Affaire Buzyn : la séparation des pouvoirs en danger

Publié le 24/09/2021

A l’occasion de la mise en examen de l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn, Me Christian Charrière-Bournazel s’inquiète de ce qu’il analyse comme une emprise croissante de l’autorité judiciaire sur les pouvoirs exécutif et législatif.  Une autre solution pourrait consister à confier au législatif le soin de juger les ministres. 

Toque de magistrat
Toque de magistrat (Photo : ©P. Cluzeau)

La Cour de Justice de la République, en raison de son caractère d’exception, rappelle l’ancienne Cour spéciale de Justice militaire ou la Cour de sûreté de l’État. Leur caractère hors normes leur fait une forme de parenté.

La Cour spéciale de Justice de la République a pour fonction de juger les crimes et délits commis par les membres du Gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. L’initiative des poursuites dépend du Procureur Général de la Cour de Cassation et l’instruction y est menée par des magistrats professionnels, même si la formation de jugement comporte plus de parlementaires que de magistrats. Mais ce mélange des genres manifeste un empiètement de l’institution judiciaire sur le pouvoir législatif qui contrevient au principe de la séparation des pouvoirs.

Certes un ministre coupable d’un crime ou d’un délit de droit commun, sans rapport avec ses fonctions, relève de la justice commune. Mais seul le pouvoir législatif devrait être titulaire du pouvoir de juger les membres du Gouvernement au titre d’actes commis comme ministres.

Et si ministres et parlementaires se jugeaient entre eux ?

Pour quelles raisons les ministres ou parlementaires, ne seraient-ils pas capables de se juger entre eux pour des actes de leurs ministères, quitte à ce que dans la formation de jugement siège éventuellement un magistrat ?

Ce ne serait pas le ministère public qui déciderait des poursuites et ce ne serait pas les magistrats qui procèderaient à l’instruction, de même que ce n’est pas non plus un professeur de droit ni un avocat qui procède, au Conseil Supérieur de la Magistrature, à l’enquête sur les faits reprochés à un magistrat.

Or, cette emprise du judiciaire sur le législatif s’accroît avec le temps puisque ce sont aujourd’hui six ministres qui sont déférés devant la Cour de Justice de la République.

La question est d’importance.

Un déséquilibre s’est créé en effet au profit de l’institution judiciaire dont il faut rappeler qu’elle n’est pas un pouvoir mais une autorité, comme en dispose la Constitution. Surtout le récent égarement de cette juridiction d’exception milite pour sa suppression.

De quoi s’agit-il ?

Madame Agnès Buzyn vient d’être mise en examen pour abstention volontaire de porter secours et pour mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

La mise en examen est un acte grave puisqu’elle suppose qu’il existe des indices graves ou concordants permettant de penser que la personne a pu commettre une infraction réprimée par le Code Pénal.

En l’espèce, cette mise en examen ne peut qu’attirer la plus ferme réprobation.

En effet, rappelons les principes.

La question de l’intentionnalité

L’article 121-3 du Code Pénal énonce qu’il n’y a pas de délit sans intention de le commettre.

En son alinéa 2, ce même article réprime la mise en danger délibérée de la personne d’autrui, tandis que l’article 223-6 déclare coupable quelqu’un qui n’a pas empêché par son action immédiate que se commette un crime ou un délit en s’abstenant volontairement d’intervenir.

Dans tous les cas, y compris celui de la personne qui par ses fonctions disposerait de moyens que par négligence elle n’aurait pas utilisés pour empêcher la survenance d’un délit, l’élément intentionnel est présent.

Dans le cas particulier, il est aberrant de penser qu’à l’époque où l’épidémie vient d’apparaître, une ministre qui fut médecin hématologue, mais qui n’a d’informations que contradictoires de la part de spécialistes de la santé, lesquels eux-mêmes ignorent tout de ce nouveau virus, pourrait être responsable des malheurs qui ont pu arriver à des familles endeuillées ou à des malades définitivement marqués par le virus.

L’ignorance collective de l’ampleur de la pandémie ne peut en aucun cas valoir à Madame Buzyn le reproche de s’être abstenue volontairement de porter secours. Au surplus, on a oublié le dernier alinéa de l’article 121-3 qui dit qu’« il n’y a pas de contravention en cas de force majeure». Le Covid 19 était au sens le plus clair une force majeure contre laquelle les moyens existants ne permettaient pas de lutter avec efficacité.

Pour quelles raisons les juges ont-ils décidé de la mise en examen ?

Évidemment on ne peut qu’éprouver la plus grande compassion à l’égard des familles frappées par le désastre de la Covid 19. Mais le rôle de la justice n’est pas d’être compassionnelle. Il est d’appliquer le droit avec humanité et humilité, les magistrats n’étant que des êtres humains qui en jugent d’autres.

Ils doivent donc être indépendants de tout : du pouvoir, de l’argent, des médias, de la clameur populaire et de leur propre système de valeurs. Ils ne doivent dépendre que de la loi.

Les juges ont-ils estimé devoir jeter à l’opinion publique des responsables pour ne pas se voir reprocher d’être complaisants avec le politique ? Ou, plus grave encore, sont-ils hantés par une soif jamais assouvie du pouvoir que leur donne le sentiment d’être au service de la loi, tout en sachant qu’ils jouissent d’une forme d’irresponsabilité totale ?

« L’orgueil de juger »

Où sont les juges qui peuvent juger les juges ?

Des plaideurs qui voient aujourd’hui leurs affaires traîner en longueur pendant plusieurs années avant d’être rapidement jugées subissent un préjudice découlant éventuellement de la permanence d’un délit qui leur nuit et qui n’est pas réprimé. Leur tentation légitime est d’assigner les juges ou de porter plainte contre eux pour s’être volontairement abstenus d’empêcher par une action immédiate un grave dommage ou d’avoir mis délibérément en danger ce plaideur qui, resté dans l’attente du jugement, se voit ruiné par le temps qui passe ou définitivement déshonoré par la diffamation impunie.

Quelle juridiction pourra juger ces juges ?

Dans un climat général de haine civile, la démagogie l’emporte sur la raison et l’orgueil de juger sur le devoir qu’assignait Montesquieu aux magistrats de ne juger que d’une main tremblante.

Il est temps de revenir à la séparation des pouvoirs et à la modestie sans laquelle il n’est point de service utile rendu au peuple français.

 

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