Pluralisme politique dans les médias audiovisuels : une nouvelle recommandation du CSA

Publié le 28/10/2021

Afin notamment de contribuer au pluralisme politique, condition et garantie d’une démocratie véritable, les médias audiovisuels sont, en France, soumis à des contraintes particulières qui ne pèsent pas sur la presse écrite. Dans ce cadre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a, le 6 octobre 2021, adopté, comme il l’avait déjà fait pour de précédentes élections présidentielles, une « recommandation » qui les oblige à accorder aux candidats et à leurs soutiens, en fonction du temps qui sépare de la date du scrutin, un traitement « équitable » puis « égalitaire ». La multiplication et la diversification des entreprises éditrices et des canaux de diffusion justifient-elles encore l’intervention de ladite instance de régulation et le maintien du statut spécifique de l’audiovisuel ? Un régime commun et allégé, applicable à l’ensemble des médias, ne peut-il pas être envisagé désormais ? L’éclairage d’Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) et auteur de Droit des médias. Droit français, européen et international.

Pluralisme politique dans les médias audiovisuels : une nouvelle recommandation du CSA
Photo : ©AdobeStock/ Aliaksei

 Par une délibération du 8 septembre 2021, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a spécifiquement demandé « aux médias audiovisuels de décompter les interventions de M. Eric Zemmour portant sur le débat politique national […] à compter du 9 septembre 2021 ». Il était prétendu assurer ainsi le pluralisme des opinions et un certain équilibre entre les candidats déclarés ou potentiels à l’élection présidentielle du printemps prochain. Cette injonction a entraîné la décision de la direction de C News de remplacer, dans l’émission quotidienne à laquelle il participait, l’intéressé par des chroniqueurs exprimant pratiquement les mêmes points de vue. Il peut par ailleurs être relevé que celui-ci n’avait jamais été aussi présent dans les différents médias, qui jusque-là ne lui étaient pas ouverts, que depuis qu’a été adoptée ladite mesure. Il y est intervenu personnellement ou a obtenu qu’il soit largement fait écho à ses déclarations et prises de position, bien plus que cela n’a été le cas de toute autre personnalité politique. Sa personne et ses idées ont ainsi bénéficié d’une exceptionnelle promotion.

Persistant dans ce souci d’assurer respect du pluralisme politique dans les médias audiovisuels, dans la perspective de l’élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022, ledit CSA a, le 6 octobre 2021, adopté la « recommandation n° 2021-03 ». De portée plus générale, celle-ci anticipe largement sur le temps de la campagne qui précèdera ce scrutin.

Contexte de la recommandation

 Ladite « recommandation » se réfère à différentes dispositions qui en constituent le contexte.

Mention y est d’abord faite de l’article L. 47 A du Code électoral qui relève pourtant d’un Livre et d’un Titre concernant l’élection des députés, des conseillers départementaux et des conseillers municipaux. Il pose que « la campagne électorale est ouverte à partir du deuxième lundi qui précède la date du scrutin et prend fin la veille du scrutin à zéro heure » et que, « en cas de second tour, la campagne électorale est ouverte le lendemain du premier tour et prend fin la veille du scrutin à zéro heure ».

Référence est ensuite faite à la loi n° 62-1292, du 6 novembre 1962, « relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel ». En son article 3, il est notamment posé que la « publication de la liste des candidats » est assurée « au plus tard le quatrième vendredi précédant le premier tour du scrutin ». Il y est d’abord prévu que, à compter de cette publication « et jusqu’à la veille du début de la campagne, les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le principe d’équité en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne », en tenant compte « de la représentativité des candidats » et de leur « contribution […] à l’animation du débat électoral ». Il est notamment ajouté que, « à compter du début de la campagne et jusqu’au tour de scrutin où l’élection est acquise, les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le principe d’égalité en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne ».

