Expressions pluralistes des opinions et campagne officielle pour les élections législatives

Publié le 15/06/2017

La contestation de la répartition des durées des émissions officielles de la campagne pour les élections législatives a donné l’occasion au parti En Marche de remettre en cause l’exclusivité du critère tiré de la représentation d’un parti par un groupe parlementaire préexistant. Si la décision du Conseil constitutionnel aboutit à corriger un résultat « manifestement » hors de proportion avec la participation de ces partis à la vie démocratique de la nation et à donner au « parti du président » – et à ses principaux adversaires – une place plus conforme aux derniers résultats électoraux, elle conduit à dégager de nouveaux critères, par nature plus fragiles, et accroît la logique selon laquelle les élections législatives sont dépendantes de l’élection présidentielle. Le pluralisme ne saurait aboutir ni à une prime aux sortants, désormais modulée, ni à une prime aux vainqueurs.

CE, 29 mai 2017, no 410833

Cons. const., 31 mai 2017, no 2017–631 QPC, Association En marche ! [Durée des émissions de la campagne électorale en vue des élections législatives]

CSA, déc., 1er juin 2017, no 2017-277

Le caractère largement inédit des conditions de l’élection d’Emmanuel Macron a été amplement souligné, pour ses éléments les plus médiatisés et les plus novateurs. Parmi ceux-ci, la création d’un mouvement politique de soutien spécifiquement construit en vue de l’élection est une originalité sans précédent sous la VRépublique : ne se réclamant ni de la majorité ni de l’opposition sortantes, créé, le 20 février 20161, dans le but exclusif de soutenir une candidature, acceptant les adhésions de membres d’autres partis, l’association En marche déroge ainsi aux stratégies et aux schémas classiques de l’élection du président de la République au suffrage universel. Selon ceux-ci, l’organisation partisane prépare et organise l’élection à laquelle elle préexiste : la stratégie des partis politiques s’organise progressivement, en vue de l’élection présidentielle, choisit un candidat, lequel est préalablement parvenu à conquérir l’appareil du parti2. Le mécanisme des primaires conforte ce rôle, puisque les partis organisent le choix d’un candidat. En 2017, cette logique est inversée : c’est le candidat vainqueur qui est à l’origine de l’existence même du parti politique qui le soutient, créé pour la circonstance et qui n’a pas d’existence historique.

Cette originalité explique les circonstances qui conduisent à la décision du Conseil constitutionnel du 30 mai 2017. Le parti En marche s’est vu attribué, par application d’une décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 23 mai 2017, en application de l’article L. 167-1 du Code électoral, un temps d’émissions pour la campagne officielle correspondant exactement à la catégorie légale dans laquelle il se situe, mais peu conforme aux résultats de l’élection.

Les termes de la loi en cause, à savoir l’article L. 167-1 du Code électoral, sont en effet dépourvus d’équivoque : « II. – Pour le premier tour de scrutin, une durée d’émission de trois heures est mise à la disposition des partis et groupements représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale. Cette durée est divisée en deux séries égales, l’une étant affectée aux groupes qui appartiennent à la majorité, l’autre à ceux qui ne lui appartiennent pas. Le temps attribué à chaque groupement ou parti dans le cadre de chacune de ces séries d’émissions est déterminé par accord entre les présidents des groupes intéressés. À défaut d’accord amiable, la répartition est fixée par les membres composant le bureau de l’Assemblée nationale sortante, en tenant compte notamment de l’importance respective de ces groupes ; pour cette délibération, le bureau est complété par les présidents de groupe. Les émissions précédant le deuxième tour de scrutin ont une durée d’une heure trente : elles sont réparties entre les mêmes partis et groupements et selon les mêmes proportions. III. – Tout parti ou groupement politique qui n’est pas représenté par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale a accès, à sa demande, aux émissions du service public de la communication audiovisuelle pour une durée de sept minutes au premier tour et de cinq minutes au second, dès lors qu’au moins soixante-quinze candidats ont indiqué, dans leur déclaration de candidature, s’y rattacher pour l’application de la procédure prévue par le deuxième alinéa de l’article 9 de la loi n° 88-277 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. L’habilitation est donnée à ces partis ou groupements dans des conditions qui seront fixées par décret ». Le décret du 9 janvier 19783 prévoit qu’une commission siégeant au ministère de l’Intérieur statue sur les demandes et vérifie que le nombre des candidatures requis est bien rempli et que l’organisation demanderesse n’est pas représentée par un groupe parlementaire.

