Élections présidentielles, calendrier électoral et rythmes électoraux : pour un approfondissement de la logique quinquennale

Publié le 20/04/2017

Il est aujourd’hui possible de plaider pour que l’harmonisation des mandats présidentiel, législatif et locaux soit réalisée sur la base d’un « triple quinquennat », qui présenterait de multiples avantages et conduirait à la création d’une vice-présidence.

2 avril 1974 ; 2 octobre 2000 ; 15 mai 2001. Trois dates, qui résument les déterminants du calendrier électoral des élections nationales. Mort du président Pompidou pour la première, dictant, depuis, l’organisation au printemps de l’élection présidentielle ; loi constitutionnelle sur le quinquennat présidentiel pour la deuxième, accélérant le temps de l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle ; loi organique pour la troisième, prévoyant les élections législatives dans la foulée des élections présidentielles, en supposant qu’aucun aléa n’affecte le calendrier de l’une ou de l’autre élection.

Pour autant, le calendrier électoral ne saurait se résumer au temps démocratique majeur du doublé électoral voulu par le Constituant et le législateur organique. Il intègre, en effet, en plus du renouvellement triennal par moitié du Sénat par les grands électeurs1 et des élections européennes, tous les cinq ans, quatre types d’élections locales : élections municipales, tous les six ans, en mars, couplées avec les élections intercommunales par un scrutin de fléchage dans les communes de 1 000 habitants et plus ; élections, un an plus tard, des conseillers départementaux et régionaux. L’organisation du calendrier des élections locales a souvent subi des à-coups en cas d’interférences avec les élections présidentielles et législatives. Mais il a fait l’objet, à plusieurs reprises depuis de début des années 1990, de tentatives de rationalisation, par le regroupement de plusieurs élections locales.

Jusqu’à présent, toutefois, aucune réflexion ne paraît avoir été conduite sur un calendrier d’ensemble de la démocratie française. Quinquennats présidentiel et législatif coexistent avec les sexennats locaux. En cas d’interférence des deux types de calendriers, comme en 1995 ou en 2007, la démocratie locale s’incline, au risque de perturber les tentatives de rationalisation du calendrier des élections locales.

Notre propos n’est pas de revenir sur les axes directeurs de la Ve République, ordonnés autour des périodes de primauté présidentielle ou de cohabitation, en fonction de la concordance, ou non, des majorités présidentielle et parlementaire. Il n’est pas davantage de remettre en cause les éléments-clés du calendrier arrêté au début des années 2000 : des élections présidentielles, tous les cinq ans, précédant de quelques semaines les élections législatives. Le contexte et les motivations de la liaison ainsi opérée du « double quinquennat »2 seront néanmoins rappelés (I), afin de mieux saisir notre proposition d’un triple quinquennat, les élections locales ayant vocation à intégrer durablement le cycle quinquennal dicté par l’élection présidentielle, singulièrement par l’adoption du quinquennat local (II). La réflexion sera complétée par l’évocation des aléas susceptibles d’affecter l’ordonnancement électoral d’ensemble défini, à régime politique inchangé, et des palliatifs de nature à préserver le cycle quinquennal ainsi approfondi (III).

I – L’adoption du « double quinquennat »

À l’arythmie du calendrier électoral des élections « gouvernementales » (A), a été préférée la liaison des élections présidentielles et législatives (B).

A – Arythmie

Singularité de la Ve République, l’« existence de deux élections attributives du pouvoir gouvernemental »3, les élections législatives, mais aussi l’élection présidentielle, a conduit pendant plus de quatre décennies, de 1958 à 2002, à une arythmie du calendrier électoral.

Une fois actés l’orientation présidentialiste de la pratique des institutions, après le référendum du 28 octobre 1962 décidant l’élection au suffrage universel direct du chef de l’État, et les élections législatives de novembre 1962 révélant un « fait majoritaire » à son profit, la séquence d’attribution du pouvoir gouvernemental devait, de fait, dépendre nécessairement des résultats de l’une et l’autre élection. De telle sorte que toute élection présidentielle (1965, 1969, 1974, 1981, 1988, 1995), comme toute élection législative générale, intervenant suite à une dissolution (1962, 1968, 1981, 1988, 1997), ou à échéance normale (1967, 1973, 1978, 1986, 1993), ouvrait une nouvelle période d’attribution du pouvoir « gouvernemental », au bénéfice d’un président déjà en place, nouvellement élu, ou réélu, ou d’un gouvernement soutenu par une majorité parlementaire opposée au président.