Est ensuite mentionnée la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986, « relative à la liberté de communication » (audiovisuelle). Énonçant, en son article 1er, que « la communication au public par voie électronique est libre », elle pose notamment, en son article 3-1, que le CSA « garantit l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle » et, pour cela, qu’il « assure l’égalité de traitement » et qu’il « garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ». L’article 13 ajoute et précise que ledit CSA « assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale », et que ces services transmettent au CSA « les données relatives aux temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes ». Son article 16 dispose que, « pour la durée des campagnes électorales, le Conseil adresse des recommandations aux éditeurs de services de radio et de télévision ».

Référence est encore faite au décret n° 2001-213, du 8 mars 2001, portant application de la loi du 6 novembre 1962. En son article 15, il est posé que « le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille au respect […] des règles et recommandations qu’il édicte », et qu’il organise la campagne électorale officielle sur les antennes du secteur public de la radio-télévision.

Il est enfin fait mention d’une « délibération n° 2011-1, du 4 janvier 2011, relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale », adoptée par le même CSA. Il y est notamment posé que, pour toutes les élections à caractère politique, les éditeurs de ces services « respectent le principe de pluralisme », selon les modalités qui sont ainsi déterminées, « pendant les six semaines précédant le jour du scrutin ». S’agissant du traitement de l’« actualité liée à l’élection », il est prévu que « les candidats, les personnalités ou les partis et groupements politiques qui les soutiennent bénéficient d’une présentation et d’un accès équitables à l’antenne », et que « les comptes rendus, commentaires et présentations auxquels donnent lieu les élections doivent être exposés avec un souci constant de mesure et d’honnêteté ». Il est ajouté que « les éditeurs communiquent au Conseil supérieur de l’audiovisuel, à sa demande, tous les éléments relatifs aux temps de parole des candidats et de leurs soutiens ».

Cette chaîne ou cascade de dispositions constitue le contexte de la présente « recommandation » du CSA. Par rapport au moins au sens donné à cette notion dans le langage courant, celle-ci s’avère être autre chose et bien plus contraignante.

 Contenu de la recommandation

La présente « recommandation » détermine différentes périodes pendant lesquelles les règles à respecter ne seront pas les mêmes. S’agissant de la période préalable à la campagne électorale, sont distinguées « une première période allant du 1er janvier au 7 mars 2022 » et « une seconde période allant du 8 mars », date de la publication de la liste des candidats, « jusqu’à la veille de l’ouverture de la campagne électorale ». La dernière période s’ouvrira le deuxième lundi précédant le premier tour du scrutin, fixé au 10 avril, c’est-à-dire le 28 mars, et entre les deux tours.

Pour ce qui est de la détermination des médias audiovisuels concernés, il est posé que, jusqu’au 7 mars 2022, il s’agit des « services de radio et de télévision » et, à partir du 8 mars, de « l’ensemble des services de communication audiovisuelle », y ajoutant notamment les « services de médias audiovisuels à la demande ». Y échapperont cependant les « services qui, exclusivement accessibles par voie de communication au public en ligne, sont consacrés à la propagande électorale des candidats ou des formations politiques qui les soutiennent ».

Avant le 8 mars 2022, date de la publication officielle de la liste de candidats, seront considérés comme « candidat déclaré : toute personne qui a manifesté publiquement sa volonté de concourir à l’élection », et comme « candidat présumé : toute personne qui recueille des soutiens publics et significatifs en faveur de sa candidature ». A compter de cette date, seront « considérées comme candidates les personnes dont le nom figure sur la liste établie par le Conseil constitutionnel et, pour le second tour de scrutin, les deux personnes habilitées à se présenter ».

La « recommandation » pose que les « temps de parole » à décompter comprennent, en principe, « toutes les interventions d’un candidat […] ainsi que les interventions de soutien de sa candidature ». Il est précisé que, « si le Président de la République est candidat déclaré ou présumé, toutes ses interventions relevant du débat politique sont […] prises en compte », à l’exclusion, dans un partage bien délicat, des « interventions qui relèvent de l’exercice de sa charge ». Il est indiqué que « les propos critiques tenus à l’encontre d’un ou plusieurs candidats sont pris en compte dans le seul cas où leur auteur soutient explicitement un autre candidat », et que « ces interventions sont incluses dans le temps de parole du candidat à qui ce soutien est apporté ». Il est encore ajouté que « les éditoriaux et les commentaires politiques, les revues de presse, les débats réunissant des journalistes, des experts ou d’autres personnes, les analyses et les présentations de sondages d’opinions sont pris en compte dans le temps d’antenne lorsque, pour l’essentiel de leur durée, ils concernent un seul candidat et ne lui sont pas explicitement défavorables ».