En application de ce régime, le parti En Marche, qui n’est pas représenté par un groupe à l’Assemblée nationale se voit donc attribuer sept minutes pour le premier tour et cinq pour le second, à comparer avec les 80 et 40 minutes du Parti socialiste ou avec les 69 et 34 minutes d’émissions des Républicains, ou encore avec les 20 743 128 voix obtenues par le candidat soutenu par En Marche à l’issue du second tour. L’application des lois sur les campagnes officielles audiovisuelles est ainsi souvent défavorable aux formations créées ou mobilisées de façon particulière en vue d’une élection4, ce qui s’explique à la fois par la rareté des temps d’antenne5 et par la volonté de ne pas encourager à l’excès l’émiettement des candidatures, ou en tout cas ne pas représenter un attrait pour des formations cherchant une notoriété médiatique plutôt que les voix des électeurs. Ce second motif est sans doute inavouable depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, laquelle assigne à la loi l’objectif de garantir « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation ». Le juge voit dans cette nouvelle rédaction de la Constitution un changement de circonstances de droit qui permet de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC6.

Même si les diffusions de la campagne « officielle » ne suscitent parfois qu’un intérêt limité, ce type d’émissions présente donc pour qui en bénéficie, le double avantage de la lisibilité – le parti est identifié par le téléspectateur avec une crédibilité supérieure à celle de candidatures isolées, elle le situe sur un plan équivalent à celle de ses concurrents politiques, elle affirme une implantation nationale, etc. – et de la gratuité, prévue au V du même dispositif, lequel dispose que le coût des émissions est pris en charge par l’État.

À supposer essentiel l’enjeu dans les composantes du vote, même si chacun sait que celui-ci dépend d’une multiplicité de facteurs dont l’exposition médiatique n’est qu’un élément parmi d’autres, aujourd’hui concurrencée par les réseaux sociaux, il est donc logique que les principaux candidats à l’élection législative soient attentifs au temps qui leur est ainsi attribué.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est ici totalement tributaire de la loi : le texte de l’article L. 167-1 du Code électoral ne lui confère pas de faculté d’appréciation, mais il se contente de constater que les critères de la loi sont remplis avant de répartir, par tirage au sort, la grille des temps de parole en fonction, pour les partis non représentés, de la liste envoyée par la commission. Sur le plan de la répartition des compétences, la nouvelle rédaction de l’article 4 n’introduit pas de changement : c’est au législateur qu’il incombe de garantir « les expressions pluralistes des opinions ». Même s’il la déclare inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 31 mai 2017, réaffirme la nécessité de la « base légale » en la matière et le pouvoir d’appréciation du seul législateur.

La loi avait pour elle la simplicité du principe, qui distingue selon qu’une formation politique présentant des candidats aux élections à l’Assemblée nationale est ou non représentée par un groupe dans l’assemblée sortante, et sa stabilité : depuis l’origine du texte, du 29 décembre 1966, ce critère, comme les temps d’émissions qui en découlent sont inchangés : les partis ou groupements non représentés par un groupe ont droit à sept minutes d’émission au premier tour et cinq au second. Pour être ancien, ce texte est-il obsolète ? Si l’on excepte un abaissement à 20 du nombre minimum de candidats requis pour bénéficier de l’application du III, réalisé par la loi du 13 décembre 1985, puis rétabli à 75 par la loi du 11 juillet 1986, l’économie du texte est demeurée constante, opérant, à partir de 2003, un lien avec les rattachements de candidature au titre du financement de la vie politique.

