Le contentieux de la circulaire Nuançage devant le Conseil d’État

Publié le 19/03/2020

Saisi de six requêtes contre la circulaire du 10 décembre 2019, non publiée, « relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 », par laquelle le ministre de l’Intérieur a enjoint aux préfets et aux hauts-commissaires d’attribuer une nuance politique aux candidats et élus des communes de 9 000 habitants ou plus et, quelle que soit leur population, des communes chefs-lieux d’arrondissement, le juge des référés du Conseil d’État a ordonné, le 31 janvier 2020, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité, la suspension de cette circulaire.

– En tant qu’elle limite l’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus, ainsi que dans les chefs-lieux d’arrondissement ;

– En tant qu’elle prévoit l’attribution de la nuance « liste divers centre » (LDVC) aux listes qui, sans être officiellement investies par LREM, le MODEM et l’UDI, seront soutenues par ces partis ou par la « majorité présidentielle » ;

– Et en tant qu’elle classe la liste « Debout la France » dans le « bloc de clivage » « extrême-droite ».

CE, 31 janv. 2020, nos 437675, 437795, 437805, 437824, 437910 et 437933

Est-il juridiquement possible de « renseigner » les « nuances politiques » – servant à analyser les résultats des élections municipales – uniquement dans les communes d’au moins 9 000 habitants, ce qui exclurait 95 % des communes et 53 % de la population du champ des données recueillies, agrégées et mises à disposition du public ?

Telle était la principale question dont le Conseil d’État était saisi par non moins de six requêtes, échelonnées du 15 au 23 janvier (une demande de référé-liberté et cinq recours en annulation assortis de demandes de référé-suspension)1, dirigées contre la circulaire INTA 1931378J, non publiée, « relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 », par laquelle le ministre de l’Intérieur a enjoint aux préfets et aux hauts-commissaires d’attribuer une nuance politique aux candidats et élus des communes de 9 000 habitants ou plus et, quelle que soit leur population, des communes chefs-lieux d’arrondissement.

I – L’objet de la circulaire contestée

Les circulaires relatives à l’attribution de nuances politiques aux candidats sont récurrentes à la veille des diverses échéances électorales.

La circulaire contestée était prise dans le cadre du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus ». Ce décret de 2014 s’est substitué à un précédent décret n° 2001-777 du 30 août 2001 portant création au ministère de l’Intérieur d’un fichier des élus et des candidats aux élections au suffrage universel.

À chaque élection municipale, les préfets sont invités à attribuer une nuance aux listes et candidats afin de pouvoir caractériser les tendances politiques se dégageant d’un scrutin et, dès l’achèvement de celui-ci, de porter à la connaissance de la collectivité nationale une carte électorale de la France.

La circulaire rappelle ainsi que le nuançage poursuit « des fins d’analyse électorale » et doit se fonder sur des « indices objectifs » (soutiens, déclarations officielles, appartenance politique, autres mandats, etc.).

À cet effet, le ministère élabore une « grille de nuances », tenant compte de l’actualité politique. La nuance politique ainsi attribuée par les préfets ne doit pas être confondue avec l’étiquette politique qui, elle, est choisie librement par chaque liste et chaque candidat. Ceux-ci peuvent se déclarer « sans étiquette », mais la circonstance qu’un candidat ou une liste se déclare sans étiquette ne dispense pas le préfet de lui attribuer une nuance.

Comme l’a relevé le Conseil d’État en 20182, « l’objet de la “grille des nuances politiques” est de permettre l’agrégation des résultats des élections en vue de l’information des pouvoirs publics et des citoyens ». Si nul n’a droit à se voir conférer une nuance de son choix qui lui serait spécifique3 (dans le but d’accroître sa propre identification auprès des électeurs), la nuance attribuée par l’autorité préfectorale n’en est pas moins une donnée personnelle dont les intéressés peuvent demander la rectification pour se voir attribuer une autre nuance existant dans la grille.

En 2020, la grille retenue comporte 24 nuances, allant de l’extrême-gauche à l’extrême-droite (une nuance extrême-gauche, sept nuances de gauche, six nuances au centre, deux nuances à droite, trois nuances à l’extrême-droite et cinq nuances « diverses » (telles que Gilets jaunes, animalistes, régionalistes…).

La publication de résultats agrégés au lendemain de chaque tour, sur la base du nuançage politique réalisé par les préfets, vise à fournir au Parlement, au gouvernement, aux représentants de l’État et aux citoyens des éléments d’analyse des résultats du scrutin. Dans sa délibération n° 2013-406 du 19 décembre 2013, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) relève que : « Mis en œuvre par le ministère de l’Intérieur et les représentants de l’État, ce dispositif a pour finalité générale l’organisation et le suivi des fonctions électives et des mandats électoraux ».

L’usage de telles données intéresse l’opinion publique. Le débat précédant l’édiction de la circulaire (qui apparemment n’a été envoyée aux préfets qu’au début du mois de janvier) a été vif. Le gouvernement a refusé qu’un seuil soit établi par la loi4, préférant déterminer par voie de circulaire le seuil en deçà duquel il n’y a pas de nuançage. Il l’a fixé à 9 000 habitants, ce qui s’entend, en matière électorale, de la population municipale, hors doubles comptes. Ce relèvement du seuil de nuançage répond au vœu de certains maires ruraux de ne pas se voir accoler une nuance politique dans laquelle ils ne se retrouvent pas ou qui les gênerait auprès de leurs administrés.

