Chronique de QPC (juillet – décembre 2018)(Suite et fin)

Publié le 08/08/2019

La présente chronique porte sur les questions prioritaires de constitutionnalité rendues publiques par le Conseil constitutionnel entre le 1er juillet et le 31 décembre 2018. Cette étude, placée sous l’égide de l’Institut de recherche juridique interdisciplinaire (IRJI François-Rabelais – EA 7496) de l’université de Tours, a été écrite, pour la partie générale, par Pierre Mouzet, qui assume la responsabilité de la chronique ; et, pour la partie jurisprudence, par : Olivier Cahn, pofesseur de droit privé et de sciences criminelles, Gwenola Bargain, Fabienne Labelle et Véronique Tellier-Cayrol, maîtres de conférences de droit privé et de sciences criminelles, Benjamin Defoort, professeur de droit public, Patrick Mozol et Pierre Mouzet, maîtres de conférences HDR en droit public.

I – Le procès constitutionnel

A – Sur la recevabilité

B – Sur le fond

II – La jurisprudence

A – Les QPC transmises par la Cour de cassation

Décision n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018 : le majeur protégé en garde à vue

Absence d’information du tuteur ou du curateur. Si la loi du 5 mars 2007 relative à la protection juridique des majeurs et celle du 14 avril 2011 relative à la garde à vue sont venues améliorer procéduralement la situation pénale des personnes faisant l’objet d’une tutelle ou d’une curatelle, aucune obligation légale d’aviser leur tuteur ou curateur du placement en garde à vue n’était prévue. Le statut pénal des majeurs protégés comportait ainsi un angle mort, lequel a justifié une QPC portant sur l’article 706-113 du Code de procédure pénale.

Dans cette affaire, un majeur sous curatelle, ayant porté un coup de couteau à une personne dans la rue, avait été placé en garde à vue sans que son représentant légal n’en soit informé. À la suite du rejet de sa requête en annulation de la garde à vue, l’avocat du mis en cause saisit l’occasion d’un pourvoi en cassation pour soulever une QPC reposant sur l’inconstitutionnalité, au regard de l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, de l’article 706-113 du Code de procédure pénale. Cette disposition n’impose l’information du tuteur ou du curateur qu’à partir du déclenchement de l’action publique ou de la mise en œuvre de certaines alternatives aux poursuites. S’agissant de la garde à vue, la connaissance de cette mesure par la personne chargée de la protection du majeur ne relevait que de la diligence du suspect, lequel pouvait la faire prévenir en vertu de l’article 63-2, I alinéa 1er, du Code de procédure pénale.

Abrogation différée. Dans sa décision du 14 septembre, le Conseil constitutionnel insiste sur la vulnérabilité du majeur protégé placé en garde à vue, lequel peut « être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations » (§ 8). En effet, bénéficiaire d’une mesure de protection civile, la personne est par définition « dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts » (C. civ., art. 425) et il est paradoxal qu’elle soit assistée ou représentée pour les actes civils engageant son patrimoine et qu’elle ne le soit pas dans le cadre de mesures pénales contraignantes.

Les juges constitutionnels en concluent qu’« en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense » (§ 9).

Parce que l’article 706-113 du Code de procédure pénale comprend des garanties importantes au stade de l’exercice de l’action publique, il ne fait l’objet que d’une abrogation différée (au 1er octobre 2019), le Conseil constitutionnel prenant soin d’indiquer que les mesures de garde à vue prises avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de leur inconstitutionnalité.

La chambre criminelle, ultérieurement saisie, a alors opéré un contrôle de conventionnalité : elle a estimé que le rejet de la requête en nullité par la chambre de l’instruction était justifié au regard de l’article 6 de la CEDH dès lors que rien, au cours de la garde à vue, ne permettait de penser que le suspect bénéficiait d’une mesure de protection juridique1.

Loi du 23 mars 2019. Prenant acte de la décision du Conseil constitutionnel, l’article 48 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 impose, depuis le 1er juin dernier, l’information du curateur ou du tuteur lorsque le majeur protégé fait l’objet d’une audition libre ou d’une garde à vue (CPC, art. 706-112-1 et CPC, art. 706-112-2). S’agissant de cette dernière mesure, l’information doit intervenir dans un délai de 6 heures « à compter du moment où est apparue l’existence d’une mesure de protection juridique ». Malgré cette amélioration – nécessaire – des droits du majeur protégé placé en garde à vue, plusieurs obstacles viennent malheureusement limiter cette garantie supplémentaire. Pour s’en tenir aux principaux2, il faut tout d’abord que les éléments recueillis au cours de la garde à vue fassent apparaître que le suspect bénéficie d’une mesure de protection juridique ; or, même s’il est interrogé sur ce point, il peut, bien involontairement, ne pas faire état de cette protection. Ensuite, et seulement en cas de doute, l’officier de police judiciaire doit vérifier l’existence d’une mesure de protection ; seulement, en l’absence d’un fichier national informatisé répertoriant ces mesures, la vérification peut s’avérer difficile. Enfin, le nouvel article 706-112-1 admet que des « circonstances insurmontables » puissent empêcher la vérification (ainsi d’un placement en garde à vue un vendredi soir, rendant illusoire tout contact avec le juge des tutelles3).

La décision du Conseil constitutionnel a donc, certes, renforcé le statut pénal du majeur protégé mais l’amélioration de ses droits doit être poursuivie, en rendant plus effective l’obligation d’information du tuteur ou du curateur et en prévoyant l’assistance obligatoire de l’avocat dès l’audition libre et la garde à vue, à l’instar de ce qui est aujourd’hui prévu pour les mineurs.

Véronique TELLIER-CAYROL

Décision n° 2018-744 QPC du 16 novembre 2018 : le mineur en garde à vue

Retour vers le futur. Murielle B.4, auteur de la question5, a été placée en garde à vue en 1984, alors qu’elle était âgée de 15 ans. Pour simple rappel, ce n’est qu’à partir de 1993 que la garde à vue a connu de multiples modifications législatives, parfois sous l’impulsion du Conseil constitutionnel, lequel a, par ailleurs, dégagé le principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la justice des mineurs dans sa décision du 29 août 20026. Ainsi, à l’époque de la garde à vue de Murielle B., aucune disposition particulière ne prévoyait de garanties supplémentaires à l’égard des mineurs placés en garde à vue.

L’intéressée, mise en examen en 2017 pour la même affaire, soulève une QPC, faisant valoir que les dispositions en vigueur à l’époque (les articles 1er, 5, 7, 8, 9 et 10 de l’ordonnance du 2 février 1945) s’abstenaient « de prévoir le droit à l’information, le droit de se taire, le droit à l’assistance d’un avocat, le droit à un examen médical et le droit à la présence d’un représentant légal ». Partant, ces dispositions portaient atteinte à la présomption d’innocence et aux droits de la défense, tels que garantis par les articles 9 et 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

Sans surprise, le Conseil constitutionnel rappelle que, selon une jurisprudence constante, il incombe au législateur d’assurer une conciliation entre la recherche des auteurs d’infractions et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties. Or, relevant que le seul droit reconnu était celui d’obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure, il considère que cette conciliation n’est pas assurée.

La particularité de cette affaire – outre sa procédure, qui dure depuis 35 ans – tient au fait que les dispositions contestées ne sont plus en vigueur aujourd’hui. L’avocate des parties civiles invoquait à ce sujet l’anachronisme et l’erreur de parallaxe que risquait de commettre le Conseil. Mais, comme le relève le commentaire officiel (p. 21), « il est assez habituel que le Conseil constitutionnel soit amené à se prononcer sur un état du droit abrogé et cette situation est sans conséquence sur la nature de son contrôle : celui-ci examine la disposition contestée à l’aune de sa jurisprudence actuelle. Il revient en effet au Conseil de faire cesser les violations des droits et libertés ayant lieu au moment où il se prononce, peu important que ces violations résultent de dispositions en vigueur ou des effets que continuent à produire une disposition abrogée. Par principe, si une disposition législative est renvoyée au Conseil constitutionnel par le juge du filtre, cela signifie que celle-ci est applicable dans un litige en cours. Or, la protection constitutionnelle ne peut varier selon la date à laquelle a été adoptée la disposition en cause ou selon la date à laquelle elle a été abrogée ».

Abrogation immédiate. Une fois la censure prononcée, encore fallait-il déterminer ses effets. Si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question, c’est à la condition de ne pas entraîner de conséquences manifestement excessives. Raison pour laquelle, dans la célèbre décision du 30 juillet 2010, l’abrogation du régime de droit commun de la garde à vue avait été différée, les nécessités de l’ordre public l’emportant sur la protection des droits fondamentaux.