Le problème était rendu plus complexe par les conditions de l’élection d’Emmanuel Macron : toutes les élections précédentes du président de la Ve République au suffrage universel depuis que la loi existe ont abouti au choix d’un homme soutenu par une structure partisane préexistante à l’élection et correspondant à un, voire à plusieurs groupes à l’Assemblée nationale. Le « parti du président » entrait ainsi toujours dans la première catégorie et partageait, avec ses principaux adversaires ou alliés, les trois heures d’antenne. Il suffit à cet égard de se souvenir, par exemple, de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 : depuis 1968 le groupe des Républicains indépendants – 61 députés sous la IVe législature, et 55 auquel il faut ajouter les 30 de l’Union centriste sous la législature suivante qui s’ouvre en 1973 – jouait le rôle d’un support à la candidature de Valéry Giscard d’Estaing. François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou François Hollande bénéficiaient eux aussi, pour construire la future majorité parlementaire de l’existence préalable à leur élection et du soutien d’un groupe parlementaire. Il en était de même de leurs principaux « challengers » : l’élection de Lionel Jospin, de Ségolène Royal, d’Edouard Balladur, de Raymond Barre, de Jacques Chaban-Delmas en 1974 ou de Jacques Chirac en 1988 n’aurait pas posé de problème majeur au regard de la répartition des émissions de la campagne officielle. La question qui suscite le présent contentieux, celle d’une élection d’un président de la République à laquelle ne correspond pas la préexistence d’un groupe parlementaire se serait cependant – et seulement – indéniablement posé en 2002 si Jean-Marie le Pen avait été élu.

Le critère tiré de l’existence de groupes politiques dans l’Assemblée sortante est donc rationnel, et cohérent par rapport aux précédentes élections présidentielles, même s’il confère une prime aux sortants. Nul n’a relevé l’évolution réalisée par l’abaissement du seuil nécessaire à la composition d’un groupe à l’Assemblée nationale, de 30 députés en 1966, à 20 puis à 15 depuis 20097, qui constitue pourtant une ouverture au profit de partis minoritaires.

En revanche, le déséquilibre constaté en 2017 entre le résultat de l’élection présidentielle et le temps alloué au parti du vainqueur a mis en lumière, selon ses détracteurs, le caractère « dépassé » de la loi de 1966.

La saisine du Conseil d’État sur la base de la légalité de la décision, en elle-même, aurait sans doute eu peu de chances d’aboutir, compte tenu du strict respect de la loi par le CSA et de l’état de la jurisprudence8. Il fallait donc remettre en cause la constitutionnalité de la loi électorale.

La possibilité de saisir à titre exceptionnel le Conseil constitutionnel a priori, sur les actes d’organisation générale d’une consultation électorale dont il est le juge a posteriori est ouverte depuis la décision de principe « Delmas » du 11 juin 19819 mais ne porte que sur les décrets de convocation et d’organisation de la consultation proprement dite. Le champ des recommandations et des décisions du CSA est, en vertu d’une jurisprudence classique, écartée de cette possibilité de saisine exceptionnelle10.

La question aurait également pu être posée au Conseil constitutionnel lors d’un contentieux électoral puisqu’en sa qualité de juge de l’élection d’un député, il admet que la QPC lui soit directement présentée 11. Mais, alors, la déclaration d’inconstitutionnalité aurait certes donné une satisfaction de principe au requérant, mais ne serait intervenue qu’après les élections, et donc dénuée d’effet pratique.

Restait donc une seule voie possible : celle d’une contestation de la constitutionnalité de la loi à l’occasion d’un référé intenté contre la décision du CSA : le Conseil constitutionnel est ainsi appelé à en juger non en qualité de juge électoral, mais de juge de la constitutionnalité de la loi en vigueur. Il n’est d’ailleurs pas inhabituel que les candidats emploient cette procédure, comme en témoigne, en 2012, la QPC précitée12 introduite par Mme Le Pen sur les conditions de publication de la liste de 500 signataires soutien d’une candidature à l’élection présidentielle ; la décision valorise d’ailleurs l’objectif de pluralisme des opinions assigné à la loi par l’article 4 de la Constitution.