II – La recevabilité des demandes et la compétence directe du Conseil d’État

A – Nature réglementaire de la circulaire

Une jurisprudence constante veut que les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire fassent grief5.

Le caractère réglementaire de la circulaire attaquée ne fait guère de doute au regard de cette jurisprudence. Elle adresse en effet aux préfets des commandements précis (exclusion des communes de moins de 9 000 habitants sauf si elles sont chefs-lieux d’arrondissement, définition des 24 nuances, caractérisation des listes « majorité présidentielle », etc.). Ces commandements traduisent l’exploitation, par le ministre de l’Intérieur, d’une large marge discrétionnaire. Ils auront des effets substantiels tant sur la catégorisation des candidats et des élus dans les deux traitements automatisés « Application élection » et « Répertoire national des élus » que sur les résultats agrégés ultérieurement publiés. Au demeurant, le Conseil d’État a déjà jugé que la grille des nuances présente un caractère réglementaire6.

B – Intérêt pour agir des requérants

L’intérêt pour agir des requérants doit être admis au titre des différentes qualités déclinées (parlementaire, élu local, parti politique, responsable de parti politique, électeur).

En effet, pour reprendre les termes de l’article 4 du décret du 9 décembre 2014, c’est « en vue de l’information du Parlement (…) et des citoyens » que le nuançage politique a été institué et c’est la finalité des traitements créés par le décret que d’offrir aux uns et aux autres « un suivi des candidatures enregistrées et des mandats et fonctions exercés par les élus ». Pour les partis politiques, l’intérêt pour agir va de soi, il a même un fondement constitutionnel. Il en va de même pour les élus ou les candidats qui contestaient la circulaire.

Le cas de l’intérêt pour agir d’un parlementaire mérite cependant une mention particulière. Si, généralement, le parlementaire « fait partie d’un cercle d’intérêt trop vaste pour que son action ne se confonde pas avec l’action populaire », pour citer le président Jean Massot7, et si cette considération aboutit fréquemment à refuser la reconnaissance d’un intérêt pour agir des parlementaires es qualité8, cet intérêt pour agir ne peut être exclu en l’espèce dès lors qu’est en jeu l’information du Parlement, spécifiquement reconnu comme destinataire du nuançage par le décret de 2014.

Plus classique est la reconnaissance de l’intérêt pour agir contre une circulaire réglementaire de caractère électoral en qualité d’électeur9 ou de membre d’un parti politique10, ou naturellement de maire sortant candidat.

Les requêtes empruntaient la voie soit du référé-suspension, qui implique le dépôt d’un recours au fond, soit, pour l’une d’entre elles, celle du référé-liberté.

C – Recevabilité des demandes de référé-suspension

Aux termes des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l’urgence s’appréciant objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l’argumentation des parties, l’ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d’urgence.

L’urgence est ici indéniable. La date butoir pour le dépôt des listes est le 27 février 2020, mais la date à laquelle les candidatures peuvent commencer à être reçues est déterminée par chaque préfecture en application de l’article R. 127-1 du Code électoral, l’usage le plus courant voulant qu’elle soit fixée une vingtaine de jours avant la clôture. Les premières candidatures seront reçues par les préfets dès la fin de la première semaine de février 2020. Ainsi, dans le département d’Eure-et-Loir, c’est le 6 février, soit huit jours après l’audience de référé, que commencera le dépôt des listes11 et donc que débuteront les opérations de nuançage. L’article 9 du décret du 9 décembre 2014 prévoit en effet que la nuance est attribuée au moment du dépôt de la candidature.

La proximité des échéances rendait illusoire la perspective qu’il puisse être statué au fond sur la légalité de la circulaire avant cette date, de sorte que seule la procédure de référé pouvait permettre une décision utile. Comme le juge le Conseil d’État, « l’imminence des opérations électorales permet de regarder comme satisfaite la condition d’urgence »12.

Les deux autres conditions du référé-suspension sont également réunies en l’espèce :

  • La circulaire fait l’objet d’une requête en annulation ;

  • Un au moins des moyens (caractère inadéquat du seuil de 9 000 habitants, voir ci-dessous III. A. a.) fait naître, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la circulaire.

D – Recevabilité de la demande de référé-liberté

Un référé-liberté se justifie en cas d’urgence et si la décision administrative contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (CJA, art. L. 521-2).

La condition relative à l’urgence est satisfaite pour les raisons exposées ci-dessus.

La condition relative à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale est également remplie. Le Conseil d’État a retenu que la circulaire est entachée des illégalités dénoncées :

  • Plusieurs libertés fondamentales sont en cause (information des citoyens et des candidats, sincérité des scrutins, pluralisme des courants d’opinion, liberté d’action des partis politiques…). La libre expression du suffrage13, comme le caractère pluraliste des courants d’opinion14, sont jugées invocables au soutien d’un référé-liberté ;

  • Compte tenu des enjeux démocratiques affectés par la circulaire, l’atteinte à ces libertés présenterait un caractère grave ;

  • Enfin, la violation du décret de 2014 (voir ci-dessous III. A. b.), à elle seule, donnerait à ces atteintes un caractère manifeste.