En l’espèce, les dispositions contestées étaient abrogées depuis plus de 25 ans ; l’incertitude portait sur le nombre de procédures potentiellement concernées par une abrogation immédiate. Le Premier ministre ayant indiqué qu’il n’existait peut-être qu’une seule autre affaire dans cette situation (cf. commentaire officiel, p. 23), l’abrogation est immédiate. Si, avant cette décision, aucune déclaration d’inconstitutionnalité n’avait bénéficié à l’auteur d’une QPC dans le cadre d’un contentieux sur la nullité d’actes d’enquête ou d’instruction7, c’est désormais chose faite. « Nous voilà donc en présence d’une “première” notable »8.

Suites. Il est alors revenu au juge judiciaire de tirer les conséquences de cette décision d’inconstitutionnalité. La chambre criminelle, dans un arrêt du 19 février 20199, a annulé la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon ayant rejeté la requête de l’intéressée tendant à l’annulation de ce placement en garde à vue.

Après une période de doute10, le mouvement de constitutionnalisation du droit pénal des mineurs semble se confirmer, avec notamment l’exigence de la présence de l’avocat lors de l’audition libre des mineurs11, ou encore la constitutionnalisation de l’intérêt supérieur de l’enfant12. La réforme annoncée du droit pénal des mineurs devra s’y conformer.

Véronique TELLIER-CAYROL

Décisions n° 2018-731 QPC du 14 septembre 2018 et n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018 : variations constitutionnelles autour du principe d’individualisation des peines

Les décisions n° 2018-731 QPC et n° 2018-742 QPC, si elles portent sur des dispositions répressives issues respectivement du Code des douanes et du Code pénal, appellent un commentaire conjoint puisqu’elles confirment la jurisprudence constitutionnelle afférente au principe d’individualisation des peines13 et qu’elles inspirent des réserves identiques.

Dans la première, le Conseil constitutionnel confirme sa tolérance envers les peines dites « planchers », consacrée par sa décision n° 2007-554 DC14. Il avait déjà, alors, consacré l’exception au principe d’individualisation des peines découlant de la faculté appartenant au législateur de définir la peine de manière à garantir l’effectivité de la répression. En d’autres termes, le Conseil constitutionnel admet que le pouvoir d’individualisation trouve sa limite dans la défiance du Parlement envers la mansuétude des magistrats. Mais, en 2007, les sages avaient fondé la constitutionnalité de ces peines a minima sur leur conformité aux exigences de la légalité criminelle, combinée à l’existence, dans le Code pénal, de dispositions permettant aux juges d’écarter la peine plancher « en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci », voire, dans les situations de multirécidive légale, d’ordonner un sursis assorti d’une mise à l’épreuve ou de faire bénéficier, en tant que de besoin, le prévenu des dispositions de l’article 122-1 du Code pénal. Ainsi, l’exigence du législateur se limitait à obliger le juge à motiver le choix d’une peine inférieure à celle prévue par la loi, ce qui ne constituait pas une entrave excessive à leur pouvoir d’individualisation.

Or, en l’espèce, la chambre criminelle avait, dans son arrêt de transmission, expressément exclu la possibilité pour le juge de prononcer une peine inférieure aux 2 ans d’emprisonnement prescrits par la disposition contestée du Code des douanes. Pour contourner cette difficulté, les sages recourent donc à une autre justification. Ils excipent de la compatibilité d’un « plancher » rigide avec le principe d’individualisation en considérant, d’abord, que, pour garantir l’effectivité de la répression d’infractions douanières graves, le législateur est fondé à prévoir que lorsque le juge reconnaît la culpabilité du prévenu, il ne puisse prononcer une peine inférieure à 2 ans d’emprisonnement ; ensuite, s’agissant de l’exigence d’adaptation de la peine aux circonstances de l’espèce et à la personnalité de l’auteur, que le tribunal correctionnel conserve la faculté d’individualiser dans la « fourchette » légale de 2 à 10 ans d’emprisonnement. À ce propos, S. Detraz souligne qu’il se déduit de la formulation adoptée par le Conseil que « la durée d’une peine dotée d’un plancher et d’un plafond n’est pas suffisamment modulable du seul fait qu’elle peut varier entre les deux : il faut en sus que l’écart entre le minimum et le maximum soit relativement ample »15. Enfin, pour estimer suffisante l’étendue du pouvoir résiduel d’individualisation de la peine offert au juge, ils retiennent la combinaison, en l’espèce, de dispositions issues du Code pénal et du Code des douanes16 – donc du droit répressif commun et spécial – qui lui laissent la faculté de ne pas prononcer de peine d’emprisonnement en ne retenant qu’une autre des peines encourues ou en ordonnant qu’il soit sursis à l’exécution de la peine privative de liberté17.

Dans la seconde affaire, le Conseil constitutionnel était appelé à se prononcer sur la conformité de la période de sûreté automatique prévue à l’article 132-23 du Code pénal, pris en ses deux premiers alinéas. Après avoir rappelé, d’abord, en termes identiques, sa définition du principe d’individualisation des peines et, ensuite, le régime et les effets de la période de sûreté tels qu’ils résultent des dispositions querellées, le Conseil relève que la « période de sûreté s’applique, lorsque les conditions légales en sont réunies, sans que le juge ait à la prononcer expressément » (§ 5 à 7). Il devenait ainsi possible d’inférer sa contrariété à la constitution. Pour « sauver » l’article 132-23 du Code pénal, et peut-être aussi afin de lever l’ambiguïté induite par la formule adoptée par la Cour de cassation, le Conseil commence par rappeler, « en premier lieu », sa jurisprudence ancienne aux termes de laquelle « la période de sûreté ne constitue pas une peine s’ajoutant à la peine principale, mais une mesure d’exécution de cette dernière, laquelle est expressément prononcée par le juge » (§ 8)18. V. Peltier relève que cela « constituait, en l’espèce, le cœur de la question dans la mesure où ne sont soumis aux principes garantis par [l’article 8 de la DDHC] que les peines et les sanctions ayant le caractère d’une punition »19. Cette qualification renforçait l’intuition d’inconstitutionnalité puisqu’elle impliquait, contre l’exigence du Conseil constitutionnel, que cette mesure s’impose au juge pénal20. Mais la rue de Montpensier souligne alors, « en deuxième lieu, [que] la période de sûreté ne s’applique de plein droit que si le juge a prononcé une peine privative de liberté, non assortie de sursis, supérieure ou égale à 10 ans. Sa durée est alors calculée, en vertu du deuxième alinéa de l’article 132-23, en fonction du quantum de peine retenu par le juge. Ainsi, même lorsque la période de sûreté s’applique sans être expressément prononcée, elle présente un lien étroit avec la peine et l’appréciation par le juge des circonstances propres à l’espèce » ; et, « en dernier lieu, [qu’] en application du deuxième alinéa de l’article 132-23 du Code pénal, la juridiction de jugement peut, par décision spéciale, faire varier la durée de la période de sûreté dont la peine prononcée est assortie, en fonction des circonstances de l’espèce ».

Ainsi, le Conseil constitutionnel contourne la difficulté induite par l’automaticité de la période de sûreté en raisonnant à partir de la peine, dont elle n’est qu’une mesure d’exécution21 : dès lors que la peine est l’objet d’une individualisation par le juge pénal, la période de sûreté s’en trouve, par capillarité, individualisée. De surcroît, les « circonstances de l’espèce » ne sont pas ignorées puisque, outre le fait que le juge les prend en considération lors du prononcé de la peine22, la juridiction répressive peut s’y référer pour moduler la durée de la période de sûreté. Ce faisant, le Conseil se met en mesure d’estimer que la disposition querellée satisfait aux conditions de conformité des peines accessoires ou obligatoires au principe constitutionnel d’individualisation des peines, telles qu’il les a identifiées dans sa jurisprudence antérieure23.

Ces décisions, si elles préservent des dispositions qui présentent peut-être une utilité en termes répressifs, n’échappent cependant pas à la critique.

En premier lieu, il faut relever l’art consommé du Conseil constitutionnel de neutraliser les principes qu’il consacre. Rien, dans la lettre de l’article 8 de la déclaration, n’évoque a priori le pouvoir d’individualisation des peines. Le Conseil a pourtant choisi de le déduire de cette disposition. Dont acte. Il faut se féliciter que le législateur, qui n’édicte que des normes générales et impersonnelles, ne puisse priver le juge de la faculté d’adapter la sanction aux circonstances de l’espèce et à la personnalité de l’auteur. Mais, probablement effrayés par leur propre audace, les sages jugent nécessaire de modérer le principe constitutionnel qu’ils ont découvert par un deus ex machina selon lequel ce principe « ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ». Or, cette façon de procéder lui est regrettablement familière, son expression la plus aboutie consistant dans sa pratique devenue récurrente d’opposer les « conséquences manifestement excessives » que pourrait avoir une censure à « l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public »24 ce qui, en matière répressive, lui permet de juger conformes à la constitution tous les manquements législatifs aux principes constitutionnels qu’il estime opportun de sauvegarder.

