De la nouvelle mutabilité des régimes matrimoniaux

Publié le 23/04/2019

Malgré les discordes, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice maintient la simplification annoncée du changement de régime matrimonial.

Longtemps absolue, l’immutabilité des conventions matrimoniales, déjà assouplie par la loi du 13 juillet 1965, est affaiblie depuis la suppression de l’exigence systématique d’une homologation judiciaire par la loi du 23 juin 2006. Poursuivant cette évolution, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice1 met un terme au principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux, laissant place à une mutabilité, certes encore contrôlée, mais considérablement facilitée.

Issue du projet de loi présenté en conseil des ministres le 20 avril 2018, cette réforme ne surprend pas ; elle s’inscrit dans le mouvement plus général de déjudiciarisation et de contractualisation du droit de la famille. S’appuyant sur le rapport des « Chantiers de la justice : Amélioration et simplification de la procédure civile », remis au ministre de la Justice le 15 janvier 20182, elle accentue la libéralisation du changement de régime matrimonial. L’objectif est de le rendre plus rapide et moins coûteux, mais aussi de « poursuivre le recentrage de l’institution judiciaire sur les questions nécessitant la prudence et l’autorité du juge »3.

L’article 1397 du Code civil est donc modifié afin de supprimer certaines conditions antérieurement exigées pour que les époux puissent changer pendant leur mariage le régime matrimonial antérieurement choisi. Néanmoins, l’allégement a opposé sur certains points les chambres du Parlement4, dont le désaccord a été constaté par la commission mixte paritaire le 13 décembre dernier5. Si un consensus s’est toutefois dégagé sur deux propositions, il n’en va pas de même pour la simplification la plus notable.

I – Les améliorations acceptées du changement de régime matrimonial

Les différentes versions du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice tendent toutes à accélérer le changement de régime matrimonial en supprimant la condition de délai et à clarifier la situation des enfants majeurs bénéficiant d’une mesure de protection juridique.

A – La suppression du délai préalable

En autorisant le changement de régime matrimonial pendant le mariage d’un commun accord des époux, la loi du 13 juillet 1965 a toutefois imposé une condition de délai : attendre 2 ans à compter de la célébration du mariage ou de la précédente modification. L’exigence de cette condition, maintenue par la loi du 23 juin 2006, revient à maintenir l’immutabilité absolue du régime matrimonial pendant les deux premières années de mariage. Elle est traditionnellement justifiée par la nécessité pour les époux de mettre d’abord à l’épreuve le régime initialement choisi afin d’apprécier l’opportunité d’en adopter un autre mieux adapté à leur nouvelle situation.

Cependant, ce délai est apparu gênant pour les époux dont la situation professionnelle évolue notablement avant les deux ans d’attente ou en cas de crainte du décès prochain d’un époux. Il pouvait effectivement être un frein à la préparation de la succession ou à la création ou reprise d’une entreprise par un époux. À ce titre, il pouvait même inciter les conjoints à divorcer pour se remarier sous un autre régime, tout particulièrement depuis la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel par loi du 18 novembre 2016.

Le gouvernement réfléchissait déjà depuis quelques temps sur l’opportunité de maintenir le délai de deux ans6. L’idée d’une simple réduction a été envisagée mais elle a finalement été écartée au motif qu’elle ne permettrait pas de répondre efficacement à l’objectif de simplification envisagée7. C’est donc sa suppression pure et simple qui a été retenue, emportant sur ce point le consensus du Sénat et de l’Assemblée nationale. Les mots « après deux années d’application du régime matrimonial » sont ainsi retranchés de l’alinéa 1er de l’article 1397 du Code civil. Le changement de régime matrimonial ne comporte par conséquent plus de condition de délai, que ce soit après la célébration du mariage ou entre deux modifications.

Cet assouplissement permettra ainsi d’adapter immédiatement le régime matrimonial des époux à l’évolution de leur situation, professionnelle ou personnelle. Il participe toutefois aussi à la perte de spécificité du mariage, plaçant de ce point de vue les époux dans une situation identique à celle des partenaires ou des concubins, qui peuvent à tout moment modifier leur convention de pacte civil de solidarité ou de concubinage sans avoir à respecter un quelconque délai.