Le respect de ce même objectif est ici retenu pour permettre une attribution supplémentaire de temps d’antenne à des formations entrant dans les prévisions du III de l’article L. 167-1 du Code électoral, en conséquence de la déclaration d’inconstitutionnalité des II et III de l’article L. 167-1 du Code électoral. L’inconstitutionnalité du II, qui résulte de celle du III ne conduit pas à modifier les attributions d’émissions déjà faites pour les partis représentés.

La décision prend acte du décalage existant entre le dernier état de la représentativité d’En Marche et le temps d’émissions que la loi prévoit pour en conclure à une distorsion manifeste : le parti du président vainqueur de l’élection présidentielle se verrait traité comme n’importe quelle autre formation nouvelle présentant 75 candidats, et même en faisant abstraction du résultat du second tour, l’état des votes du premier tour, où quatre candidats dépassent sept millions de suffrage exprimés, suffit à constater une telle disproportion. Partant de ce constat, la décision est indéniable. Elle se fonde sur la nécessaire « clarté du débat électoral »13 qualifiée par la décision d’« objectif d’intérêt général » et rappelle que le principe du pluralisme est un fondement de la démocratie.

Mais, en l’espèce, le respect de ces principes se traduit à la fois par l’édiction de critères, combinée avec le renvoi, pour leur application, au CSA. L’exercice est donc difficile. Il consiste, de la part du Conseil constitutionnel, à « encadrer le pouvoir de modulation qu’il confiait au CSA » tout en mettant en avant l’intention initiale du législateur14. Mais un tel pouvoir de « modulation », auquel le caractère mécanique de l’article L. 167-1 du Code électoral ne conduit pas15, soulève à son tour des difficultés non négligeables. À cet égard quatre points méritent l’attention.

1°) D’abord, le Conseil constitutionnel, et, plus encore le CSA, ont posé eux-mêmes de nouveaux critères, qui aboutissent à majorer le temps dont disposent les formations non représentées par un groupe, sans modifier l’attribution déjà faite pour les autres partis. Ces critères sont ainsi présentés par la décision du Conseil constitutionnel : « la prise en compte de l’importance du courant d’idées ou d’opinions qu’ils représentent, évaluée en fonction du nombre de candidats qui déclarent s’y rattacher et de leur représentativité, appréciée notamment par référence aux résultats obtenus lors des élections intervenues depuis les précédentes élections législatives ». Il convient donc que soient pris en compte le nombre de candidats présentés, mais aussi « notamment » les résultats obtenus aux consultations précédentes : l’idée est bien de passer d’un critère unique – qui peut cependant être maintenu, au moins dans l’immédiat, pour les « sortants » alors que la décision d’inconstitutionnalité porte aussi sur le II de l’article L. 167-1 du Code électoral – à des critères multiples jouant en faveur des formations non représentées par un groupe.

Dans cette détermination de critères, le Conseil constitutionnel souhaite la prise en compte des consultations intervenues tout au long de la législature précédente. Si seule l’élection présidentielle avait été retenue, le lien entre celle-ci et l’élection des députés, renforcé par le calendrier en vigueur depuis 2002 et le quinquennat, serait apparu comme un postulat, consistant à poser comme règle intangible que les élections législatives sont le reflet – souvent amplifié – de la seule élection présidentielle. Or ce lien pourrait s’avérer rompu soit en cas de discordance initiale des majorités, soit encore à la suite d’une dissolution. Telle est sans doute la raison de la référence aux élections intervenues depuis les précédentes élections législatives. Mais se posera de ce fait au législateur la question des modalités concrètes de prise en compte de ces échéances les unes par rapport aux autres : comment prendre en compte les résultats aux élections municipales, dont les déterminants locaux sont souvent forts, quid d’un parti qui choisira d’être présent dans toutes les circonscriptions pour l’élection des députés européens ou départementales et absent de la compétition présidentielle, quid des regroupements de partis ? Les formations pourraient-elles choisir le système le plus favorable ? Le critère antérieur, qui aboutissait certes à un classement binaire et donnait une prime aux sortants avait l’avantage de la simplicité : tout critère supplémentaire, excepté le nombre de candidats présentés, sera par nature contestable.

