L’effet de surprise des mesures d’instruction in futurum : une condition de validité de la requête 145 ?

Publié le 25/03/2024
L’effet de surprise des mesures d’instruction in futurum : une condition de validité de la requête 145 ?
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Est-ce qu’une mesure 145 peut être sollicitée sur requête lorsque le requis a déjà connaissance des griefs formulés à son encontre par le requérant ? Autrement dit, l’absence d’effet de surprise de la mesure 145 non contradictoire est-elle un obstacle à sa validité ?

Lorsqu’une partie souhaite obtenir des éléments de preuve sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, elle doit, en principe, agir selon la procédure de référé conformément au principe du contradictoire.

Par exception, en application de l’article 493 du Code de procédure civile, ces mesures peuvent être ordonnées sur requête lorsque les circonstances de l’espèce exigent qu’il soit dérogé à ce principe.

Tel sera généralement le cas lorsque les saisies portent sur des pièces numériques qui n’ont pas d’existence légale (e-mails, documents de travail, etc.) et qui présentent, de facto, un risque fort de destruction ou de dissimulation.

En effet, afin de pallier ce risque, les juges seront souvent enclins à autoriser les mesures sur simple requête.

Néanmoins, qu’en est-il lorsque le requis a, préalablement à la mesure de saisie, d’ores et déjà connaissance des griefs qui lui sont reprochés par le requérant et de la volonté de ce dernier de faire valoir judiciairement ses droits ?

La question mérite d’être posée dès lors que,dans une pareille situation, le requis a déjà très bien pu procéder à la dissimulation ou la destruction des éléments de preuve susceptibles d’être saisis en anticipant une éventuelle mesure 145 du requérant à son encontre.

Les juges pourraient ainsi considérer qu’il n’y a pas lieu de déroger au principe du contradictoire pour pallier un risque qui existe déjà et décider de ne pas faire droit à la requête ou de rétracter l’ordonnance sur requête ayant autorisé les saisies.

En l’état, la jurisprudence ne semble pas apporter de réponse claire sur ce point.

Aux termes d’une première série d’arrêts, il ressort que l’absence d’effet de surprise de la mesure de saisie est directement de nature à entraver sa validité.

Dans un arrêt du 14 janvier 2021, la Cour de cassation considère ainsi qu’il n’était pas justifié de déroger au principe du contradictoire en l’absence d’effet de surprise de la mesure 145 dès lors que, préalablement aux saisies, le requis avait été, au travers de plusieurs mises en demeure émanant de la requérante, parfaitement informé des critiques formulées à son encontre par cette dernière et de son intention de saisir la justice en cas de difficulté1.

Dans la droite lignée de cet arrêt, une autre décision rendue quelques mois plus tard, par la cour d’appel de Lyon, semble confirmer que l’effet de surprise est bel et bien une condition de validité de la requête 145.

Dans ce cas d’espèce, la partie requérante avait adressé, préalablement aux mesures de saisie, une mise en demeure au requis de lui communiquer certaines pièces qui lui étaient nécessaires pour se constituer des preuves dans la perspective d’une éventuelle action judiciaire.

De la même manière que la Cour de cassation dans son arrêt de 2021, la cour d’appel de Lyon a considéré que, compte tenu de cette demande de communication, l’effet de surprise n’était plus établi avant de rétracter l’ordonnance de saisie sur ce fondement.

Très récemment encore, la Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt du 18 janvier 2024 où elle casse un arrêt d’appel qui n’avait pas recherché si la « nécessité de préserver un effet de surprise pour éviter le dépérissement des preuves était établie lors du dépôt de la requête »2.

À la lecture de ces décisions, l’effet de surprise semble ainsi être, en tant que tel, une véritable condition autonome de validité de la requête 145.

Néanmoins, d’autres arrêts, tout aussi importants, commandent que l’on nuance ces propos.

Ainsi, dans un arrêt du 25 mars 2021, la haute juridiction a considéré que, peu important l’absence d’un éventuel effet de surprise, la mesure 145 sur requête était justifiée au seul motif qu’il existait un risque de dépérissement des éléments de preuve : « En statuant ainsi, alors que la circonstance que des éléments de preuve aient pu être supprimés par la société Forseti avant le dépôt de la requête caractérisait, peu important l’absence d’un éventuel effet de surprise, un risque de dépérissement des preuves justifiant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction en considération de la nature des faits de parasitisme et de concurrence déloyale et de la nature même des données informatiques recherchées, la cour d’appel a violé le texte susvisé »3.

De même, dans un second arrêt du 5 octobre 2023, la Cour de cassation a estimé que le fait, pour la société requise, d’avoir connaissance d’un risque de procès contre elle n’était pas un élément de nature à faire, seul, rétracter une ordonnance obtenue non contradictoirement.

Là encore, la Cour de cassation indiquait que la seule caractérisation du risque de dépérissement des preuves justifie le caractère non contradictoire de la requête 1454.

Partant, au regard de l’ensemble de ces développements, il apparaît manifestement qu’il n’est toujours pas clairement établi si l’effet de surprise constitue, ou non, une condition autonome de validité d’une requête 145.

Dès lors et en conclusion, il ne saurait être trop recommandé, dans toute procédure où les demandeurs envisagent d’engager une procédure 145 sur requête, de maintenir cet effet en s’abstenant de toute menace d’action judiciaire, préalablement aux saisies, sous quelque forme que ce soit.

Autrement dit, il pourrait être considéré que si la mesure 145 non contradictoire doit nécessairement être diligentée avant tout procès, elle doit également l’être avant d’informer le requis des griefs que l’on entend formuler judiciairement à son encontre.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 14 janv. 2021, n° 19-25206.
  • 2.
    Cass. 2e civ., 18 janv. 2024, n° 21-26001.
  • 3.
    Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-23448.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 5 oct. 2023, n° 23-11744.
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