L’adhésion des parlementaires concerne également la situation des enfants majeurs sous protection juridique.

B – La clarification de la situation des enfants majeurs sous protection juridique

L’article 1397 du Code civil, dans sa rédaction antérieure, n’envisageait pas l’hypothèse des enfants majeurs placés sous un régime de protection juridique. Ce silence suscitait des doutes sur l’exercice de leur droit d’opposition, reconnu à tout enfant majeur des époux dans le délai de trois mois à compter de la notification du changement envisagé.

C’est ainsi dans un souci de clarification et de protection des majeurs les plus vulnérables8 que la nouvelle loi précise les règles relatives à leur information et à leur droit d’opposition. L’alinéa 2 de l’article 1397 est ainsi complété pour exiger formellement que l’information de la modification envisagée soit délivrée à leur représentant, qui pourra alors agir sans autorisation préalable du conseil de famille ou juge des tutelles. Cette solution lui permettra ainsi de s’y opposer rapidement, dans le délai de 3 mois, inchangé. Dans un tel cas, l’acte sera alors soumis à l’homologation du juge aux affaires familiales, conformément au système prévu en présence d’un enfant majeur qui s’oppose au changement projeté.

Aucune référence n’est cependant faite à la mesure de protection juridique mise en place pour l’application de cette nouvelle règle. Le terme « représentant » semble néanmoins la limiter aux régimes engendrant une représentation de la personne majeure, ce qui ne viserait de manière systématique que les hypothèses de tutelle9, mais pourrait également s’appliquer éventuellement à la curatelle ou à l’habilitation familiale sur décision du juge10. La modification adoptée met ainsi opportunément l’accent sur le rôle protecteur du représentant de l’enfant majeur, expliquant le consensus recueilli.

En revanche, il n’en va pas de même des simplifications du changement de régime matrimonial réduisant le rôle du juge.

II – Les simplifications controversées du changement de régime matrimonial

Contrairement à la position du Sénat, la version retenue par l’Assemblée nationale réduit l’intervention du juge et augmente le rôle du notaire dans le changement de régime matrimonial.

A – La limitation de l’homologation judiciaire

Condition systématique du changement de régime matrimonial dans la loi du 13 juillet 1965, l’homologation judiciaire de la convention modifiant le régime matrimonial des époux n’est plus qu’une condition éventuelle depuis que la loi du 23 juin 2006 l’a limitée aux seuls cas où l’un des époux a des enfants mineurs ou lorsque l’une des personnes parties dans le contrat modifié, un enfant majeur ou un créancier d’un époux s’oppose à la modification envisagée.

C’est désormais en présence d’un enfant mineur que l’intervention judiciaire n’est plus automatique, afin de recentrer l’office du juge sur les seuls dossiers sensibles et problématiques11. Les nouvelles règles diffèrent cependant selon le régime de protection des enfants.

Pour le mineur sous tutelle, l’homologation judiciaire n’est imposée que si son tuteur s’oppose au changement envisagé. L’alinéa 2 de l’article 1397 est à cette fin complété pour imposer l’information de son représentant, qui pourra agir sans autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles. Le tuteur a ainsi la possibilité de s’opposer seul à la modification envisagée dans les trois mois, ce qui supposera alors une homologation par le juge aux affaires familiales de la convention des époux. La solution est ainsi identique à celle adoptée pour l’enfant majeur sous mesure de protection juridique.

En revanche, elle n’a pas été jugée opportune en présence d’un enfant sous administration légale, en raison de la lourdeur de la désignation quasi systématique d’un administrateur ad hoc qu’elle supposerait. L’alinéa 5 modifié de l’article 1397 supprime l’exigence d’une homologation par le juge aux affaires familiales de la convention de changement de régime matrimonial et laisse au notaire la possibilité de saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 387-3 du Code civil. La référence expresse à cette disposition suppose donc que le notaire constate que la convention des époux compromette manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur. L’obtention de l’autorisation préalable du juge des tutelles sera alors nécessaire pour effectuer le changement projeté du régime matrimonial.