Le Conseil a en outre, sans motiver sur ce point sa décision16, plafonné à cinq les possibilités d’attributions de tranches d’émissions supplémentaires pour les partis concernés.

2°) Au-delà on doit s’interroger sur le fait que le Conseil, qui prend le soin de préciser qu’il ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation identique à celui du législateur, et réaffirme ainsi un principe de retenue17 pose des critères précis, et sur ce plan la décision du CSA apparaît plus constructive encore, ajoutant par exemple une référence aux sondages. La lettre de l’article 4 de la Constitution indique pourtant que la mise en œuvre du pluralisme, donc la détermination des critères applicables, relève de la compétence du législateur.

3°) Les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité sont à double détente.

Le Conseil aurait pu, une fois la décision prise, la rendre immédiatement applicable. La décision du CSA aurait alors été annulée par le juge des référés, et la campagne officielle supprimée. Le résultat, schématiquement présenté, aurait abouti à une affirmation du pluralisme se traduisant par… le silence, ce qui par définition est contraire à l’objectif de garantir l’expression de voix multiples.

Pour cette raison, l’effet de la décision est reporté dans son principe au 30 juin. Cette décision illustre bien une tendance récente de la jurisprudence à choisir des régimes transitoires particulièrement construits18, plutôt que de seulement différer dans le temps les effets d’une décision ou en prévoir l’application immédiate.

Mais il en résulte, en l’espèce, une décision qui non seulement diffère les effets de l’inconstitutionnalité – pour ne pas priver de base légale les émissions à venir après le 31 mai – mais également en module immédiatement l’application. Le Conseil pose des critères à l’attention du CSA, ce qui était nécessaire pour ne pas fragiliser la suite du processus, mais ces critères sont également nécessairement destinés, par ricochet, au législateur. Le point d’équilibre est difficile à trouver entre le besoin de précision à l’usage immédiat du CSA et le respect du pouvoir d’appréciation du législateur.

Le risque est donc grand de substituer des critères aléatoires à des critères mécaniques, donc d’application incontestable. Le CSA n’a d’ailleurs pas totalement évité ce risque : dans la décision du 1er juin 2017, il a d’une part, affecté un coefficient de 20 % au critère du nombre des candidats présentés19, de 60 % pour « les résultats obtenus lors des élections intervenues depuis les précédentes élections législatives, diverses selon leur ancienneté, leur finalité et leurs modalités de mise en œuvre » tout en octroyant une « particulière importance… aux résultats qui viennent d’être obtenus à l’élection présidentielle s’agissant des élections législatives qui sont organisées pour y faire suite » et de 20 % aux caractéristiques du débat électoral.

4°) Le cumul de ces deux décisions a donc abouti à une fixation de critères complexes dont on doit considérer qu’ils ne valent que pour la présente campagne électorale : leur pérennité ou leur pondération ne dépendent que de la compétence du législateur. La décision du CSA retient la spécificité d’En Marche, formation présente seulement à l’élection présidentielle, qui se voit attribuer le maximum de diffusions supplémentaires fixé par le Conseil constitutionnel. De ce fait, l’antériorité dans les campagnes électorales intervenues depuis 2012, du Front national et de la France insoumise n’est pas un critère valorisant, notamment pour cette dernière formation qui ainsi ne remplit que partiellement le second critère. L’approche n’est pas totalement identique entre la décision du Conseil constitutionnel, qui impose de prendre en compte les consultations intervenues tout au long de la législature précédente, et la « particulière importance » accordée par le CSA à l’élection présidentielle. Au demeurant, il faut relever que les élections législatives ne sont pas organisées pour « faire suite à l’élection présidentielle » mais pour renouveler les assemblées parlementaires. Même si la cohérence des majorités a jusqu’ici été constatée depuis 2002, les deux consultations n’ont pas le même objet. L’ordre chronologique actuel des consultations ne provient que du choix du législateur, par la loi organique du 15 mai 2001, et serait naturellement aboli en cas de dissolution ou de changement de la loi.