Notons qu’un seul référé-liberté a été formé contre la circulaire (les autres requêtes étant assorties de référés-suspension) et que les dispositions de la circulaire dont ce référé-liberté demande la suspension font également l’objet d’une demande de suspension dans quatre autres recours. La suspension prononcée au titre des référés-suspension rend logiquement sans objet la suspension sollicitée au titre du référé-liberté, dont les conclusions sont satisfaites.

E – Compétence directe du Conseil d’État

Dirigés contre une circulaire réglementaire ministérielle, tant les recours pour excès de pouvoir que les référés sont de la compétence directe du Conseil d’État.

L’article R. 311-1 du Code de justice administrative dispose en effet que le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : « 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ».

III – Dispositions contestées et griefs

Deux choix de la circulaire de 2020, tous deux originaux, étaient spécialement critiqués par les requérants :

  • La restriction de l’attribution de nuances aux listes et candidats dans les communes de 9 000 habitants et plus et (quelle que soit leur population) dans les communes chefs-lieux d’arrondissement ;

  • L’attribution de la nuance LDVC (liste divers centre) aux « listes de candidats qui, sans être officiellement investis par LREM, ni par le MODEM, ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements », choix qui était relevé par toutes les requêtes à l’exception de celle de « Debout la France ».

Ce parti demandait également la suspension de la circulaire en tant qu’elle le rangeait dans le « bloc de clivage » « extrême-droite ». Il estimait que cette catégorisation méconnaissait le principe d’impartialité, était entachée de détournement de pouvoir et reposait sur une erreur manifeste d’appréciation. Cet amalgame, était-il soutenu, ne tenait aucun compte de l’évolution des relations de « Debout la France » avec le Rassemblement national depuis les dernières élections européennes.

A – Le relèvement de 1000 à 9000 habitants du seuil de nuançage

Le seuil à partir duquel les candidats aux municipales se voient attribuer une nuance par les préfets est fixé à 1 000 habitants par le décret du 9 décembre 2014 (II de l’article 5). Ce seuil était fixé auparavant à 3500 habitants par l’article 3 du décret du 30 août 2001. Il était (comme aujourd’hui le seuil de 1 000 habitants) celui à partir duquel le scrutin municipal, de majoritaire, devient un scrutin de liste en vertu des articles L. 252 et L. 260 du Code électoral15.

Un tel seuil est rationnel au regard des finalités du nuançage. En dessous, c’est-à-dire dans les communes où les candidatures individuelles sont possibles, et où l’élection est moins influencée par les partis ou les étiquettes, l’attribution unilatérale d’une nuance par l’Administration serait à la fois pratiquement très difficile et critiquable, car contraire à la volonté de beaucoup de conseillers municipaux de servir l’intérêt local sans afficher de convictions politiques.

Le relèvement du seuil de nuançage à 9 000 habitants (sauf pour les communes chefs-lieux) appelait, de la part des requérants, trois séries de critiques.

a) En premier lieu, ce seuil n’est justifié par aucun critère objectif et rationnel en lien direct avec la finalité du nuançage. Dans le Code électoral, il renvoie seulement à deux choses : nécessité, pour une liste, de désigner un mandataire financier et de déposer un compte de campagne (et ouverture du droit à remboursement des dépenses de campagne) en application de l’article L. 52-4 ; inclusion de tous les conseillers municipaux dans le collège des « grands électeurs » participant à l’élection des sénateurs, en application de l’article L. 285. Mais, à l’inverse du mode de scrutin, ces critères paraissent sans rapport avec l’objet de la circulaire.

Seul est incontestablement pertinent le seuil antérieur de 1 000 habitants, puisque les candidats peuvent se présenter dans les communes situées en deçà de ce seuil de façon isolée (C. élect., art. L. 255-3).

Au-dessus de 1 000 habitants, l’existence de listes, fussent-elles d’« intérêt local », appelle l’attribution d’une nuance.

Il faut souligner à cet égard que l’attribution de la nuance DIV (divers) est toujours possible lorsqu’un candidat est inclassable politiquement. La circulaire est claire à cet égard : « Si les candidats ne revendiquent aucune étiquette particulière et s’il est avéré qu’ils ne sont rattachables à aucune sensibilité politique précise, vous leur attribuerez la tendance “DIV” ».

Il faut également souligner que le nuançage des listes et candidatures des communes dont la population est comprise entre 1000 et 9000 habitants n’a pas posé de problèmes insurmontables lors des élections municipales de 2014, même si les nuances « DVD », « DVG » et « DIV » ont été fréquemment attribuées16. La nuance DIV, la seule qui traduit l’impossibilité de caractériser une sensibilité politique, ne représentait que 19 % des communes de la tranche 1 000/9 000.

b) En deuxième lieu, il est soutenu dans deux requêtes, le relèvement à 9 000 habitants du seuil de nuançage n’est pas conforme à la lettre même décret du 9 décembre 2014, dont l’article 5 dispose que les données à caractère personnel enregistrées dans les traitements « Application élection » et « Répertoire national des élus » comprennent, pour les communes dont la population est égale ou supérieure à 1 000 habitants, les informations suivantes : « 6° Nuance politique attribuée au candidat par l’Administration ; 7° Nuance politique attribuée à la liste de candidats par l’Administration ».

