L’effet papillon et l’appel-compétence : petites erreurs, graves conséquences

Publié le 22/01/2021

Lorsque la représentation est obligatoire, le défaut de motivation de la déclaration d’appel d’un jugement statuant exclusivement sur la compétence peut être régularisé par le dépôt au greffe d’une nouvelle déclaration d’appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, avant l’expiration du délai d’appel. En revanche, les conclusions au fond annexées à la requête aux fins d’être autorisé d’assigner à jour fixe adressées au premier président ne peuvent constituer la motivation requise par l’article 85 du Code de procédure civile (1re esp.). Lorsque la représentation est obligatoire, il appartient à l’appelant, conformément aux articles 83, 84 et 85 du Code de procédure civile, de requérir du premier président l’autorisation d’assigner à jour fixe dans les conditions prévues aux articles 917 et suivants, et non de requérir une fixation prioritaire de l’affaire dans les conditions de l’article 948, cette dernière voie d’accélération procédurale étant réservée aux procédures sans représentation obligatoire (2e esp.). Le régime de l’appel-compétence est ainsi doublement précisé.

Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, no 19-17630

Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, no 18-19768

1. L’appel-compétence ne supporte pas l’approximation. L’appel-compétence – c’est-à-dire l’appel d’un jugement statuant exclusivement sur la compétence – suit en effet un régime drastique, que la Cour de cassation vient éclairer par deux arrêts du même jour. L’un vient préciser les règles qui gouvernent la motivation de la déclaration portant appel-compétence1. L’autre vient redire qu’il faut requérir du premier président l’autorisation d’assigner à jour fixe et non lui demander de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire lorsque la représentation est obligatoire2.

2. La motivation de la déclaration d’appel-compétence. En présence d’une déclaration d’appel-compétence non motivée initialement, la Cour de cassation indique, tout d’abord, que les conclusions au fond annexées à la requête aux fins d’être autorisé d’assigner à jour fixe, qui sont adressées au premier président et non à la cour d’appel, ne peuvent constituer la motivation requise par l’article 85 du Code de procédure civile (CPC)3. En revanche, elle admet que le défaut de motivation de la déclaration d’appel-compétence initiale puisse « être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire, par le dépôt au greffe, avant l’expiration du délai d’appel, d’une nouvelle déclaration d’appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d’appel »4. Sur cette base, la Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel de Pau qui s’était montrée moins clémente5, comme n’admettant aucune forme de régularisation du défaut de motivation initiale de la déclaration d’appel-compétence.

3. Le jour fixe dans la procédure avec représentation obligatoire. Dans une tout autre affaire soumise également à la procédure d’appel avec représentation obligatoire, l’appelant avait requis du premier président une fixation prioritaire de l’affaire, au lieu de requérir une autorisation d’assigner à jour fixe, ce que le juge d’appel avait accueilli avec une étrange bienveillance. Selon la haute juridiction, il résulte pourtant des articles 83, 84 et 85 du Code de procédure civile que, sauf disposition contraire, l’appel-compétence relève, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat, de la procédure à jour fixe et qu’en ce cas, l’appelant doit saisir, dans le délai d’appel et à peine de caducité de la déclaration d’appel, le premier président en vue d’être autorisé d’assigner l’intimé à jour fixe – et ce dans les conditions de l’article 918 du Code de procédure civile qui dispose que la requête doit contenir les conclusions au fond et viser les pièces justificatives, étant précisé qu’il n’existe nul équivalent en matière de fixation prioritaire6. Sur ce motif, la Cour de cassation censure également l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui s’était quant à elle montrée décidément trop clémente7.

4. Appréciation prima facie. Quelle appréciation porter sur chaque décision et sur l’ensemble jurisprudentiel qu’elles représentent ? Au premier abord, il s’en dégage généralement une indéniable impression de complexité, difficile à refouler. Même les spécialistes pourront s’y prendre à deux fois pour lire et intégrer ces décisions, pourtant rédigées en style direct et de façon assez pédagogique. La deuxième impression est celle du rigorisme procédural. Le raisonnement de la deuxième chambre civile paraît en effet reposer sur le principe de l’effet papillon en matière d’appel-compétence : les petites erreurs des litigants – l’un a oublié de motiver sa déclaration d’appel-compétence, l’autre a demandé une fixation prioritaire alors qu’il aurait dû requérir un jour fixe – porteraient en germe de graves conséquences, ce qui justifierait un pointillisme procédural implacable. L’effet papillon est, pour mémoire, au fondement de la fameuse théorie du chaos. Ce n’est pas un hasard et c’est peut-être précisément ce que souhaite éviter la haute juridiction : un chaos procédural généralisé. Cette impression de rigorisme procédural ne rend néanmoins pas justice à la Cour de cassation, qui a davantage fait preuve de rigueur procédurale ici comme là, en s’appuyant sur des textes clairs pour l’essentiel. D’ailleurs, l’analyse technique montre que les erreurs commises par les litigants n’étaient pas véritablement minimes, ce qui justifie cette rigueur – l’objectif d’éviter le chaos procédural étant au demeurant légitime en soi.

