Vers un testament numérique ? Des règles nouvelles en matière de succession pour faciliter et simplifier le recours au testament
Moins de 25 % des Français ont rédigé leur testament, d’après les chiffres des notaires de France. Cela revient à plus de trois Français sur quatre qui n’ont pas exprimé leurs dernières volontés pour leur décès par écrit. Une situation à laquelle le 117e Congrès des notaires de France se propose de remédier en simplifiant le formalisme du testament authentique et en ouvrant la possibilité à un testament numérique dans l’hypothèse de circonstances exceptionnelles.
Premier constat, quelle que soit la forme choisie pour sécuriser ses volontés :testament authentique (testament rédigé par un notaire), testament holographe (rédigé par le testateur lui même), voire testament mystique (testament remis cacheté à un notaire), la réglementation applicable est ancienne, voire datée. Ces documents sont encadrés par une règlementation stricte et une pratique qui évolue peu, même si certains aménagements sont possibles, une trop grande latitude d’interprétation de la règle applicable expose le testateur à ce que ces volontés ne puissent être respectées. Depuis 1971, les testaments établis avec un notaire sont enregistrés dans le Fichier central des dispositions des dernières volontés (FCDDV). Depuis la mise en fonctionnement de ce fichier, un peu plus de cinq millions de testaments ont été déposés.
Simplifier la pratique du testament authentique
Acte « authentique » puisqu’il est directement rédigé par le notaire, officier public ministériel. Le testament notarié est reçu par un notaire devant deux témoins, ou, en l’absence de témoins, par deux notaires de deux études notariales différentes. Ce testament est dicté au notaire par le testateur lui-même en présence soit des deux témoins, soit du second notaire le cas échéant. Pour Olivier Boudeville, rapporteur général du 117e Congrès des notaires de France : « le formalisme du testament authentique apparaît désuet ». Il apparaît nécessaire « de le simplifier et de l’adapter ». En effet, ces règles de réception peuvent décourager les citoyens d’avoir recours à un acte authentique et préférer rédiger un acte holographe dont la sécurité juridique est incertaine et dont les imprécisions de rédaction alimentent de nombreux procès. Cette nécessaire simplification des règles de réception du testament authentique trouve une résonnance particulière dans la confrontation au monde numérique où le notaire prend la place d’autorité de confiance qui atteste du consentement des parties sous son seul pouvoir d’appréciation, quel que soit le mode d’expression de ce consentement. En matière d’acte authentique, il s’agit d’une exception. « Tous les autres actes authentiques peuvent être réalisés par le notaire seul, y compris les donations qui constituent des transmissions de patrimoine », ajoute le président du 117e Congrès des notaires de France, Olivier Herrneberger. Le notaire étant, par essence, le conseil des personnes, le rédacteur impartial de leurs volontés, le garant de la sécurité contractuelle, il est à même de leur faire connaître toutes les conséquences juridiques de leurs vœux testamentaires, comme il le fait déjà, par principe, pour tous les actes authentiques qu’il reçoit. La réforme des règles de réception du testament authentique, qui n’ont pas été modifiées depuis des décennies s’impose d’autant plus que la présence des deux témoins met à mal le secret professionnel dont le notaire est le garant. Le 117e Congrès des notaires de France propose donc de simplifier le formalisme du testament authentique en supprimant l’obligation de recourir à un second notaire et à deux témoins. Grâce à cette réforme, précise Olivier Boudeville, le service notarial gagnerait en « accessibilité ».
Faire évoluer le testament holographe
Le testament holographe est le plus répandu. On en dénombre environ 3,3 millions depuis 1971.
Pour qu’un testament holographe soit valable, il doit être rédigé à la main, daté avec indication du jour, mois et année et signé à la main par le testateur. En matière de support, le testateur a une large latitude. Un carnet, un cahier, une carte postale, le dos d’un document comme une police d’assurance, ou même la plaque d’un lave-linge sont considérés comme des supports recevables. Outre un stylo, le testateur peut valablement utiliser un pinceau, une craie, voire un morceau de charbon… En revanche, ce document doit être intégralement rédigé à la main par le testateur, quelle que soit sa longueur. Il n’est actuellement pas possible de substituer à ce manuscrit, un mail, un sms ou un enregistrement audiovisuel. L’exigence légale d’une rédaction entièrement manuscrite répond à un triple objectif :
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Limiter les falsifications ;
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Prévenir le risque d’erreur dans la rédaction ;
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Garantir une réflexion approfondie de la part du testateur.