Le professeur Olivier Duhamel a parfaitement retracé cette arythmie électorale4, suivant des séquences temporelles pouvant osciller, tour à tour, entre un an et cinq ans, soit, de 1958 à 2002 : 4 ans (entre les législatives et la présidentielle de 1958 et la dissolution de 1962), 3 ans (jusqu’à la présidentielle de 1965), 2 ans (jusqu’aux législatives de 1967), 1 an (jusqu’à la dissolution de 1968), 1 an (jusqu’à la présidentielle de 1969), 4 ans (jusqu’aux législatives de 1973), 1 an (jusqu’à la présidentielle de 1974), 4 ans (jusqu’aux législatives de 1978), 3 ans (jusqu’à la présidentielle et aux législatives de 1981), 5 ans (jusqu’aux législatives de 1986), 2 ans (jusqu’à la présidentielle et aux législatives de 1988), 5 ans (jusqu’aux législatives de 1993), 2 ans (jusqu’à la présidentielle de 1995), 2 ans (jusqu’à la dissolution de 1997), 5 ans (jusqu’aux échéances électorales du printemps 2002). Le professeur Olivier Duhamel peut en inférer la surprenante équation : « 7 + 5 = 3 ». De fait, le pouvoir, en régime de septennat présidentiel, a été attribué pour une durée moyenne légèrement inférieure à trois ans. Sans usage du droit de dissolution, ni fin prématurée du mandat présidentiel, pour cause de démission (1969) ou de décès (1974) du titulaire de la magistrature suprême, il l’aurait été sur un cycle théorique de 35 ans, pour une durée moyenne légèrement supérieure, 3,2 ans, mais suivant une arythmie aussi prononcée5.

Dictée à la fois par la dualité des élections « gouvernementales », par la temporalité différente des mandats, variant en fonction d’aléas humains ou politiques pouvant affecter la présidence de la République ou la première chambre, l’arythmie électorale est donc patente. Les effets en sont lissés en période de concordance maintenue des majorités, comme jusqu’en 1986, au bénéfice, parfois, d’impulsions complémentaires décidées par le chef de l’État : changement de gouvernement, mise en jeu par le président de sa responsabilité par le recours au référendum, à l’image, non reproduite, du général de Gaulle. Mais les inconvénients de cette arythmie sont renforcés en cas de discordance : à partir de 1981, les septennats occasionneront systématiquement l’ouverture d’une période de cohabitation, la période de présidentialisme majoritaire (5 ans pour les septennats mitterrandiens, 2 ans pour le septennat chiraquien) dépendant de la liaison temporelle des élections présidentielles et législatives, effective en 1981 et en 1988, par un usage habile du droit de dissolution, évanescente en 1997 par l’usage décalé de ce même droit.

B – Liaison

Apparu de façon conjoncturelle en 1873, pérennisé par les lois constitutionnelles de 1875, puis par les Constitutions de 1946 et de 1958, le septennat a survécu jusqu’au référendum constitutionnel du 24 septembre 2000. Comme en 1973, lorsque le président Georges Pompidou tenta, une première fois, cette réforme, le quinquennat adopté en 2000 fut déconnecté de tout autre changement. Mais l’argumentaire avancé par ses promoteurs le situait clairement dans la logique présidentialiste des institutions de la Ve République. « Mieux [correspondre] au rythme et à l’accélération de l’action politique », « rend(re) moins probable l’hypothèse d’une cohabitation »6, promouvoir une durée « plus adaptée à la mise en œuvre d’un programme présidentiel »7 : autant d’arguments plaidant, ce qui fut rapidement fait, pour dépasser le quinquennat « sec », simple changement de la durée du mandat, et pour lier élection présidentielle et élections législatives, dans un ordre temporel donnant la primeur à l’élection du chef de l’État.