5. Pour se forger une juste opinion sur ces décisions, revenons dans un premier temps sur la question de la motivation de la déclaration d’appel (I). L’on examinera dans un second temps la question de la procédure à observer à l’égard du premier président s’agissant de l’accélération procédurale du traitement de l’affaire (II), puisque c’est au fond de cela qu’il s’agit.

I – La motivation de la déclaration d’appel-compétence

6. Dans le meilleur des mondes, la déclaration d’appel-compétence est immédiatement motivée (A). Dans la réalité, il arrive que la déclaration d’appel ne soit pas motivée dès l’origine et que le praticien tente une régularisation. C’est ce qu’on peut appeler une motivation tardive (B). La Cour de cassation approuve opportunément le principe de ce procédé et en explique les modalités, dans le respect des textes.

A – Motivation immédiate de la déclaration d’appel-compétence

7. L’exigence de motivation de la déclaration d’appel-compétence figure à l’article 85, alinéa 1er, du Code de procédure civile (qui n’est en substance que la reprise de l’ancien article 82 du Code de procédure civile qui formulait la même exigence à l’égard du contredit) : « Outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d’appel précise qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration ». Au regard des nombreuses exigences par ailleurs généralement imposées au niveau de la déclaration d’appel – au premier chef desquelles l’indication textuelle des dispositions du jugement critiquées – et compte tenu du format restreint qu’offre le réseau virtuel privé des avocats (RPVA) (4 080 caractères pour la déclaration d’appel), les praticiens avisés procèdent en matière d’appel-compétence : soit par une déclaration d’appel sur RPVA augmentée d’une annexe venant la motiver ; soit par des conclusions en bonne forme jointes à cette déclaration. L’idée est, dans un cas comme l’autre, de motiver immédiatement la déclaration d’appel, afin d’éviter le couperet de l’irrecevabilité prévu par l’article 85 du Code de procédure civile et aiguisé par l’article 911-1 du même code, qui dispose que la partie dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie. C’est donc une procédure one shot, étant encore ajouté que le délai d’appel – 15 jours à compter de la notification du jugement – n’offre que peu d’espace de manœuvre8.

En pratique, méconnaître l’impératif de motivation de la déclaration d’appel-compétence, c’est s’exposer aux foudres du conseiller de la mise en état, que l’intimé pourra saisir de sa désignation à la clôture de l’instruction pour faire juger l’appel irrecevable9. Indiquons au reste qu’il s’agit là d’une fin de non-recevoir d’ordre public que le conseiller de la mise en état devra relever d’office, après avoir sollicité les observations des parties dans l’esprit du principe du contradictoire10. S’il y manquait, la cour d’appel y procèderait en lieu et place. Il est donc particulièrement recommandé d’intégrer ce réflexe de motivation immédiate de la déclaration d’appel dans sa pratique de l’appel-compétence.

8. Reste la question, essentielle, de savoir ce qu’il advient de la déclaration d’appel non motivée que le praticien souhaite régulariser. La lecture de l’article 85, alinéa 1er, du Code de procédure civile laisse en première analyse une impression mitigée, à savoir que le défaut de motivation de la déclaration d’appel-compétence n’est pas possible à régulariser. Ledit article semble en effet requérir que cette motivation se fasse, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à la déclaration, mais toujours simultanément à cette dernière. Force est d’admettre que l’article 85 ne laisse pas expressis verbis la place à une régularisation par conclusions postérieures ou par une déclaration d’appel ultérieure à visée réparatrice11. Cela étant, le droit commun des fins de non-recevoir est plus clément : l’article 126 du Code de procédure civile rappelle que certaines fins de non-recevoir peuvent donner lieu à régularisation et qu’en ce cas, l’irrecevabilité « sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». Une hésitation était donc permise, sur le point de savoir si la régularisation est autorisée et, dans l’affirmative, comment elle doit se réaliser. La haute juridiction apporte de précieuses indications à ces deux égards.

