L’accès aux médias audiovisuels des candidats à l’élection présidentielle : Liberté, Égalité, Équité dans les campagnes audiovisuelles

Publié le 03/02/2017

L’accès des candidats aux médias audiovisuels conforte le processus démocratique dans la mesure où il garantit l’information du public. Mais les conditions d’accès aux services de télévision et de radio doivent-elles relever du principe d’égalité ou du principe d’équité ? En tranchant en faveur de l’équité pour la période qui précède les quinze derniers jours de la campagne, le législateur de 2016 semble découvrir une solution qui, en réalité s’imposait déjà.

L’article 4 de la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 modifie l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel. Désormais, et c’est heureux, le principe d’égalité des temps d’intervention des candidats à l’élection présidentielle s’appliquera uniquement à la période qui correspond à la campagne électorale (I). Toutefois, on peut s’interroger sur la nécessité de l’intervention législative étant donné que le même résultat pouvait être atteint en se contentant de respecter le cadre juridique existant (II).

I – Des motifs de satisfaction

La réduction de la période pendant laquelle le principe d’égalité des temps de parole s’applique doit contribuer à mieux assurer la couverture médiatique de la campagne en vue de l’élection du président de la République.

A – Le piège de l’égalité

Depuis 2007, la période d’égalité des temps de parole des candidats et de leurs soutiens recouvrait une première séquence dite « période intermédiaire » qui courait à compter du jour de la publication au Journal officiel de la liste des candidats. En 2007 et en 2012, cette période a représenté près de trois semaines. Elle était complétée par une seconde séquence de deux semaines correspondant à la période de la campagne officielle précédant le premier tour de scrutin1. L’égalité était donc la règle pendant cinq semaines avant le premier tour.

Mais l’application de ce principe dans les médias audiovisuels renvoie à un mécanisme qui s’apparente à un droit de tirage. Dès lors qu’un candidat ou l’un de ses soutiens s’exprime à l’antenne, il crée automatiquement un droit d’accès et d’expression pour tous les autres sur la même chaîne de radio ou de télévision.

La couverture médiatique accordée à quatre ou cinq candidats qui animent la campagne et dont le programme politique est susceptible de rencontrer une certaine adhésion entraîne de facto la couverture, pour la même durée, de la campagne menée par tous les autres candidats.

Étant donné que les programmes des médias audiovisuels n’ont pas vocation à être bouleversés cinq semaines avant le premier tour pour permettre la retransmission, en permanence, des interventions de tous les candidats, la pratique a montré que les chaînes préféraient réduire la couverture globale de la campagne pour ne pas courir ce risque.

Le CSA a ainsi révélé, dans son rapport de novembre 2012, que pendant la période intermédiaire « les chaînes TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 n’ont réservé que 12 heures à la retransmission des interventions des candidats, soit une diminution de 50 % par rapport au volume relevé lors de la même période sur ces chaînes en 2007 »2.

La situation était, pour le moins, paradoxale. La règle imaginée pour assurer l’exposition de tous les candidats sans tenir compte de leur représentativité, aboutissait en réalité à une réduction de l’espace médiatique pendant les trois semaines qui précédaient la campagne officielle.

B – La solution de l’équité

Pourtant, il était nécessaire de s’assurer que le traitement médiatique de l’actualité électorale contribue à l’information du public afin qu’il puisse exercer sa liberté de choix.

Depuis longtemps, le Conseil constitutionnel a en effet indiqué que le « pluralisme est une des conditions de la démocratie [et que] l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix »3.

La règle de l’équité s’est alors imposée dans la mesure où elle permet de réserver du temps à tous les candidats et de donner aux médias audiovisuels la possibilité de présenter plus longuement les interventions qui contribuent au débat démocratique.

L’article 4 de la loi du 25 avril 2016 précise ainsi qu’« à compter de la publication de la liste des candidats et jusqu’à la veille du début de la campagne, les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le principe d’équité en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne ».

Pendant les trois semaines concernées, il s’agit de permettre aux services de radio et de télévision de faire valoir leur liberté éditoriale pour décider de présenter plus longuement le programme politique de certains candidats.

Rien de bien choquant ici. L’équité ne veut exclure personne mais elle offre à chacun selon son mérite. Il n’est pas nécessaire au fonctionnement de la démocratie de confondre les candidats originaux et pittoresques avec les candidats qui se trouvent réellement en mesure d’être élus.

D’ailleurs, toute forme de polémique à ce propos semble très exagérée. Lorsque le Conseil constitutionnel rend public la liste des candidats, le principe d’équité s’applique déjà depuis plusieurs mois (précisément depuis l’entrée en vigueur de la recommandation du CSA qui correspondra, pour la campagne à venir, au 1er février 2017)4. Il repose en outre sur des critères bien connus des candidats et des médias dont la légalité a été admise par le Conseil d’État5.

Dans ces conditions, la loi organique a pu, sans effort, se les approprier.

Pour apprécier le respect de l’équité, le CSA indiquait dans la recommandation n° 2011-3 du 30 novembre 2011 qu’il prenait en compte « d’une part, la capacité à manifester l’intention d’être candidat et, d’autre part, la représentativité du candidat. La capacité à manifester l’intention d’être candidat repose notamment sur l’organisation de réunions publiques ; la participation à des débats ; l’utilisation de tout moyen de communication permettant de porter à la connaissance du public les éléments d’un programme politique. La représentativité du candidat repose notamment sur les résultats obtenus par le candidat ou les formations politiques qui le soutiennent aux plus récentes élections ; les indications d’enquêtes d’opinion »6.