La loi organique du 15 mai 2001 est donc venue préciser, à front politique inversé, que les pouvoirs de l’Assemblée nationale expireraient le troisième mardi de juin de la cinquième année suivant son élection, ce qui avait pour effet de placer l’élection présidentielle d’avril/mai 2002, quelques semaines avant les élections législatives, décalées de mars à juin. L’allongement de la durée de la législature élue en 1997 fut justifié par « la place de l’élection du président de la République au suffrage universel direct dans le fonctionnement des institutions de la cinquième République », motif d’intérêt général accepté sans difficulté par le Conseil constitutionnel8. La « remise en ordre du calendrier »9 visa donc à conforter la place de l’élection présidentielle, en lui conférant un effet de levier pour les élections législatives suivantes, la majorité présidentielle ayant vocation, sauf accident10, à être confirmée par une majorité à l’Assemblée. Situation déjà vérifiée en 1981 et en 1988, mais aussi en 1962 : le référendum du 28 octobre et l’engagement de la responsabilité présidentielle ont fait office de leviers pour les élections de novembre et pour l’apparition du fait majoritaire. Situation qui se vérifiera à nouveau, en régime de quinquennat présidentiel, en 2002, en 2007 et en 2012, le doublé présidentielle/législatives permettant de parvenir à la « fusion [recherchée] des majorités »11 présidentielle et parlementaire.

Le double quinquennat, mais aussi la liaison des deux élections, dans un ordre respectueux de la primauté présidentielle, ont ainsi, volens nolens, jusqu’à présent, atteint le but poursuivi : inscrire les deux élections, présidentielle et législatives, dans un rythme quinquennal dégageant au profit du chef de l’État une période de cinq ans pour gouverner, avec l’appui d’une majorité au palais Bourbon, plus ou moins homogène cependant selon les législatures.

Ainsi ordonné, le nouveau calendrier n’en débouche pas moins sur une accentuation présidentialiste des institutions de la Ve République, au point de susciter des vocations pour plaider le retour au septennat, fût-il non renouvelable12. La réflexion sur les rythmes électoraux nous conduira à l’analyse des aléas calendaires, notamment ceux des élections locales, qui ne semblent pas avoir trouvé leur place dans le calendrier électoral global de la démocratie française.

II – La promotion d’un triple quinquennat

À l’interférence inévitable entre élections nationales et élections locales (A), nous préférons l’intégration ordonnée de celles-ci au cycle électoral quinquennal dicté par la durée du mandat présidentiel (B).

A – Interférence

Le calendrier des élections locales, sous la Ve République, s’est doublement enrichi : aux élections municipales et cantonales, sont en effet venues s’ajouter les élections régionales, en 1986, puis les élections intercommunales, en 2014. Ces ajouts n’ont remis en cause ni la durée traditionnelle des mandatures locales, de six ans, ni le choix du mois de mars pour les élections locales, identifié comme tel par une loi du 19 novembre 1963. Ils ont cependant conduit les pouvoirs publics à réfléchir à une rationalisation du calendrier, visant à regrouper entre elles les élections locales, avec l’objectif prioritaire de lutter contre l’abstention par une diminution des séquences électorales.

Quatre lois, à titre principal, ont opéré, ou tenté d’opérer cette rationalisation. Une loi du 11 décembre 1990 visa d’abord, tout en mettant fin au renouvellement par moitié des conseils généraux, à regrouper tous les six ans les élections cantonales et régionales. Puis, la loi du 18 janvier 1994, tout en revenant au renouvellement par moitié des assemblées départementales, décida d’une concomitance alternée, tous les trois ans, des élections locales : une série restaurée des cantonales étant couplée avec les régionales (1998, 2004…), l’autre série avec les élections municipales (2001, 2007…). La loi du 16 février 2010, dictée par l’instauration programmée du conseiller territorial, mit à nouveau fin au renouvellement par moitié des conseils généraux, regroupa en une même séquence, en mars 2014, le renouvellement des assemblées départementales et régionales, séquence coïncidant avec les élections municipales et intercommunales prévues le même mois. À ce trop-plein électoral, la loi du 17 mai 2013, préféra retenir à nouveau un double séquencement des élections locales, mais à un an d’intervalle cette fois : au couple municipales/intercommunales, en mars 2014, devait en effet succéder, en mars 2015, le couple départementales/régionales. Si ce dernier couple fut dissocié dans le courant de l’année 2015 en raison du calendrier de mise en place des grandes régions, la loi du 16 janvier 2015 a tenu à rétablir son unité, en mars 2021.

