L’élargissement de la notion de préjudice d’agrément
La seule limitation dans l’exercice d’une activité sportive qu’exerçait régulièrement la victime d’une agression avant la survenance de celle-ci peut constituer un préjudice d’agrément indemnisable.
Cass. 2e civ., 29 mars 2018, no 17-14499, PB
Le préjudice d’agrément constitue l’un des préjudices extrapatrimoniaux indemnisables au même titre que les préjudices sexuels ou d’esthétique. Il est défini par la nomenclature Dintilhac comme étant constitué par l’impossibilité, pour la victime d’un fait dommageable, tel un accident ou une agression, de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs1 et, à peu près dans les mêmes termes, par le rapport Lambert-Faivre de juin 2003, qui parle de l’indemnisation d’une perte de loisirs spécifiques auxquels la victime ne peut plus s’adonner. C’est cette acceptation assez restrictive de la notion de préjudice d’agrément qui est admise aussi bien par le droit de la sécurité sociale2 que par la jurisprudence actuelle3. Cette jurisprudence remplace celle plus ancienne qui intégrait le préjudice d’agrément dans le déficit fonctionnel permanent dans la mesure où celui-ci vise, notamment, à l’indemnisation de la perte de qualité de vie de la victime ainsi que des troubles dans ses conditions d’existence4. Cette assimilation des deux types de préjudice ne subsiste qu’en ce qui concerne le préjudice temporaire d’agrément et le préjudice fonctionnel temporaire, c’est-à-dire avant la consolidation5. L’admission du préjudice d’agrément suppose donc que la victime apporte la preuve de deux éléments. En premier lieu, celle du fait qu’elle pratiquait régulièrement, avant la survenance de la cause du dommage, une activité spécifique de sport ou de loisirs6. Puis, en second lieu, qu’elle se trouve dans l’impossibilité de continuer à pratiquer cette activité en raison des dommages qu’elle a subis7. Ces divers éléments de preuve sont appréciés in concreto et relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond8.
Cette exigence d’impossibilité de poursuivre une activité sportive ou de loisirs à la suite de la survenance du dommage constitue-t-elle une condition sine qua non de la reconnaissance d’un préjudice d’agrément indemnisable ? C’est à cette interrogation qu’apporte une réponse négative un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 29 mars 20189. En l’espèce, un particulier qui pratiquait de manière importante des activités de loisirs nautiques se retrouve, après avoir été la victime d’une agression, dans l’incapacité de poursuivre ces activités avec la même intensité. La décision de la cour d’appel, qui avait considéré que cette baisse d’intensité constituait un préjudice d’agrément, est confirmée par la deuxième chambre civile. Par cet arrêt, la Cour de cassation élargit la notion de préjudice d’agrément en admettant que celui-ci ne se limite pas à l’impossibilité de continuer à exercer une activité antérieure mais concerne également la baisse d’intensité dans l’exercice de cette activité. Cette nouvelle hypothèse de préjudice d’agrément10 obligera celui qui s’en prévaut à prouver que l’activité qu’il pratiquait avant le fait dommageable était de haut niveau et qu’il subit une perte importance d’intensité dans son exercice depuis ce fait. En l’espèce, tel était bien le cas. Comme le relèvent les magistrats : « M. X [la victime] pratiquait, en compétition, un grand nombre d’activités sportives et de loisirs nautiques et que, depuis les faits, qui l’avaient stoppé dans sa progression, la poursuite, en compétition, de ces activités ne pouvait plus se faire avec la même intensité, son état physique l’y autorisant seulement de façon modérée ». Cette extension de la notion de préjudice d’agrément au cas d’une différence importante d’intensité dans la pratique d’une activité avant et après la survenance d’un dommage semble tout à fait justifiée. En effet, il n’y a pas de différence fondamentale entre le dommage résultant pour une victime du fait de ne plus pouvoir exercer une activité qu’elle pratiquait de manière ludique et celui supporté par une personne qui pratiquait à haut niveau une activité et ne le peut plus que très modérément à titre thérapeutique. Il appartiendra aux juges du fond de déterminer à partir de quel moment une différence d’intensité entre la pratique d’une activité avant et après le fait dommageable est suffisante pour être indemnisée au titre du préjudice d’agrément.
L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 29 mars 2018 élargit donc la notion de préjudice d’agrément. Cet élargissement ne remet bien évidemment pas en cause l’autonomie de ce préjudice par rapport à celui de déficit fonctionnel permanent.
Notes de bas de pages
-
1.
Rapp. Dintilhac, juill. 2005.
-
2.
CSS, art. L. 452-3 ; Cass. 2e civ., 9 févr. 2017, n° 16-11219 ; Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n° 15-27523.
-
3.
Cass. 2e civ., 28 mai 2009, n° 08-16829 : JCP G 2009, chron. 248, spéc. n° 1, Bloch P. ; RTD civ. 2009, p. 534, obs. Jourdain P. – Cass. 2e civ., 2 avr. 2015, n° 14-13702 – Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, n° 14-18351 : Bull. civ. II, n° 53 ; D. 2015, p. 1489 – Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 15-21528.
-
4.
Cass. ass. plén., 19 déc. 2003, n° 02-14783 : JCP G 2004, II 10008, note Jourdain P. ; LPA 10 sept. 2004, p. 12, note Dagorne-Labbe Y. – Cass. 2e civ., 8 avr. 2010, nos 09-11634 et 09-14047 : Dalloz actualité, 19 avr. 2010, obs. Lavric S.
-
5.
Cass. 2e civ., 5 mars 2015, n° 14-10758 : Bull. civ. II, n° 51 ; JCP G 2015, 434, note Jourdain P. – Cass. 2e civ., 27 avr. 2017, n° 16-13740.
-
6.
Cass. 2e civ., 9 févr. 2017, n° 15-22082 ; Cass. crim., 5 déc. 2017, n° 16-87444 ; Cass. 2e civ., 25 janv. 2018, n° 17-10299.
-
7.
Cass. crim., 24 janv. 2018, n° 15-80995.
-
8.
Cass. 2e civ., 19 janv. 2017, n° 15-29437 ; Cass. 2e civ., 18 mai 2017, n° 16-11190.
-
9.
Cass. 2e civ., 29 mars 2018, n° 17-14499 : Dalloz actualité, 20 avr. 2018, obs. Hacene A.
-
10.
Qui avait déjà été évoquée par un arrêt de la chambre criminelle du 24 janvier 2018 : Cass. crim., 24 janv. 2018, n° 15-80995.