Même s’il fallait considérer que l’élection des députés a pour objet de « faire suite » à celle du président de la République, et que dans les deux consultations le rôle des partis est identique, alors il serait sans doute plus simple de faire appel aux notions, elles aussi constitutionnelles depuis l’introduction de l’article 51-1 de la Constitution par la révision du 23 juillet 2008, de majorité et d’opposition. Le pluralisme, s’appuyant sur ces notions, et la démocratie n’en sortiraient sans doute pas amoindries, et les enjeux de la campagne spécifique à l’élection des députés seraient clarifiés. À titre transitoire, on aurait aussi pu envisager une attribution forfaitaire, sur la base des indications données par le Conseil constitutionnel. Détailler des critères, qui ne valent qu’en l’absence de loi nouvelle, c’est nécessairement s’exposer à leur discussion.

Au final, trois formations seront notoirement bénéficiaires d’un temps supplémentaire : le maximum possible pour En marche et trois tranches et demi supplémentaires pour le Front national et deux tranches et demi pour la France insoumise. La prise en compte des seuls résultats du premier et du second tour de l’élection présidentielle auraient sans doute abouti à des résultats très proches d’attribution de tranches d’émissions. Debout la France, Europe Écologie-Les Verts, Lutte ouvrière et l’Union populaire républicaine, présentent chacun des candidats dans plus des deux tiers des circonscriptions électorales et obtiennent à ce titre une tranche d’émissions supplémentaire. Pour ces derniers, l’existence d’une candidature soutenue par le parti à l’élection présidentielle est donc sans incidence.

On peut donc s’interroger sur la pondération retenue, ses éléments déterminants et sur la pertinence de certains critères comme la prise en compte des résultats de sondages comme élément du respect du pluralisme, alors que ceux-ci ont bien montré lors de la campagne du premier tour, le caractère évolutif et indécis d’une bonne partie de l’électorat.

