Arbitrer les litiges testamentaires
Les nombreux bénéfices que présente l’arbitrage doivent profiter au règlement des successions testamentaires. Un testament est en effet de nature à accroître les difficultés liées à l’ouverture d’une succession dans la mesure où son existence modifie l’issue successorale attendue, source de conflits supplémentaires entre héritiers. L’arbitrage apparaît alors comme une voie de résolution des litiges apaisée et plus rapide, outre la possibilité offerte aux parties de désigner des arbitres en considération de leur expertise en la matière.
1. Les difficultés liées à l’ouverture d’une succession peuvent être nombreuses, juridiquement techniques, et particulièrement fastidieuses à démêler dans l’hypothèse d’un conflit judiciaire entre héritiers. S’il existe un testament, et dans la mesure même où il rend la solution successorale différente d’une application mécanique des règles de droit en privilégiant un ou plusieurs héritiers, le règlement de la succession peut prendre un chemin particulièrement contentieux impliquant des années d’instances judiciaires. C’est pourquoi il faut confier les litiges testamentaires à l’arbitrage.
2. « Il y a toujours, dans l’arbitrage, une immixtion, qui fait sa difficulté et son attrait, de la composante contractuelle dans la fonction juridictionnelle »1. Forme de justice privée, l’arbitrage permet de trouver une issue à un conflit en dehors du système juridictionnel étatique. Les perspectives de son utilité sont multiples : la rapidité du règlement du différend, la liberté de choisir l’arbitre en considération de son expérience, son expertise et sa compétence, la confidentialité dans le traitement du dossier, l’efficacité, la réappropriation par les parties de la procédure et des débats, la possibilité de statuer en équité et, enfin, le coût maîtrisé de la procédure.
3. Consciente de son intérêt, la jurisprudence a ainsi très tôt admis le recours à l’arbitrage en matière successorale2. L’arbitrage s’inscrit en outre aujourd’hui dans le mouvement de contractualisation et de déjudiciarisation du droit de la famille à l’œuvre depuis plusieurs années, ce qui rend nombreuses les perspectives de développement de ce mode de résolution des conflits permettant aux parties d’être départagées au moyen d’une sentence dotée de l’autorité de chose jugée et, après exequatur, de la force exécutoire. À titre comparatif, l’Allemagne3 et l’Autriche4 ont consacré légalement le recours à l’arbitrage en matière successorale.
I – L’arbitrabilité des litiges relevant de l’ordre public
4. Le droit des successions en général et plus spécifiquement l’appréciation de la validité ou de la portée d’un testament sont des matières intéressant l’ordre public. Pour autant, le droit se montre de plus en plus favorable à l’insertion de conventions d’arbitrage s’agissant de litiges familiaux, d’autant plus lorsqu’ils sont de nature patrimoniale.
5. Le champ d’application de l’arbitrage est strictement délimité par les textes puisqu’aux termes des articles 2059 et 2060 du Code civil, sont exclus les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition ainsi que les matières intéressant l’ordre public. Pour autant, la jurisprudence adopte une position souple et affirme que le caractère d’ordre public est insuffisant à rendre le litige inarbitrable5. Elle admet ainsi que le tribunal arbitral soit compétent pour connaître des litiges mettant en cause des règles d’ordre public6.
6. L’arbitre a ainsi simplement, comme le juge étatique, le devoir de respecter les règles d’ordre public et d’en sanctionner la violation. Le recours à l’arbitrage ne saurait donc être écarté en raison du seul lien du litige avec l’ordre public, ce qui ouvre considérablement la voie à l’arbitrage en matière successorale et testamentaire. La notion d’ordre public n’apparaissant plus comme un critère de distinction entre ce qui est arbitrable et ce qui ne l’est pas, il importe seulement que le droit concerné soit disponible.
II – L’arbitrabilité de la succession testamentaire
7. Aux termes de l’article 1442 du Code de procédure civile, la convention d’arbitrage est susceptible de prendre la forme d’une clause compromissoire, convenue entre les parties avant la survenance du litige7, ou d’un compromis d’arbitrage, conclu après la survenance du litige8.
8. L’article 722 du Code civil prohibe quant à lui les pactes sur succession future et dispose que « les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d’une succession non encore ouverte ou d’un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi ». Le testateur ne peut donc contractuellement organiser la transmission à venir des biens et des dettes qui ne composeront en réalité sa succession qu’au jour de son décès.