On peut donner acte au législateur de ces efforts de rationalisation et considérer que le double séquencement, a un an d’intervalle, des deux couples identifiés à sa logique, permettant à chacun de développer ses thématiques électorales propres, en toute autonomie des séquences. Il reste que le sexennat local aboutit forcément au maintien d’interférences avec le calendrier des élections nationales. Ainsi, en 2027, le couple des élections régionales et départementales heurtera la préparation des élections présidentielles et législatives du printemps. Avec le risque d’une remise en cause du double séquencement des élections locales, à un an d’intervalle, identifiés par le législateur de 2013.

Cette situation d’interférence n’est pas nouvelle ; elle s’est déjà rencontrée à plusieurs reprises dans le passé. Elle a parfois été assumée, comme en mars 1986, avec l’organisation le même jour des élections législatives et des élections régionales, au risque, concrétisé, d’une large occultation des enjeux des secondes. Mais le plus souvent, en cas d’interférence entre élections nationales et élections locales, il a été choisi de reporter ces dernières. L’interférence a pu concerner élections cantonales et élections législatives, comme en 1967 et en 1973. Plus souvent, elle a pu concerner les élections présidentielles, en régime de septennat (1988, 1995), comme en régime de quinquennat (2007). Systématiquement, les élections locales ont été reportées, servant ainsi de variable d’ajustement au calendrier électoral global et dessinant une hiérarchie des élections13.

La démarche peut être comprise ; elle n’en est pas moins gênante dans la mesure où elle remet en cause, inévitablement, la durée des mandats locaux. Surtout, elle a parfois pour effet, comme avec les lois du 15 décembre 2005, de remettre en cause les efforts préalables de rationalisation du calendrier des élections locales14. Demeure donc posée la question d’une meilleure intégration des élections locales au calendrier électoral d’ensemble de la démocratie française. Dans quelle mesure le double quinquennat doit-il conduire à repenser le rythme des élections locales ?

B – Intégration

Dans sa déclaration de politique générale, en 1997, Lionel Jospin avait souhaité « harmoniser l’ensemble des mandats électifs sur une base de cinq ans »15. Le mandat régional, d’abord (loi du 19 janvier 1999), le mandat présidentiel, ensuite, furent ainsi réduits à 5 ans, mais sans vue d’ensemble ni perspective d’une refonte globale du calendrier électoral. La fragilité de la réflexion fut confirmée par le rétablissement à 6 ans de la durée du mandat régional, par la loi du 11 avril 2003.

La réflexion mérite aujourd’hui d’être reprise. En partant d’un présupposé, fondé sur les constatations qui précèdent : si l’on veut éviter, ou tendre à éviter le plus possible, les situations d’interférences dénoncées, palliées par à-coups, il convient de privilégier l’identité de durée des mandats nationaux et locaux, bref, de passer du double quinquennat au triple quinquennat, le quinquennat local venant s’ajouter aux quinquennats présidentiel et législatif. Non pour situer les élections locales dans une situation de dépendance à l’égard du double quinquennat, mais, bien au contraire, pour favoriser leur autonomie en les situant au mieux dans le cycle électoral quinquennal induit par la réforme de 2000/2001, avec le même positionnement d’un cycle à l’autre.

Nous sommes ainsi conduits à formuler la proposition suivante, tenant compte des dernières avancées législatives. En premier lieu, il convient de maintenir le séquençage en deux temps des élections locales, à un an d’intervalle, avec le couple municipales/intercommunales, puis le couple départementales/régionales. Chacun a sa logique propre, de démocratie de proximité pour le premier, de solidarité sociale, d’aménagement et de développement des territoires pour le second. Chacun a droit à son temps électoral propre, non confondu avec l’autre, ni avec les élections présidentielles et législatives passées ou à venir. Nous proposons de situer cette double séquence électorale, de façon optimale, à n+2 et à n+3 du cycle quinquennal présidentiel. Nous proposons aussi de déconnecter la réflexion sur ce positionnement des élections sénatoriales : un grand électeur est tout aussi légitime à se prononcer qu’il émane d’une assemblée qui vient d’être élue ou qui l’a été quelques années auparavant. Sur le plan technique, enfin, pour atteindre ce positionnement, il suffirait, sans toucher à la durée des mandats locaux en cours, de prévoir que les assemblées élues en 2020 et en 2021, le seront, exceptionnellement, pour une durée de quatre ans (avec des fins de mandat programmées en 2024 et en 2025), puis, de façon permanente, pour cinq ans. Le triple quinquennat deviendrait ainsi effectif, sa combinaison temporelle permettant d’« harmoniser » au mieux les calendriers des élections nationales et locales, enfin mis en cohérence.