B – Motivation « tardive » de la déclaration d’appel-compétence

9. La Cour de cassation exclut tout d’abord à raison un premier procédé de régularisation dont se recommandait l’appelant au cas d’espèce : les conclusions jointes à la requête adressée au premier président en vue d’être autorisé d’assigner à jour fixe ne sont pas de nature à pallier l’absence de motivation de la déclaration d’appel-compétence12. Pourquoi ce refus ? La Cour de cassation semble considérer que c’est le destinataire des conclusions au fond annexées à la requête qui pose difficulté : il est vrai qu’elles sont formellement adressées « au premier président et non à la cour d’appel ». Cette explication – un brin formaliste tout de même – est in fine en adéquation avec la philosophie plus globale de la Cour de cassation, qui considère de longue date que le premier président constitue une « juridiction dans la juridiction », une juridiction à part entière, distincte de la cour d’appel (ce qui reste, pour le soussigné, une étrangeté, ce d’autant qu’une position exactement inverse est retenue à l’égard du conseiller de la mise en état, lequel semble pourtant aussi bien exercer une juridiction à part entière). La jurisprudence relative à la communication par voie électronique l’a itérativement affirmé13 et les praticiens savent aussi qu’en application de cette distinction, un avocat constitué dans une procédure intervenant devant le premier président n’est pas nécessairement constitué dans la procédure d’appel au fond – et réciproquement14.

Dans cet esprit, la position de la Cour de cassation se comprend : il existe comme une cloison étanche entre les procédures qui interviennent devant le premier président et celles qui se déroulent devant la cour d’appel. C’est pourquoi les conclusions jointes à la requête adressée au premier ne peuvent permettre de motiver la déclaration d’appel-compétence dont la seconde aura à connaître. D’un point de vue pratique, d’ailleurs, la solution est heureuse : appartient-il vraiment à la cour d’appel d’aller chercher la motivation de la déclaration d’appel-compétence dans les annexes à la requête adressée au premier président en vue d’être autorisé à assigner à jour fixe ? Le bon sens doit l’emporter, même si l’on peut regretter à un niveau plus général cette obsession moderne qui consiste à atomiser les juridictions unitaires en autant de sous-juridictions, ce qui conduit à une démultiplication des procédures internes et in fine à leur cloisonnement processuel.

10. Après avoir rejeté ce premier procédé régularisateur (qu’on nous pardonne ce néologisme), la Cour de cassation indique la voie à suivre au visa opportun des articles 85 et 126 du Code de procédure civile : « Le défaut de motivation du recours (…) peut être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire, par le dépôt au greffe, avant l’expiration du délai d’appel, d’une nouvelle déclaration d’appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d’appel ». La Cour fait là d’une pierre deux coups : elle rappelle d’abord le caractère régularisable du vice tiré du défaut de motivation initiale de la déclaration d’appel-compétence ; elle indique ensuite le moyen et le délai de cette régularisation.

Primo, le vice tiré du défaut de motivation de la déclaration d’appel-compétence peut être régularisé. La Cour de cassation tord ainsi le cou aux conceptions pessimistes, aux termes desquelles le vice était jugé irrécupérable, compte exagérément tenu de la rédaction fermée de l’article 85 du Code de procédure civile. La Cour l’avait déjà dit à l’égard de l’ancien contredit15 ; elle le redit à l’égard de l’appel-compétence moderne et offre ainsi aux praticiens une continuité jurisprudentielle opportune. On ne peut qu’approuver la haute juridiction car rien, à part cette rédaction rigoureuse de l’article 85, ne justifie d’interdire la régularisation d’un tel vice.

Secundo, et c’est là l’essentiel, la Cour apporte une double précision. Sur le moyen de la régularisation, d’abord : c’est par une nouvelle déclaration d’appel-compétence ou par conclusions ultérieures adressées à la cour d’appel que la motivation exigée par l’article 85 peut être apportée, tardivement mais valablement. Sur le délai de la régularisation, ensuite : elle doit intervenir dans le délai d’appel, c’est-à-dire dans les 15 jours de la notification du jugement frappé d’appel-compétence. Souple sur le moyen, la Cour de cassation se fait dure sur le délai – sans que sa décision n’encoure la critique. C’est sans doute là le point de vigilance des praticiens qui souhaitent régulariser leur déclaration d’appel-compétence viciée par manque de motivation16.

