Un observatoire pour les avocats en danger

Publié le 09/08/2019

De longue date, les avocats parisiens ont su mettre en avant leur engagement pour le respect des droits de la défense et la protection de leurs confrères. En France bien sûr, mais aussi à l’étranger avec une tradition d’échanges avec les avocats du monde entier. Un travail qu’accomplit aujourd’hui l’Observatoire international des avocats en danger.

Il semble inconcevable d’imaginer un système juridique qui fait valoir les droits de tous les justiciables sans se représenter le rôle de l’avocat. Si son intégrité et son indépendance paraissent être le minimum requis pour qu’il puisse exercer son métier, ces fondamentaux ne sont hélas pas toujours respectés à travers le monde. Avocats assassinés, emprisonnés ou persécutés, les exemples d’atteinte violente à la profession ne manquent pas, de la Turquie à la Chine en passant par l’Égypte, le Mexique ou l’Inde. À ce sujet, le rapport 2018 de l’Institut des droits de l’Homme des avocats européens (IDHAE) ne dénombrait d’ailleurs pas moins de 379 avocats « en danger parce qu’ils tentent de faire leur métier ».

Une thématique sur laquelle le barreau de Paris s’engage également : le 22 mai dernier était organisée une présentation débat autour du rapport de Human Rights Watch : « Des avocats traduits en justice : poursuites abusives et érosion du droit à un procès équitable en Turquie », à la maison du Barreau à Paris. Une rencontre qui faisait écho à un autre événement mis en place par les avocats parisiens le 24 janvier, la Journée internationale de l’avocat en danger, qui était justement consacrée à la situation turque cette année. Le 11 avril dernier encore, c’était Shirin Ebadi qui était accueillie. Avocate et juge iranienne, Prix Nobel de la paix, elle a dû fuir son pays en 2009 en raison de son combat pour les des droits de l’Homme et vit depuis en exil. Toutes ces actions sont menées sous la bannière de l’Observatoire international des avocats en danger (OIAD), une initiative lancée conjointement avec le CNB et deux barreaux étrangers en 2015 pour défendre les avocats menacés au cours de l’exercice de leur métier. L’Observatoire effectue un travail de veille et d’information pour tenter d’enrayer les atteintes au droit à la défense à travers le monde. Avec une structure qui se veut inclusive et ouverte à tous les barreaux, il a déjà été rejoint par 30 d’entre eux en qualité de membre actif.

Entretien croisé avec Basile Ader, vice-bâtonnier du barreau de Paris, et Anne Souleliac, administratrice de l’OIAD.

Les Petites Affiches

Expliquez-nous quel est le fonctionnement de l’Observatoire international des avocats…

Basile Ader

Je souhaiterais d’abord souligner la manière dont l’Observatoire a vu son périmètre d’action se déployer au cours des deux dernières années. Cela peut s’observer avec le nombre de membres qui a connu une forte croissance, mais aussi avec la mise en place de nombreux partenariats avec des barreaux étrangers (en Afrique, Russie ou encore dans les Caraïbes). C’est un apport important pour nous puisque ce sont des alliés sur place qui peuvent prendre le relais lorsqu’il faut envoyer un observateur en urgence. Bien évidemment, le cœur de l’Observatoire reste ses quatre fondateurs : le barreau de Paris et le CNB, le Consiglio Nazionale Forense pour l’Italie et le Consejo General de la Abogicia Espanola pour l’Espagne. En mai 2018, nous avons aussi eu l’occasion de lancer un nouveau site internet : protect-lawyers.com, qui nous permet de recevoir des alertes du monde entier et de transmettre les informations et photos des avocats en danger, qu’ils soient disparus ou menacés, torturés ou tués. Notre mission consiste donc à recenser, à informer, à alerter et à faire des plaidoyers pour la défense des avocats à travers le monde.