La réforme modifie par conséquent en profondeur la solution actuelle en présence d’enfants mineurs, non seulement en ce qu’elle n’envisage plus une homologation systématique de la convention des époux par le juge aux affaires familiales, mais aussi en ce qu’elle suppose de distinguer selon que l’enfant est sous tutelle ou sous administration légale pour déterminer le juge compétent. Le premier contrôle de leurs intérêts est ainsi selon le cas transféré du juge au tuteur ou du juge au notaire. L’intervention judiciaire n’aura lieu qu’en cas de doute, conformément à la volonté plus générale du gouvernement de la limiter « au cas les plus litigieux qui imposent une appréciation des circonstances particulières de la situation »12.

Seule l’opposition dans le délai de 3 mois des personnes qui avaient été parties dans le contrat modifié, des enfants majeurs non placés sous mesure de protection juridique, des créanciers des époux ou des représentants des enfants mineurs sous tutelle ou majeurs placés sous mesure de protection juridique nécessitera encore l’homologation par le juge aux affaires familiales de la convention des époux13.

Plusieurs arguments, d’inégale valeur, ont été invoqués en faveur de la diminution de l’intervention judiciaire dans le changement de régime matrimonial : la rareté des refus d’homologation14, le coût et la longueur de la procédure, l’incompréhension des époux, mais aussi la réforme de l’administration légale par l’ordonnance du 15 octobre 2015, qui présume la bonne gestion des biens du mineur par ses parents, ou encore l’admission du divorce par consentement mutuel extrajudiciaire par la loi du 18 novembre 201615.

Néanmoins, ces règles, qui peuvent laisser craindre une diminution de la protection des enfants mineurs16, ne font pas l’unanimité. Dans les textes adoptés le 23 octobre 2018 et le 12 février 2019, le Sénat a purement et simplement supprimé la modification envisagée de l’alinéa 5 de l’article 1397, au profit du maintien de l’homologation judiciaire systématique en présence d’enfants mineurs d’un époux17. L’argumentation développée repose en premier lieu sur la diminution de la protection des enfants mineurs, notamment ceux issus d’une autre union, seul le juge pouvant être garant de leurs intérêts. Elle met aussi l’accent sur la situation délicate des notaires, dont le rôle est fortement accru.

B – L’accroissement du rôle du notaire

Le rôle du notaire était déjà important dans le changement de régime matrimonial, que ce soit pour conseiller les époux, rédiger leur convention nécessairement notariée, informer les personnes susceptibles de s’opposer au changement envisagé ou faire procéder aux mesures de publicité du changement opéré.

La nouvelle loi lui confie également la décision de soumettre le changement envisagé à l’autorisation préalable du juge des tutelles en présence d’enfants mineurs sous administration légale. Le notaire a ainsi un nouveau rôle d’alerte, qui nécessite qu’il apprécie précisément les conséquences du changement de régime matrimonial pour les enfants mineurs, parallèlement à sa conformité à l’intérêt de la famille, dont l’exigence est maintenue. L’idée avancée est de s’en remettre au « devoir renforcé d’information et de conseil »18 du notaire pour convaincre ses clients et les alerter sur la protection de leurs enfants mineurs19. Néanmoins, le cumul de ses fonctions de conseil des parents, rédacteur de leur convention et contrôleur des intérêts de leurs enfants mineurs risque effectivement de le placer parfois dans une position difficile.

L’idée de substituer l’intervention du notaire à celle du juge s’inscrit cependant dans la tendance générale en droit des personnes et de la famille depuis le début du XXIe siècle20. Pourtant, cette évolution divise, l’office du notaire ne remplaçant pas à l’identique celle du juge, garant institutionnel de l’équilibre entre les parties21, et son intervention n’équivalant pas à la juridiction gracieuse, gage renforcé de sécurité et de stabilité des situations juridiques22.