La loi du 25 avril 2016 a repris les mêmes orientations et prévoit que pour contrôler le respect du principe d’équité, le CSA tient compte « 1° de la représentativité des candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des indications de sondages d’opinion ; 2° de la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral ».

On peut regretter que le CSA se trouve, en quelque sorte, dépossédé de son œuvre. Le législateur – bon prince – lui laissant néanmoins le soin de déterminer ce qui relève de la notion de « conditions de programmation comparables » pour assurer le respect de l’équité puis de l’égalité entre les candidats.

II – Beaucoup de bruit pour rien

Pourtant, tout cela est un peu vain. Comme souvent, il aurait suffi que les textes en vigueur soient appliqués pour éviter, au moins dans ce domaine, l’intervention surabondante du législateur organique.

A – Une extension prétorienne du principe d’égalité

L’article 4 de la loi du 25 avril 2016 a eu pour objectif, notamment, de mettre un terme à la pratique développée depuis 2007 par le Conseil constitutionnel qui considérait, en dépit des textes applicables, que le point de départ de l’application du principe d’égalité devait correspondre à la date de publication au Journal officiel de la liste des candidats qu’il avait établie.

L’article 2 du décret du 8 mars 2001 disposait alors que « les présentations des candidats à l’élection du président de la République sont adressées au Conseil constitutionnel à partir de la publication du décret convoquant les électeurs et doivent parvenir au plus tard à minuit le dix-neuvième jour précédant le premier tour de scrutin ».

Cette référence au « dix-neuvième jour » a été supprimée par l’article 1er du décret du 21 avril 2006 qui a renvoyé la détermination de la date butoir au « délai prévu au deuxième alinéa du I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 », c’est-à-dire « au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures ».

En 2007 comme en 2012, le Conseil constitutionnel a reçu les dernières présentations le sixième vendredi précédant le premier tour (16 mars) et s’est empressé, dès le lundi suivant, de rendre publique la liste des candidats (19 mars)7. Il avait précédemment fait savoir au CSA que, dans la mesure où il lui revenait de veiller à la régularité des opérations électorales, il entendait qu’à compter de la publication de la liste, l’égalité s’applique entre tous les candidats8. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel décidait, sans doute pour donner davantage de majesté à ses décisions, que les articles 10 et 15 du décret du 8 mars 2001, qui prévoient explicitement que l’égalité entre les candidats doit être respectée dans les programmes des médias audiovisuels uniquement à compter du deuxième lundi qui précède le premier tour de scrutin – c’est-à-dire pendant les deux semaines de la campagne électorale, ne s’imposaient pas à lui.

Comme on sait, cette forme d’orgueil qui aboutissait à créer une période supplémentaire de trois semaines d’égalité de temps de parole allait en réalité nuire à la couverture médiatique du débat démocratique.

B – Un effort juridique louable pour consacrer le principe d’équité

Il faut remarquer – c’est un cas qui reste rare à notre connaissance – qu’il aura fallu l’adoption d’une loi organique pour revenir à l’application des dispositions pourtant claires du décret du 8 mars 2001.

L’article 4 de la loi du 25 avril 2006 modifie en effet l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 en disposant qu’« à compter du début de la campagne et jusqu’au tour de scrutin où l’élection est acquise, les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le principe d’égalité en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne ». Mais, en ramenant le principe d’égalité à la période qu’il n’aurait jamais dû quitter, le législateur a, du même coup, mis en lumière le principe d’équité. C’est ici que l’œuvre du Conseil constitutionnel a été plus notable.

Conformément aux articles 46 et 61 de la Constitution, il a été appelé à se prononcer sur la conformité de la loi organique aux principes constitutionnels. À cette occasion, il a nettement établi un lien entre l’équité et le principe de pluralisme.

S’il est vrai que ce lien figure déjà à l’article 4 de la Constitution, la décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016 va plus loin et reconnaît de la manière la plus nette que la mise en œuvre du principe d’équité, qui permet de « prendre en compte l’importance relative des candidats », est « justifiée par le motif d’intérêt général de clarté du débat électoral » (cons. 14). Le Conseil constitutionnel admet ainsi, sans fausse pudeur, que tous les candidats ne contribuent pas de la même manière au débat électoral.

Par ailleurs, alors que jusqu’à présent l’équité reposait sur des critères intrinsèques à la notion, le Conseil constitutionnel parvient à dégager une perspective en rappelant, à la lumière de sa jurisprudence, que cette différence de traitement entre les candidats vaut aussi dans la mesure où elle contribue à éclairer les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté de communication.

Notes de bas de pages

  • 1.
    En application du D. n° 2001-213, 8 mars 2001, art. 10, portant application de L. n° 62-1292, 6 nov. 1962.
  • 2.
    CSA, Rapport sur l’élection présidentielle de 2012 – Bilan et propositions, nov. 2012.
  • 3.
    Cons. const., 18 sept. 1986, n° 86-217 DC.
  • 4.
    Recommandation n° 2016-2, 7 sept. 2016, du CSA aux services de radio et de télévision en vue de l’élection du président de la République.
  • 5.
    CE, 7 mars 2007, n° 300385, Mme Lepage ; CE, 15 mars 2012, n° 356527, M. Bourson.
  • 6.
    Recommandation n° 2011-3, 30 nov. 2011, à l’ensemble des services de radio et de télévision concernant l’élection du président de la République.
  • 7.
    Cons. const., 19 mars 2007, n° 2007-133 PDR ; Cons. const., 19 mars 2012, n° 2012-145 PDR.
  • 8.
    Sur ce point en particulier, v. Weigel G. et Brun E., Le rôle du CSA dans la campagne pour l’élection présidentielle, Légipresse avr. 2012, n° 293.
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