11. Disons rapidement et pour finir un mot de cette motivation imposée de la déclaration d’appel-compétence. Il ne s’agit tout d’abord pas de se référer aux conclusions de première instance, même s’il n’est naturellement pas interdit de s’en inspirer17. Il ne s’agit pas plus d’énoncer des prétentions, au fond en particulier18. Il ne s’agit pas non plus de résumer ou d’analyser objectivement la décision querellée des premiers juges19. Il s’agit d’aligner des moyens de fait et de droit de nature à emporter la réformation de la décision frappée d’appel et propres à étayer l’argumentation de l’appelant sur le point de la compétence20. Un temps, la jurisprudence a hésité sur le point de savoir si l’appelant devait, au titre de cette exigence de motivation, indiquer dans son contredit la juridiction compétente à son estime – comme c’est le cas à l’occasion d’un déclinatoire de compétence21. La deuxième chambre civile ne l’exigeait pas22 quand la chambre commerciale semblait l’exiger23. Les nouveaux textes ne règlent pas la question. Il est permis de penser que pareille indication n’est pas exigée en droit positif, même s’il n’est évidemment pas absurde d’y procéder. L’essentiel est là : l’exigence de motivation de la déclaration d’appel impose à l’appelant d’expliquer, au moins sommairement, en quoi il tombe en désaccord avec le jugement dont il relève appel. Si le premier juge a retenu sa compétence et que l’appelant en disconvient, il n’est pas aberrant d’indiquer quelle juridiction est compétente à son estime en lieu et place. Si le premier juge s’est dit incompétent et que l’appelant en disconvient, il est alors naturel d’indiquer que le juge initialement saisi est bien compétent à son estime. Le tout est d’éviter une déclaration d’appel « sèche », qui ressemblerait à une dénégation mécanique sinon purement dilatoire opposée au jugement de première instance.

12. In globo, la Cour de cassation précise donc le régime de l’appel-compétence, sous l’angle de l’exigence de motivation de la déclaration d’appel. Par un autre arrêt du même jour, elle précise ce même régime, sous l’angle différent de l’accélération procédurale de l’affaire que l’appelant doit requérir du premier président.

L’effet papillon et l’appel-compétence : petites erreurs, graves conséquences

II – L’accélération procédurale de l’appel-compétence

13. Jour fixe ou fixation prioritaire ? Des hésitations sont permises à ce niveau et, avant une décision récente et remarquée de la Cour de cassation24, la question s’est même posée de savoir si la procédure à bref délai, encore différente, ne devait pas être mobilisée en cas d’appel-compétence de certaines décisions. Voilà qui invite à revenir, brièvement, sur ces trois formes d’accélération processuelle que sont à hauteur d’appel la procédure à bref délai, le jour fixe et la fixation prioritaire (A). Ces trois procédures ne sont pas substituables en dépit du fait qu’elles poursuivent le même objectif de célérité. C’est pourquoi la Cour de cassation a rappelé qu’en matière de représentation obligatoire, c’est le jour fixe qui s’impose, non la fixation prioritaire (B).

A – Bref délai, jour fixe ou fixation prioritaire : de quoi parle-t-on ?

14. En certains cas, il est souhaitable (voire obligatoire) d’accélérer le traitement procédural de l’appel. Trois voies existent, selon le cas : le bref délai, le jour fixe ou la fixation prioritaire. Explications.

15. Procédure à bref délai (le circuit court). Il existe, à hauteur d’appel, deux circuits de traitement : le circuit court25 et le circuit long26, le second étant de principe et le premier d’exception. L’article 905 du Code de procédure civile énonce les cas dans lesquels la procédure intervient nécessairement à bref délai (urgence, affaire en état d’être jugée, appel d’une ordonnance de référé ou d’un jugement issu d’une procédure accélérée au fond, etc.). C’est le président de la chambre à laquelle l’affaire est distribuée qui décide du circuit que l’affaire empruntera27. Si l’affaire part en circuit court, chacun sait la brièveté des délais28, l’idée étant, pour parler trivialement, que « tout soit plié » en deux mois maximum à compter de la réception de l’avis de fixation adressé par le greffe – trois mois à la rigueur en cas d’appel incident ou provoqué. Un temps, l’on s’est interrogé sur le point de savoir si l’appel du seul chef de la compétence de certaines décisions devait suivre le circuit court, sur l’injonction de l’article 905, ou la procédure à jour fixe, comme les articles 83 et suivants du Code de procédure civile paraissent l’imposer lorsque la représentation est obligatoire. La Cour de cassation a tranché en faveur de l’application prioritaire de l’article 83 du Code de procédure civile29, ce qui conduit naturellement à exposer cette autre option d’accélération procédurale qu’est le jour fixe.