Non seulement la lettre du décret de 2014 (qui utilise à plusieurs reprises le présent impératif lorsqu’il se réfère à l’enregistrement des nuances), mais encore son économie générale, paraissent plutôt imposer l’exhaustivité du nuançage à partir de 1 000 habitants, c’est-à-dire là où il n’est pas expressément exclu. Mais ce motif est-il pertinent dans le cadre d’un référé ?

Qui plus est, par sa finalité informative, dûment prise en compte par la Cnil dans son avis17, le nuançage doit être le plus exhaustif possible. La directive prévoit significativement à cet égard que les réponses sont centralisées au même titre que les résultats et que chaque candidat se voit communiquer la grille des nuances et notifier ses droits d’accès et de rectification.

Sauf à être mensongère, une information statistique relative à une population doit porter sur l’intégralité ou la grande majorité de cette population : ici les candidats et élus des communes non exclues par le décret, c’est-à-dire des communes de 1 000 habitants au moins. Quelle valeur informative aurait la carte électorale si le nuançage était limité aux villes de plus de 50 000 habitants ? Et la perte d’information n’est-elle pas déjà considérable avec un seuil de 9 000 ?

Le relèvement du seuil de nuançage à 9 000 habitants fait en outre peu de cas de l’avis rendu par la Cnil sur le décret de 2014, avis à l’aune duquel doit être appliqué ce décret. Dans cet avis, la Cnil n’a à aucun moment envisagé que le nuançage pouvait être opéré à partir d’un seuil étranger au décret et non soumis à elle.

Après avoir pris « acte du fait que, pour les personnes élues au conseil municipal dans des communes de moins de 1 000 habitants, à l’exception du maire et des membres du conseil municipal également conseillers communautaires, aucune information sur l’appartenance politique n’est enregistrée ni dans l’application « Élections », ni dans le « Répertoire national des élus » (formulation suggérant a contrario que, dans la compréhension de la commission, l’appartenance est enregistrée au-dessus de 1 000), la Cnil considère que « les données traitées sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ».

Comment la Cnil aurait-elle pu estimer le dispositif « adéquat et pertinent » au regard de la finalité d’information poursuivie sur le plan national si elle avait appris que le seuil de nuançage serait fixé en aval de son avis, sans lien avec celui-ci et à un niveau discrétionnairement choisi par le ministre de l’Intérieur ?

La méconnaissance du décret de 2014, comme de l’avis rendu par la Cnil pour sa mise en œuvre, constituait donc également, prima facie, un grief sérieux.

c) Avec le relèvement de 1000 à 9000 habitants, la proportion de communes ne faisant pas l’objet du nuançage passerait de 71 % à 96 %. Les communes non renseignées représenteraient 53 % de la population nationale. L’impact du changement de seuil sur la mesure des tendances de l’élection est donc potentiellement fort. Il ne serait négligeable que si l’implantation des partis politiques était indifférente à la taille des communes.

Or tel n’est pas le cas. Les différentes sensibilités politiques sont inégalement présentes selon la taille de la population. Ainsi, la République en marche est peu implantée dans le monde rural et très représentée en revanche dans les grandes villes. Le Rassemblement national est dans le cas inverse18.

Le biais induit par la disparition des communes de la tranche 1 000/9 000 habitants dans la comptabilisation des nuances politiques porte préjudice à l’image de celles des formations politiques qui sont mieux implantées dans les petites communes que dans les grandes. À l’opposé, il grossit artificiellement les résultats des formations surtout présentes dans la France urbaine. Il pourrait aussi estomper un éventuel recul électoral de ces formations en mars 2020.

Le préjudice subi par les formations mieux implantées dans la France périphérique que dans les villes est d’autant plus réel que l’information recueillie dans le cadre du décret de 2014 importe non seulement pour les élections des 15 et 22 mars prochains, mais encore au-delà. Les résultats d’une élection « continuent en effet de constituer une référence tant qu’ils sont rappelés »19. Un scrutin est toujours porteur d’avenir et de stratégies. Il détermine des intentions de vote futurs. Dès lors, en ne renseignant plus les communes de moins de 9 000 habitants, la circulaire, outre qu’elle brouille toute interprétation des élections municipales de mars 2020, affecte aussi les analyses politiques futures au détriment de la bonne information des citoyens et des pouvoirs publics, comme aux dépens de la prise en compte des communes de la France périphérique et des formations politiques qui y sont le mieux implantées. L’interprétation au niveau national des résultats, par agrégation des scrutins locaux, devient fallacieuse dès lors que ces derniers ne portent que sur 5 % des communes.

