeur peut l’entendre comme témoin assisté ou comme mis en examen12.

10. La chambre de l’instruction, juge de la nullité, a depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, vu son rôle transformé13. Dans l’arrêt rapporté, la cour suprême considère que seules les juridictions d’instruction ont le pouvoir d’appréciation souverain tant de l’existence ou de l’absence des indices graves ou concordants pouvant justifier une mise en examen. Certes a priori plus claire, la nouvelle formulation de la Cour de cassation n’en appelle pas moins quelques questions. Force est en effet d’observer que la circulaire du 20 décembre 2000 fixe l’exigence d’indices graves ou concordants comme « une exigence de fond » devrait conduire le juge de la nullité à examiner les conditions de fond de la mise en examen14. Telles sont donc, dans les grandes largeurs, les dispositions textuelles. Pour le reste, la circulaire du 20 décembre 2000 précise qu’« il convient dès à présent d’indiquer que les indices précis “et” concordants demeurent toujours le seuil de déclenchement obligatoire de la mise en examen (seuil maximal) prévu par l’article 105 prohibant les mises en examen tardives (…) »15.

11. Mais il est patent qu’au fil de ses arrêts la chambre criminelle de la Cour de cassation précise : « qu’il appartient seulement à la chambre de l’instruction d’examiner s’il existe des indices graves ou concordants justifiant la mise en examen de la personne mise en cause, sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, que la preuve des faits soit établie, ce qui relève de l’office de la juridiction de jugement »16. C’est en suivant ce raisonnement rigoriste que la chambre criminelle de la Cour de cassation opère un contrôle de la motivation assez rigoureux. Ainsi dans une espèce, le procureur de la République avait requis le placement en détention provisoire d’une personne, ce qui supposait préalablement la mise en examen du prévenu. Or le juge de l’instruction avait une ordonnance refusant de mettre en examen le prévenu. Le parquet avait fait appel devant la chambre de l’instruction du refus de mise en examen le prévenu. La Cour de cassation casse l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait refusé de statuer sur cette question17.

B – L’appréciation des indices graves ou concordants par le juge du non-lieu et le juge de la nullité

12. Il semblerait que cette notion d’indices graves ou concordants ne soit pas toujours comprise à sa juste valeur, et que d’aucuns considèrent fort justement que « le juge de la nullité a toujours été le juge de la bonne application de la règle procédurale et, par conséquent, le contrôle de la matérialité et de la qualité concrète des indices, qui passe par une appréciation des charges retenues à l’encontre de la personne, échappe à sa compétence pour relever de celle du juge du non-lieu »18. La source principale de cette difficulté peut finalement être trouvée dans la délicate articulation des fonctions du juge de la nullité avec celles du juge du non-lieu19.

13. Dans l’arrêt annoté, une difficulté supplémentaire qui peut être un facteur d’ambiguïté accrue vient de ce que la Cour de cassation alimente une confusion entre l’existence d’indices caractérisant l’infraction posés par l’article 121-3 du Code pénal en tous ses éléments et la seule existence d’indices graves ou concordants20. Au demeurant, les conditions de fond de la mise en examen posées par la circulaire du 20 décembre 2000 sont assez compliquées à appréhender. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à la très impressionnante et exhaustive circulaire du 20 décembre 200021.

14. On serait néanmoins tenté d’opter pour une interprétation restrictive des notions d’indices graves ou concordants dans la mesure où la mise en examen par le juge d’instruction d’une personne suppose soit de l’existence de plusieurs indices, même légers dès lors qu’ils sont concordants, soit de l’existence d’un seul indice, à la condition qu’il soit grave22. Il n’est toutefois pas nécessaire que les indices soient à la fois graves et concordants23. Au cas d’espèce, force est de reconnaître que la chambre de l’instruction opère plutôt un examen de la vraisemblance d’une causalité entre ces indices et l’infraction faisant l’objet de l’instruction24 quand elle affirme « qu’aucun élément du dossier ne permet d’affirmer qu’il aurait pu se réveiller plus tôt s’il n’avait pas été alcoolisé, que rien ne permet d’affirmer qu’une personne, dans un état normal, endormie dans son premier sommeil dans une chambre dont la porte était fermée aurait réalisé plus tôt qu’un incendie s’était déclaré dans une chambre également fermée, située de l’autre côté du couloir, puis qu’à supposer son temps de réaction et d’intervention anormal, il peut avoir été provoqué par une intoxication oxycarbonée ».

15. Au grand dam de certaines critiques à l’encontre du juge d’instruction25, l’arrêt annoté tend à prouver que les magistrats du Quai de l’Horloge réaffirment que seules les juridictions d’instruction peuvent apprécier l’absence d’indices graves ou concordants pouvant justifier une mise en examen tant et si bien que n’est plus d’actualité la proposition selon laquelle « (….) le juge d’instruction cède la place à un juge de l’instruction, qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus »26.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Najibi H., « Saint-Quentin : 5 enfants morts dans un incendie en 2013, le parquet requiert la mise en examen du père », http://france3-regions.francetvinfo.fr/.
  • 2.
    Rivallain G. et Meunier A., « Cinq enfants meurent dans l’incendie », http://www.courrier-picard.fr/.
  • 3.
    Goetzle D., « Indices graves ou concordants : confirmation de l’appréciation souveraine des juridictions d’instruction », Dalloz actualité, 19 juill. 2016.
  • 4.
    Ibid.
  • 5.
    Cass. crim., 12 juill. 2016, n° 16-82692, PB.
  • 6.
    Sélinsky V., « La répression pénale des pratiques anticoncurrentielles en France », suppl. RLDA 2005/85, n° 5363.
  • 7.
    Goetzle D., art. préc. Franchimont M., Jacobs A. et Masset A., Manuel de procédure pénale, 2009 Larcier, p. 403.
  • 8.
    Le Lamy droit pénal des affaires, 2016, n° 5747 – Ouverture d’une instruction : réquisitoire introductif.
  • 9.
    BOMJ n° 80, 1er oct.-31 déc. 2000, n° 1.1.1.1.2.
  • 10.
    Le Calvez J., « L’article 80-1, alinéa 1er, du Code de procédure pénale et la nullité de la mise en examen », D. 2002, p. 2277.
  • 11.
    BOMJ, préc.
  • 12.
    Ibid., n° 1.1.2.1.1.
  • 13.
    Le Calvez J., art. préc.
  • 14.
    Chavent-Leclère A.-S., « Dispositions Générales – Nullité », JCl., Fasc. 20, n° 29.
  • 15.
    BOMJ, préc., n° 1.1.1.1.1.
  • 16.
    Cass. crim., 12 nov. 2015, n° 14-84266, D.
  • 17.
    Cass. crim., 2 sept. 2005, n° 05-83117 : Bull. crim., n° 213 ; Le Lamy droit pénal des affaires, 2015, n° 561, « La mise en examen ».
  • 18.
    Le Calvez J., art. préc.
  • 19.
    Ibid.
  • 20.
    Goetzle D., art. préc.
  • 21.
    V. BOMJ préc., n° 1.1.1.1.1.
  • 22.
    Ibid.
  • 23.
    Ibid.
  • 24.
    Le Calvez J., art. préc.
  • 25.
    Discours in Rapport annuel de la Cour de cassation 2008, La Documentation française, p. 39 à 45. Meindl T., « Les implications constitutionnelles de la suppression du juge d’instruction », RSC 2010, p. 395.
  • 26.
    Discours in Rapport annuel de la Cour de cassation 2008, préc.