16. Procédure à jour fixe. La procédure à jour fixe est réglée aux articles 917 et suivants du Code de procédure civile et s’inscrit dans le cadre de la procédure d’appel avec représentation obligatoire. Pour obtenir du premier président l’autorisation d’assigner l’intimé à jour fixe, il faut faire la démonstration d’une unique condition de fond indiquée à l’article 917 : les droits de l’intéressé doivent être en péril. Puis les conditions de forme, très exigeantes, sont égrenées : il s’agit d’une procédure sur requête adressée au premier président30, laquelle doit exposer la nature du péril, contenir les conclusions sur le fond et viser les pièces justificatives, une expédition de la décision ou une copie certifiée conforme par l’avocat devant de surcroît être jointe31. Si cette procédure sur requête est mise en œuvre avant la déclaration d’appel, celle-ci doit viser après-coup l’ordonnance du premier l’autorisant à procéder à jour fixe32. Sinon, cette procédure est mise en œuvre après la déclaration d’appel, dans les huit jours33. Il appartient ensuite à l’appelant d’assigner la partie adverse au jour fixé (avec copies jointes de la requête au premier, de son ordonnance et de la déclaration d’appel34). Diverses mentions sont au demeurant imposées35. La Cour est ensuite saisie par la remise d’une copie de l’assignation au greffe, laquelle doit être faite avant la date fixée pour l’audience, à peine de caducité relevée d’office par le président de la chambre36. Bref, on l’aura compris : c’est une mécanique procédurale précise et bien huilée qui ne supporte pas l’approximation. En principe, il s’agit d’un moyen d’accélération procédurale voulue par le litigant (dont les droits sont en péril) ; mais nul n’ignore que dans certains cas, le jour fixe est imposé37 – par exemple, pour l’appel d’une décision de sursis à statuer38 ou pour l’appel d’une décision ordonnant l’expertise39. Tel est aussi le cas en matière d’appel-compétence, les textes ouvrant néanmoins la possibilité concurrente d’une fixation prioritaire de l’affaire, ce qui invite à présenter cette dernière possibilité d’accélération procédurale.

17. Procédure bénéficiant d’une fixation prioritaire. La procédure bénéficiant d’une fixation prioritaire est à la procédure d’appel sans représentation obligatoire ce que la procédure à jour fixe est à la procédure d’appel avec représentation obligatoire40. C’est l’article 948 du Code de procédure civile qui la régit, dont le premier alinéa se lit ainsi : « La partie dont les droits sont en péril peut, même si une date d’audience a déjà été fixée, demander au premier président de la cour de retenir l’affaire, par priorité, à une prochaine audience ». La condition de fond est donc parfaitement similaire (droits d’une partie en péril). En revanche, le régime procédural n’a strictement rien en commun. Alors que la procédure à jour fixe est précisément réglementée et jalonnée d’importantes sanctions, la procédure de fixation prioritaire est exceptionnellement souple. Il n’est, en particulier, nul besoin de joindre à la requête adressée au premier président tous les documents indispensables dans le cas d’un jour fixe. La différence de configuration – la fixation prioritaire s’épanouit dans la procédure d’appel sans représentation obligatoire – explique cette souplesse formelle bienvenue. Dans l’affaire soumise à la haute juridiction, l’appelant avait emprunté la procédure de fixation prioritaire en lieu et place de la procédure à jour fixe. C’est bien là le problème.

B – « Erreur d’aiguillage » en appel-compétence

18. Sous l’empire des anciens textes, l’on avait coutume d’appeler « erreur d’aiguillage » l’erreur commise par une partie qui, plutôt que d’emprunter la voie de l’appel d’un jugement statuant simultanément sur la compétence et le fond du litige, avait emprunté la voie plus rigoureuse du contredit – ou inversement. Dans le premier cas, comme le litigant s’était lui-même astreint à une rigueur procédurale supérieure à la normale, son erreur était pardonnée conformément à l’adage qui peut le plus peut le moins : la cour d’appel examinait son recours mal aiguillé41. En revanche, si le litigant empruntait la voie de l’appel là où il aurait dû former contredit, la jurisprudence considérait que l’erreur était inexcusable : la pardonner reviendrait à permettre à l’intéressé de contourner à son avantage toutes les règles spéciales du contredit42. Sous l’apparence, le problème que la Cour de cassation avait à régler au cas présent est d’une nature parfaitement similaire : au lieu d’emprunter l’inflexible voie procédurale du jour fixe, l’appelant a emprunté l’arrangeante voie de la fixation prioritaire. Son erreur est-elle pardonnable ? La réponse donnée par la Cour régulatrice est négative, à raison. L’erreur inverse serait en revanche sans doute pardonnable.