9. Les droits successoraux étant indisponibles avant l’ouverture de la succession et les pactes sur succession future prohibés, la vocation anticipatoire de la clause compromissoire prohibe en théorie son insertion dans un testament. En outre, sur la forme, le testament est un acte juridique unilatéral lorsque la clause compromissoire est supposée être conclue entre au moins deux personnes et acceptée par la partie à laquelle elle est opposée. De sorte que, en la matière, le recours à l’arbitrage se traduit par la conclusion d’un compromis d’arbitrage9.
10. C’est au jour du décès que les droits successoraux sont déterminables et, par conséquent, disponibles. La succession devient donc arbitrable dès son ouverture et les droits successoraux le sont au jour du décès du testateur. L’indisponibilité qui s’attache aux droits successoraux est en effet par nature seulement temporaire, elle disparaît au jour du décès. Par conséquent, on pourrait envisager que le testateur inclue dans son testament une disposition prévoyant que les litiges susceptibles de s’élever après son décès, s’agissant par exemple du partage de ses biens, seront tranchés par voie d’arbitrage. Les héritiers seront ensuite libres de ratifier ou non le choix exprimé par le défunt de recourir à l’arbitrage. Les héritiers, assortis des légataires, ont en effet la possibilité de contester les dispositions testamentaires.
11. En outre, la prohibition des pactes sur succession future ne vise que la détermination du contenu des droits successoraux, lorsque la convention d’arbitrage a trait aux modalités de règlement des litiges. Il s’agit en effet seulement d’exprimer le choix de soumettre la résolution d’un litige à un tribunal arbitral, en lieu et place d’une juridiction étatique.
12. La prohibition des pactes sur succession future semble ainsi en réalité davantage s’imposer au futur défunt, aux fins de protéger sa liberté testamentaire, qu’à ses héritiers. De sorte que si cette prohibition interdit aux proches du futur de cujus de s’entendre, avant son décès, sur le sort de son patrimoine, ces derniers ne pourraient-ils pas s’accorder pour confier à l’arbitrage les litiges susceptibles de naître après l’ouverture de ladite succession ? En ce sens, le droit français apporte plusieurs aménagements à la prohibition des pactes sur succession future, permettant aux proches d’un futur de cujus d’anticiper l’ouverture de la succession. On pense à la renonciation anticipée, à l’action en réduction, à la donation-partage, à la donation-partage transgénérationnelle, à la donation graduelle ou encore à la donation résiduelle. Ainsi, aucune disposition ne saurait interdire aux héritiers de soumettre à un tribunal arbitral les litiges qui naîtraient après l’ouverture de la succession. Un compromis d’arbitrage conclu entre héritiers, pour une succession future, est ainsi à notre sens envisageable. Il l’est a fortiori une fois la succession testamentaire ouverte10.
III – Les litiges arbitrables
13. La notion de disponibilité n’étant pas définie par le législateur, c’est la jurisprudence qui est amenée à en délimiter les contours. Or celle-ci adopte une position souple. Sont ainsi arbitrables les litiges portant sur la liquidation ou le partage d’une succession11 ou sur l’inventaire des biens de la succession, leur évaluation et la fixation de leur valeur locative12. L’arbitrage présente l’intérêt non négligeable de pouvoir réaliser le partage de la succession. La mission dévolue aux arbitres peut en effet consister à départager les parties sur les attributions, ce que ne peut réaliser un partage judiciaire, et à fixer les soultes.
14. Est également arbitrable la validité au fond du testament, dès lors qu’elle ne touche pas à la capacité du testateur, exclue formellement par l’article 2060 du Code civil. Il est donc possible de soumettre à l’arbitrage l’appréciation de la volonté et du consentement du testateur, la vérification de la date ou encore de la signature du testament. La qualité d’héritier est également arbitrable, excepté lorsque le litige suppose la détermination d’un lien de filiation entre l’héritier et le de cujus, par exemple si l’une des parties prétend être l’enfant du de cujus, ce que les autres héritiers contestent. L’arbitre peut, dans ce cas et s’il l’estime opportun, surseoir à statuer dans l’attente d’une décision d’un juge étatique.