Le calendrier ainsi défini présenterait d’autres avantages. Il intégrerait dans le cycle, à n+2, les élections européennes, mais avec quelques mois de décalage par rapport à la première séquence électorale locale16. Il serait plus lisible et permettrait une meilleure respiration démocratique. Pour le président, le gouvernement et leur majorité, le programme pourrait être mis en œuvre sans interférence électorale pendant les deux premières années, puis pendant les deux dernières années du quinquennat. Pour les collectivités et pour les institutions locales, le temps quinquennal paraît, somme toute, mieux adapté à la modernité démocratique, a fortiori au principe suivant lequel « les électeurs doivent être appelés à exercer leur droit de suffrage pour la désignation des membres des conseils élus des collectivités territoriales suivant une périodicité raisonnable »17. La pérennité du calendrier électoral ainsi défini paraît cependant subordonnée à la préservation du cycle quinquennal présidentiel, non assurée en l’état.

III – Le cycle quinquennal préservé ?

Le constat des aléas pouvant affecter le cycle quinquennal (A) nous conduit à considérer les mesures qui permettraient de le préserver, tout en assurant la continuité du pouvoir exécutif et de l’État (B).

A – Aléas

À considérer le double quinquennat, « dans un régime qui reste juridiquement et foncièrement parlementaire »18, la concordance du mandat présidentiel et de la législature ne paraît pas nécessairement garantie pour l’avenir. Des aléas politiques, institutionnels ou humains sont susceptibles de l’affecter.

D’évidence, le premier concerne l’Assemblée nationale, qui peut être dissoute par le chef de l’État en vertu du pouvoir propre que lui confère l’article 12 de la Constitution. Il ne saurait être question d’en priver le régime. Utilisée à bon escient, la dissolution a fait la preuve de son efficacité. Et elle conserve son utilité en régime de quinquennat présidentiel. Conséquence d’une motion de censure, comme en 1962, ou d’un délitement de la majorité, hypothèse envisagée sous la XIVe législature ; réponse à des situations exceptionnelles, comme après mai 1968 ; volonté de restaurer la concordance des majorités, comme en 1981 et en 1988… : les hypothèses sont nombreuses où le recours à l’arme de la dissolution peut s’avérer décisif pour le chef de l’État, en cours de quinquennat, mais aussi au début de celui-ci.

Cette dernière occurrence ramène à la question des rythmes électoraux et confirme le bien-fondé de l’article 12. En cas de déphasage antérieur, pour une cause ou pour une autre, des mandatures présidentielle et législative, le droit de dissolution permet au président élu, ou réélu, de disposer d’une majorité, en escomptant l’effet levier de la présidentielle. Il reste que la législature pourrait s’achever, même sans dissolution, avant la fin d’un quinquennat présidentiel ouvert en dehors du calendrier fixé par la mort du président Pompidou… Le mandat présidentiel se décline en effet de date à date, alors que le terme d’une législature expire, dissolution ou pas, « le troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit [l’] élection » (C. élect., art. LO 121).