Anne Souléliac

De manière très concrète, nous essayons d’évaluer avec l’avocat concerné la situation de risque à laquelle il fait face. Nous pouvons ainsi proposer une aide financière pour pouvoir installer des caméras de surveillance pour protéger le cabinet de l’avocat menacé. Et dans les cas où les personnes que nous suivons deviennent de véritables cibles et sont en grand danger, nous pouvons envisager de les aider à sortir du pays pendant quelque temps pour pouvoir bénéficier d’un répit et attendre que la situation se calme. L’Observatoire peut également réaliser des opérations d’exfiltration. Ce fut le cas pour un confrère en Colombie, où la situation était intenable. Nous essayons ensuite de les accompagner dans leurs démarches de demande de statut de réfugié et dans leurs démarches sociales. Le plus difficile pour nous étant de les aider à trouver un logement. Si la situation se calme, comme cela a été le cas pour l’avocat colombien, ils peuvent ensuite retourner dans leur pays.

LPA

Quelles sont les zones géographiques où votre activité est la plus forte ?

B. A.

On retrouve des pays tels que la Chine, l’Égypte, l’Iran ou la Turquie dont on entend souvent parler, mais aussi certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud tel que le Honduras. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que dans ces pays, l’Observatoire a su acquérir une place proche à certains égards de celle de Reporters sans frontières : dès qu’un avocat est inquiété parce qu’il exerce son métier nous sommes les premiers alertés. Nous ne faisons pas de politique et considérons insupportable qu’un avocat ne puisse travailler librement parce qu’on le confond avec la cause de son client. Notre rôle est d’essayer d’attirer l’attention du public sur leur cas, mais aussi de discuter avec les autorités en charge.

Pour prendre l’exemple chinois, je me suis rendu à Pékin en octobre dernier pour la 16e Journée mondiale contre la peine de mort. J’ai pu rencontrer des avocats qui ont été victimes de grave répression et qui ont perdu leur licence d’exercice. Les autorités chinoises restent plutôt hermétiques au premier abord, mais le fait que l’on porte notre attention sur ce sujet et que nous faisions ces rencontres peut donner un espoir à ces personnes et leur permettre d’être un peu moins maltraitées. Nous essayons donc à notre échelle d’améliorer leurs conditions.

LPA

Y a-t-il des outils juridiques en droit international qui peuvent être utilisés pour porter assistance aux avocats en difficulté ?

A. S.

Il en existe un seul : ce sont les Principes de base relatifs au rôle du barreau qui ont été adoptés par les Nations unies à La Havane en 1990 ! C’est le texte sur lequel nous nous basons pour rédiger nos alertes, il est extrêmement bien rédigé et n’a pour l’instant pas d’égal au niveau européen. D’où le projet de créer une convention européenne sur les avocats qui soit à la hauteur et couvre les questions de l’intimidation de l’avocat et de son client ainsi que le principe de sa liberté d’expression. Le seul reproche que l’on peut faire à la convention de La Havane est que ce n’est pas un traité et qu’il n’a donc pas de caractère obligatoire.

LPA

Vous aviez dédié le 24 janvier à la situation des avocats en Turquie, pourquoi ce choix ?

B. A.

La Turquie est une grande déception. C’est un membre du Conseil de l’Europe. À ce titre, la Turquie est censée respecter les accords européens sur la défense des droits de l’Homme et le procès équitable. Or on a vu la situation des avocats se détériorer depuis 2011, au point qu’aujourd’hui 570 avocats se trouvent dans les geôles et que 1 500 font l’objet de poursuites. Tous ceux qui sont amenés à défendre des intérêts qui sont contraires à ceux de l’État et je ne parle pas que de la défense des Kurdes sont menacés, poursuivis et emprisonnés sous des motifs fallacieux tels que délit d’expression publique ou appartenance à une association terroriste.

LPA

Avez-vous des exemples de dossiers actifs que vous suivez dans ce pays actuellement ?

