Le Conseil constitutionnel confirme la nécessaire authentification de la signature des électeurs à Wallis et Futuna
Le Conseil constitutionnel annule désormais systématiquement les suffrages entachés de défauts d’émargement, comme l’absence de signature des procurations par les demandeurs ou de mention d’authentification, même à Wallis et Futuna, indépendamment de toute allégation de fraude et de toute prise en compte des particularismes locaux.
Cons. const., 2 févr. 2018, no 2017-5162 AN
Wallis et Futuna constitue une circonscription électorale atypique à plus d’un titre.
Elle l’est d’abord par le faible nombre d’électeurs (8 480), ensuite par le très fort taux de participation – aux élections du 11 juin 2017, on compte plus de 80 % de votants – enfin par le fait que les élections quelles qu’elles soient, donnent lieu à un contentieux abondant, souvent couronné de succès pour les requérants. Rappelons ainsi, s’agissant des élections législatives, que par la décision n° 88-1016 du 23 novembre 1988, le Conseil constitutionnel constatait qu’« au moins 70 mandataires, en violation de l’article R. 76-1 du Code électoral, ont été autorisés à voter à Wallis, sans que le maire ait reçu les volets de procuration correspondant ; que par ailleurs, au moins 134 procurations ont été délivrées à Futuna sans production des attestations, justifications, demandes ou certificats prévus à l’article R. 73 du même code » et annulait l’élection acquise au second tour avec 281 voix d’écart. Par la décision du 19 décembre 2002 (Cons. const., 19 déc. 2002, n° 2002-2757), alors que 7 490 électeurs s’étaient exprimés, 52 électeurs avaient émargé au moyen d’une croix, « qui ne saurait être assimilée à un paraphe ou à une signature » et, face aux noms de 44 autres électeurs, était apposée la mention « ne peut signer » non accompagnée de la signature d’un autre électeur. 96 suffrages, exprimés dans des conditions non conformes à l’article L. 64 du Code électoral, soit environ 1 % environ des votants, ont alors suffi à annuler l’élection acquise à 56 voix. Avec la décision n° 2012-4611 du 25 janvier 2013, le Conseil a annulé les élections et déclaré inéligible l’élu, lequel avait réglé lui-même une part substantielle de ses dépenses de campagne, y compris après la désignation du mandataire financier.
Échappent au couperet, mais témoignent également du caractère spécifique de Wallis et Futuna, l’élection sénatoriale de 1998, où était en cause l’inéligibilité du directeur de l’enseignement catholique, fonction distincte de celle d’inspecteur de l’enseignement primaire (Cons. const., 19 nov. 1998, n° 98-2570), l’année précédente, l’élection du député (Cons. const., 22 janv. 1998, n° 97-2247, AN, v. ci-dessous) ou encore celle de mars 2003 où l’écart des voix était très large1.
Cette fréquence contentieuse trouve une nouvelle illustration dans la présente décision.
À l’issue du premier tour des élections pour la désignation du député, qui se sont déroulées le 12 juin 2017 dans l’unique circonscription des îles, M. Napole Polutélé, député sortant, a été réélu avec 50,24 % des suffrages exprimés, soit 3 436 voix contre 3 159 voix et 46,19 % à son principal adversaire M. Sylvain Brial, requérant, et 244 voix, soit 3,57 % des suffrages, à M. Hervé Delord. L’écart de voix entre Monsieur Polutélé et Monsieur Brial est donc de 277 voix, soit un chiffre qui, en général, permet d’écarter les arguments tirés d’abus de propagande, mais qui, en revanche, n’est pas sans analogie avec la situation de 2002.
Pour autant, cette élection est acquise au premier tour, et conformément à l’article L. 123 du Code électoral, le vainqueur doit alors rassembler plus du quart des inscrits et la majorité absolue de suffrages exprimés, soit 3 420 voix. Si le premier critère ne pose pas de problème, compte tenu de la participation très élevée, il suffisait donc, en revanche, que 16 suffrages soient annulés pour que l’élection à son tour le soit. C’est donc naturellement sur la recherche de l’annulation d’au moins 16 suffrages que l’adversaire a mis l’accent.