Certes, le Conseil constitutionnel n’a pas la légitimité du législateur et il doit, en conséquence, se montrer prudent et parcimonieux lors qu’il envisage d’exercer sa censure. Mais le moyen choisi est doublement regrettable.

D’abord, il le conduit à valider des atteintes à un principe constitutionnel clair et objectif par le recours à des considérations subjectives – dont témoigne la référence même à la nécessité de garantir l’effectivité de la répression25. Ainsi, en l’espèce, la peine plancher est approuvée à raison de la gravité de l’infraction ; or, l’appréciation de la gravité d’un comportement est essentiellement le fruit d’une analyse sociologique et politique que la loi ne fait qu’entériner en fixant une peine sévère. De même, toujours à propos de la peine douanière, le juge excipe du respect du principe d’individualisation des « niveaux des quantas » et de l’amplitude entre plancher et plafond qu’ils consacrent. Mais aucune précision n’est apportée pour apprécier à partir de quel niveau ces quantas et cet écart satisfont à l’exigence constitutionnelle. Il s’insinue alors le sentiment que, sous couvert d’indicateurs pseudo-scientifiques, le Conseil sauve arbitrairement une disposition qu’il estime pertinente. S’agissant de la période de sûreté, le recours à des critères subjectifs pour valider l’atteinte au principe constitutionnel objectif n’est pas non plus absent mais se déplace de la subjectivité du Conseil vers celle du juge pénal qui, s’il estime que les faits sont suffisamment graves pour prononcer une peine supérieure au quantum prévu à l’article 132-23 du Code pénal, aura par ce biais implicitement « individualisé » l’automaticité de la période de sûreté. Or, ce raisonnement pose deux difficultés pour peu qu’il soit confronté à l’analyse réaliste26 : celle de la disparité dans les sanctions de comportements identiques tant que l’algorithme n’aura pas remplacé le juge ; et celle de la paresse institutionnelle, qui peut conduire à définir le quantum de la peine en fonction de l’absence de nécessité de le motiver.

Ensuite, comme le démontrent les deux décisions commentées, la validation des mesures querellées, qui s’opère par l’accumulation et l’articulation des tempéraments au caractère obligatoire ou automatique de la sanction, produit un système de bascule dans la constitutionnalité sophistiqué. Or, l’examen de la jurisprudence constitutionnelle afférente à la conformité des peines qui s’imposent au juge au principe d’individualisation, telle qu’elle est exposée dans le commentaire officiel, démontre que cette démarche n’échappe pas au byzantinisme. Cela conduit à douter qu’il soit encore satisfait à la sécurité juridique, voire à se demander si elle n’induit pas un risque non négligeable d’arbitraire.

Il serait, dès lors, plus satisfaisant que le Conseil constitutionnel se contente à l’avenir de consacrer le principe de l’individualisation des peines sans l’assortir d’un tempérament – d’autant qu’en considérant les choses avec quelque pragmatisme, on voit mal en quoi l’appréciation de la peine par le juge pénal, susceptible d’appel du parquet en cas d’insuffisance, pourrait menacer de manière générale l’effectivité de la répression des comportements délinquants graves…

Une telle interprétation serait d’autant plus satisfaisante que l’évolution récente des dispositions querellées dans les deux espèces oblige à constater que le Conseil cautionne, implicitement mais nécessairement, une orientation regrettable de la politique criminelle actuelle. En effet, si la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 a supprimé la peine « plancher » prévue à l’article 415 du Code des douanes, le législateur a décidé, malgré la recommandation par la Commission Cotte en 201527, après quelques tergiversations, de conserver la période automatique de sûreté (L. n° 2019-222, 23 mars 2019). Or, force est de constater que cette dernière ne concerne pas les délinquants d’affaires. De sorte que l’effet de ciseau qui affecte aujourd’hui le droit pénal, entre une répression toujours plus sévère de la délinquance ordinaire et un allègement constant de la sanction des délinquants économiques28, s’en trouve de facto renforcé – avec la bénédiction du Conseil constitutionnel.

Olivier CAHN

Décision n° 2018-737 QPC du 5 octobre 2018 : nationalité et discrimination entre hommes et femmes

Le 5 octobre 2018, le Conseil constitutionnel s’est prononcé relativement à une question portant sur la discrimination homme-femme quant à la transmission de la nationalité française à leurs enfants.

Cette question prioritaire de constitutionnalité, transmise par la Cour de cassation, portait sur les 1° et 3° de l’article 1er de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité. Le requérant reprochait à ces dispositions de réserver au seul père français la possibilité de transmettre la nationalité française à son enfant né à l’étranger. En effet, alors que le 1° de l’article susvisé mentionnait qu’est Français « tout enfant légitime né d’un Français en France ou à l’étranger », les dispositions du 3° du même article prévoyaient qu’est Français « tout enfant légitime né en France d’une mère française ».

Il faut souligner ici que la distinction contestée – et plus globalement ledit article 1er de la loi de 1927 – a été supprimée par l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 portant Code de la nationalité. Cette nouvelle règle s’est alors appliquée aux personnes nées avant l’ordonnance et encore mineures à la date de son entrée en vigueur.

Néanmoins, au cours de la procédure faisant suite à l’action déclaratoire de nationalité intentée par le requérant, la disposition discutée a été jugée applicable au litige en cours par la Cour de cassation et la QPC qualifiée de sérieuse.

Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel accepte de statuer sur des dispositions abrogées. Il se reconnaît notamment la possibilité d’intervenir dès lors que la modification ou l’abrogation ultérieure de la loi n’a pas fait disparaître l’atteinte aux droits ou aux libertés.

C’est ce dont il est question en l’espèce. Né en 1988 au Chili, le requérant est, par sa branche paternelle, arrière-petit-fils d’une Française installée au Chili et mariée à un Chilien en 1912. Il a sollicité la délivrance d’un certificat de nationalité française, soutenant que celle-ci lui aurait été transmise par son père lui-même français par filiation paternelle. L’administration lui a refusé cette délivrance au motif que son père n’était pas français, puisque la nationalité française de son grand-père paternel né en 1924 au Chili n’était pas établie (seule la qualité française de la mère de ce dernier l’étant, ce qui était insuffisant). L’administration s’est fondée sur la loi du 10 août 1927.

Le requérant a donc cherché à mettre en évidence la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi et du principe d’égalité entre les sexes, de manière à faire déclarer sa nationalité française.

Dans la continuité logique de la décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 201429, le Conseil constitutionnel reconnaît que les dispositions contestées instaurent une différence de traitement entre les enfants nés à l’étranger d’un seul parent français, selon qu’il s’agit de leur père ou de leur mère, ainsi qu’une différence de traitement entre les pères et mères.

Rappelant qu’il était impossible de retenir les motifs invoqués à l’époque de l’adoption de ces dispositions30 pour justifier les différences de traitement, le Conseil constitutionnel établit que les dispositions méconnaissent les exigences résultant de l’article 6 de la déclaration de 178931 et du troisième alinéa du préambule de la constitution de 194632. Les mots « en France » sont donc déclarés contraires à la constitution.

Encore fallait-il s’arrêter sur les effets à donner à cette déclaration d’inconstitutionnalité. Les dispositions contestées ayant été abrogées depuis 1945, leur censure ne pouvait avoir de portée que rétroactive.

La modulation des effets de la censure s’avérait essentielle, car la transmission de nationalité par filiation présente la particularité d’être perpétuelle. Une absence de tempérament aurait permis de remettre en cause des situations très anciennes, admettant que des personnes dépourvues de lien réel avec la France depuis longtemps puissent revendiquer la nationalité française. Pour éviter ces conséquences « manifestement excessives » au regard de la nécessaire stabilité des situations juridiques, le Conseil constitutionnel instaure donc des principes qui s’inspirent de sa décision précédente de 2014.

D’abord, la présente déclaration d’inconstitutionnalité ne peut être invoquée, dans les affaires nouvelles ou non jugées définitivement à la date de publication de la décision, que par les enfants nés à l’étranger d’une mère française sous l’empire de la loi du 10 août 1927 qui n’ont pas pu obtenir la nationalité française du fait des dispositions contestées. Encore mineures avant l’abrogation des dispositions par l’ordonnance de 1945, il s’agit donc des personnes nées entre le 16 août 1906 et le 21 octobre 1924. Si ces personnes vivent encore, elles ne sont assurément pas nombreuses et la portée de la décision est ainsi fort limitée. Ensuite, le Conseil constitutionnel ajoute que « leurs descendants peuvent également se prévaloir des décisions reconnaissant que, compte tenu de cette inconstitutionnalité, ces personnes ont la nationalité française ».