15. Confrontés à une succession testamentaire, le ou les arbitres pourraient connaître du partage et du sort des meubles, de l’existence d’un avantage matrimonial ou encore de la revendication de créances. Un des héritiers, contestant des dispositions testamentaires, peut ainsi revendiquer une créance au bénéfice de la succession, par exemple à l’encontre de l’ex-épouse du de cujus, au titre de sa participation à l’acquisition ou aux travaux effectués sur son bien propre.
16. Le sort des dettes fiscales du défunt ainsi que la charge fiscale de la succession sont également arbitrables13. Que la succession soit testamentaire ou non, un litige peut ainsi s’élever s’agissant du paiement des droits de succession si l’un des héritiers a payé l’intégralité de ces droits ou bien d’un litige relatif au sort des dettes fiscales du défunt au jour de son décès (par exemple, l’impôt sur la fortune immobilière). Enfin, l’appréciation au fond d’un testament peut conduire à soumettre à l’arbitrage l’existence, le montant et les modalités d’une obligation naturelle entre collatéraux privilégiés ou encore entre ascendants et descendants, l’appréciation d’une éventuelle indignité successorale ou d’une révocation pour ingratitude.
17. La validité en la forme du testament, qui ne serait pas valable ou dont les conditions de validité ne seraient pas remplies, est arbitrable comme l’interprétation de dispositions testamentaires ou d’un codicille, d’une option successorale ou de la validité d’une renonciation. Pourrait également faire l’objet d’un compromis d’arbitrage le litige relatif à l’éventuel choix de l’exécuteur testamentaire désigné par le défunt. Il peut également s’agir d’un litige relatif à l’évaluation du legs14, ou à l’évaluation de l’actif et du passif de la succession, ou à la soumission à l’arbitre de l’inventaire de la succession.
18. S’agissant enfin des droits réservataires, et dans le cas où un testateur stipulerait des clauses ne respectant pas la réserve héréditaire, on peut concevoir le recours à l’arbitrage dans la mesure où les arbitres doivent assurer le respect de l’ordre public et sont ainsi habilités à sanctionner sa violation, notamment en cas de non-respect des droits réservataires15. En ce sens également, les arbitres peuvent juger le rapport des donations faites du vivant du testateur16. Investis de leurs droits au jour du décès du de cujus, les héritiers réservataires pourraient ainsi consentir à confier leur litige à l’arbitrage.
IV – L’arbitrabilité des successions internationales
19. Enfin, l’arbitrage présente un intérêt prononcé s’agissant des successions testamentaires internationales. D’une manière générale, les successions internationales se prêtent à ce mode de résolution des conflits en raison de leur complexité, elle-même liée à plusieurs facteurs : des biens situés dans différents États, des héritiers résidant dans des États distincts, en étant parfois de nationalités différentes, réunissant des institutions de droit étranger inconnues du droit français (trust, anstalt) ou encore résidences successives du de cujus dans des États différents. La présence d’un testament accroit les difficultés dans la mesure où le testateur peut avoir opéré un choix de loi non conforme aux règles de droit international privé, ignorant éventuellement la réserve héréditaire, voire un choix multiple de lois s’agissant respectivement de sa succession mobilière et immobilière. Le règlement européen relatif aux successions17 prévoit à ce sujet une règle de conflit de lois spécifique à la succession testamentaire, dite « loi successorale anticipée »18. Il n’est pas exclu, enfin, que le testateur ait choisi de disposer de son patrimoine par l’intermédiaire d’une institution étrangère voisine du testament, à l’image du pacte successoral, du testament mutuel ou du testament conjonctif.
20. Il ressort de ces considérations qu’en présence d’une succession testamentaire affectée d’éléments d’extranéité, le recours à l’arbitrage présente l’immense avantage de pouvoir la régler dans tous ses aspects, sans être entravé par un conflit de juridictions associé à un potentiel conflit de lois applicables. L’arbitrage est véritablement gage de simplicité et, donc, de rapidité, ce qui facilite indéniablement le règlement global d’une succession testamentaire présentant une dimension internationale.
21. L’arbitrabilité des litiges est, d’une façon générale, appréciée de manière très libérale en matière internationale. En ce sens, les conventions d’arbitrage sont considérées comme valables indépendamment de toute loi étatique. L’appréciation du consentement à l’arbitrage échappe en effet aux lois nationales et dépend uniquement d’une règle matérielle qui se fonde sur le principe du consensualisme19 et dont la mise en œuvre conduit, dans la grande majorité des cas, à conclure à l’efficacité du compromis d’arbitrage. Par ailleurs, le règlement européen relatif aux successions n’édicte aucune exclusion, à la différence des autres règlements européens de coopération judiciaire, s’agissant du recours à l’arbitrage en matière successorale, y compris lorsque la succession est testamentaire.