Dans la mesure où aucune contestation du financement des campagnes n’apparaît, ni dans les visas, ni dans la décision, on en conclura que le contentieux est assez classique. Pourtant la décision marque une étape supplémentaire dans la nécessaire authentification des électeurs.
Les arguments retenus portent uniquement sur la matérialisation de la volonté des électeurs, soit au moment du vote, où l’émargement est une formalité substantielle, soit sur les procurations, qui avaient conduit à l’annulation de 1988, pour d’autres irrégularités.
Le juge de l’élection procède mécaniquement à des annulations de suffrages lorsqu’il constate des défauts d’émargement. Ce contentieux est purement objectif, mécanique pourrait-on dire, et systématique : le juge déduit les émargements matérialisés par une croix, non accompagnés d’un constat probant d’empêchement, et donc contraires à l’article L. 64 du Code électoral. Tel est le cas, devant le Conseil d’État2 comme devant le Conseil constitutionnel pour de simples croix3. Tel est aussi le cas dans lequel la mention « l’électeur ne peut signer lui-même », qui correspond à une tolérance, est apposée face aux noms d’électeurs sans être accompagnée de la signature d’un autre électeur, requise par ce même article.
Pour autant, le Conseil avait cependant considéré à propos des élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997, par la décision précitée du 22 janvier 1998, qu’une certaine spécificité devait être reconnue pour Wallis et Futuna après que l’article L. 64 y ait été rendu applicable, par la loi du 25 juin 1992, dans un cas où 539 signatures étaient irrégulières pour 6 332 suffrages exprimés : « l’importance même de la pratique en cause, qui n’est pas nouvelle, a concerné 8,5 % des votants dans l’ensemble du territoire et s’est trouvée concentrée dans la région d’Alo à Futuna, où elle a concerné 36 % des votants, résulte du caractère tardif de l’introduction de l’enseignement primaire obligatoire à Wallis et Futuna et spécialement à Futuna ; ces circonstances expliquent non seulement qu’un grand nombre d’électeurs de la région d’Alo aient été dans l’incapacité de signer eux-mêmes la liste d’émargement, mais également qu’ils n’aient pu trouver en temps opportun un autre électeur en état d’émarger en leur lieu et place ». Cette situation, dont le juge électoral explique alors qu’elle est « vouée à la disparition » justifiait donc une tolérance, partagée au sujet des procurations, pour d’autres motifs par le Conseil d’État en 20124. La décision de 20025 qui, partant d’un écart de voix beaucoup plus faible, retenait que cette seule irrégularité affectait 1 % des votants, pouvait laisser le doute quant à une inflexion définitive de jurisprudence, notamment pour un nombre plus réduit d’irrégularités. Ramenant totalement Wallis et Futuna dans le droit commun, la décision du 2 février 2018 entérine cette inflexion.
En outre, cette décision va plus loin que les précédentes, dans un seul but préventif. En effet, l’annulation de 37 suffrages suffisait mécaniquement à faire annuler le résultat, les conditions de l’élection au premier tour de M. Polutélé n’étant plus réunies. De manière surabondante, mais explicite, le Conseil constitutionnel retient cependant les mêmes défauts, en ce qui concerne les procurations, soit en cas d’absence de signature, ce qui, pour Wallis constituait déjà un cas d’annulation du nombre de suffrages correspondants6 mais aussi l’irrégularité d’apposition d’une croix non étayée par une authentification, pour annuler en outre 21 suffrages. Cette annulation supplémentaire, qui est inutile à la solution, est donc la marque d’un volontarisme. On y verra d’abord un exemple de cas dans lesquels le Conseil constitutionnel, juge électoral, entend clairement faire preuve d’une aussi grande sévérité que le Conseil d’État. On y verra ensuite la suppression de tout interstice dans la jurisprudence : le doute était possible quant à une application tolérante de règles d’émargements électoraux ou des procurations, en tenant compte de la situation locale. Il ne l’est plus.