En l’espèce, né en 1924, le grand-père du requérant était donc concerné. Son descendant (arrière-petit-fils) pouvait donc se prévaloir d’une décision reconnaissant à son grand-père la nationalité française.

L’égalité quant au jus sanguinis est donc restaurée pour le passé, loin de la solution retenue quasi concomitamment quant au jus soli et les enfants de Mayotte d’aujourd’hui33

Cette décision, pour symbolique qu’elle puisse paraître, n’en est pas moins le rappel heureux que l’égalité des droits entre l’homme et la femme est aussi garante de l’égalité en droit de la famille, et notamment en droit de la filiation. Or, toute filiation, qu’elle soit paternelle ou maternelle, bâtit aussi la nation34.

Fabienne LABELLE

Décision n° 2018-740 QPC du 19 octobre 2018 : propriété et lotissement

Le lotissement est une technique d’aménagement du foncier définie à l’article L. 442-1 du Code de l’urbanisme35. Il permet à un propriétaire-lotisseur de diviser son terrain en plusieurs parcelles. Les terrains issus de la division, auxquels un droit à construire est attaché, sont ensuite vendus.

À l’origine, l’opération fut d’initiative purement privée et, à ce titre, régie par le seul droit civil. Parce qu’elle constituait toutefois une technique efficace d’aménagement dans un contexte de forte extension des villes, elle a fait l’objet d’une réglementation croissante destinée à maîtriser l’anarchie des développements urbains. Relevant à la fois du droit public et du droit privé, elle constitue aujourd’hui une opération d’aménagement sous contrôle de l’administration36 dans les conditions prévues par le Code de l’urbanisme.

Sa mise en œuvre suppose toutefois de concilier propriété privée et règles d’urbanisme. La nature hybride37 du lotissement permet ainsi de réussir une opération d’urbanisme tout en assurant la protection des acquéreurs. Cette particularité se reflète au travers du cadre construit pour les lotissements. En effet, s’ajoutant aux règles d’urbanisme de droit commun, plusieurs documents spécifiques et essentiels contribuent au bon fonctionnement du lotissement. Le règlement du lotissement et le cahier des charges du lotissement sont notamment essentiels.

Le règlement permet au lotisseur d’apporter des règles complémentaires aux règles d’urbanisme en vigueur, par exemple des règles architecturales ou paysagères. Il revêt un caractère réglementaire et se trouve opposable à l’administration et aux personnes privées. Le cahier des charges est élaboré par le lotisseur pour régir les rapports entre colotis et la gestion des parties communes. Il est ainsi remis à l’acquéreur et au preneur. Sa portée juridique est à la fois contractuelle et réglementaire lorsqu’il a été approuvé par l’administration. On notera à ce sujet que le Conseil d’État considère qu’un cahier des charges, même non approuvé, peut contenir des clauses de nature réglementaires38, susceptibles de modification par l’administration avec l’accord d’une majorité de colotis39. La Cour de cassation considère quant à elle que l’approbation du cahier des charges ne lui fait pas perdre le caractère contractuel entre les colotis de ses stipulations, même urbanistiques40. Souvent, ces documents ont été utilisés par les lotisseurs et les colotis pour contractualiser les règles d’urbanisme entre les colotis, portant notamment atteinte aux droits à construire.

La loi ALUR du 24 mars 2014, portant le dessein de favoriser l’accès au foncier dans les villes, a modéré les procédures de modification des documents du lotissement, de manière à éviter la paralysie foncière de lotissements dont les documents interdisaient de facto d’autres constructions ou subdivisions. Pour libérer ces parcelles constructibles dans un secteur déjà urbanisé et équipé, la procédure de modification des documents d’urbanisme, qui mettait en place un système de double majorité, a été assouplie. Recherchant une règle équilibrée entre le respect de la volonté collective des colotis, les intérêts particuliers de certains et l’intérêt général à densifier le tissu urbain existant, il a été procédé par abaissement de la majorité requise des colotis.

C’est précisément au sujet des conditions légales relatives aux modifications de ces documents du lotissement qu’est saisi le Conseil constitutionnel le 19 juillet 2018. La QPC porte sur l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, qui énonce que la modification peut porter sur « tout ou partie des documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé ».

Ainsi les requérants estimaient que le nouvel article permet une remise en cause plus aisée du cahier des charges du lotissement sans que cette faculté soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ni entourée de garanties protectrices des droits des propriétaires minoritaires. Les dispositions étaient donc contestées au motif qu’elles portaient une atteinte disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi, aux conditions d’exercice du droit de propriété et qu’elles méconnaissaient le droit au maintien des conventions légalement conclues, griefs tirés des articles 2, 4 et 16 de la déclaration de 1789.

La constitutionnalité du texte est toutefois affirmée, rejetant l’atteinte tant au droit de propriété qu’au droit au maintien des conventions légalement conclues.

Une réponse commune est apportée aux deux griefs dans cette décision n° 2018-470 QPC. Le Conseil constitutionnel reconnaît implicitement que les dispositions de l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme pourraient porter atteinte à ces droits, mais il juge que si ces atteintes étaient justifiées et non disproportionnées eu égard à l’objectif d’intérêt général poursuivi. Le Conseil constitutionnel considère d’abord que les dispositions contestées ont été adoptées pour faciliter l’évolution des règles des lotissements dans le respect de la politique publique d’urbanisme, ce qui constitue un objectif d’intérêt général (§ 7). Il relève ensuite les garanties apportées par le législateur pour limiter les atteintes aux droits. Il souligne que le champ d’application de l’article est circonscrit. Le deuxième alinéa de l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme exclut les modifications portant sur l’affectation des parties communes tandis que le premier alinéa n’autorise que les modifications portant sur les clauses comportant des règles d’urbanisme (§ 8). Il limite d’ailleurs les modifications aux clauses des cahiers des charges, qu’ils soient approuvés ou non. Sans être une lecture exégétique des dispositions, il s’agit là d’une référence évidente à l’économie du texte légal. Toute modification de clauses applicables aux seuls colotis est donc exclue. Le Conseil constitutionnel rappelle par ailleurs que les conditions de majorité requises sont protectrices, tandis que le juge administratif reste compétent pour contrôler a posteriori les arrêtés de modification (§ 9). L’accent est donc porté sur la limite des pouvoirs de l’autorité administrative qui ne peut « prononcer la modification que si elle est compatible avec la réglementation d’urbanisme applicable et que si elle poursuit un motif d’intérêt général en lien avec la politique publique d’urbanisme » (§ 10). Il relève de l’économie même de la loi que la modification ne saurait répondre à une finalité privée.

Finalement, la seule réserve formulée par le Conseil constitutionnel porte sur l’hypothèse où le cahier des charges modifié conduirait à l’adoption de dispositions plus restrictives des droits des colotis par rapport non seulement à l’ancien cahier des charges mais encore aux documents d’urbanisme. La réserve exprimée interdit donc que les modifications formulées puissent aggraver les contraintes sur les colotis. Sont donc seules autorisées les modifications ayant pour finalité l’assouplissement des règles d’urbanisme fixées au cahier des charges. Les modifications du cahier des charges par l’autorité administrative ne sauraient aller au-delà de ce qu’exigent les documents d’urbanisme.

La discussion, classique en la matière car essentiellement nourrie par le caractère hybride du cahier des charges, suscite donc une réponse toute en équilibre. Elle s’inscrit dans la lignée des réponses déjà formulées s’agissant de la loi ALUR41. Cette fois, le Conseil constitutionnel confirme la validité des dispositions, mais met en garde quant à leur mise en œuvre. La réserve de constitutionnalité formulée n’autorise désormais les minoritaires à contester un arrêté modificatif du cahier des charges qu’en se fondant sur l’aggravation de leurs droits par rapport aux documents d’urbanisme.

Fabienne LABELLE

Décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018 : l’inaltérable inaliénabilité…

Le principe d’inaliénabilité du domaine public, qui synthétise à lui seul toute l’exorbitance de son régime, a-t-il fait son temps ? C’est, malgré son apparente naïveté, la question, jugée sérieuse, posée au Conseil constitutionnel dans cette affaire concernant un fragment – « le fragment à l’Aigle » – du jubé de la cathédrale de Chartres.