19. Fixation prioritaire au lieu du jour fixe. Très concrètement, l’appelant avait requis du premier président une fixation prioritaire ; mais le premier, réalisant l’erreur de l’appelant, l’avait autorisé d’assigner à jour fixe – consommant possiblement une violation du principe dispositif en statuant ultra petita. L’essentiel est que l’appelant n’a pas observé le parcours de santé du jour fixe et lui a préféré la promenade tranquille de la fixation prioritaire. Il n’avait, en particulier, pas joint à la requête adressée au premier président ses conclusions au fond – ni observé, comprend-on, aucune des formalités imposées pour la procédure d’autorisation d’assigner à jour fixe. Clémente, la cour d’appel lui avait pardonné en ces termes : « S’il est vrai que la requête (…) ne visait qu’à la fixation prioritaire de l’appel alors qu’il est opposé à la société [intimée] dans le cadre d’une procédure avec représentation obligatoire qui ne pouvait donner lieu qu’à assignation à jour fixe, la société [intimée] n’est pas fondée à soutenir que la déclaration d’appel serait caduque pour ce motif. / Il est certain, compte tenu des termes de l’article 84 du Code de procédure civile que la sanction de caducité de l’appel est encourue si la formalité de la saisine du premier président n’a pas été respectée ou si le délai pour y procéder a été méconnu, s’agissant de conditions posées pour l’exercice même du droit d’appel ». Puis, elle ajoute : si l’appelant « a demandé la fixation prioritaire au lieu d’une autorisation d’assignation à jour fixe, cette erreur de pure forme qui ne porte que sur les modalités de mise en œuvre de la procédure d’appel, est sans incidence sur la régularité de la saisine de la cour et ne peut donner lieu à caducité de l’appel ».

Disons les choses clairement : la cour d’appel s’est montrée extrêmement bienveillante, quitte à dénaturer les textes, l’article 84 du Code de procédure civile en tête, dont on ne peut sérieusement soutenir qu’il n’oblige l’appelant qu’à saisir le premier dans le délai sans qu’importe la nature de la requête qui lui est adressée. Cette clémence ne pouvait néanmoins pas plus sérieusement prospérer au Quai de l’Horloge et il faut in fine approuver la rigueur que la Cour de cassation essaie d’insuffler à l’appel-compétence sur l’injonction des textes : le jour fixe n’est pas la fixation prioritaire et autoriser à mobiliser celle-ci en lieu et place de celui-là conduirait au chaos procédural, car plus aucun praticien ne s’embarrasserait alors du jour fixe et de sa rigueur et tous se tourneraient vers la fixation prioritaire et sa souplesse. À la procédure d’appel avec représentation obligatoire la procédure à jour fixe, dans toute sa rigueur ; à la procédure d’appel sans représentation obligation la fixation prioritaire, dans toute sa souplesse ; et les moutons seront bien gardés. Se tromper de voie d’accélération procédurale, c’est s’exposer à la caducité prévue à l’article 84 du Code de procédure civile. À ceci près que la haute juridiction, dans sa prudence légendaire, n’évoque pas l’hypothèse inverse : qu’adviendrait-il si un litigant, au lieu d’emprunter la voie facile de la fixation prioritaire, empruntait le chemin escarpé du jour fixe ?

20. Jour fixe au lieu de fixation prioritaire. Selon nous, cette erreur du litigant serait pleinement pardonnable, dans l’esprit de la jurisprudence relative à l’« erreur d’aiguillage ». Qui peut le plus peut le moins : celui qui aura par extraordinaire dans une procédure sans représentation obligatoire requis du premier président d’assigner à jour fixe – dans les formes prévues par les textes – doit, d’une part, pouvoir bénéficier d’une fixation prioritaire (le premier corrigeant de lui-même l’erreur ou invitant le litigant à corriger sa requête) et doit, d’autre part et surtout, ne pas encourir la caducité de sa déclaration d’appel-compétence. Si la Cour de cassation ne l’affirme pas clairement dans son arrêt du 22 octobre 2020, il est permis de lire cette solution entre les lignes. Il ne manque que sa consécration en bonne forme.