22. Les héritiers, confrontés à un testament, pourront donc utilement conclure un compromis d’arbitrage délimitant le périmètre d’action du tribunal arbitral, lequel pourra être composé par des arbitres experts, par exemple, de la loi étrangère désignée applicable à ladite succession ou d’un juriste spécialisé possédant une expertise particulière. Les successions internationales constituent, à n’en pas douter, une terre de prédilection pour l’arbitrage.
Notes de bas de pages
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1.
H. Motulsky, Études et notes sur l’arbitrage, La nature juridique de l’arbitrage, Dalloz, 1974, p. 289.
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2.
Cass. req., 5 févr. 1900, D. 1900, I, p. 176 – CA Lyon, 28 juin 1881.
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3.
ZPO (Allemagne), § 1066 ZPO.
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4.
ZPO (Autriche), § 581, al. 2. Les dispositions relatives à l’arbitrage sont applicables aux conventions d’arbitrage prévues dans des dispositions à cause de mort.
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5.
Cass. com., 20 nov. 1950, Tissot c/ Neff, JCP G 1951, IV 5 – CA Paris, 19 mai 1993, RTD com. 1993, p. 494.
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6.
V. CA Paris, 1re ch. D, 17 mai 2006, n° 06/01658 : « L’application des règles d’ordre public sur le droit successoral et matrimonial n’empêche pas la soumission du litige à l’arbitre avec mise en œuvre par lui des règles impératives du droit ».
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7.
V. G. Barbe et M. de Fontmichel, « Les clauses compromissoires en droit de la famille », Dr. famille 2020.
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8.
V. G. Barbe et M. de Fontmichel, « La pratique de l’arbitrage en matière de divorce, de séparation et de successions », JCP G 2018, 1062.
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9.
V. not. Cass. 1re civ., 5 juin 1973, n° 72-10870 au sujet du partage d’une succession ; Cass. 1re civ., 26 oct. 1976, n° 75-13707 ; CA Amiens, 1re ch. civ., 15 nov. 1991 : JurisData n° 1991-049673 ; le compromis d’arbitrage est valable si l’une des parties accepte l’offre de l’autre de soumettre leur litige à l’arbitre désigné par la clause ; CA Paris, 1re ch. D, 17 mai 2006, n° 06/01658 ; CA Paris, 1-1, 3 mars 2011, n° 10/06324.
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10.
En ce sens, v. CA Amiens, 1re ch. civ., 15 nov. 1991 : JurisData n° 1991-049673 ; la Cour relève, s’agissant d’un litige né de l’exécution d’un contrat comportant une clause compromissoire nulle, qu’il peut néanmoins exister entre les parties un compromis valable, si l’une des parties accepte l’offre de l’autre de soumettre leur litige à l’arbitre désigné par la clause.
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11.
Cass. 1re civ., 5 juin 1973, n° 72-10870 ; CA Paris, 1-1, 3 mars 2011, n° 10/06324.
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12.
Cass. 2e civ., 7 nov. 1974, n° 73-12190 ; Cass. 1re civ., 26 oct. 1976, n° 75-13707 ; CA Lyon, 1re ch. civ., 12 oct. 2006, n° 05/00685.
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13.
V. CA Paris, 1-1, 3 mars 2011, n° 10/06324.
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14.
Valeur du legs et valeur locative : CA Lyon, 1re ch. civ., 12 oct. 2006, n° 05/00685.
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15.
V. la solution précitée et retenue : CA Paris, 1re ch. D, 17 mai 2006, n° 06/01658.
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16.
V. CA Paris, 1re ch. D, 17 mai 2006, n° 06/01658.
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17.
PE et Cons. UE, règl. n° 650/2012, 4 juill. 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.
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18.
Article 24 s’agissant du testament et article 25 s’agissant du pacte successoral.
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19.
Cass. 1re civ., 4 juill. 1972, n° 70-14163, Hecht ; Cass. 1re civ., 20 déc. 1993, n° 91-16828 ; Cass. 1re civ., 5 janv. 1999, n° 96-21430, Zanzi ; Cass. 1re civ., 8 juill. 2009, n° 08-16025, Soerni.
Référence : AJU000a8