La décision ici commentée est, d’abord, l’épilogue d’une véritable saga contentieuse remarquée dans le monde feutré du marché de l’art et des antiquaires. Épilogue, pas exactement, car, depuis, la Cour de cassation, qui avait posé la QPC ici jugée, est venue formellement clôturer la présente instance relative à l’action en revendication exercée par l’État en 2003, à la suite d’une demande de certificat d’exportation déposée par la société Brimo de Laroussilhe, qui avait acquis le fragment de bonne foi en 200242. La Cour de cassation a en outre écarté le moyen tiré d’une méconnaissance du droit au respect des biens protégé par l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH. Parallèlement, la cour administrative d’appel de Paris a également confirmé l’appartenance au domaine public du fragment en cause pour valider le refus de délivrer le certificat d’exportation43.

Les juridictions civiles et administratives ont toutes deux conclu à l’appartenance du « fragment à l’Aigle » au domaine public en se fondant sur une expertise qui a considéré comme fortement probable la présence dans la cathédrale de ce bien, jusqu’au milieu du XIXe siècle, à une époque où celle-ci appartenait au domaine public de l’État. Seul était en cause, ici, le régime des biens relevant du domaine public, prévu à l’article L. 3111-1 du CGPPP, qui permet à l’État d’exercer perpétuellement à leur égard une action en revendication. La question était donc la suivante : « Les dispositions de l’article L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, en ce qu’elles ne prévoient pas de dérogation pour les meubles corporels acquis de bonne foi, méconnaissent-elles les droits et libertés garantis par les articles 4 et 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ? », à savoir la protection des situations légalement acquises et des conventions légalement conclues.

Tout d’abord, notons l’effort du Conseil constitutionnel qui, de manière inhabituellement pédagogique, a fortiori dans une décision QPC, prend la peine de donner la définition de chacun de ces deux principes : « L’inaliénabilité prévue par les dispositions contestées a pour conséquence d’interdire de se défaire d’un bien du domaine public, de manière volontaire ou non, à titre onéreux ou gratuit. L’imprescriptibilité fait obstacle, en outre, à ce qu’une personne publique puisse être dépossédée d’un bien de son domaine public du seul fait de sa détention prolongée par un tiers ».

Ces principes, ensuite, et c’est là tout l’intérêt de la décision, sont jugés conformes aux droits et libertés garantis par la constitution, même à l’égard de potentiels détenteurs de bonne foi qui pourraient se voir dépossédés par l’État, à toute époque et sans indemnisation. L’affirmation est inédite. Elle ne surprend guère. Sa motivation, lacunaire pour ne pas dire fantomatique, interroge un peu plus. Le Conseil se borne à affirmer qu’« aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers » et qu’« un bien ne peut faire l’objet d’une prescription acquisitive en application de l’article 2276 du Code civil, au profit de ses possesseurs successifs, même de bonne foi » – c’est-à-dire à paraphraser les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité – pour en déduire que, « dès lors », les dispositions contestées sont conformes aux droits et libertés garantis par la constitution. La motivation est purement tautologique et péremptoire. C’est parce qu’il ne peut y avoir de droit de propriété privée des tiers ni de prescription acquisitive sur le domaine public qu’il ne saurait y avoir de situation légalement acquise. Dans ces conditions, ce sont les principes en cause eux-mêmes qui, sans autre forme d’analyse, fondent leur propre conformité à la constitution : c’est parce que le domaine public est inaliénable que le principe d’inaliénabilité est conforme à la constitution… Quand bien même on approuverait la solution, on ne peut que constater, et déplorer, l’absence totale de démonstration.

Une telle rapidité dans le raisonnement surprend d’autant plus que la solution vaut aussi bien pour le domaine public mobilier qu’immobilier et, ce faisant, s’abstient de répondre au cœur de l’argument des requérants qui, invoquant la possession de bonne foi, invitaient à se prononcer tout spécialement sur le domaine public mobilier.

On présente classiquement le principe d’inaliénabilité comme un moyen de protéger, non pas le propriétaire ou le bien lui-même, mais son affectation. Ainsi, dans l’hypothèse où le propriétaire souhaiterait vendre, il lui suffit de décider de désaffecter son bien, si bien que la contrainte est, d’abord, procédurale. Le propriétaire a toujours la faculté de s’en défaire, s’il le veut (la désaffectation ne résultant que de la volonté de ne pas utiliser un bien, expression de l’usus), et ouvrir ainsi la voie au déclassement. Toutefois, s’agissant du domaine public mobilier, l’article L. 2112-1 du CGPPP dispose que font partie du domaine public mobilier les biens « présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». L’appartenance d’un bien à cette catégorie résulte, pour l’essentiel, des caractéristiques inhérentes au bien meuble lui-même, et aucunement (ou très indirectement) de la volonté de la personne publique propriétaire qui déciderait de l’affecter à une utilité publique. Pourtant, une fois entré dans la catégorie, le bien devient inaliénable et imprescriptible, quand bien même il aurait subi, à défaut de désaffectation, la désaffection de la personne publique qui aurait pu, sans conséquence, l’abandonner à la sphère privée pendant des décennies. Il y a là, selon nous, une véritable différence entre le domaine public mobilier et le domaine immobilier, puisqu’il est plus difficile, si ce n’est impossible, de faire sortir un bien mobilier du domaine public !

On s’étonnera d’autant plus du silence du Conseil constitutionnel sur le caractère mobilier des biens du domaine public que, s’agissant du cas d’espèce, on l’a dit, le rattachement au domaine public du « fragment à l’Aigle » n’a paradoxalement pas été opéré au regard de ses qualités intrinsèques – indubitablement exceptionnelles ! – mais par une forme d’assimilation à l’immeuble dans lequel il avait vocation à être, à savoir la cathédrale de Chartres. C’est en effet la domanialité publique de la cathédrale, en présence du fragment, qui semble justifier la domanialité publique de ce dernier. Cela ressemble à une forme de domanialité publique par destination. On pourrait alors envisager que la constitutionnalité du régime d’inaliénabilité du domaine public mobilier puisse être interrogée à nouveau, en s’attaquant non pas à l’inaliénabilité en tant que telle, mais aux critères de définition du domaine public mobilier, qui, par leur imprécision et leur absence de rattachement, direct ou indirect, à l’idée d’affectation – et donc à la volonté du propriétaire – permettent l’application du régime exorbitant de la domanialité publique dans des conditions incompatibles avec les exigences de la sécurité juridique et de la garantie des droits… En réalité, c’est plutôt du côté de la CEDH, plus sensible à la prise en compte de la bonne foi et des « espérances légitimes » du possesseur, qu’il faudrait se tourner, non pour parvenir à une censure radicale de ces principes – fort heureusement inenvisageable – mais pour ouvrir la voie à une appréhension casuistique de ses conséquences, pesant l’intensité de l’espérance, et susceptible de la traduire en termes indemnitaires.

Benjamin DEFOORT

Décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 : l’administrophobie, « ça eut payé »

On ne souligne pas assez la contribution apportée par les anciens titulaires de maroquins de Bercy à la lutte contre la fraude fiscale. Après l’écot protéiforme versé par Jérôme Cahuzac, Thomas Thévenoud apporte sa quote-part à la définition des conditions du cumul des poursuites pénale et fiscale.

Il est vrai qu’après l’arrêt de la CEDH, dans l’affaire Grande Stevens44, et la décision subséquente du Conseil constitutionnel du 18 mars 201545, les délinquants économiques et financiers se sont pris à rêver d’une soustraction au juge pénal par le jeu combiné de la plus grande rapidité d’action des administrations ou autres AAI et du principe non bis in idem. Mais, depuis lors, tant la CEDH46 que les sages de la rue de Montpensier47 se sont employés à corriger ce « moment libéral » pour restaurer la puissance répressive conjuguée des autorités administratives et pénales. La décision n° 2018-745 QPC en est une nouvelle illustration et confirme les interprétations énoncées en 2016.

Le Conseil constitutionnel était appelé à se prononcer sur les conditions du cumul, en cas d’omission déclarative volontaire, de la sanction fiscale consistant dans une majoration des droits (CGI, art. 1728, 1) et de la sanction pénale de la fraude (CGI, art. 1741). Le couple requérant soutenait que « le fait qu’une même omission déclarative puisse faire l’objet, à la fois, des poursuites administratives et pénales prévues par les dispositions précitées (…) méconnaîtrait les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines » ; faisait valoir, « sur le fondement de la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel [dans] ses décisions n° 2016-545 QPC et 2016-546 QPC (…), que l’omission déclarative en matière fiscale ne présenterait pas le degré de gravité susceptible de justifier le cumul de ces deux poursuites » ; et arguait enfin que, « faute d’avoir défini des critères objectifs relatifs à la gravité des omissions déclaratives, le législateur aurait également violé le principe de légalité des délits et des peines ».