Ce biais n’est pas moins contestable au regard des dispositions de l’article 4 de la constitution aux termes desquelles : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

d) Enfin, soutient l’une des requêtes, les effets du changement de seuil sont de nature à altérer la sincérité du second tour et ce, de deux façons :

  • La privation de l’information sur les nuances politiques faussera le choix des électeurs en cas de fusion des listes en application de l’article L. 264 du Code électoral : comment apprécier la sensibilité politique d’une liste résultant d’une fusion, si on ne connaît ni la couleur des candidats, ni celle de la liste ? Plus généralement, les résultats du premier tour influencent toujours ceux du second. Les électeurs n’ayant pas connaissance de la couleur politique des listes restant en lice sont privés d’une information substantielle. Les investitures ne suffisent pas toujours à l’information de l’électeur car souvent déficientes ou contestées ;

  • Au moins dans les grandes villes (dont certains électeurs se déterminent, entre les deux tours, au vu des résultats nationaux du premier tour et en apportant leurs suffrages aux formations qui leur paraissent les mieux placées au plan national), le biais induit par la non comptabilisation des communes de moins de 9 000 habitants affecte la sincérité du second tour en incitant des électeurs (qui peuvent être en nombre suffisant, eu égard à l’écart de voix, pour peser significativement sur la répartition finale des sièges) à voter en faveur de listes dont le succès au plan national est artificiellement majoré.

B – L’attribution de la nuance LDVC (liste divers centre)

Aux termes des 2e, 3e et 4e alinéas du c) du 2 de la circulaire contestée : « La nuance LUG (liste d’union des partis de gauche) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture du Parti socialiste et celle d’au moins un autre parti de gauche (EELV, PRG, PCF, Générations.s) / La nuance LUD (liste union de la droite) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture conjointe des Républicains et d’un autre parti. / La nuance LDVC sera attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture de plusieurs partis dont LREM ou le MODEM. Elle a également vocation à être attribuée aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le MODEM, ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements ».

La 16e ligne de la grille des nuances, figurant à l’annexe 2 de la circulaire, fait correspondre la nuance « liste divers centre » (LDVC) aux partis et formations politiques suivants : « liste d’union entre plusieurs parties dont au moins LREM ou le MODEM. Listes soutenues par la majorité présidentielle sans pour autant être investies par un parti du bloc du centre. Autres listes de sensibilité centriste (dont les dissidents) ».

Ces dispositions permettraient qu’un maire LR ou PS « soutenu », mais non investi par LREM, soit comptabilisé au titre de la majorité présidentielle.

Mais qu’est-ce qu’un soutien ? Une investiture est identifiable par sa source, la procédure suivie, la publicité qui lui est donnée. La notion de soutien est beaucoup plus incertaine. Une nouvelle catégorie est ainsi créée (qui était inconnue des précédentes circulaires relatives à l’attribution des nuances politiques) : « soutenu par ».

Qui plus est, cette nouvelle catégorie ne concernerait que la majorité présidentielle.

Ce dispositif a été très critiqué dès avant l’introduction des recours. Ainsi, le président du Sénat, Gérard Larcher, a dénoncé la création d’une « nouvelle variété d’élus » : ceux soutenus par la majorité présidentielle.

Pour les requérants, le fait que le seul soutien de LREM, du MoDem et de l’UDI à une liste suffise à attraire aux résultats agrégés de la majorité présidentielle ceux de cette liste, alors même qu’elle n’a pas recherché ce soutien, alors même qu’elle l’a récusé, altère la sincérité de l’information diffusée.

Un tel amalgame, qui ne jouerait qu’en faveur d’une sensibilité politique et ne tiendrait pas compte des souhaits des têtes de listes « amalgamées », romprait l’égalité entre partis politiques, porterait atteinte à leur liberté d’action et nuirait au pluralisme des courants d’expression.

IV – L’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État du 31 janvier 2020

L’audience de référés s’est tenue le matin du 29 janvier 2020, devant une formation à trois juges.

Les décisions ont été rendues publiques le 31 janvier en fin de matinée.

Après avoir joint les six requêtes pour y statuer par une seule ordonnance20, ce qui est logique puisque l’admission même partielle d’une requête n’aurait pas dispensé le Conseil d’État de statuer sur les autres griefs, le juge des référés du Conseil d’État a ordonné, jusqu’à qu’il soit statué au fond sur sa légalité, la suspension de la circulaire :

  • En tant qu’elle limite l’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus, ainsi que dans les chefs-lieux d’arrondissement ;

  • En tant qu’elle prévoit l’attribution de la nuance « liste divers centre » (LDVC) aux listes qui, sans être officiellement investies par LREM, le MODEM et l’UDI, seront soutenues par ces partis ou par la « majorité présidentielle » ;

  • Et en tant qu’elle classe la liste « Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite ».

Pour parvenir à cette solution, le juge des référés, ayant analysé l’objet de la circulaire (A) et apprécié l’urgence de la mesure demandée (B), a examiné les trois séries de dispositions litigieuses (C, D et E) et prononcé leur suspension, un moyen créant, dans chaque cas, « un doute sérieux sur leur légalité ». Le reste des dispositions de la circulaire demeure en vigueur.

A – L’objet de la circulaire, tel qu’analysé par le juge des référés du Conseil d’État

Il résulte des articles 1er à 5 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014, constate l’ordonnance, que le ministre de l’Intérieur est habilité, pour assurer la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus », à établir une « grille des nuances politiques » destinée à permettre l’agrégation des résultats des élections en vue de l’information des pouvoirs publics et des citoyens.