Pour ce qui concerne la « présentation » et l’« accès à l’antenne sur les services de télévision et de radio », la « recommandation » pose que « durant la première période » (entre le 1er janvier et le 7 mars 2022), « les éditeurs veillent à ce que les candidats déclarés ou présumés et leurs soutiens bénéficient d’une présentation et d’un accès équitables », en tenant compte de la « représentativité » de l’intéressé. « Durant la seconde période » (entre le 8 et le 27 mars), il doit notamment en être ainsi « dans des conditions de programmation comparables » et s’agissant, à la fois, du temps de parole et du temps d’antenne. Enfin, « durant la campagne électorale » (à partir du 28 mars), les éditeurs de ces services audiovisuels doivent veiller « à ce que le temps de parole et les temps d’antenne accordés aux candidats et à leurs soutiens soient égaux dans des conditions de programmation comparables ».

S’agissant des services de médias audiovisuels à la demande, la « recommandation » pose que, « durant la seconde période » (du 8 au 27 mars 2022), les éditeurs devront veiller « à ce que les candidats et leurs soutiens bénéficient […] d’une présentation et d’un accès équitable […] à la fois pour le temps de parole et pour le temps d’antenne », et à ce que, « durant la campagne électorale », à compter du 28 mars, « les candidats et leurs soutiens bénéficient […] de temps de parole et de temps d’antenne égaux ».

Pour assurer le respect de ces obligations, les éditeurs de services audiovisuels doivent, au cours de chacune des périodes considérées, relever, en une comptabilité bien délicate et incertaine, « les temps de parole et les temps d’antenne des candidats et de leurs soutiens » et en assurer la transmission au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

L’affirmation du principe de « liberté de communication » et le souci de garantie du pluralisme politique justifient-ils encore aujourd’hui que, sous l’autorité du Conseil supérieur de l’audiovisuel, pèsent, sur les médias audiovisuels, de telles contraintes, différentes selon les périodes, d’« équité » et d’« égalité » de traitement des candidats, « présumés » ou « déclarés », à l’élection présidentielle et de leurs soutiens ? Tous méritent-ils la même attention et d’être considérés de la même façon ? Si de telles règles apparaissaient comme devant être maintenues, ne pourraient-elles pas être réservées au seul secteur de l’audiovisuel public dont, en dehors de la diffusion de la campagne électorale officielle, il est attendu qu’il respecte le principe de neutralité des services publics. Par cette sorte de nivellement ou d’imposition d’un traitement audiovisuel semblable, n’est-il pas, au nom du pluralisme, ainsi porté atteinte à la libre détermination des journalistes et des rédactions, et finalement à la liberté d’information et au libre choix du public ?

Au lieu de conduire à un renforcement des obligations et à une extension de leur champ d’application, la multiplication des canaux de diffusion et des moyens de communications électroniques ne devrait-elle pas amener à leur allègement et à les limiter aux seuls aspects techniques de la diffusion par voie hertzienne ? Ne pourrait-on pas désormais instaurer, pour l’ensemble des médias, écrits et audiovisuels, un même régime de liberté dont découlerait le pluralisme politique ? Dans ce nouvel environnement technique, ne conviendrait-il pas de reconsidérer le mode actuel dit de « régulation » de la communication audiovisuelle ? Nécessaire et constitutif d’un réel progrès au moment de l’abandon du monopole d’Etat de la radio-télévision et de l’ouverture au secteur privé, il ne l’est plus pareillement aujourd’hui.

 

 

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