Après avoir rappelé que les principes énoncés à l’article 8 de la déclaration de 1789 « ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition » et les points saillants de ses décisions de 2016, à savoir que le principe de nécessité des délits et des peines ne s’oppose pas au cumul de poursuites aux fins de sanctions administrative et pénale, sous réserve du respect du principe de proportionnalité qui interdit que « le montant global des sanctions (…) prononcées » dépasse « le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues », le Conseil examine la constitutionnalité de chacune des dispositions contestées puis de leur combinaison (§ 6 et 7). S’agissant de l’article 1728 du CGI, il écarte toute atteinte au principe de proportionnalité et de nécessité des peines au motif que « la nature [des] sanctions financières est directement liée à celle de ces infractions réprimées » (§ 8 et 9). Relevons qu’il confirme ainsi le caractère de « punition » des majorations48. Les dispositions de l’article 1741 du CGI, qui incriminent la fraude fiscale, sont jugées conformes à l’exigence de proportionnalité des peines mais, s’agissant du principe de nécessité, les sages rappellent leur réserve d’interprétation selon laquelle « un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale » (§ 10 et 11), confirmant en cette matière la « primauté » de l’administratif sur le pénal49.

S’agissant de l’application combinée des dispositions querellées, le Conseil, comme en 2016, excipe de l’article 13 de la déclaration de 1789 l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale. Il précise alors que les dispositions de l’article 1728 ont pour vocation d’assurer « le bon fonctionnement du système fiscal » tandis que celles de l’article 1741 « répriment l’omission frauduleuse de déclaration » et « visent ainsi à garantir l’accomplissement volontaire par les contribuables de leurs obligations fiscales », donnant aux « poursuites engagées sur le fondement de [cette disposition] un caractère public qui leur confère une exemplarité et une portée dissuasive supplémentaire pour l’ensemble des personnes susceptibles de manquer frauduleusement à leurs obligations fiscales » tout en permettant « également de recouvrer la contribution commune ». Il en résulte que « les dispositions contestées (…) permettent d’assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l’État ainsi que l’égalité devant l’impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive ». Le Conseil constitutionnel valide, en conséquence, le cumul des sanctions en affirmant, d’une part, que « le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l’engagement de procédures complémentaires [fiscale et pénale] dans les cas de fraudes les plus graves »50 et, d’autre part, que « le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l’engagement de procédures conduisant à l’application de plusieurs sanctions afin d’assurer une répression effective des infractions ». Comme en 2016, il formule toutefois une deuxième réserve d’interprétation en rappelant que ce principe « impose néanmoins que les dispositions de l’article 1741 ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves d’omission déclarative frauduleuse ». Répondant aux critiques d’une partie de la doctrine51, le Conseil précise que « cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention », ce qui répond au principal argument des requérants, qui estimaient que l’omission déclarative, même volontaire, n’accédait pas au degré de gravité requis pour justifier le cumul de poursuites. Il conclut que « la combinaison des exigences constitutionnelles découlant de l’article 8 de la déclaration de 1789 et de celles découlant de son article 13 permet que (…) les contribuables auteurs des manquements les plus graves puissent faire l’objet de procédures complémentaires et de sanctions proportionnées en application des dispositions contestées de l’article 1728 et de l’article 1741 » (§ 14 à 20). Enfin, le Conseil constitutionnel réitère la troisième réserve d’interprétation formulée dans les décisions de 2016 : si l’application combinée des dispositions querellées ne constitue pas une atteinte au principe non bis in idem, les autorités doivent néanmoins veiller, lorsqu’elles engagent cumulativement des procédures fiscale et pénale, au respect du principe de proportionnalité qui « implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » (§ 21 et 22).

Cette répétition à l’identique des décisions de 2016 devrait conduire, à l’avenir, les hautes juridictions administrative et judiciaire à se montrer particulièrement exigeantes lorsqu’elles seront requises de transmettre une QPC portant sur le cumul de sanctions administrative et pénale.

Olivier CAHN

B – Les QPC transmises par le Conseil d’État

Les trois quarts des 12 décisions issues d’une transmission par le Conseil d’État concernent le régime des prélèvements obligatoires, les autres étant relatives à la reconduite à la frontière, au droit de l’urbanisme ou au droit des collectivités locales ; à cet égard, notons que l’inopérance du principe de l’interdiction de toute tutelle d’une collectivité sur une autre, dans la décision n° 2018-734 QPC du 27 septembre 2018 (§ 9), peut surprendre, car, ou bien le raisonnement du Conseil constitutionnel est formaliste – la compétence relevant d’un établissement public, Paris La Défense, l’interdiction de la tutelle serait par hypothèse hors-sujet – mais alors le juge risque la cécité, ou bien le raisonnement est matériel mais alors l’inopérance est une pétition de principe : il est assez étonnant, en matière de tutelle, de ne pas penser en termes de filialisation ou de transparence (ou, justement, d’opacité)… On privilégiera ici les décisions n° 2018-752 QPC et, dans une moindre mesure, n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018, relatives à la fiscalité locale.

Décision n° 2018-752 QPC du 7 décembre 2018 : fiscalité locale

La décision n° 2018-752 QPC du 7 décembre 2018, Fondation Ildys, a été l’occasion pour le Conseil constitutionnel de cristalliser un peu plus encore sa jurisprudence classique s’agissant des différences de traitement opérées par le législateur en matière fiscale à travers ici la question du champ de l’exonération de la taxe d’habitation.

Conformément à l’article 1407, II, du Code général des impôts (CGI), les locaux passibles de la cotisation foncière des entreprises ne faisant pas partie de l’habitation personnelle des contribuables sont exonérés de plein droit de la taxe d’habitation, au même titre que les bâtiments servant aux exploitations rurales, les locaux destinés au logement des élèves dans les écoles et pensionnats, les bureaux des fonctionnaires publics et les locaux affectés au logement des étudiants dans les résidences universitaires dès lors que la gestion de ces locaux est assurée par un centre régional des œuvres universitaires et scolaires ou par un organisme en subordonnant la disposition à des conditions financières et d’occupation analogues. Par ailleurs, dans les zones de revitalisation rurale, les communes peuvent, par le jeu d’une délibération de portée générale, exonérer les locaux classés meublés de tourisme et les chambres d’hôtel dans les conditions respectivement mentionnées aux articles L. 324-1 et L. 324-3 du Code du tourisme52. De la même manière, l’article 1408, II, du même code prévoit une exonération en faveur des habitants reconnus indigents par la commission communale des impôts directs, d’accord avec l’agent de l’administration fiscale, et, sous un certain nombre de limites et conditions, pour les ambassadeurs et les agents diplomatiques de nationalité étrangère dans la commune de leur résidence officielle53. Il en va de même depuis l’ordonnance du 7 janvier 195954, des établissements publics scientifiques, d’enseignement et d’assistance, auxquels ont été ajoutés par la loi de finances rectificative pour 200555 ceux visés aux articles 12 et 13 de la loi modifiée du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale56.

C’est précisément à l’encontre de cette dernière disposition que la Fondation Ildys souleva une QPC à l’appui d’une demande, via la production d’un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Rennes le 8 mars 2018, tendant à la décharger des cotisations de taxe d’habitation auxquelles elle fut assujettie au titre des années 2015 et 2016. Reconnue d’utilité publique et organisée sous le statut d’établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) certifié par la Haute autorité de santé, la Fondation requérante, qui œuvrait notamment dans les secteurs sanitaire, social et médico-social, soutenait que, en exonérant les seuls établissements publics d’assistance au détriment des établissements privés à but non lucratif assurant les mêmes missions, l’article 1408, II, 1°, du CGI méconnaissait les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Le Conseil constitutionnel estime en l’espèce que, faute de précision sur ce point tant par la décision de renvoi que par le mémoire de la société requérante, il y a lieu de se prononcer sur les dispositions législatives en cause telles qu’elles étaient applicables au moment de la survenance du litige, c’est-à-dire dans leur version issue de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement57. Il conclut également que, compte tenu des griefs formulés par la société Ildys, la question prioritaire de constitutionnalité porte uniquement sur les mots « et d’assistance » figurant au 1° du paragraphe II de l’article 1408 du GCI. Le Conseil constitutionnel rejette alors sans surprise l’intervention de la Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif au motif que celle-ci ne justifie pas d’un intérêt spécial à agir, contrairement à ce que prescrit le règlement du 4 février 2010. Si ladite Fédération faisait en effet valoir qu’elle rassemblait des établissements privés d’enseignement supérieur à but non lucratif exclus du bénéfice de l’exonération de taxe prévue par les dispositions législatives contestées, son intervention devait être regardée comme dépourvue de tout grief à l’encontre de celles-ci dans la mesure où cette exclusion n’était en l’espèce appelée à être appréciée dans le cadre de la QPC qu’en ce qui ce concerne les seuls établissements privés d’assistance.