Ainsi que l’a relevé la Cnil dans sa délibération n° 2013-406 du 19 décembre 2013, relative à ces deux traitements automatisés, la nuance politique attribuée par l’Administration vise à placer tout candidat ou élu ainsi que toute liste sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue ainsi des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps.

L’objet de cette circulaire, qui succède à des circulaires analogues établissant des grilles de nuances politiques pour les précédentes élections municipales, est ainsi d’« agréger et présenter les résultats obtenus par les différents candidats et listes de candidats ». Afin de présenter les résultats les plus précis possibles, les préfets et hauts-commissaires sont invités à ne pas « altérer (…) le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques ».

C’est à l’aune de cette finalité que le juge des référés du Conseil d’État va examiner les choix de la circulaire critiqués par les requérants.

B – Appréciation de la condition d’urgence par le juge des référés

On était en droit de se demander pourquoi le gouvernement avait attendu si longtemps pour édicter la circulaire, alors que la loi du 2 décembre 2019 réaffirme une large trêve législative dans l’année précédant l’élection21, et pourquoi cette circulaire n’avait pas été publiée.

Le juge des référés admet que la condition d’urgence est remplie, mais en donnant toute son importance à cette absence de publication.

S’il est constant, considère-t-il, que la circulaire litigieuse, de nature réglementaire, n’a pas fait l’objet, à ce jour, d’une publication et n’est donc pas encore juridiquement opposable, il ressort des indications données par les représentants du ministre de l’Intérieur, lors de l’audience, qu’elle sera prochainement publiée pour permettre son application lors de l’enregistrement des candidatures aux élections municipales qui débute d’ici quelques jours22.

Eu égard à cette échéance immédiate, la condition d’urgence doit, dans les circonstances particulières de l’espèce, être regardée comme remplie.

C – Sur la limitation de l’attribution des nuances aux seules listes dans les communes de 9 000 habitants ou plus et dans les chefs-lieux d’arrondissement

L’ordonnance accueille le moyen tiré du caractère inadéquat du seuil de 9 000 habitants, tout en rejetant celui tiré de la violation directe du décret de 2014.

Si les dispositions du décret du 9 décembre 2014 autorisent le ministre de l’Intérieur à collecter, conserver et traiter sur supports informatiques les données correspondant notamment aux nuances politiques, sous la seule réserve des dispositions prévues par le II de l’article 5 prohibant l’enregistrement des données et informations sur les candidats aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants, elles ne sauraient, contrairement à ce qui est soutenu, être regardées comme lui imposant de mettre en œuvre cette autorisation ni, s’il la met en œuvre, de la mettre en œuvre dans sa totalité.

Toutefois, estime le juge des référés du Conseil d’État, un seuil plancher (supérieur à celui des communes de moins de 1 000 habitants prévu par ces dispositions) limitant, au regard du nombre de leurs habitants, les communes dans lesquelles des nuances politiques sont attribuées, ne saurait être légalement retenu s’il est manifestement de nature à compromettre l’objectif de la circulaire et à dénaturer la finalité des traitements.

Or, relève l’ordonnance, le seuil correspondant aux communes de 9 000 habitants et (quelle que soit leur population) aux chefs-lieux d’arrondissement conduit, dans plus de 95 % des communes, à ne pas attribuer de nuance politique. Il exclut ainsi de la présentation nationale des résultats des premier et second tours des élections municipales à venir les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs.

L’ordonnance répond précisément à l’argument du ministre selon lequel, dans les communes de la tranche 1 000/9 000 habitants, l’attribution d’une nuance serait sinon une « mission impossible », du moins une tâche trop ardue : si, relève le juge des référés, pour plus de 80 % des listes présentes dans les communes de moins de 9 000 habitants, les nuances attribuées lors des élections municipales de 2014 ne correspondaient pas à celles d’un parti politique, il n’est pas contesté que, pour les trois-quarts d’entre elles, il avait été possible d’attribuer des nuances intitulées « divers droite » et « divers gauche », reflétant ainsi des choix politiques des électeurs.

Le seuil retenu par la circulaire de 9 000 habitants a donc pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40 % du corps électoral, soit environ 19 millions d’électeurs.

Par suite, juge la décision, eu égard à l’objet même de la circulaire, qui est d’analyser le plus précisément possible les résultats électoraux sans « altérer, même en partie, le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques », afin de donner aux pouvoirs publics et aux citoyens l’information la plus complète et exacte possible, y compris sur les évolutions des résultats dans le temps, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont elle est entachée, en tant qu’elle retient le seuil de 9 000 habitants, est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

D – Sur le mode d’attribution de la nuance « liste divers centre » (LDVC)

Il résulte de la circulaire que, en principe, seule l’investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d’attribuer une nuance politique à une liste et d’agréger ainsi les résultats obtenus par cette liste.

L’exception prévue pour les listes simplement « soutenues » par les partis LREM, le MODEM, l’UDI ou par la « majorité présidentielle » (dont les résultats seront comptabilisés dans la nuance « divers centre ») retient l’attention du juge des référés. Rien de tel n’est prévu par la circulaire pour les listes soutenues, mais non investies, par les autres formations politiques (LR et PS par exemple).