La fin prématurée du mandat présidentiel, quant à elle, peut avoir des causes finalement assez nombreuses : assassinat, accident mortel, mort naturelle, destitution par la haute cour, empêchement du président déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, démission. L’histoire française, comme celle des autres pays, offre plusieurs exemples de fin prématurée du mandat du chef de l’État. Qu’il suffise de citer, dans un passé récent, le tragique accident de l’avion présidentiel polonais décimant une partie de la classe politique, dont le président, venue commémorer le massacre de Katyn. Or cette fin prématurée n’est pas sans soulever plusieurs difficultés. Elle pose avec acuité la problématique de recueil des parrainages dans le calendrier extrêmement contraint, fixé par la Constitution, pour l’organisation d’une nouvelle élection19. Elle vient rompre la temporalité de l’exercice quinquennal de la fonction présidentielle, en disharmonie avec « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État », assurés par l’arbitrage présidentiel selon les termes de l’article 5 de la Constitution. Elle met un terme, par définition, au moins de façon momentanée, au phasage des mandats présidentiel et législatif. Enfin, elle est susceptible de bouleverser, plus ou moins profondément, l’ordonnancement souhaité du calendrier des élections nationales et locales, fondé sur le triple quinquennat.

Quels remèdes envisager ? Un pis-aller consisterait à préfixer dans la Constitution la date de la fin du mandat présidentiel. Le comité Vedel, avait proposé, en régime septennal, de retenir « le 15 mars de la septième année suivant l’élection »20. C’est aussi le parti choisi par les rédacteurs de la Constitution du 4 novembre 1848, l’article 46 retenant « le deuxième dimanche du mois de mai de la quatrième année qui suivra [l’] élection ». On perçoit pour notre propos l’avantage de ce correctif21 : permettre, dès que possible, la liaison des élections présidentielle et législatives, au printemps, occasion de retrouver la cohérence et le parfait phasage du double quinquennat et des majorités. Mais on pressent aussi son insuffisance au regard du calendrier électoral d’ensemble que nous cherchons à définir : le doublé électoral printanier, pour restauré qu’il soit, pourrait se situer une année d’élections locales, voire européennes. Il y aurait lieu alors de repousser le couple concerné d’élections locales, voire les deux. Fin de cohérence pour le triple quinquennat et nouvelle arythmie électorale en perspective. Considérer la continuité et la stabilité du pouvoir présidentiel, au-delà de l’État, permet cependant de forger, incidemment, la clé de sûreté du triple quinquennat.

B – Continuité

Telle qu’elle a été conçue, la régulation des rythmes électoraux repose sur le maintien du cycle quinquennal présidentiel. Que le mandat présidentiel soit interrompu de façon prématurée et c’est l’ensemble du dispositif qui se trouve remis en cause. Mais, plus encore que les rythmes électoraux, la fin anticipée du mandat présidentiel pose la question du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » et de « la continuité de l’État », auxquels doit veiller le président, par son arbitrage.

En l’état, le texte de la Constitution, complété sur ce point en 1962, prévoit qu’« en cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement constaté par le Conseil constitutionnel (…), les fonctions du président de la République, à l’exception de celles prévues aux articles 11 et 12 (…) sont provisoirement exercées par le président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d’exercer ces fonctions, par le gouvernement ». Cette « suppléance »22 à deux niveaux, si elle paraît avoir correctement fonctionné en 1969 et en 1974 au bénéfice d’Alain Poher, s’accorde peu à la logique présidentialiste de la Ve République. Elle privilégie une solution provisoire, dans l’attente d’une nouvelle élection, au bénéfice du troisième personnage de l’État, amené à occuper l’Élysée sans disposer de la légitimité de son prédécesseur, privé en droit de certains des pouvoirs présidentiels et, en pratique, du rôle d’orientation et de direction politique. Occasion d’une brève période de restauration de prépondérance gouvernementale dans l’attente d’une nouvelle élection présidentielle.

Une autre solution serait envisageable pour assurer la continuité du pouvoir exécutif, et au-delà, de l’État : instaurer une vice-présidence de la République. Classiquement associée au régime présidentiel, modèle des États-Unis et souvenir de la Constitution du 4 novembre 1848 aidant, l’instauration d’une vice-présidence a été proposée par plusieurs propositions de loi constitutionnelle sous la Ve République. Parfois, dans le cadre souhaité d’un régime présidentiel23 ; plus souvent, sans toucher aux équilibres institutionnels du régime tout en prenant acte de ses évolutions24.