La simplification du changement de régime matrimonial semblait toutefois inévitable, chacune des réformes du droit de la famille en entraînant désormais inexorablement une autre vers la déjudiciarisation et la contractualisation. Quid de « la résistance du droit objectif à se laisser pulvériser en droits subjectifs »23 ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2019-222, 23 mars 2019, de programmation 2018-2020 et de réforme pour la justice, art. 8 : JO n° 0071, 24 mars 2019.
  • 2.
    Chantiers de la justice, Amélioration et simplification de la procédure civile, annexe I, p. 42.
  • 3.
    Chantiers de la justice, Amélioration et simplification de la procédure civile, annexe I, p. 41.
  • 4.
    Projet de loi de programmation 2018-2020 et de réforme pour la justice ; Sénat, 23 oct. 2018, T. A. n° 007 ; Sénat, 12 févr. 2019, T. A. n° 61, art. 7 ; AN, 11 déc. 2018, T. A. n° 206 ; AN, 23 janv. 2019, T. A. n° 216, art. 7 ; AN, 18 févr. 2019, TA n° 232, art. 8.
  • 5.
    Résultat des travaux de la commission mixte paritaire, 13 déc. 2018, n° 203.
  • 6.
    Rép. min. n° 62947 : JO n° 39 AN Q, 27 sept. 2016, p. 8865 ; rép. min. n° 91647 : JO n° 39 AN Q, 27 sept. 2016, p. 8876.
  • 7.
    Projet de loi de programmation 2018-2020 et de réforme pour la justice, AN, 23 janv. 2019, T. A. n° 216, art. 7., étude d’impact ; Sénat, 19 avr. 2018.
  • 8.
    Rép. min. n° 3265 : JO n° 50 AN Q, 18 déc. 2018, p. 11822.
  • 9.
    V. not. Peterka N., « Déjudiciarisation du changement de régime matrimonial en présence d’enfants mineurs », JCP N 2018, p. 1230.
  • 10.
    C. civ., art. 469, al. 2.
  • 11.
    Rapport fait au nom de la commission des lois n° 1548, AN, 19 déc. 2018.
  • 12.
    Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, texte n° 463, 20 avril 2018, exposé des motifs.
  • 13.
    CPC, art. 1300-4 et COJ, art. L213-3.
  • 14.
    Tani A., « État des lieux jurisprudentiel du changement de régime matrimonial, ou la grande rareté des refus d’homologation… », Dr famille 2017, étude 15.
  • 15.
    V. not. Guiguet-Schielé Q., « Du divorce sans juge à la mutabilité incontrôlée du régime matrimonial ? », Gaz. Pal. 18 avr. 2017, n° 292r0, p. 54 ; Dufour O., « Déjudiciariser pour vider les tribunaux ? », Gaz. Pal. 27 mars 2018, n° 317a4, p. 5 ; Nicod M, « Vers une mutabilité incontrôlée du régime matrimonial », Dr. famille 2018, repère 4.
  • 16.
    V. not. Amrani Mekki S., « Le sens de la déjudiciarisation », JCP N 2018, p. 1150 ; Lemouland J.-J., « Chantiers de la justice : simplification et déjudiciarisation en vue », LEFP avr. 2018, n° 111e6, p. 6.
  • 17.
    Projet de loi de programmation 2018-2020 et de réforme pour la justice, AN, 23 janv. 2019, T. A. n° 216, art. 7. ; Sénat, 23 oct. 2018, T. A. n° 007 ; Sénat, 12 févr. 2019, T. A. n° 61, art. 7.
  • 18.
    Projet de loi de programmation 2018-2020 et de réforme pour la justice, AN, 23 janv. 2019, T. A. n° 216, art. 7. ; Sénat, 9 oct. 2018, débats, art. 7.
  • 19.
    AN, première séance, 22 nov. 2018, compte rendu intégral, art. 7.
  • 20.
    V. not. Pérès C., « La déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille », JCP N 2018, p. 1151 ; Letellier F., « Le notaire et la déjudiciarisation par la loi du 18 novembre 2016, pour les divorces et successions », JCP N 2018, p. 1152.
  • 21.
    V. not. Syndicat de la magistrature, « Les chantiers de la justice numérique, procédure civile et réseau des juridictions : réaction du syndicat de la magistrature », Gaz. Pal. 6 févr. 2018, n° 312j1, p. 76.
  • 22.
    V. not. Lécuyer H., « Pour la juridiction gracieuse », Defrénois 1er mars 2018, n° 132z3, p. 1 ; Randoux N., « La déjudiciarisation : opportunité ou danger ? », Defrénois 17 mai 2018, n° 136e9, p. 15.
  • 23.
    Carbonnier J., Droit et passion du droit sous la V° République, 1996, Flammarion, Champs essais, p. 106 (citée parmi les traits qui caractérisent le type idéal de système juridique).
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