Compte tenu de la différence de traitement créée par la circulaire entre partis politiques ou, pour être plus précis, de l’avantage conféré aux partis « soutiens » (dont LREM), le juge des référés du Conseil d’État a regardé comme propre à créer un « doute sérieux » quant à leur légalité le moyen tiré de ce que sont contraires au principe d’égalité les dispositions du 4e alinéa du c) du 2 de la circulaire contestée et de la 16e ligne de son annexe 2.

L’ordonnance ne se prononce pas au regard du pluralisme des courants d’opinion.

E – Sur la classification de la nuance « liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite »

Il résulte de son instruction, constate le juge des référés du Conseil d’État, qu’entre sa création, en 2008 sous le nom « Debout la République », et son changement de nom en 2014, le parti « Debout la France » s’était vu attribuer la nuance politique « divers droite » (DVD), à l’exception des élections européennes de 2009 où il s’était vu attribuer une nuance « droite souverainiste » (DSV). Depuis les élections sénatoriales de 2014, il s’est vu attribuer une nuance politique qui lui est propre.

Si cette nuance a été classée, pour les élections législatives de 2017, dans le bloc de clivage « extrême-droite » au même titre que le Rassemblement national, elle se fonde essentiellement sur les déclarations publiques du président du parti « Debout la France », à l’issue du premier tour des élections présidentielles, rallié à la présidente du Rassemblement national. N’ont été pris en considération ni le programme du parti « Debout la France », ni la circonstance que les deux partis n’ont pas conclu d’accord électoral, en vue de ces élections ni depuis lors. N’a pas été davantage prise en considération la position du parti « Debout la France » à l’occasion des élections européennes, selon laquelle ses élus ne siègeraient pas dans le même groupe que les élus du Rassemblement national, mais rejoindraient le groupe des conservateurs britanniques et polonais. Cet argument paraît décisif, autant que le fait que les nuances précédentes distinguaient les deux entités.

Par suite, et alors que l’attribution des nuances et leur classification doivent, ainsi que le mentionne la circulaire et que le soulignaient les représentants du ministre de l’Intérieur à l’audience, procéder d’un faisceau d’indices objectifs, le moyen tiré de ce que la circulaire est entachée d’erreur manifeste d’appréciation en tant qu’elle classe la nuance « liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite », est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

En conclusion, la suspension des effets de la circulaire sur ces trois points nous paraît pleinement justifiée. On peut même regretter que rien ne soit dit sur la question des fusions de listes.

L’ordonnance ne ferme pas la porte à la compétence du ministre de l’Intérieur pour édicter à l’avenir un seuil de nuançage supérieur à 1 000 habitants, mais il est clair que celui-ci ne peut exclure un trop grand nombre de communes. Le seuil de 9 000 habitants était trop élevé puisqu’il aurait privé l’opinion publique, les partis, le citoyen, l’électeur d’une information fiable sur les résultats électoraux, au premier comme au second tour. Or une telle information leur est due, comme elle est due aux candidats eux-mêmes, puisqu’elle peut avoir une incidence sur les ralliements et les fusions entre les deux tours. À défaut, c’est bien l’égalité entre les partis et le pluralisme des courants d’opinion qui sont méconnus, même si c’est l’information sur l’état politique du pays et non directement la liberté d’expression23 qui se trouve en cause.

Le seuil de 1 000 habitants présente l’avantage de reposer sur un critère objectif : celui des modes de scrutin aux élections municipales. Peut-être faudrait-il revenir au seuil de 3 500 habitants qui, avant 2013, était celui du passage au scrutin de liste. Ce chiffre est aujourd’hui un critère de découpage des cantons : sauf exception, une commune de moins de 3 500 habitants doit être intégralement incluse dans le même canton. En outre, ce seuil n’exclurait pas de la carte électorale une trop grande partie du corps électoral24.

L’ordonnance du 31 janvier 2020 donne au pluralisme toute sa portée démocratique : éclairer les choix des électeurs et assurer la sincérité du scrutin comme sa compréhension.

Pour être une photographie du pluralisme, le nuançage doit en être une photographie sincère, fiable, exhaustive et non un selfie.