B. A.

Un cas particulièrement frappant est celui de Can Atalay, qui se bat pour les victimes de la catastrophe minière de Soma, et qui a été poursuivi dans le cadre des événements de Gezi en 2013. Il a été acquitté, puisqu’on ne pouvait rien lui reprocher de sérieux, mais des poursuites ont été réengagées aussitôt après sa libération. Tout cela uniquement parce qu’il représente des plaignants qui avaient un droit à faire valoir contre l’État. Nous avons été reçus par l’ambassadeur de Turquie en France pour évoquer le sujet et lui demander d’agir en sa faveur. Il n’est pas supportable qu’un acharnement soit opéré contre lui alors qu’il ne fait que son métier d’avocat.

A. S.

L’objectif pour les États est de faire peur et de dissuader les autres avocats de s’engager dans des causes qui leur sont opposées, c’est une forme d’intimidation des barreaux ! On voit parfois aussi les ministères de la Justice qui suppriment des licences d’avocats dès lors que ces derniers ne plaisent plus au pouvoir ou utilisent des procédures disciplinaires. Les avocats vivent alors avec la menace permanente de radiation, quelque chose que connaissent bien nos confrères chinois qui sont chaque année soumis à une procédure de réexamen de leur licence. Ce qui est très curieux car les avocats n’ont vocation à intervenir que dans les prétoires, on pourrait donc se dire que si les juges sont corrompus peu importe ce qu’a à dire l’avocat… Le fait est qu’il est aussi un lanceur d’alerte à l’extérieur des salles d’audience. C’est l’indépendance des avocats, leur premier principe, qui inquiète les États qui ne supportent pas que l’on dénonce leur abus de pouvoir. Quand une dictature s’installe, les deux premières victimes sont toujours les mêmes : le journaliste et l’avocat !

LPA

Sur quel type de dossiers les avocats sont-ils mis en cause ?

A. S.

En réalité, ce sont souvent sur les mêmes thématiques : des avocats qui défendent des blogueurs, des dossiers d’expropriation ou des personnes victimes de torture par la police ou les autorités pénitentiaires. C’est typiquement le genre de dossiers sensibles où les avocats risquent des mesures de rétorsion. Il y a des pays, comme le Mexique ou le Honduras où les avocats sont tout simplement assassinés. C’est particulièrement terrible au Pakistan, qui sera d’ailleurs mis à l’honneur pour la prochaine Journée de l’avocat en danger, le 24 janvier 2020. On y a vu un attentat horrible dans la ville de Quetta, en août 2016, où une bombe a décimé le barreau : près de 200 personnes dont nombre de journalistes et d’avocats étaient rassemblés devant l’hôpital de la ville à la suite de l’assassinat du bâtonnier quelques heures plus tôt. Un kamikaze s’est fait exploser et a tué 70 personnes et fait 130 blessés.

LPA

Qu’envisagez-vous pour la suite ?

B. A.

Nous allons continuer à mettre en place des missions et à accroître le plaidoyer auprès des Nations unies et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Et il n’est hélas pas nécessaire de partir très loin pour trouver des avocats qui font face à de graves difficultés. Nous avons récemment été alertés par le barreau de Sofia, par exemple. La difficulté pour nous étant aussi de repérer ceux qui collaborent avec le pouvoir et ceux qui résistent et quelquefois nos homologues bâtonniers penchent plus du côté des collaborateurs que des résistants… Il est inquiétant de constater que ce type de situation arrive également en Europe. La tendance générale semble plutôt être celle d’un reflux de la démocratie alors qu’on pensait en voir une extension lors de l’écroulement du bloc soviétique. Même en France, on constate une détérioration de la façon dont sont traités les avocats : suspicions, fouilles, ou encore le peu de place qui nous est laissée dans la réforme de la procédure pénale. On ne se rend pas compte qu’en supprimant l’avocat, c’est aussi l’État de droit que l’on supprime.