Il est vrai que la vice-présidence représente une « solution élégante et adaptée aux problèmes de continuité structurelle »25 du pouvoir présidentiel : le vice-président a vocation, en effet, à être élu en même temps que le président, et par le même corps électoral. Une première option a été envisagée : une élection le même jour que le président, au suffrage universel direct, mais par scrutin séparé, pour faire du vice-président « un homme choisi pour ses qualités propres et non parce qu’il aura su être l’ombre de son maître »26. À cette solution peu convaincante27, il convient de préférer une élection le même jour d’un binôme présidentiel et vice-présidentiel. On pourrait ainsi envisager que le candidat à la présidence joigne à sa candidature celle de son suppléant, avec les mêmes exigences de transparence. La désignation d’un candidat à la vice-présidence serait juridiquement déconnectée du système des parrainages. Ainsi présenté, « ce système concilie le choix par le président du successeur qui achèvera éventuellement son mandat et donne à ce choix la ratification nécessaire et indispensable du suffrage universel »28. En réalisant « la confusion des électorats »29, le dispositif garantit la légitimité du vice-président à exercer, s’il y a lieu, la magistrature suprême.

Le dispositif pourrait enfin être complété en s’inspirant du modèle des États-Unis d’Amérique30. En cas de vacance ou d’empêchement définitif de la vice-présidence en cours de mandat, il appartiendrait au président de désigner un nouveau titulaire de la fonction ; celui-ci pourrait être confirmé par le Parlement réuni en Congrès. Un vice-président appelé aux fonctions présidentielles procéderait au même type de désignation. Enfin, en cas de vacance simultanée de la présidence et de la vice-présidence, on pourrait envisager un exercice de la fonction présidentielle par le président du Sénat ou, à défaut, par le gouvernement – solution palliative qui rejoindrait l’actuel dispositif de l’article 7 de la Constitution. On pourrait aussi confier l’élection du binôme au collège élargi constitué par les grands électeurs sénatoriaux, reprise mutatis mutandis du dispositif imaginé ab initio par le Constituant de 1958 pour l’élection du chef de l’État. Dans ces dernières hypothèses, l’exercice de la fonction présidentielle, sur la fin du quinquennat, rejoindrait une présidence arbitrale, délestée de la fonction d’orientation et de direction politique ; le gouvernement retrouverait, pour un temps, sa prépondérance.