Le ministre de l’Intérieur, dans le bref délai séparant l’ordonnance du juge des référés du 31 janvier de l’ouverture de l’enregistrement des candidatures – parfois le 6 février, la plupart du temps le 10 février – a publié une nouvelle circulaire le 4 février, sans explicitement abroger la précédente. En vertu du nouveau texte, le seuil en deçà duquel le nuançage ne s’applique pas est fixé à 3 500 habitants, ce qui étend la carte électorale renseignée à une partie significative des communes et de la population. La population non renseignée n’est plus que de 21 millions d’habitants (contre 35 millions dans la précédente version de la circulaire). Le soutien d’un parti politique ne détermine désormais la nuance d’une liste que si celle-ci n’a pas été investie et ce critère ne privilégie plus seulement les formations de la majorité présidentielle. Tous les partis seront donc logés à la même enseigne. Enfin, le parti Debout la France n’est plus classé dans le « bloc de clivage » extrême-droite. Même si le seuil de 3 500 habitants pourrait rester sujet à débat, il n’encourt plus les griefs qui ont motivé la décision du 31 janvier 2020. Ce seuil était d’ailleurs proposé dès les débats parlementaires du mois d’octobre 2019.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Émanant de divers auteurs : mouvement « Les Républicains », député Olivier Marleix, deux conseillers municipaux LR, parti socialiste, élus communistes, parti « Debout la France ».
  • 2.
    CE, 16 mai 2018, n° 411305, concl. Odinet.
  • 3.
    CE, 16 mai 2018, n° 411305, concl. Odinet.
  • 4.
    V. débats au Sénat 9 octobre p. 12929 et 15 octobre 2019 p. 13193. Le gouvernement répond tardivement aux questions écrites posées sur le sujet. Une réponse du 23 janvier 2020 à une question posée le 24 octobre (QE Sénat Laurent Lafon n° 12741) fait état de la circulaire, dont la presse a connaissance fin décembre.
  • 5.
    CE, 18 déc. 2002, n° 233618, Duvignères : Lebon, p. 46 : Grands arrêts n° 103 – CE, 26 déc. 2012, n° 358266, Assoc. Libérez les Demoiselles.
  • 6.
    CE, 17 déc. 2010, n° 340456.
  • 7.
    CE, concl., 2 févr. 1987, Joxe et Bollon : RFDA 2004, p. 1103.
  • 8.
    CE, 9 juill. 2010, n° 327663, Fédération nationale de la libre pensée, sauf lorsque la loi leur confère a contrario un intérêt personnel à agir suffisant. Tel est le cas pour les élections des membres du comité des finances locales : CE, 23 juill. 2004, Migaud ; V. RDP 1987, p. 1670, chron. Vigouroux C. ou pour un décret transférant le patrimoine d’ELF à une filiale : CE, 24 nov. 1978, Schwartz : AJDA 1979, p. 46, concl. Latournerie D. ; Bertile E, « Le parlementaire devant le juge administratif », RFDC 2006, p. 825, n° 68 ; Carpentier E., « L’intérêt à agir du Parlement et des parlementaires devant le Conseil d’État », AJDA 2008, p. 777.  Camby J.-P., « L’intérêt du parlementaire à agir devant le juge administratif », RDP 2013, p. 97.
  • 9.
    CE, 19 oct. 1962, Broca : Lebon, p. 553, concl. Bernard M.; RDP 1962, p. 1182.
  • 10.
    CE, 9 mai 2005, n° 280263, Rassemblement pour la France et l’indépendance de l’Europe ; CE, 2 avr. 2003, n° 246993.
  • 11.
    A. n° 2019-32, 19 déc. 2019, justifiant d’autant plus l’urgence pour un des requérants. Dans d’autres cas l’ouverture de l’enregistrement est plus tardive : 10 février dans l’Ain, 13 février dans les Alpes maritimes, départements d’origine d’autres requérants.
  • 12.
    CE, 11 avr. 2006, n° 292029 ; CE, 4 avr. 2019, n° 429370.
  • 13.
    CE, 7 févr. 2001, n° 229221, Cne de Pointe-à-Pitre.
  • 14.
    CE, 24 févr. 2001, n° 230611, Tiberi.
  • 15.
    V. leurs rédactions antérieure et postérieure à l’article 24 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
  • 16.
    En 2014, 82 % des listes présentées dans les communes de 1000 à 9000 habitants ont été nuancées DVD, DVG ou DV. Les proportions de DVD et DVG, qui constituent la majorité de ces 82 %, permettent de caractériser l’état politique d’une commune et, agrégées, contribuent significativement à dresser une carte politique.
  • 17.
    Délib. n° 2013-406, 19 déc. 2013.
  • 18.
    Comme le relève Guillaume Tabard dans le Figaro du 31 janvier, la liste Rassemblement national a dépassé de peu celle de la République en marche aux élections européennes de mai 2019 (23,3 % contre 22,4 %). Mais si on ne prend pas en compte les communes de moins de 9 000 habitants, la liste LREM arrive cinq points devant la liste RN.
  • 19.
    CE, 2 avr. 2003, n° 246993, Parti des travailleurs.
  • 20.
    CE, 31 janv. 2020, nos 437675, 437795, 437805, 437824, 437910, 437933, Laroche et a.
  • 21.
    C. élect., art. L. 567-1 : « Il ne peut être procédé à une modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin ». Ce dispositif se substitue, à compter du 30 juin prochain, à l’article 7 de la loi du 11 décembre 1990, qui prohibe seulement le redécoupage des circonscriptions dans l’année précédant une consultation, son objet était doc moins étendu que celui du nouveau texte.
  • 22.
    Ce sont des arrêtés préfectoraux qui fixent ces dates (C. élect., art. R. 127-2).
  • 23.
    V. pour les émissions de la campagne officielle : CE, 29 mai 2017, n° 410833 ; Cons. const., 31 mai 2017, n° 2017-651, Assoc. En Marche ! : AJDA 2017 ; D. 2017, p. 1126 ; JCP 2017, n° 24, p. 1159, note Derieux E. ; LPA 15 juin 2017, n° 127k2, p. 12, note Camby J.-P.
  • 24.
    V. ci-dessous dans l’épilogue pour la circulaire parue le 4 février 2020.
X