S’agissant de la prétendue méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques par l’article 1408, II, 1°, du CGI exonérant de la taxe d’habitation les seuls établissements publics d’assistance au détriment des structures privées intervenant dans le même secteur, le Conseil constitutionnel fait une application fidèle de sa jurisprudence traditionnelle. Il réaffirme tout d’abord que le principe d’égalité devant la loi issu de l’article 6 de la déclaration de 1789 ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Il rappelle ensuite que, en vertu de l’article 34 de la constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. Son appréciation doit être fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose et ne pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques garantie en son article 13 par la déclaration de 1789. S’il relève ainsi que les dispositions incriminées instituent bien une différence de traitement entre les établissements publics d’assistance, exonérés de taxe d’habitation, et les établissements privés d’assistance à but non lucratif, assujettis à un tel impôt, il n’en considère pas moins, selon une formule déjà éprouvée par le passé, que « les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques n’imposent pas que les personnes privées soient soumises à des règles d’assujettissement à l’impôt identiques à celles qui s’appliquent aux personnes morales de droit public »58. Il en conclut par conséquent que, en instituant une exonération de taxe d’habitation au profit des seuls établissements publics d’assistance, sans l’étendre aux établissements privés du même secteur, le législateur a pu traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes. Cette différence de situation étant jugée en rapport avec l’objet de la loi et fondée sur des critères objectifs et rationnels, le Conseil constitutionnel écarte les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques et déclare conformes à la constitution les termes « et d’assistance » figurant au 1° du paragraphe II de l’article 1408 du CGI. Par-delà la fidélité de la présente décision à la jurisprudence classique du Conseil constitutionnel sur le principe d’égalité en matière fiscale, c’est sans doute l’absence d’explicitation (pour ne pas dire de motivation) de la solution retenue en l’espèce qui interpelle.

Si le juge n’apporte ainsi aucune précision concrète sur la différence de situation existante entre les établissements publics et ceux privés d’assistance, c’est sans doute en raison de l’évidence de celle-ci, ne serait-ce que sur le plan statutaire. Plus gênant cependant, il demeure pour le moins évasif (car totalement silencieux) sur l’objet de la loi litigieuse en considération duquel le législateur a institué une différence de traitement exclusivement fondée sur un critère organique et d’autant plus lourde de conséquences financières pour les structures non bénéficiaires de l’exonération de taxe d’habitation que ces dernières sont dépourvues de tout objet lucratif. Ces « déficiences de motivation »59 contrastent nettement avec la décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018, dans laquelle le Conseil constitutionnel a été conduit à apprécier la constitutionnalité de l’article 1449, 2°, du CGI qui, outre les grands ports maritimes et les ports autonomes, exonérait de la cotisation foncière des entreprises les collectivités territoriales, les établissements publics et les sociétés d’économie mixte gestionnaires d’un port autre que de plaisance. Il a considéré que par cette exonération, telle que prévue originellement par la loi du 27 juillet 1975 au bénéfice des mêmes gestionnaires de ports s’agissant de la taxe professionnelle, le législateur avait entendu favoriser l’investissement public dans les infrastructures portuaires et, ainsi, poursuivi un objectif d’intérêt général. Par conséquent, en excluant du bénéfice de l’exonération les sociétés autres que les sociétés d’économie mixte, dont le capital est privé contrairement à celui de ces dernières, majoritairement public, ledit législateur s’était fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi. Cependant, la référence par les dispositions législatives en cause aux seules sociétés d’économie mixte en dehors des collectivités territoriales et des établissements publics avait pour effet d’exclure d’autres sociétés qui, bien que dépourvues du statut de sociétés d’économie mixte, étaient susceptibles de gérer un port et de voir leur capital être significativement, voire totalement détenu par des personnes publiques. Tel était notamment le cas des sociétés publiques locales dont l’exclusion du bénéfice de l’exonération de cotisation foncière des entreprises a été jugée comme une méconnaissance des principes d’égalité de la loi et devant les charges publiques compte tenu de l’objectif susmentionné que le législateur s’était assigné. C’est pourquoi, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la constitution les termes « ou des sociétés d’économie mixte » de l’article 1449, 2°, du CGI à l’opposé du reste de cette dernière disposition. Répondant à un véritable « impératif de cohérence juridique »60, la présente décision a ainsi sanctionné l’inexacte délimitation législative du champ de l’exonération de cotisation foncière des entreprises au titre de la gestion des ports autres que de plaisance, champ que le législateur aurait dû soit resserrer autour de la seule catégorie des personnes morales de droit public avec ici les collectivités territoriales et les établissements publics, soit ouvrir également à l’ensemble des sociétés privées dotées d’un capital majoritairement ou exclusivement public.

