Infraction, confiscation de biens communs : le Conseil constitutionnel protège le droit de propriété

Publié le 22/06/2022
Infraction, confiscation de biens communs : le Conseil constitutionnel protège le droit de propriété
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Dans une décision QPC du 25 novembre 2021, le Conseil constitutionnel censure plusieurs alinéas de l’article L. 131-21 du Code pénal relatif à la peine complémentaire de confiscation des biens en ce que les dispositions contestées ne préservent pas la possibilité, pour le conjoint commun en biens d’un délinquant, de défendre ses droits sur un bien saisi. Précisions.

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative aux droits de l’époux commun en biens en cas de confiscation prévue au titre de peine complémentaire de certaines infractions (Cons. const., QPC, 24 nov. 2021, n° 2021-949/950, JORF n°0274, 25 nov. 2021, texte n° 112).

Saisi par la chambre criminelle de la Cour de cassation de deux QPC (Cass. crim., 15 sept. 2021, n° 1204 et 1206), le Conseil constitutionnel a partiellement censuré l’article L. 131-21 du Code pénal dans sa rédaction de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013), au motif que le texte ne permet pas au propriétaire de bonne foi d’un bien confisqué suite à une infraction pénale de défendre son droit de propriété.

Les biens susceptibles de confiscation

L’article L. 131-21 du Code pénal instaure une peine complémentaire à la peine d’amende ou d’emprisonnement, en prévoyant la confiscation de tout bien destiné à commettre l’infraction, à condition que le prévenu en ait la libre disposition, et sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi. En l’espèce, le propriétaire de bonne foi était le conjoint commun en biens de l’auteur de l’infraction.

La contestation portait sur les dispositions de l’article L. 131-21 du Code pénal suivantes :

– l’alinéa 2 : « La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » ;

– l’alinéa 3 : « Elle porte également sur tous les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction, à l’exception des biens susceptibles de restitution à la victime (…) » ;

– l’alinéa 4 : « La confiscation peut, en outre, porter sur tout bien meuble ou immeuble défini par la loi ou le règlement qui réprime l’infraction » ;

– l’alinéa 5 : « S’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, lorsque ni le condamné, ni le propriétaire, mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’ont pu en justifier l’origine » ;

– l’alinéa 6 : « Lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut aussi porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis » ;

– l’alinéa 8 : « La peine complémentaire de confiscation s’applique dans les mêmes conditions à tous les droits incorporels, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis ».

La communauté conjugale

Pour les requérantes, épouses, ces dispositions méconnaissent les exigences résultant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, en ce qu’elles permettraient à la juridiction de jugement d’ordonner la confiscation d’un bien appartenant à la communauté conjugale, sans prévoir que l’époux de la personne condamnée soit cité à comparaître devant elle, ni informé de son droit de présenter des observations, de se faire représenter par un avocat et d’interjeter appel de la décision. En effet, comme l’indique la Cour de cassation dans sa question, « la loi ne prévoit pas que l’époux de bonne foi doit être cité à comparaître devant la juridiction de jugement avec l’indication de la possibilité pour le tribunal d’ordonner la confiscation d’un bien appartenant à la communauté conjugale, non plus que le droit pour l’intéressé de présenter ou faire présenter par un avocat ses observations à l’audience avec la faculté pour lui d’interjeter appel de la décision de confiscation prononcée ».

Autrement dit, en l’état, le Code de procédure pénale n’ouvre pas la possibilité au conjoint de faire valoir ses arguments devant le tribunal prononçant la confiscation, puisqu’il n’est ni partie au procès, ni prévenu, ni partie civile, ni civilement responsable. Le conjoint ne peut donc pas défendre son droit de propriété.

De plus, les requérantes soutenaient que le texte porte atteinte au principe de personnalité des peines et le droit de propriété « au motif qu’elles ne prévoient pas la faculté, pour le juge pénal qui ordonne la confiscation d’un bien commun, de procéder à une liquidation partielle et anticipée de la communauté ».

Atteinte à la garantie des droits

Le Conseil constitutionnel rappelle que lorsque la confiscation, en vertu des alinéas 2, 4, 5, 6, 8 et 9 de l’article L. 131-21 du Code pénal, porte sur un bien dépendant de la communauté, elle emporte sa dévolution pour le tout à l’État, sans que ce bien demeure grevé des droits de l’époux non condamné pénalement, même de bonne foi.

Il rappelle ensuite que le juge amené à prononcer la confiscation d’un bien commun doit apprécier, au regard des circonstances de l’infraction et de la situation personnelle de l’époux de bonne foi, s’il y a lieu de confisquer ce bien en tout ou partie. Il est tenu d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’époux de bonne foi lorsqu’une telle garantie est invoquée ou, lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine, de procéder à cet examen d’office. Toutefois, « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient que l’époux non condamné soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation devant la juridiction de jugement qui envisage de la prononcer ».

Le Conseil constitutionnel reconnaît que les dispositions incriminées méconnaissent les exigences de l’article 16 de la Déclaration du 26 août 1789 des droits de l’Homme et du citoyen selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution », et les déclare contraires à la Constitution.

Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité

En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la QPC et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, à savoir le 25 novembre 2021. Cependant, en vertu de l’article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration.

En l’espèce, d’une part, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives en privant la juridiction de jugement de la faculté de prononcer une peine de confiscation. Par suite, le Conseil reporte au 31 décembre 2022 la date de leur abrogation. D’autre part, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Peu de possibilités s’offrent désormais au législateur. S’il renonce à ces dispositions, les délinquants pourraient être tentés de soulever leur insolvabilité. Sans doute devra-t-il mettre en place un statut procédural spécifique pour préserver les droits des époux communs en biens.

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