Une dernière source de questionnement demeure. L’institution d’un vice-président, au-delà de cette qualité de « président putatif »31 qui lui est assignée, est-elle adaptée aux institutions ? En un sens, elle institue une « triarchie » au sein de l’exécutif32 ; elle en complique la structure. On peut aussi supposer qu’elle « n’inciterait pas à la simplification du système des partis »33. Pour autant, au-delà de la solution apportée à la « continuité structurelle » de l’exécutif, et incidemment, à celle du calendrier électoral, le vice-président pourrait voir sa fonction prendre une certaine densité institutionnelle : présence régulière au conseil des ministres, le préparant à l’exercice éventuel du pouvoir, présidence – certes symbolique – du Conseil d’État34, suppléance temporaire du chef de l’État… Au total, la vice-présidence ne remettrait pas en cause, selon nous, la plasticité et la flexibilité du régime de la Ve République. L’institution serait de nature, bien au contraire, à conforter la clé de voûte présidentielle du régime.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Depuis la loi du 30 juillet 2003.
  • 2.
    Massot J., « La durée du mandat présidentiel sous la Ve République », in Le service public. Mélanges Marceau Long, 2016, Dalloz, p. 361.
  • 3.
    Duhamel O., Le quinquennat. Réflexions sur nos institutions, 3e éd., 2008, SciencesPo, p. 65.
  • 4.
    Duhamel O., Le quinquennat. Réflexions sur nos institutions, préc., p. 34-35.
  • 5.
    Suivant un séquencement couvrant cinq septennats et sept législatures : 5/2/3/4/1/5/1/4/3/2/5.
  • 6.
    Albertini P., Sicart I., Histoire du quinquennat. 1873-2000, 2001, Economica, p. 129, reprenant l’argumentaire développé par l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing.
  • 7.
    Gabriel F., « Le quinquennat : changement de rythme ou changement de fond ? », Revue des deux Mondes, janv. 2012, p. 147.
  • 8.
    Cons. const., 9 mai 2001, n° 2001-144 DC : Rec. Cons. const., p. 59.
  • 9.
    Pactet P., Melin-Soucramanien F., Droit constitutionnel, 34e éd., 2015, Sirey, p. 372.
  • 10.
    Telle une recomposition accélérée du système de partis ne permettant pas de dégager une majorité claire suite au résultat inédit d’une élection présidentielle. Pour d’autres accidents possibles, v. Carcassonne G., « Changer de régime sans changer de constitution : l’initiative des acteurs », in Renouveau du droit constitutionnel. Mélanges Louis Favoreu, 2007, Dalloz, p. 543 et s.
  • 11.
    Gabriel F., « Le quinquennat : changement de rythme ou changement de fond ? », préc., p. 147.
  • 12.
    Bartolone C. et Winock M., « Refaire la démocratie », n° 3100, AN, XIVe lég. (2015), prop. n° 7, p. 83.
  • 13.
    Sur cette thématique des rythmes électoraux des élections locales, v. notre étude, « Élections locales et rythmes électoraux : quelles dynamiques contemporaines ? », in Feldman J.-P. et Guiselin E.-P. (dir.), Les mutations de la démocratie locale. Élections et statut des élus, 2011, L’Harmattan, p. 63 et s.
  • 14.
    « Élections locales et rythmes électoraux : quelles dynamiques contemporaines ? », préc., p. 73-74.
  • 15.
    JOAN, 19 juin 1997, p. 2838.
  • 16.
    Par ex. : élections européennes, en mai/juin 2024, après les élections du « bloc communal » de mars 2024, suivant le calendrier proposé, et avant des élections départementales et régionales positionnées en mars 2025.
  • 17.
    Cons. const., 13 janv. 1994, n° 93-331 DC : Rec. Cons. const., p. 17.
  • 18.
    Le Pourhiet A.-M., Droit constitutionnel, 7e éd., 2016, Economica, p. 360.
  • 19.
    Les candidatures seraient sans doute, pour l’essentiel, restreintes à celles s’appuyant sur les formations politiques disposant d’un réseau important d’élus, nationaux ou locaux.
  • 20.
    Rapp. Comité Vedel, « Propositions pour une révision de la Constitution », 15 févr. 1993, La Documentation française, p. 37.
  • 21.
    La date retenue par le Constituant pourrait être le 15 mai de la cinquième année suivant l’élection.
  • 22.
    Sur cette qualification de « suppléance » de préférence à celle d’intérim, couramment utilisée, v. Camby J.-P., « Intérim, suppléance et délégation », RDP 2001, p. 1605 et s.
  • 23.
    Proposition de loi constitutionnelle (PPLC) Marcilhacy P., Doc. Sén. (1959-1960), n° 166.
  • 24.
    PPLC Marcilhacy P., Doc. Sén. (1963-1964), n° 152 ; PPLC Coste-Floret P., Doc. AN, IIe lég. (1966), n° 1737 ; PPLC Hunault M., Doc. AN, XIIIe lég. (2010), n° 2450.
  • 25.
    Juillard P., « La continuité du pouvoir exécutif », in Le Pouvoir. Mélanges offerts à Georges Burdeau, 1977, LGDJ, p. 174.
  • 26.
    PPLC Marcilhacy P., n° 152, préc., exposé des motifs, p. 2.
  • 27.
    Elle n’exclut pas la désignation d’un président et d’un vice-président de tendance opposée et elle s’accorderait mal avec le dispositif des parrainages.
  • 28.
    PPLC Coste-Floret P., n° 1737, préc., exposé des motifs.
  • 29.
    Juillard P., « La continuité du pouvoir exécutif », préc., p. 173.
  • 30.
    V. amendement XXV (ratifié le 10 févr. 1967) à la Constitution des États-Unis d’Amérique.
  • 31.
    PPLC Marcilhacy P., n° 152, préc., exposé des motifs, p. 2.
  • 32.
    de Guillenchmidt M., Droit constitutionnel et institutions politiques, 3e éd., 2010, Economica, p. 341.
  • 33.
    de Guillenchmidt M., Droit constitutionnel et institutions politiques, préc., p. 341.
  • 34.
    Sur ces deux dernières propositions, v. PPLC Marcilhacy P., n° 152, préc.
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