Au-delà, les praticiens retiendront surtout de cet ensemble jurisprudentiel que l’appel-compétence ne s’appréhende que la main tremblante : les petites erreurs peuvent porter gravement à conséquences. C’est l’effet papillon.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 19-17630.
  • 2.
    Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 18-19768.
  • 3.
    Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 19-17630, pt 5.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 19-17630, pt 8 et s.
  • 5.
    CA Pau, 11 avr. 2019, n° 18/01881.
  • 6.
    Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 18-19768, pt 8 et s.
  • 7.
    CA Aix-en-Provence, 17 mai 2018, nos 17/22619 et 17/22275 : D. 2019, Pan., p. 555, obs. Fricero N., spéc. n° 24.
  • 8.
    CPC, art. 84.
  • 9.
    CPC, art. 914, al. 1er, second tiret.
  • 10.
    Cass. 2e civ., 23 nov. 1994, n° 93-10586 (« Vu les articles 82 et 125 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu que le contredit doit, à peine d’irrecevabilité, être motivé et que le défaut de motivation constitue une fin de non-recevoir d’ordre public qui doit être relevée d’office ») ; rappr. CPC, art. 16, CPC, art. 122 et CPC, art. 125.
  • 11.
    En ce sens : CA Grenoble, 19 sept. 2019, n° 18/00248 (« Les conclusions d’appelant transmises par voie électronique le 18 janvier 2018 ne peuvent palier (sic) valablement la carence ainsi caractérisée dans le respect des dispositions précitées du Code de procédure civile ; (…) partant, il convient de constater l’irrecevabilité des déclarations d’appel formées (…) le 11 janvier 2018 ») ; CA Rennes, 15 janv. 2019, n° 18/03823 (considérant en substance que l’assignation à jour fixe est inapte à motiver tardivement la déclaration d’appel-compétence initialement non motivée).
  • 12.
    V. déjà : CA Paris, 20 févr. 2020, n° 19/05704 (« Le défaut de motivation de la déclaration d’appel ne peut être suppléé par les éléments de motivation figurant dans la requête aux fins d’être autorisé à assigner à jour fixe ou dans le projet d’assignation »).
  • 13.
    V. not. : Cass. 2e civ., 6 juill. 2017, n° 17-01695 : Gaz. Pal. 31 oct. 2017, n° 305x7, p. 61, obs. Bléry C. ; Dalloz actualité, 20 juill. 2017 obs. Kébir M. – Cass. 2e civ., 7 déc. 2017, n° 16-19336 : Gaz. Pal. 15 mai 2018, n° 322w8, p. 77, obs. Hoffshir N. ; Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. Bléry C. ; D. 2018, p. 692, obs. Fricero N. ; D. 2018, p. 1223, obs. Leborgne A. V., qui opère plus généralement une rétrospective des solutions acquises en la matière et esquisse l’état du droit postérieur à l’arrêté technique du 20 mai 2020 : Bléry C., « Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la CPVE en matière civile devant les cours d’appel : entre espoir et déception… », Dalloz actualité, 2 juin 2020.
  • 14.
    Méconnaître cette distinction, c’est risquer d’adresser ses conclusions d’appel à un avocat non constitué dans la procédure correspondante : Cass. 2e civ., 27 févr. 2020, n° 19-10849 : LPA 14 août 2020, n° 153a8, p. 8, obs. Barba M. ; Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. Laffly R. ; JCP G 2020, 786, obs. Gerbay N.
  • 15.
    Cass. 2e civ., 24 juin 1998, n° 94-43109 (« Vu les articles 82 et 126 du nouveau Code de procédure civile ; attendu que le contredit doit, à peine d’irrecevabilité, être motivé et remis au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision dans les 15 jours de celle-ci ; que la fin de non-recevoir tirée de l’absence de motivation est susceptible d’être régularisé avant l’expiration de ce délai »).
  • 16.
    V. d’ailleurs : CA Rennes, 15 janv. 2019, n° 18/03823 (« S’il est exact que l’assignation à jour fixe délivrée le 2 juillet 2018 contenait un exposé des motifs de l’appel [formé par déclaration du 13 juin 2018], il n’en demeure pas moins que cet acte ne peut couvrir l’irrégularité de la déclaration elle-même telle que prévue par l’article 85 »). Dans cette affaire, c’est sans doute moins le moyen de la régularisation (l’assignation à jour fixe) qui posait difficulté que le délai dans lequel elle est intervenue.