Patrick MOZOL

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 11 déc. 2018, n° 18-80872.
  • 2.
    Cf. Tellier-Cayrol V., « Le majeur protégé placé en garde à vue, encore un effort … (à propos de l’article 48 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019) », D. 2019, p. 1241 ; Adde Pellé S., « Garde à vue et audition libre : une réforme d’ajustement », Lexbase pénal n° 16, 16 mai 2019.
  • 3.
    Cf. Cass. crim., 11 déc. 2018, n° 18-80872.
  • 4.
    Passons sur l’hypocrisie de l’anonymisation des décisions écrites.
  • 5.
    Elle avait déposé une seconde QPC portant sur l’article 154 du Code de procédure pénale ; la chambre criminelle l’a déclarée irrecevable : Cass. crim., 30 oct. 2018, n° 18-83360.
  • 6.
    Cons. const., 29 août 2002, n° 2002-461 DC : D. 2003, p. 1127, obs. Domingo L. et Nicot S. ; RFDC 2003, p. 363, obs. Pena-Gaïa A. ; RSC 2003, p. 606, obs. Bück V. ; RDP 2002, p. 1731, obs. Roux J.
  • 7.
    Cf. Mathonnet P., « La QPC en matière pénale dispose-t-elle encore d’un effet utile ? », AJ pénal 2018, p. 394.
  • 8.
    Lasserre Capdeville J., note sous Cons. const., 16 nov. 2018, n° 2018-744 QPC : AJ pénal 2019, p. 99.
  • 9.
    Cass. crim., 19 févr. 2019, n° 18-83360 : D. 2019, p. 868, note Pellé S.
  • 10.
    Cf. Lazerges C., « Les limites de la constitutionnalisation du droit pénal des mineurs », Archives de politique criminelle 2008/1, n° 30, p. 5 et « La mutation du modèle protectionniste de justice des mineurs », RSC 2008, p. 200.
  • 11.
    Cf. Cons. const., 8 févr. 2019, n° 2018-762 QPC et le nouvel article 3-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ; Bonfils P., « Loi de programmation et de réforme de la justice. Droit pénal des mineurs et de la famille », Dr. famille 2019, dossier 17 et Gebler L., « Dispositions pénales relatives aux mineurs », AJ fam. 2019, p. 264.
  • 12.
    Cons. const., 21 mars 2019, n° 2008-768 QPC : D. 2019, p. 742, note Parinet P. Adde Fulchiron H., « La constitutionnalisation de l’intérêt supérieur de l’enfant », D. 2019, p. 709 ; Catto M.-X., « L’intérêt supérieur de l’enfant, exigence constitutionnelle opératoire ? », Gaz. Pal. 21 mai 2019, n° 351p9, p. 26.
  • 13.
    Dans les deux affaires, les requérants soulevaient aussi la contrariété des dispositions querellées au principe de nécessité des peines mais le Conseil constitutionnel écarte chaque fois l’argument avec l’efficacité sibylline qui caractérise sa jurisprudence afférente à ce principe (cf. Cahn O. et Parrot K. (dir.), Le principe de nécessité en droit pénal. Actes de la Journée d’Études Radicales, 2013, Lextenso, LEJEP), n’appelant, dès lors, pas de commentaire.
  • 14.
    Cons. const., 9 août 2007, n° 2007-554 DC : RSC 1998, p. 133, obs. de Lamy B.
  • 15.
    Detraz S., « Délit de blanchiment douanier : constitutionnalité d’une peine plancher d’emprisonnement », Gaz. Pal. 30 oct. 2018, n° 333k3, p. 34.
  • 16.
    C. pén., art. 132-17 et C. douanes, art. 369.
  • 17.
    Le Conseil constitutionnel ne s’estimant saisi que du terme de phrase « 2 ans à », qui se rapporte nécessairement à l’emprisonnement, en visant cumulativement les dispositions du Code pénal et du Code des douanes, il insinue que le juge dispose d’un double fondement pour dispenser le prévenu de la peine d’emprisonnement – ce qui renforce la solution de conformité au principe d’individualisation.
  • 18.
    Cons. const., 22 nov. 1978, n° 78-98 DC.
  • 19.
    Peltier V., « Conformité de la période de sûreté de plein droit au principe d’individualisation de la peine », Dr. pén. 2018, comm. n° 219.
  • 20.
    Cons. const., 10 juin 2010, n° 2010-6/7 QPC ; Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2012-211 QPC ; Cons. const., 3 févr. 2012, n° 2011-218 QPC ; Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC.
  • 21.
    Pour un précédent : Cons. const., 9 août 2007, n° 2007-554 DC.
  • 22.
    Qui, si elle est d’une durée inférieure à 10 ans, n’entraîne pas a priori de période de sûreté.
  • 23.
    Cons. const., 10 déc. 2010, n° 2010-72/75/82 QPC ; Cons. const., 29 sept. 2010, n° 2010-40 QPC ; Cons. const., 28 juin 2013, n° 2013-329 QPC et Cons. const., 16 oct. 2015, n° 2015-493 QPC (cités par Peltier V., « Conformité de la période de sûreté de plein droit au principe d’individualisation de la peine », Dr. pén. 2018, préc., note 104) ; v. aussi sur Cons. const., 29 sept. 2010, n° 2010-40 QPC : AJ pénal 2010, p. 501, obs. Perrier J.-B. et RSC 2011, p. 182, obs. de Lamy B. et Cons. const., 1er juin 2018, n° 2018-710 QPC : RSC 2018, p. 675, obs. Mayaud Y.
  • 24.
    Par exemple, Cons. const., 23 sept. 2016, n° 2016-567/568 QPC ; Cons. const., 9 juin 2017, n° 2017-635 QPC ; cf. Champeil-Desplats V., « L’état d’urgence devant le Conseil constitutionnel. De la neutralisation des effets aux effets de légitimation », in CREDOF, Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence. Rapport intermédiaire de recherche, Convention n° 2016 DDD/CREDOF sept. 2017, p. 41.
  • 25.
    Ce que confirme le commentaire publié par le Conseil constitutionnel, qui insiste sur le fait que le Conseil « a estimé qu’il convenait plutôt d’apprécier si, eu égard à l’ensemble des dispositions susceptibles d’être appliquées par le juge, quelle que soit leur nature, celui-ci conservait une marge d’appréciation suffisante pour individualiser la peine ».
  • 26.
    Que n’ignore pas le Conseil constitutionnel ; cf. Troper M., « Le réalisme et le juge constitutionnel », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 22, 2007.
  • 27.
    Commission de réflexion sur la refonte du droit des peines, « Pour une refonte du droit des peines », 2015, ministère de la Justice, p. 87.
  • 28.
    Stasiak F., « L’éviction du juge pénal en matière économique et financière », Archives de politique criminelle 2017/1, n° 39, p. 9-21 ; Cahn O., « La politique criminelle de la lutte contre la corruption en France ou la théorie du chapon », in Mélanges en l’honneur du Professeur C. Lazerges, 2014, Dalloz, p. 497-522.
  • 29.
    D. 2014, p. 459, note Laffaille F. ; D. 2015, p. 450, obs. Boskovic O. et a. ; Rev. crit. DIP 2014, p. 329, note Lagarde P. Il s’agissait alors d’une discrimination homme-femme quant aux conditions de perte de la nationalité française par acquisition d’une nationalité étrangère.
  • 30.
    Les motifs possibles concernaient le respect de règles sur la conscription d’une part et un évitement de conflits de nationalité d’autre part.
  • 31.
    La loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».
  • 32.
    « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».
  • 33.
    Cf. Cons. const., 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC.
  • 34.
    Cf. Leroyer A.-M., « L’égalité entre les hommes et les femmes au prisme de la nationalité », RTD civ. 2019, p. 82.
  • 35.
    Un lotissement consiste en « la division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis ».
  • 36.
    Le lotissement fait l’objet d’une autorisation par la personne publique ou d’une déclaration préalable selon les cas (C. urb., art. L. 442-2 et C. urb., art. L. 442-3).
  • 37.
    Masson-Daum C., « Lotissements : évolution ou stabilité ? », RDI 2000, p. 1.
  • 38.
    La clause de nature réglementaire s’entend comme celle qui, par son contenu matériel, est susceptible de figurer dans un document d’urbanisme. Rép. min. n° 56400 : JOAN, 16 sept. 2014, p. 7866. Pour un contre-exemple, s’agissant d’une clause relative à la hauteur des haies d’un lotissement, v. Cass. 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-21081.
  • 39.
    CE, 10 mars 1989, n° 70070, Cne de Reichstett.
  • 40.
    Cass. 3e civ., 30 juin 1993, n° 90-19672 et après la loi ALUR, Cass. 3e civ., 13 oct. 2016, n° 15-23674 pour un cahier des charges approuvé.
  • 41.
    Cons. const., 20 mars 2014, n° 2014-691 DC, loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, § 23 et 40. Ainsi, il a validé l’essentiel du mécanisme d’encadrement des loyers et il a rappelé ne pas être en devoir d’apprécier l’opportunité des modalités retenues par la loi pour parvenir à ses objectifs. En revanche, il a censuré un dispositif permettant à l’assemblée générale des copropriétaires de donner son accord préalable à tout changement d’usage d’un logement. Dans la lignée des décisions liées aux locations de courte durée type Airbnb, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il était porté une atteinte disproportionnée aux droits de chacun des copropriétaires.
  • 42.
    Cass. 1re civ., 13 févr. 2009, n° 18-13748.
  • 43.
    CAA Paris, 29 janv. 2019, n° 19PA02928.
  • 44.
    CEDH, GC, 4 mars 2014, n° 18640/10, Grande Stevens et ors. c/ Italie.
  • 45.
    Cons. const., 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et n° 2015-462 QPC.
  • 46.
    CEDH, GC, 15 nov. 2016, nos 24130/11 et 29758/11, A. et B. c/ Norvège ; CEDH, 18 mai 2017, n° 22007/11, Johanesson et a. c/ Islande et CEDH, 6 avr. 2019, n° 72098/14, Bjarni Àrmannson c/ Islande.
  • 47.
    Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC et Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC.
  • 48.
    Au demeurant, depuis sa décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982, le Conseil constitutionnel assimile les sanctions fiscales aux sanctions administratives et leur applique le régime constitutionnel applicable à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
  • 49.
    Mayaud Y., note sous Cons. const., 24 juin 2016, nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC : JCP E 2016, 1595 ; Robert J.-H., « Lutte contre la phobie administrative », Dr. pén. 2019, comm. n° 11.
  • 50.
    La référence à la notion de « procédures complémentaires » correspond à celle adoptée par la CEDH dans l’arrêt A. et B. contre Norvège (précité), ce qui confirme l’inutilité en l’espèce de la saisine pour avis de cette juridiction.
  • 51.
    Collet M. et Collin P., « Le cumul de sanctions pénale et fiscale face aux exigences constitutionnelles et européennes », JCP G 2016, 847.
  • 52.
    CGI, art. 1407, III.
  • 53.
    Ici uniquement pour cette résidence et sous réserve que les pays respectivement représentés par ces différents agents concèdent des avantages analogues aux ambassadeurs et aux agents diplomatiques français.
  • 54.
    Ord. n° 59-108, 7 janv. 1959, portant réforme des impositions perçues au profit des collectivités locales et de divers organismes, art. 8 : JO, 9 janv. 1959, p. 622.
  • 55.
    L. n° 2005-1720, 30 déc. 2005, de finances rectificative pour 2005, art. 67 : JO, 31 déc. 2005, p. 20654.
  • 56.
    Il s’agit ici du CNFPT et des centres de gestion de la fonction publique territoriale.
  • 57.
    L. n° 2006-872, 13 juill. 2006, portant engagement national pour le logement : JO, 16 juill. 2006, p. 16662.
  • 58.
    V. en ce sens Cons. const., 14 nov. 2014, n° 2014-425 QPC.
  • 59.
    Gicquel J.-E., « L’absence de rupture d’égalité fiscale entre personnes publiques et privées dans le domaine de l’assistance », note sous Cons. const., 7 déc. 2018, n° 2018-752 QPC : JCP G 2019, 5.
  • 60.
    Peset F., « Janus à bon port. Réflexions sur les apports du principe d’égalité aux évolutions du régime fiscal des ports », note sous Cons. const., 21 sept. 2018, n° 2018-733 QPC : Dr. fisc. 2018, comm. 492.
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