Ce dernier point est fondamental explique Olivier Herrneberger, outre une vérification « matérielle » qui consiste à s’assurer de l’identité du rédacteur, il y a une vérification « intellectuelle » qui consiste à s’assurer du consentement du testateur. Il s’agit d’attester de la volonté du testateur, de sa compréhension et de vérifier sa capacité à consentir. En ce sens, l’exigence d’un procédé manuscrit pour exprimer sa volonté est un révélateur d’un réflexion intellectuelle et la manifestation corporelle de cette volonté : l’effort d’écrire, de passer l’œil sur son manuscrit avant de signer, atteste de l’expression de la volonté et de l’identité du testateur. Il est donc à l’heure actuelle impossible de se soustraire à cette obligation et la jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur ce point et refuse tout document non écrit à la main depuis 1936.
Des circonstances extraordinaires
À l’heure où la révolution numérique a profondément transformé nos usages. L’ordinateur et le smartphone ont peu ou prou remplacé le papier et le stylo. La vidéo et les messages vocaux prennent le pas sur les supports écrits notamment pour les plus jeunes, cette réglementation peut paraître dépassée. L’équipe du Congrès des notaires de France en est consciente et s’est s’attachée à réfléchir aux évolutions possibles jusqu’à envisager un testament numérique. Après « une longue réflexion » et la « consultation d’universitaires et de personnalités du monde civil », il est apparu qu’une telle solution comporterait « un défaut de sécurité », explique le rapporteur général du 117e congrès des Notaires de France. Un testament électronique, par simple clic ou sms, une vidéo hors de toute intervention d’un officier public, présentent en effet des risques d’usurpation importants. « Surtout », analyse le président du 117e Congrès des notaires de France, « nous avons essayé de réfléchir aux besoins de la société civile ». Existe-t-il vraiment une demande pour un testament numérique ? « Il nous est apparu que cette demande était plus vraisemblablement limitée à des cas très précis, notamment des situations d’urgence où il est nécessaire de préciser ses dernières volonté avec les moyens du bord », précise Olivier Herrneberger en se référant notamment aux attentats comme celui du Bataclan ou à des situations de catastrophe naturelle. Ces hypothèses justifieraient l’usage d’outils et de supports numériques pour exprimer ses dernières volontés dans un contexte qui ne permet pas d’user des formes habituelles des testaments olographes ou authentiques. Il conviendrait par conséquent, préconise l’équipe du Congrès, d’assouplir le formalisme testamentaire lors de situations anormales, liées à un contexte exceptionnel, qui demeurera à l’appréciation du juge le cas échéant. Dans sa réflexion, l’équipe du congrès s’est notamment appuyée sur l’exemple de la Suisse. En Suisse, il existe une forme extraordinaire d’acte de disposition pour cause de mort : le testament oral. Il est admissible à condition que le disposant soit empêché de tester dans une autre forme en raison de circonstances extraordinaires. À titre d’exemple, le texte de loi mentionne le danger de mort imminent et les communications interceptées, l’épidémie ou la guerre. En outre, sous peine de nullité, les formes prescrites par la loi doivent être respectées. Le testateur déclare ainsi ses dernières volontés à deux témoins, qu’il charge d’en dresser ou d’en faire dresser acte. L’un des témoins consigne exactement ces dernières volontés par écrit, en indique le lieu, la date, les signe et les fait signer par le dernier témoin. Tous deux doivent ensuite remettre cet écrit sans délai entre les mains d’une autorité judiciaire, en affirmant que le testateur qui leur a paru capable de disposer, leur a déclaré ses dernières volontés dans les circonstances particulières où ils les ont reçues. Il doit ressortir de leurs déclarations que le testateur n’a pas pu tester en l’une des formes ordinaires.
Référence : AJU001v1