  • 17.
    CA Reims, 27 avr. 1983 : Gaz. Pal. Rec. 1983, 2, somm., p. 337.
  • 18.
    Cass. 2e civ., 22 mars 2006, n° 03-20529 : D. 2006, IR, p. 947 ; JCP G 2006, I 183, obs. Serinet Y.-M. ; Procédures 2006, comm. 126, obs. Perrot R. ; Dr. & patr. mensuel, p. 117, obs. Amrani-Mekki S.
  • 19.
    Cass. 2e civ., 27 juin 1985 : Gaz. Pal. Rec. 1986, 1, pan., p. 12, obs. Guinchard S. et Moussa T. Rappr. CA Paris, 17 sept. 2020, n° 19/11927 (« L’obligation de motiver la déclaration d’appel n’est donc pas remplie par la seule mention du chef expressément critiqué et la communication de la décision entreprise »).
  • 20.
    Cass. 2e civ., 15 avr. 1991, n° 88-42567.
  • 21.
    CPC, art. 75.
  • 22.
    Cass. 2e civ., 28 nov. 1985, n° 84-14382 : Gaz. Pal. Rec. 1986, 2, pan., p. 417, obs. Guinchard S. et Moussa T.
  • 23.
    Cass. com., 8 janv. 1991, n° 88-17227.
  • 24.
    Cass. 2e civ., 11 juill. 2019, n° 18-23617 : Gaz. Pal. 5 nov. 2019, n° 362k9, p. 53, obs. Hoffschir N. ; Gaz. Pal. 7 janv. 2020, n° 367g0, p. 73, obs. O’neil H. ; Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. Bléry C. ; D. 2019, p. 1792, chron. Touati N., Bohnert C., Lemoine S., de Leiris E. et Palle N ; D. 2020, p. 576, obs. Fricero N. ; D. 2020, p. 1380, obs. Leborgne A. ; Procédures 2019, comm. 247, obs. Croze H. ; Procédures 2019, comm. 253, obs. Laporte C. ; JCP G 2019, p. 942, obs. Gerbay N – Rappr. Cass. 2e civ., 2 juill. 2020, n° 19-11624 : Dalloz actualité, 1er sept. 2020, obs. Bléry C. – Cass. 2e civ., avis, 11 juill. 2019, n° 19-70012 : Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. Bléry C.
  • 25.
    CPC, art. 905 et s.
  • 26.
    CPC, art. 907 et s.
  • 27.
    CPC, art. 904-1.
  • 28.
    CPC, art. 905-1 et s.
  • 29.
    Cass. 2e civ., 11 juill. 2019, n° 18-23617, réitéré par : Cass. 2e civ., 2 juill. 2020, n° 19-11624.
  • 30.
    CPC, art. 917.
  • 31.
    CPC, art. 918.
  • 32.
    CPC, art. 919.
  • 33.
    CPC, art. 919.
  • 34.
    CPC, art. 920.
  • 35.
    CPC, art. 920.
  • 36.
    CPC, art. 922.
  • 37.
    Auquel cas l’appelant n’a bien sûr pas à démontrer le péril imposé par l’article 917, al. 1er, du CPC.
  • 38.
    CPC, art. 380.
  • 39.
    CPC, art. 272. Dans ce cas, comme dans celui du sursis à statuer, il faut requérir l’autorisation du premier d’interjeter appel ; la procédure d’appel se déroule ensuite selon la procédure à jour fixe ou comme il est dit à l’article 948, c’est-à-dire suivant une procédure bénéficiant d’une fixation prioritaire. D’autres exemples de jour fixe imposé existent en matière de voies d’exécution (Laporte C., « Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé », Procédures 2017, étude 29).
  • 40.
    Laporte C., « Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé », Procédures 2017, étude 29, spéc. n° 3 (« La demande de fixation prioritaire de l’affaire (…) constitue en quelque sorte le pendant de la procédure à jour fixe » dans les « procédures sans représentation obligatoire »).
  • 41.
    CPC, art. 91 anc., al. 1er : « Lorsque la cour estime que la décision qui lui est déférée par la voie du contredit devait l’être par celle de l’appel, elle n’en demeure pas moins saisie. »
  • 42.
    La solution résultait d’une lecture a contrario de l’ancien article 91 ou, plus exactement, de l’absence de disposition symétrique : Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n° 81-26240 : Gaz. Pal. Rec. 1983, 1, pan., p. 174, obs. Guinchard S. ; RTD civ. 1983, p. 588, obs. Normand J. Procéder par la voie de l’appel en lieu et place du contredit, c’était s’exposé à une fin de non-recevoir obligatoirement relevée d’office.
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