Imposant que les règles d’authentification des électeurs soient systématiquement respectées, le juge de l’élection sanctionne donc, indépendamment de toute allégation de fraude, tout défaut de signature comme tout manquement à l’authentification des votes. Il laisse désormais subsister, de façon tacite, un débat sur des erreurs plus minimes concernant les procurations7, le seul critère ici retenu étant celui qui permet au juge d’établir avec certitude la volonté de l’électeur ou le contrôle de la régularité des votes.
Notes de bas de pages
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1.
V. note 3 ci-dessous.
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2.
Par ex. CE, 23 sept. 2005, n° 274402 et AJDA 2006, p. 559, note Maligner B.
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3.
V. pour des cas récents d’application d’une déduction systématique même si elles n’inversent pas les résultats : deux croix (Cons. const., 8 déc. 2017, n° 2017-5122, AN Ariège 1re circ. ; Cons. const., 18 déc. 2017, n° 2017-5088, M. Moraine, AN Bouches du Rhône 5e circ.), huit (Cons. const., 18 déc. 2017, n° 2017-5112, M. Steiner, AN Landes 3e circ.), trois (Cons. const., 19 janv. 2018, n° 2017-5132, AN Paris 17e circ.) et, dans le même sens que la décision commentée, à Wallis, pour douze croix (CE, 20 déc. 2017, n° 409793, élections de Mua à Wallis). Pour des cas plus anciens, v. notre Conseil constitutionnel, juge électoral, 7e éd., Dalloz, 2017, n° 221.
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4.
« Considérant, en premier lieu, que la circonstance que des procurations font mention, soit d’une date de naissance du mandant ou du mandataire qui n’est pas la même que celle qui est portée sur la liste électorale, soit d’un code postal erroné dans l’adresse du mandant, n’entache pas par elle-même la régularité de ces procurations dès lors que ces erreurs ne sont pas de nature à créer un risque de confusion sur l’identité des mandants et des mandataires ; que, de la même façon, des procurations dont la case “donne procuration pour voter en mes lieux et place” n’a pas été cochée, ne sont pas, de ce seul fait, irrégulières, dès lors qu’elles désignent précisément, par ailleurs, les mandataires et les mandants et qu’elles comportent l’ensemble des mentions requises, et qu’elles ne laissent ainsi aucun doute sur la volonté de l’électeur » (CE, 19 déc. 2012, n° 358643, élections territoriales de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna dans la circonscription de Hihifo).
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5.
V. Biroste D., LPA 9 déc. 2002, p. 5.
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6.
Cons. const., 15 mai 2003, n° 2003-3377, AN Wallis et Futuna : « Il résulte de l’instruction qu’une procuration ne porte pas la signature du mandant sans que l’autorité devant laquelle elle a été établie ait attesté une impossibilité de son auteur de signer ; que, par suite, cette procuration est entachée de nullité ; qu’il y a donc lieu de retrancher ce suffrage exprimé par procuration du total des suffrages exprimés et du nombre de voix obtenues par M. Brial ; que, compte tenu de l’écart de 318 voix séparant le candidat élu de son adversaire… » (non-annulation).
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7.
Même si la décision n’élimine pas explicitement d’autres griefs portant sur les défauts des procurations, on peut imaginer, que comme devant le Conseil d'État, le requérant n’a pas manqué de les développer. On doit donc considérer que la jurisprudence de 2012, qui ne sanctionne pas les simples erreurs de libellé, les cases mal cochées, dates ou codes postaux est toujours d’actualité, puisque le Conseil constitutionnel ne les a manifestement même pas évoquées : dès lors qu’elles ne laissent aucun doute sur la volonté du mandant, ces erreurs sont sans incidence (CE, 20 déc. 2017, élections de Mua, préc. note 2).