Le respect des expressions pluralistes des opinions et de la participation des partis et groupements politiques à la vie démocratique ne saurait se résumer à donner davantage de temps d’émission aux candidats vainqueur ou mieux placés de la précédente compétition, faute de quoi l’argument contre le système de 1966 d’une « prime aux sortants » se transformera en celui d’une « prime aux vainqueurs » contre le nouveau système, aggravé par un reproche de subjectivité, ou au moins de complexité, dont il sera difficile de s’exonérer.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Date du dépôt à la préfecture du Val-de-Marne de l’association pour le renouvellement de la vie politique (nom initial), et de la déclaration de l’association de financement du parti. La formation politique est inscrite au registre du commerce le 6 mars 2016, sous la raison sociale « EMA En Marche » mais le lancement politique du mouvement a lieu le 6 avril 2016 à l’occasion d’une rencontre citoyenne à Amiens. Le nom du parti est alors fixé pour la campagne : « En marche ! ». Depuis le 8 mai, c’est sous le nom de « République en marche ! » que le parti souhaite être identifié pour la présente campagne électorale. Catherine Barbaroux assure alors l’intérim de la présidence jusqu’au congrès fondateur du parti prévu avant le 15 juillet 2017. Le nom de domaine « en-marche.fr » a été enregistré le 7 janvier 2016.
  • 2.
    V. par exemple Portelli H., « La présidentialisation des partis français », Pouvoirs 1980, n° 14, p. 97.
  • 3.
    D. n° 78-21, 9 janv. 1978, fixant les conditions de participation à la campagne radiodiffusée et télévisée pour les élections législatives des partis et groupements définis au paragraphe III de l’article L. 167-1 du Code électoral.
  • 4.
    Par exemple, pour l’élection au Parlement européen de 1994, où 17 listes se répartissent trente minutes d’émissions, selon le même critère de l’absence de représentation par un groupe parlementaire : CE, 2 juin 1994, n° 158878 : AJDA 20 nov. 1994, p. 837, note Camby J.-P. La validation de cette répartition serait désormais fortement suspecte.
  • 5.
    Cet élément est pris en compte pour justifier un critère tiré de la représentativité parlementaire : « en exigeant que ces organisations politiques soient représentées par au moins cinq membres au sein d’un groupe parlementaire ou aient obtenu, seules ou au sein d’une coalition, 5 % au moins des suffrages exprimés aux dernières élections des représentants au Parlement européen, les auteurs du décret ont retenu des critères objectifs qui, en raison notamment du caractère limité des temps d’antenne disponibles à la radio et à la télévision en vue de la campagne officielle, ne portent pas atteinte à l’égalité entre les partis ou groupements politiques et ne violent ni le principe de libre communication des pensées et des opinions proclamé par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, ni l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales », Cons. const., 6 sept. 2000, n° 2000-25 Ref.
  • 6.
    Cons. const., 21 févr. 2012, n° 2012-233 QPC.
  • 7.
    Connil D., Les groupes parlementaires en France, 2016, LGDJ, p. 70.
  • 8.
    CE, 23 mai 1997, n° 187697.
  • 9.
    Favoreu L., RDP 1981, p. 1347 ; Turpin D., Gaz. Pal. Rec. 1981, 2, p. 709, et sur l’ensemble de la question V. Arrighi de Casanova J., Mélanges Genevois, 2009, p. 29, et Schoettl J.-É., LPA 18 déc. 2001, p. 27.
  • 10.
    Cons. const., 23 août 2000, n° 2000-24, Hauchemaille : « En vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires qui lui est conférée par l’article 60 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité d’opérations à venir dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ».
  • 11.
    Considérant que les conditions qui permettent exceptionnellement au Conseil constitutionnel de statuer avant la proclamation des résultats du scrutin sont réunies, eu égard à leur nature, en ce qui concerne le décret n° 2000-655 du 12 juillet 2000 et les décrets nos 2000-666 et 2000-667 du 18 juillet 2000 ; qu’en revanche, elles ne le sont pas en ce qui concerne la recommandation n° 2000-3 du 24 juillet 2000 du Conseil supérieur de l’audiovisuel et la décision n° 2000-409 du 26 juillet 2000 de la même autorité ». Cette jurisprudence s’applique de manière identique quel que soit le type de consultation électorale en cause (6 sept. 2000, n° 2000-26 Ref, 13 déc. 2001, n° 2011-93 PDR).
  • 12.
    Cons. const., 12 janv. 2012, n° 2011-4538, Sénat Loiret : V. notre ouvrage, Conseil constitutionnel, juge électoral, 2017, Dalloz, n° 52.
  • 13.
    V. note 4.
  • 14.
    L’expression est précédemment utilisée par le Conseil : Cons. const., 21 juin 2012, n° 2012-155 PDR ou Cons. const., 21 avr. 2016, n° 2016-729 DC.
  • 15.
    Commentaire aux « Cahiers » de la décision.
  • 16.
    On relèvera que si la loi du 29 décembre 1966 est antérieure à l’existence d’un organisme de régulation, ses modifications successives et l’évolution législative n’ont pas remis en cause les modalités de fixation de ces émissions pour le respect du pluralisme. Ainsi, la décision n° 86-217 du 18 septembre 1986 relève : « pour le secteur public, le législateur a fixé lui-même certaines règles destinées à garantir le pluralisme des courants de pensée socioculturels ; qu’au nombre de ces règles, il y a lieu de mentionner l’article 16, alinéa 1er, de la loi qui, combiné avec les dispositions de l’article L. 167-1 du Code électoral qui demeurent en vigueur, assure aux groupements politiques le libre accès au service public de la radiodiffusion télévision pendant les campagnes électorales ». En 1986, le dispositif est donc considéré comme de nature à assurer le respect du pluralisme, et donc conforme à la Constitution.
  • 17.
    Autrement que, dans le commentaire, par la nécessaire « modulation » du pouvoir décisionnel qu’il octroie au CSA.
  • 18.
    Canivet G., « De l’office du juge, questions sur la retenue », Revue de droit d’Assas févr. 2017, p. 55.
  • 19.
    Rousseau D., « Le Conseil constitutionnel, maître des horloges », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, Dossier « La Constitution et le temps », janv. 2017, n° 54, p. 7.
  • 20.
    La décision indique que ce critère doit être regardé comme satisfait dès lors que la formation ou le parti politique concerné présente des candidats dans plus des deux tiers des circonscriptions électorales.